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Dossier : 2006-3872(IT)I

ENTRE :

 

BRENT CHIN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 31 août 2007, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge L.M. Little

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Me Mahvish Mian

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

          L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2005 est accueilli, sans dépens, et la cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation selon les motifs de jugement ci‑joints.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 15e jour d’octobre 2007.

 

 

« L.M. Little »

Juge Little

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de décembre 2007.

 

Johanne Brassard, trad. a.


 

 

 

Référence : 2007CCI605

Date : 20071015

Dossier : 2006-3872(IT)I

 

ENTRE :

 

BRENT CHIN,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Little

 

A.  Les faits

 

[1]     L’appelant et Annie Isabelle Castello (« Isabelle ») se sont mariés le 10 août 1986.

 

[2]     L’appelant et Isabelle ont eu deux enfants, un fils né le 21 février 1993 (le « fils ») et une fille née le 12 septembre 1997 (la « fille »). Le fils et la fille sont désignés ensemble comme étant les « enfants ».

 

[3]     L’appelant et Isabelle se sont séparés en 2005.

 

[4]     L’appelant et Isabelle ont négocié un projet d’accord de séparation (le « projet d’accord »), qui prévoyait que l’appelant paierait une pension alimentaire pour enfants et une pension alimentaire pour conjoint comme suit :

 

[traduction]

 

PENSION ALIMENTAIRE POUR ENFANTS

 

15. À compter du 15 mars 2005, Brent versera à Isabelle, pour subvenir aux besoins des enfants, une somme mensuelle de 1 124,12 $, payable en deux versements égaux les 15e et dernier jours de chaque mois, conformément aux lignes directrices relatives à la pension alimentaire pour enfants concernant l’écart entre leurs revenus, comme l’indique l’annexe ci‑jointe, et ce, jusqu’à ce que Brent ne soit plus obligé de subvenir aux besoins des enfants. La pension alimentaire attribuée aux enfants représentera 15 p. 100 du salaire de base de Brent et de sa prime. (Les montants fondés sur la prime sont payables au moment où une prime est versée à Brent, une fois par trimestre).

 

16. Dans le cas où Brent décéderait, l’obligation de payer la pension alimentaire sera maintenue et constituera une créance de premier rang à l’encontre de la succession de Brent, et l’exécution de cette obligation sera assurée au moyen d’une garantie de paiement fournie par la succession en une forme qu’Isabelle estimera satisfaisante avant la répartition des actifs de la succession. Brent s’engage à avoir un testament à jour, comportant une clause compatible avec ladite obligation. (La date à laquelle la pension alimentaire pour enfants cessera d’être payée devrait être indiquée – c’est‑à‑dire à l’âge de la majorité, soit 18 ans, ou une fois terminées les études postsecondaires, après le décès du mari ou de la femme aux termes d’une assurance‑vie, ou au moment du mariage d’un enfant).

 

PENSION ALIMENTAIRE POUR CONJOINT ACCORDÉE POUR UNE PÉRIODE DÉTERMINÉE.

 

17.  Brent reconnaît qu’à cause de la séparation, Isabelle devra reprendre le dessus sur le plan financier. Afin de l’aider à reprendre le dessus, Brent s’engage à payer à Isabelle, pour subvenir à ses besoins, une somme mensuelle de   $ pendant 48 mois, comme l’indique l’annexe ci‑jointe. La pension alimentaire attribuée à Isabelle représentera 15 p. 100 du salaire de base de Brent et 20 p. 100 de sa prime.

 

18. Une fois terminée la période de 48 mois, Brent versera une pension alimentaire à Isabelle pendant une période additionnelle de 36 mois, jusqu’à ce que se produise le premier des événements suivants :

 

  a)    Remariage d’Isabelle;

  b)    Cohabitation d’Isabelle dans le cadre d’une relation ou de relations assimilables à un mariage;

  c)    Revenu annuel d’Isabelle atteignant   $;

  d)    Décès d’Isabelle.

 

(Nous avons discuté du fait que ces conditions s’appliqueraient aux quatre premières années. Les autres conditions ont été abandonnées, mais ces conditions devraient continuer à s’appliquer.)

 

Note – L’appelant a déclaré que le projet d’accord n’avait pas été signé, et ce, bien qu’Isabelle et lui se soient entendus sur tous les points se rapportant à la pension alimentaire pour enfants et à la pension alimentaire pour conjoint. (Pièce A‑2)

 

[5]     Le 24 février 2005, l’appelant et Isabelle ont négocié et signé un document qui a été désigné sous le nom d’accord de séparation temporaire (l’« accord de séparation »). (Voir la pièce A‑1)

 

[6]     Le paragraphe 6 de l’accord de séparation prévoyait ce qui suit :

 

[traduction]

PENSION ALIMENTAIRE TEMPORAIRE

 

6.  À compter du 15 mars 2005, Brent versera à Isabelle, pour subvenir à ses besoins ainsi qu’à ceux des enfants, sous toute réserve quant à la somme finale convenue, une somme mensuelle de 4 225 $, payable en deux versements égaux les 15e et dernier jours de chaque mois, pendant la durée du présent accord.

 

[7]     En produisant sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2005, l’appelant a demandé une déduction de 7 344 $ pour personne à charge admissible et une déduction de 29 392,73 $ au titre de la pension alimentaire pour conjoint.

 

Note – Dans sa déclaration de revenus, l’appelant a indiqué qu’il avait demandé une déduction pour sa fille à titre de personne à charge admissible, et qu’Isabelle avait demandé une déduction pour son fils à titre de personne à charge admissible.

 

[8]     Par un avis de cotisation daté du 31 juillet 2006, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé les montants de 7 344 $ et de 29 392,73 $ dont l’appelant avait demandé la déduction pour l’année d’imposition 2005.

 

B.  Le point litigieux

 

[9]     Il s’agit de savoir si l’appelant a le droit de déduire 29 392,73 $ au titre de la pension alimentaire pour conjoint et 7 344 $ pour personne à charge admissible dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 2005.

 

C.  Analyse et décision

 

          I. La pension alimentaire pour conjoint

 

[10]    En vertu des anciennes règles figurant dans la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») (avant le mois de mai 1997), l’époux qui versait une pension alimentaire pour conjoint ou une pension alimentaire pour enfants pouvait déduire ces paiements, et le bénéficiaire était tenu d’inclure les paiements en question à titre de revenu. La législation a été modifiée à la suite de l’arrêt que la Cour suprême du Canada a rendu dans l’affaire Thibaudeau c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 627. La législation révisée prévoyait que, tant qu’un accord établi avant le mois de mai 1997 n’était pas modifié, le régime de déduction et d’inclusion prévu dans l’ancienne législation continuait à s’appliquer.

 

[11]    La législation révisée prévoyait que si un nouvel accord était établi après le 30 avril 1997, le régime de déduction et d’inclusion applicable à la pension alimentaire pour enfants cessait de s’appliquer; le contribuable ne pourrait plus déduire les paiements effectués au titre de la pension alimentaire pour enfants après le 30 avril 1997, ces paiements n’étant pas non plus à inclure dans le revenu du bénéficiaire.

 

[12]    Les modifications apportées à la Loi, qui ont pris effet le 1er mai 1997, ne changeaient rien au traitement de la pension alimentaire pour conjoint.

 

[13]    Le ministre a conclu qu’au cours de l’année d’imposition 2005, l’appelant n’avait pas le droit de demander une déduction de 29 392,73 $ au titre de la pension alimentaire pour conjoint, conformément à l’article 60.1 et à l’alinéa 60b) de la Loi, puisque l’accord de séparation ne faisait pas expressément de distinction entre la pension alimentaire pour enfants et la pension alimentaire pour conjoint.

 

[14]    En arrivant à cette conclusion, le ministre s’est fondé sur le paragraphe 56.1(4) de la Loi, qui est rédigé comme suit :

 

56.1(4) « pension alimentaire pour enfants » Pension alimentaire qui, d’après l’accord ou l’ordonnance aux termes duquel elle est à recevoir, n’est pas destinée uniquement à subvenir aux besoins d’un bénéficiaire qui est soit l’époux ou le conjoint de fait ou l’ex‑époux ou l’ancien conjoint de fait du payeur, soit le père ou la mère d’un enfant dont le payeur est le père naturel ou la mère naturelle.

 

[15]    En examinant l’application de la Loi dans le cas qui nous occupe, il importe de noter que selon l’accord de séparation, à compter du 15 mars 2005, l’appelant devait verser à Isabelle, pour subvenir à ses besoins ainsi qu’à ceux de ses enfants, une somme mensuelle de 4 225 $, payable les 15e et dernier jours de chaque mois.

 

[16]    L’appelant a produit la pièce A‑6, qui renferme un sommaire de divers chèques qu’il a émis en faveur d’Isabelle, ainsi que des copies des chèques.

 

[17]    La pièce A‑6 indique qu’à compter du 15 mars 2005, l’appelant a émis en faveur d’Isabelle des chèques s’élevant en tout à 50 456,59 $ au cours de l’année d’imposition 2005.

 

[18]    L’appelant a également produit une feuille de calcul qu’il avait préparée, indiquant la façon dont il avait déterminé les paiements à effectuer au titre de la pension alimentaire conformément aux Lignes directrices fédérales relatives à la pension alimentaire pour enfants. (Pièce A‑3)

 

[19]    J’ai tenu compte du témoignage non contredit que l’appelant a présenté au sujet des paiements qu’il avait faits à Isabelle et j’ai conclu que le libellé du paragraphe 6 de l’accord de séparation est ambigu.

 

[20]    Les tribunaux canadiens ont dit que lorsqu’un document ou une disposition figurant dans une loi est ambigu, on peut recourir à une preuve extrinsèque afin de déterminer l’intention des parties.

 

[21]    Dans l’arrêt Noranda Meta Industries Ltd. and I.B.E.W. Local 2345 et al., 44 O.R. (2d) 529, le juge Dubin a dit ce qui suit, au nom de la cour, aux pages 535 et 536 :

 

[traduction] [...] Je souscris à l’avis du juge White lorsqu’il dit que la clause était manifestement ambiguë et que l’arbitre était en droit de recourir à une preuve extrinsèque afin de déterminer les intentions véritables des parties, mais que de toute façon, il avait le droit de recourir à une preuve extrinsèque afin de déterminer s’il y avait une ambiguïté latente, ou en appliquant cette preuve aux faits.

 

Cette thèse a été avancée par le juge en chef Gale dans la décision Leitch Gold Mines Ltd. et al. v. Texas Gulf Sulphur Co. (Inc.) et al., [1969] 1 O.R. 469, page 524, 3 DLR (3d) 161, lorsqu’il a dit ce qui suit :

 

Une preuve extrinsèque peut être admise en vue de révéler une ambiguïté latente, dans le libellé du document ou dans son application aux faits, ainsi qu’en vue de résoudre l’ambiguïté, mais il importe de noter que la preuve qui est admise en vue de dissiper l’ambiguïté peut être plus étendue que celle qui révèle cette ambiguïté. Par conséquent, la preuve de certaines circonstances pertinentes peut être retenue lorsqu’il s’agit de déterminer le sens du document, et elle peut éclaircir le sens en révélant indirectement l’intention des parties.

 

[22]    J’ai conclu qu’afin de résoudre cette ambiguïté, il fallait examiner les autres éléments de preuve présentés par l’appelant, y compris les dispositions du projet d’accord.

 

[23]    L’appelant a témoigné qu’Isabelle et lui avaient rencontré un médiateur, Colin Brannigan, en vue de tenter de résoudre diverses questions concernant leur séparation.

 

[24]    L’appelant a également témoigné qu’Isabelle et lui avaient accepté la recommandation que M. Brannigan avait faite au sujet des versements mensuels de 1 124,12 $ à effectuer au titre de la pension alimentaire pour enfants à compter du 15 mars 2005.

 

[25]    L’appelant a également témoigné qu’Isabelle et lui avaient accepté les recommandations que M. Brannigan avait faites au sujet des versements à effectuer au titre de la pension alimentaire pour conjoint.

 

[26]    En ce qui concerne la pension alimentaire pour conjoint, l’appelant a témoigné qu’il s’était engagé à verser à Isabelle, et qu’Isabelle avait convenu d’accepter, des versements représentant 15 p. 100 de son salaire, plus 20 p. 100 de la prime qui lui était accordée.

 

[27]    Il importe de noter que l’appelant a témoigné qu’à la suite de discussions avec Colin Brannigan, il s’était engagé à verser, et Isabelle avait convenu d’accepter, les sommes suivantes au titre de la pension alimentaire pour conjoint pour l’année d’imposition 2005 :

 

                   15 p. 100 du salaire de l’appelant                                     15 870 $

                   20 p. 100 de la prime de l’appelant                                   12 480 $

                   Somme globale de la pension alimentaire pour conjoint     28 350 $

 

[28]    Selon la pièce A‑6, l’appelant a de fait versé à Isabelle la somme de 29 401,53 $ au titre de la pension alimentaire pour conjoint en 2005.

 

[29]    J’ai conclu que le témoignage que l’appelant avait présenté au sujet des paiements effectués au titre de la pension alimentaire pour conjoint était clair et qu’il n’avait pas été contredit.

 

[30]    J’ai minutieusement examiné le témoignage de l’appelant, et puisque aucun élément de preuve n’a été soumis par Isabelle ou pour le compte d’Isabelle, j’ai conclu que l’appelant avait versé à Isabelle, au titre de la pension alimentaire pour conjoint, une somme de 29 401,53 $ en 2005.

 

[31]    J’ai également conclu qu’en déterminant son revenu pour l’année d’imposition 2005, l’appelant a le droit de déduire 28 350 $ au titre de la pension alimentaire pour conjoint. En arrivant à cette conclusion, j’ai conclu que les mots « d’après l’accord » figurant au paragraphe 56.1(4) de la Loi veulent dire : « d’après l’accord, tel qu’il est interprété à l’aide d’éléments extrinsèques ».

 

Note : Le montant de 28 350 $ est fondé sur le projet d’accord (pièce A‑1), sur l’accord de séparation (pièce A‑2) et sur la feuille de calcul (pièce A‑3).

 

[32]    À cause de la modification apportée à l’article 60 de la Loi, laquelle a pris effet le 1er mai 1997, j’ai conclu que l’appelant n’a pas le droit de déduire les versements qu’il a effectués à Isabelle au titre de la pension alimentaire pour enfants au cours de l’année d’imposition 2005.

 

          II  La personne à charge admissible

 

[33]    L’appelant maintient qu’en déterminant son revenu pour l’année 2005, il a le droit de demander une déduction de 7 344 $ pour personne à charge admissible (sa fille), conformément au paragraphe 118(5) de la Loi, qui est rédigé comme suit :

118(5) Aucun montant n’est déductible en application du paragraphe (1) relativement à une personne dans le calcul de l’impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d’imposition si le particulier, d’une part, est tenu de payer une pension alimentaire au sens du paragraphe 56.1(4) à son conjoint ou ancien conjoint pour la personne et, d’autre part, selon le cas :

a) vit séparé de son époux ou conjoint de fait ou ex‑époux ou ancien conjoint de fait tout au long de l’année pour cause d’échec de leur mariage ou union de fait;

b) demande une déduction pour l’année par l’effet de l’article 60 au titre de la pension alimentaire versée à son conjoint ou ancien conjoint.

 

[34]    J’ai conclu que le paragraphe 118(5) s’applique en l’espèce, et ce, pour les raisons suivantes :

 

1.       l’appelant était tenu de verser une « pension alimentaire » telle que cette expression est définie;

 

2.       l’appelant vivait séparé de l’épouse;

 

3.       l’appelant a demandé une déduction pour l’année par l’effet de l’article 60 au titre de la pension alimentaire versée à son épouse.

 

[35]    À mon avis, l’appelant n’a pas le droit de demander une déduction pour sa fille à titre de personne à charge admissible dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 2005.

 

[36]    L’appel sera accueilli, sans dépens, et le ministre établira une nouvelle cotisation conformément aux motifs de jugement.

 

 

Signé à Toronto, Ontario, ce 15e jour d’octobre 2007.

 

 

 

« L.M. Little »

Juge Little

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de décembre 2007.

 

Johanne Brassard, trad. a.


 

 

 

RÉFÉRENCE :                                  2007CCI605

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2006-3872(IT)I

 

INTITULÉ :                                       Brent Chin

                                                          c.

                                                          Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 31 août 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge L.M. Little

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 15 octobre 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

 

Avocate de l’intimée :

Me Mahvish Mian

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                   Nom :                            

 

                   Cabinet :                        

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 

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