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Dossier : 2002-4614(EI)

ENTRE :

DANY GÉLINAS,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 4 avril 2003 à Montréal (Québec),

 

Devant : L'honorable juge suppléant J.F. Somers

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Louis Brousseau

 

Avocate de l'intimé :

Me Julie David

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de juin 2003

 

 

 

 

«J.F. Somers»

J.S.C.C.I.


 

 

 

Référence : 2003CCI417

Date : 20030625

Dossier : 2002-4614(EI)

ENTRE :

DANY GÉLINAS,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Somers, C.C.I.

 

[1]     Cet appel a été entendu à Montréal (Québec), le 4 avril 2003.

 

[2]     L'appelant interjette appel de la décision du ministre du Revenu national (le «Ministre») selon laquelle l'emploi exercé au cours des périodes en cause, soit du 12 janvier au 4 décembre 1998, du 11 janvier au 17 décembre 1999, du 7 février au 15 décembre 2000 et du 22 janvier au 21 décembre 2001, auprès de Maçonnerie Grand-Mère Inc., le payeur, est exclu des emplois assurables au sens de la Loi sur l'assurance-emploi (la «Loi») au motif qu'il existait un lien de dépendance entre lui et le payeur.

 

[3]     Le paragraphe 5(1) de la Loi se lit en partie comme suit :

 

            5.(1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

 

a)    un emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

 

[...]

 

[4]     Les paragraphes 5(2) et 5(3) de la Loi sur l'assurance-emploi se lisent en partie comme suit :

 

(2)        N'est pas un emploi assurable :

 

[...]

 

i)          l'emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance.

 

(3)        Pour l’application de l’alinéa (2)i):

 

a)         la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l’impôt sur le revenu;

 

b)         l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[5]     L'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu se lit en partie comme suit :

 

Article 251 : Lien de dépendance.

 

(1)        Pour l’application de la présente loi :

 

a)         des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

 

[...]

 

(2) Définition de lien « personnes liées ». Pour l'application de la présente loi, sont des « personnes liées » ou des personnes liées entre elles :

 

a)         des particuliers unis par les liens du sang, du mariage ou de l'adoption;

 

[...]

 

[6]     Le fardeau de la preuve incombe à l'appelant. Ce dernier se doit d'établir, selon la prépondérance de la preuve, que la décision du Ministre est mal fondée en fait et en droit. Chaque cas est un cas d'espèce.

 

[7]     En rendant sa décision le Ministre s'est fondé sur les présomptions de fait suivantes énoncées au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel, lesquelles ont été admises ou niées par l'appelant :

 

a)         Le payeur, constitué en société le 23 avril 1996, se spécialise en maçonnerie et en restauration patrimoniale. (admis)

 

b)         Durant les périodes en litige, le capital-actions du payeur se répartissait ainsi :

 

            Josée Jeansonne, conjointe de fait de l'appelant, avec 70 % des actions.

 

            L'appelant avec 30 % des actions. (admis)

 

c)         La place d'affaires du payeur est située à la résidence du couple qui appartient exclusivement à l'appelant. (admis)

 

d)         Le payeur occupe un bureau et le garage de la résidence sans verser de loyer à l'appelant. (admis)

 

e)         Les marges de crédit du payeur, totalisant 85 000 $, sont cautionnées par les 2 actionnaires, et plus particulièrement, par cautionnement hypothécaire sur la résidence de l'appelant. (admis)

 

f)          Josée Jeansonne a suivi un cours en lancement d'entreprise et a obtenu ses cartes de compétence comme manoeuvre spécialisée en maçonnerie. (admis)

 

g)         Josée Jeansonne a fourni la caution de 10 000 $ exigée comme garantie financière pour qualifier le payeur auprès de la Régie du bâtiment. (admis)

 

h)         L'appelant est maître maçon et détient ses cartes de compétence comme compagnon maçon. (admis)

 

i)          Quand le payeur soumissionne sur un contrat, c'est généralement l'appelant qui se déplace pour évaluer les travaux à faire et établir le nombre d'échafauds requis. (nié)

 

j)          Le 23 septembre 1999, l'appelant a contracté un emprunt personnel de 29 986 $ pour couvrir l'achat d'un camion (6 roues) pour le payeur et pour consolider un emprunt effectué en 1995 par le payeur. (admis)

 

k)         L'appelant a emprunté lui-même le montant car le payeur n'était pas capable d'assumer cet emprunt. (nié)

 

l)          D'octobre 1999 à juin 2002, le payeur remboursait 250 $ par mois à l'appelant pour couvrir une partie du coût de cet emprunt s'élevant à 499,77 $ par mois. (admis)

 

m)        L'appelant était généralement rémunéré selon les taux établis par la CCQ, sauf quand des travaux n'étaient pas soumis au décret de la construction. (admis)

 

n)         Quand le payeur connaissait des difficultés financières, il n'enregistrait pas les heures de travail de l'appelant. (nié)

 

o)         De 1998 à 2001, l'appelant participait bénévolement aux travaux de soumissions du payeur. (nié)

 

p)         L'appelant n'apparaissait pas au registre des salaires du payeur alors que d'autres travailleurs y étaient inscrits. (nié)

 

q)         L'appelant s'impliquait dans toutes les activités quotidiennes du payeur et ce dernier ne pouvait le congédier sans mettre en péril sa survie. (nié)

 

[8]     Le payeur, constitué en société le 23 avril 1996, se spécialise dans des travaux de maçonnerie et restauration patrimoniale. Durant les périodes en cause, le capital-actions du payeur se répartissait ainsi : Josée Jeansonne, conjointe de fait de l'appelant, avec 70 pour cent des actions et l'appelant avec 30 pour cent des actions.

 

[9]     La place d'affaires du payeur est située dans la résidence du couple, laquelle appartient exclusivement à l'appelant. Le payeur utilise le garage et une pièce de la résidence familiale comme bureau sans verser de loyer à l'appelant.

 

[10]    L'appelant a témoigné qu'il fait des travaux de maçonnerie depuis 1978, qu'il détient des cartes de compétence comme compagnon maçon depuis 1998 et qu'il est employé du payeur depuis 1996.

 

[11]    Les tâches  de l'appelant consistaient à être le contremaître des chantiers et à préparer les soumissions : le côté technique est de son domaine. Sa conjointe, elle, préparait les soumissions pour les sous-contrats offerts par l'entrepreneur général ainsi que les listes de prix.

 

[12]    L'appelant a admis qu'il a fait un emprunt personnel pour l'achat d'un camion pour le payeur. Selon lui, ce camion a été acheté à la hâte afin de bénéficier d'un prix intéressant. Il croyait que la transaction se ferait plus vite en faisant un prêt personnel au lieu d'obtenir un prêt par le payeur. Selon son explication, pour des raisons économiques, c'était avantageux vu l'urgence de faire cet achat.

 

[13]    Le document intitulé «Contrat de prêt d'argent» (pièce I-1) démontre que l'appelant a emprunté la somme totale de 29 986,20 $ : le montant du prêt, soit 20 000 $ plus le solde d'un prêt antérieur, les intérêts et les primes d'assurance. Les modalités de paiements mensuels étaient de 499,77 $ durant 59 mois. L'appelant a déclaré qu'il avait utilisé une partie de ce prêt pour l'achat dudit camion et l'autre partie pour rembourser un ou des prêts antérieurs contractés par le payeur. L'appelant a également admis qu'il était possible que le payeur ait été en retard pour certains paiements.

 

[14]    La rémunération de l'appelant était établie au taux horaire de 25 $, soit selon le décret de la Commission de la construction du Québec pour des travaux effectués pour le secteur commercial. Pour ce qui est des travaux de restauration dans le secteur résidentiel, le salaire était établi à 20 $ puisque ceux-ci n'étaient pas soumis au décret de la construction.

 

[15]    En contre-interrogatoire, l'appelant a déclaré qu'il fait partie de la quatrième génération de maçons; donc il s'occupe du côté technique de l'entreprise. Selon lui, sa conjointe décidait sur quel chantier il devait travailler. Lorsqu'il était sur les chantiers avec des clients et que ceux-ci préféraient faire affaires avec lui plutôt qu'avec sa conjointe, il notait les coordonnées des clients et les remettaient à sa conjointe. La conjointe de l'appelante, Josée Jeansonne, décidait de la quantité des matériaux et des prix; l'appelant lui, a déclaré, qu'il avait signé des bons de commande lorsqu'il était sur les chantiers.

 

[16]    Josée Jeansonne, conjointe de l'appelant, a témoigné qu'elle était mère de famille avant 1996, soit l'année où le payeur a été constitué en société. Elle a déclaré avoir suivi des cours en lancement d'entreprise; elle a appris à établir un plan d'affaires dans le but de former une compagnie de maçonnerie. Ses heures de cours étaient d'une durée de six heures par semaine et s'étalant sur plusieurs semaines jusqu'à la fin de mars 1996 et à la fin de ses cours, elle a obtenu ses cartes de compétence comme manoeuvre spécialisée en maçonnerie en septembre 1996.

 

[17]    Elle a déclaré que c'est elle qui a formé la compagnie et qu'elle s'est enregistrée à la Régie des bâtiments avant 1996. Elle a ajouté qu'elle avait travaillé pendant 3 ans pour une compagnie de maçonnerie. Elle a également déclaré qu'elle avait investi 10 000 $ dans la compagnie en plus d'un autre montant de 25 000 $ qui provenait de sa mère.

 

[18]    Josée Jeansonne s'occupait de l'administration et était à la recherche de contrats. De plus, elle embauchait des apprentis et des travailleurs ayant le titre de «compagnon»; les «compagnons» surveillaient les apprentis. L'appelant est devenu «compagnon» dans le métier en 1998.

 

[19]    Lorsqu'il y avait des soumissions à faire, Josée Jeansonne se rendait sur les chantiers. Selon elle, certains clients, surtout dans le secteur résidentiel, préfèrent discuter avec un homme plutôt qu'avec une femme et c'est la raison pour laquelle l'appelant prépare certaines soumissions mais c'est elle qui fixe les prix. Josée Jeansonne a corroboré le témoignage de l'appelant quant au but de l'emprunt contracté : le prêt personnel contracté par son conjoint était urgent afin de prendre avantage d'un prix d'achat avantageux.

 

[20]    Elle a expliqué que l'appelant paie 250 $ par mois à la Caisse Populaire pour sa partie de l'emprunt et que le payeur rembourse l'autre 250 $ pour l'achat du camion mais a admis que son conjoint a parfois payé la partie du payeur lorsque celui-ci manquait de liquidité.

 

[21]    Lors de son témoignage, elle a mentionné que les heures travaillées étaient toujours inscrites aux livres de salaires sauf à quelques reprises au tout début de l'exploitation de l'entreprise. Elle a ajouté qu'elle s'était toujours occupée des livres de salaires, des paiements de comptes, de la collection et qu'elle faisait elle-même le nettoyage à la fin des travaux sur les chantiers.

 

[22]    Un document intitulé «Publicité, pièce __» (pièce I-2) stipule, entre autres, ce qui suit :

 

  Etablit [sic] au Centre de la Mauricie depuis 5 ans, Maçonnerie Grand-Mère inc. oeuvre dans différentes sphères d'activités. Que ce soit pour des réalisations résidentielles, commerciales ou industrielles, maçonnerie haut de gamme, Maçonnerie Grand-Mère inc. possède une solide expérience.

 

  Dirigée par Josée Jeansonne et Dany Gélinas, maître‑maçon de père en fils depuis 4 générations, cette entreprise a su se démarquer grâce à son dynamisme et son savoir-faire dans le domaine et ayant ainsi pour plus de 1.2 millions$ de réalisations à son actif.

 

[23]    Selon les rapports financiers déposés sous la cote I-3, des avances des administrateurs au payeur, sans intérêts ni modalité de remboursement, y apparaissent : 66 $ en 1999; 23 989 $ en 2000; 22 784 $ en 2001 et 20 514 $ en 2002. Josée Jeansonne n'a pu donner d'explications quant à ces montants; selon elle ces montants relèvent de la compétence du comptable mais a ajouté que les trois quarts de ces montants lui étaient dûs.

 

[24]    Josée Jeansonne a déclaré que l'appelant était payé selon le décret de la Commission de la construction du Québec puisque 80 pour cent des travaux exécutés l'avaient été dans les secteurs commercial ou industriels. Elle a ajouté qu'elle réduisait le salaire de l'appelant lorsque le payeur avait des difficultés financières. Elle a de plus admis que l'appelant avait contracté une hypothèque sur sa maison pour garantir la marge de crédit du payeur au montant de 25 000 $.

 

[25]    L'appelant a admis le sous-paragraphe 5 e) de la Réponse à l'avis à l'effet que les marges de crédit du payeur totalisant 85 000 $ sont cautionnées par les deux actionnaires et plus particulièrement par cautionnement hypothécaire sur la résidence de l'appelant.

 

[26]    Selon Josée Jeansonne quand le payeur soumissionne sur un contrat, c'est elle qui se rend sur les chantiers la plupart du temps pour examiner les lieux afin de fixer les prix. Elle a déclaré que l'appelant ou Jacques Lessard, un autre compagnon, allait à l'occasion sur les chantiers afin d'examiner les lieux. Elle a également ajouté qu'elle ne se rappelait pas si l'appelant était en période de chômage quand il a fait certaines soumissions.

 

[27]    Lors de son témoignage, Louise Dessureault, agente des appels auprès de l'Agence des douanes et du revenu du Canada, a déclaré avoir examiné les livres du payeur et avoir noté qu'il n'y avait pas eu de résolution du conseil d'administration du payeur pour faire des emprunts.

 

[28]    Selon un document intitulé «Tableaux portant sur les revenus mensuels, le nombre d'employés et le nombre de soumissions pour les années 1998, 1999, 2000 et 2001» (pièce I-4), des bons de commande et des soumissions ont été signés par l'appelant alors qu'il était en période de chômage.

 

[29]    Selon Louise Dessureault, l'appelant a été obligé à quelques reprises de couvrir personnellement la partie de l'emprunt que le payeur se devait de payer mensuellement. Elle a cependant admis que selon les livres du payeur, l'appelant a reçu des remboursement sporadiques et qu'il a été remboursé en totalité sauf pour la somme de 250 $.

 

[30]    En contre-interrogatoire, Louise Dessureault a déclaré que les soumissions étaient faites par l'appelant ou sa conjointe; lorsqu'il s'agissait de travaux compliqués ou lorsque certains clients préféraient transiger avec un homme plutôt qu'une femme, c'est l'appelant qui prenait charge des discussions avec les clients.

 

[31]    Selon ce témoin, Josée Jeansonne lui aurait admis que les soumissions étaient faites par elle-même et par l'appelant. Les tableaux déposés en preuve (pièce I-4) démontrent que l'appelant participait aux soumissions puisque sa signature ou ses calculs apparaissent sur plusieurs d'entre elles. Louise Dessureault a donc tiré la conclusion que l'appelant et sa conjointe participaient à l'année à la préparation de plusieurs soumissions par semaine.

 

[32]    L'agente des appels a fait parvenir une lettre au payeur demandant des explications quant aux sommes dues aux actionnaires, aux avances des administrateurs au payeur sans intérêts ni modalités de remboursement, telles qu'indiquées dans les états financiers déposés sous la cote I-3, mais n'a reçu aucune réponse. Il est à noter qu'à l'audition de l'appel la conjointe de l'appelant n'a pu fournir d'explications à ce sujet.

 

[33]    Lors de son témoignage, Denise Prévost, agente d'enquête et de contrôle auprès de Développement des ressources humaines Canada, a déclaré avoir rencontré Josée Jeansonne et avoir reçu les documents qu'elle lui avait demandé de lui transmettre, dont les livres de salaires et les comptes à recevoir.

 

[34]    Ce témoin a également déclaré que lors de sa rencontre avec l'appelant, ce dernier avait reconnu sa signature ou son écriture sur environ 85 pour cent des soumissions faites par le payeur. Elle a déposé en preuve des soumissions (pièce I-6) : les onglets rouges indiquent les soumissions sur lesquelles apparaissent la signature de l'appelant au cours des périodes où il recevait des prestations d'assurance-emploi et les onglets bleus démontrent l'implication de l'appelant soit par sa signature ou son écriture alors qu'il était en période de chômage. L'appelant a admis s'être rendu chez des clients pour y faire des soumissions et a reconnu son écriture et celle de sa conjointe sur certaines de ces soumissions.

 

[35]    L'appelant a admis qu'il avait contracté des emprunts au profit du payeur dont un prêt hypothécaire sur la maison dont il était l'unique propriétaire. Il n'y a eu aucune contre preuve de la part de l'appelant.

 

[36]    La Cour d'appel fédérale dans la cause Ferme Émile Richard et Fils Inc. c. M.R.N., [1994] A.C.F. no 1859, a indiqué que lorsqu'il s'agit d'appliquer le sous‑alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi sur l'assurance-chômage, maintenant le paragraphe 5(3) de la Loi sur l'assurance-emploi, la Cour doit se demander si la décision du Ministre «résulte d'un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire. La Cour doit exiger dans un premier temps que «l'appelant fasse la preuve d'un comportement capricieux ou arbitraire du Ministre».

 

[37]    Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Jencan Ltd., [1997] A.C.F. 876, la Cour d'appel fédérale a réitéré le rôle de notre Cour dans des causes similaires à celle sous étude et s'est exprimé ainsi aux paragraphes 31 et 32 de sa décision :

 

            L'arrêt que notre Cour a prononcé dans l'affaire Tignish, précitée, exige que, lorsqu'elle est saisie d'un appel interjeté d'une décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii), la Cour de l'impôt procède à une analyse à deux étapes. À la première étape, la Cour de l'impôt doit limiter son analyse au contrôle de la légalité de la décision du ministre. Ce n'est que lorsqu'elle conclut que l'un des motifs d'intervention est établi que la Cour de l'impôt peut examiner le bien-fondé de la décision du ministre. Comme nous l'expliquerons plus en détail plus loin, c'est en limitant son analyse préliminaire que la Cour de l'impôt fait preuve de retenue judiciaire envers le ministre lorsqu'elle examine en appel les décisions discrétionnaires que celui-ci rend en vertu du sous‑alinéa 3(2)c)(ii). Dans l'arrêt Tignish, notre Cour a, sous la plume du juge Desjardins, J.C.A., expliqué dans les termes suivants la compétence limitée qui est conférée à la Cour de l'impôt à cette première étape de l'analyse :

 

Le paragraphe 7(1) de la Loi porte que la Cour de l'impôt a le pouvoir de décider toute question de fait et de droit. La requérante, qui en appelle du règlement du ministre, a le fardeau de prouver sa cause et a le droit de soumettre de nouveaux éléments de preuve pour réfuter les faits sur lesquels s'est appuyé le ministre. Toutefois, comme la décision du ministre est discrétionnaire, l'intimé fait valoir que la compétence de la Cour de l'impôt est strictement circonscrite. Le ministre est la seule personne qui puisse établir à sa satisfaction, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rémunération versée, les modalités d'emploi et l'importance du travail accompli, que la requérante et son employée sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance. Souscrivant à l'arrêt Minister of National Revenue v. Wrights' Canadian Ropes Ltd., qui fait autorité, l'intimé prétend que, à moins que l'on établisse que le ministre n'a pas tenu compte de toutes les circonstances (comme il y est tenu aux termes du sous‑alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi), a pris en compte des facteurs dépourvus d'intérêt ou a violé un principe de droit, la Cour ne peut intervenir. En outre, la Cour a le droit d'examiner les faits qui, selon la preuve, se trouvaient devant le ministre quand il est arrivé à sa conclusion, pour décider si ces faits sont prouvés. Mais s'il y a suffisamment d'éléments pour appuyer la conclusion du ministre, la Cour n'a pas toute latitude pour l'infirmer simplement parce qu'elle serait arrivée à une conclusion différente. Toutefois, si la Cour est d'avis que les faits sont insuffisants, en droit, pour appuyer la conclusion du ministre, la décision de ce dernier ne peut tenir et la Cour est justifiée d'intervenir.

 

            À mon avis, la position de l'intimé est correctement exposée sur le plan du droit ...

 

            Dans l'arrêt Ferme Émile Richard et Fils Inc. c. Ministre du Revenu national et al., notre Cour a confirmé sa position. Dans une remarque incidente, le juge Décary, J.C.A., a déclaré ce qui suit :

 

Ainsi que cette Cour l'a rappelé récemment dans Tignish Auto Parts Inc. c. Ministre du Revenu national, (...), l'appel devant la Cour canadienne de l'impôt, lorsqu'il s'agit de l'application du sous‑alinéa 3(2)c)(ii), n'est pas un appel au sens strict de ce mot et s'apparente plutôt à une demande de contrôle judiciaire. La Cour, en d'autres termes, n'a pas à se demander si la décision du Ministre est la bonne; elle doit plutôt se demander si la décision du Ministre résulte d'un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire. Ce n'est que lorsque la Cour en arrive à la conclusion que le Ministre a fait un usage inapproprié de sa discrétion, que le débat devant elle se transforme en un appel de novo et que la Cour est habilitée à décider si, compte tenu de toutes les circonstances, un contrat de travail à peu près semblable aurait été conclu entre l'employeur et l'employé s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance.

 

[38]    Dans l'arrêt Bérard c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1997] A.C.F. no 88, la Cour d'appel fédérale s'est exprimé en ces termes :

 

...Le but évident de la législation est d'exclure les contrats de travail entre des personnes liées qui ne sont pas de la même nature qu'un contrat normal conclu entre des personnes n'ayant pas un lien de dépendance entre elles. Il nous parait clair que ce caractère anormal peut aussi bien se manifester dans des conditions désavantageuses pour l'employé que dans des conditions favorables. Dans les deux cas, la relation employeur‑employé n'est pas normale et il est permis de soupçonner qu'elle a été influencée par d'autres facteurs que les forces économiques du marché du travail.

 

[39]    Le payeur est une entreprise familiale dont les deux actionnaires étaient l'appelant et sa conjointe. Selon la Loi, un actionnaire peut être l'employé d'une compagnie si les conditions de travail auraient été à peu près les mêmes s'il n'y avait pas eu de lien de dépendance. Il n'y a aucun doute qu'il existait un lien de dépendance entre l'appelant et le payeur.

 

[40]    La conjointe de l'appelant a témoigné à l'audition de cet appel avec une certaine assurance. Elle a déclaré avoir suivi des cours dans le but de former et d'administrer une entreprise.

 

[41]    L'appelant a témoigné qu'il oeuvre dans le domaine de la maçonnerie depuis 1978. Lorsque l'entreprise du payeur a été formée en 1996, il était briqueteur‑maçon apprenti; il est devenu «compagnon maçon» seulement en 1998.

 

[42]    Selon le document intitulé «Publicité, pièce __» (pièce I-2), l'appelant et sa conjointe s'affichaient comme les dirigeants du payeur; de plus, l'appelant y est mentionné comme «maître-maçon de père en fils depuis 4 générations». L'appelant était donc étroitement lié à cette entreprise; il y était un employé.

 

[43]    Il faut donc déterminer, vu le lien de dépendance, si l'emploi de l'appelant était assurable.

 

[44]    La place d'affaires du payeur est située dans la résidence familiale de l'appelant et de sa conjointe. Le payeur ne payait aucun loyer à l'appelant pour l'utilisation du bureau et du garage.

 

[45]    Selon les rapports financiers pour les périodes en cause, les chiffres d'affaires annuels du payeur variaient entre 270 000 $ et 415 238 $; donc l'achalandage à la résidence familiale a dû être impressionnant. Il n'est pas normal qu'un employé d'une entreprise prête sa résidence à de telles activités commerciales sans compensation.

 

[46]    Les rapports financiers préparés par un comptable démontrent que les administrateurs ont fait des avances au payeur sans intérêts ni modalités de remboursement. L'appelant et sa conjointe n'ont pu fournir d'explications à l'agente des appels et à la Cour quant à ces avances. Il n'est pas normal qu'un employé sans lien de dépendance avance de l'argent à une entreprise sans intérêts ni modalités de remboursement.

 

[47]    L'appelant a contracté personnellement un prêt à la Caisse Populaire (pièce I-1) dans le but de faire l'achat d'un camion, propriété du payeur. Il est vrai que ce contrat consolidait un prêt personnel antérieur de l'appelant et le prix d'achat du camion. Pour le remboursement du prêt, l'appelant et le payeur payaient chacun 250 $ par mois. L'appelant a, à l'occasion, payé la partie imputable au payeur quand ce dernier manquait de liquidité; par contre, les témoins à l'audience ont déclaré que le payeur avait remboursé l'appelant en totalité. En signant ce «Contrat de prêt d'argent», l'appelant s'engageait personnellement à rembourser le prêt : un employé sans lien de dépendance ne s'engagerait pas personnellement à rembourser un prêt contracté au profit de l'employeur.

 

[48]    L'appelant a également contracté un prêt hypothécaire sur sa résidence pour cautionner les marges de crédit du payeur. Il n'est pas normal qu'un employé sans lien de dépendance s'engage financièrement au bénéfice de son employeur.

 

[49]    L'appelant était rémunéré au taux horaire de 25 $, soit le taux prévu par le décret de la Commission de la construction du Québec pour des travaux exécutés dans le secteur commercial. Pour ce qui est des travaux exécutés dans le secteur résidentiel, soit hors décret, l'appelant recevait une rémunération de 20 $ l'heure. Cette différence de salaire ne peut en soi affecter l'assurabilité de son emploi. L'appelant a préparé et signé des soumissions, environ 85 % du nombre total, alors qu'il recevait des prestations d'assurance-emploi. L'appelant se rendait chez les clients ou sur les chantiers pour visiter les lieux et faire les calculs en préparation des soumissions. Il n'est pas normal qu'un employé sans lien de dépendance soit aussi généreux avec son temps au bénéfice de son employeur.

 

[50]    La Cour a examiné la jurisprudence soumise par les parties quant à l'aspect du lien de dépendance.

 

[51]    La Cour conclut que les conditions de travail n'auraient pas été les mêmes si l'appelant et le payeur n'avaient pas eu de lien de dépendance. L'appelant n'a pas réussi à établir, selon la prépondérance de la preuve, que le Ministre a agi de façon capricieuse ou arbitraire.

 

[52]    En conséquence, l'emploi exercé par l'appelant n'était pas assurable durant les périodes en cause puisqu'il existait un lien de dépendance entre lui et le payeur conformément aux dispositions de l'alinéa 5(2)i) et du paragraphe 5(3)b) de la Loi.

 

[53]    L'appel est rejeté et la décision du Ministre est confirmée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de juin 2003.

 

 

 

 

 

« J.F. Somers »

J.S.C.C.I.


 

 

RÉFÉRENCE :

2003CCI417

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2002-4614(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Dany Gélinas et M.R.N.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

le 4 avril 2003

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge suppléant J.F. Somers

 

DATE DU JUGEMENT :

le 25 juin 2003

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

Me Louis Brousseau

 

Pour l'intimé :

Me Julie David

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

 

Pour l'appelant :

 

Nom :

Me Louis Brousseau

 

Étude :

McCarthy Tétrault

Montréal (Québec)

 

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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