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Dossier : 2006-112(IT)I

ENTRE :

MARY LOUISE SULCS,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 13 avril 2007, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge B. Paris

 

Comparutions :

 

Représentant de l’appelante :

M. Peter Sulcs

Avocate de l’intimée :

Me Nimanthika Kaneira

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2003 est rejeté selon les motifs de jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour d’octobre 2007.

 

 

 

« B. Paris »

Juge Paris

 

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de décembre 2007.

 

Johanne Brassard, trad. a.


 

Référence : 2007CCI637

Date : 20071019

Dossier : 2006-112(IT)I

ENTRE :

MARY LOUISE SULCS,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Paris

 

[1]     L’appelante interjette appel d’une nouvelle cotisation relative à son année d’imposition 2003, par laquelle le ministre du Revenu national a refusé la demande de crédits d’impôt pour frais de scolarité que ses fils lui avaient transférés. Le ministre a conclu que les fils de l’appelante n’avaient pas droit à des crédits d’impôt pour frais de scolarité et, par conséquent, qu’il n’existait aucun crédit susceptible d’être transféré à l’appelante.

 

[2]     Le paragraphe 118.5(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu[1] énonce les conditions que le particulier doit remplir afin d’obtenir un crédit d’impôt pour frais de scolarité, et l’article 118.9 de la Loi permet au particulier qui a droit à un crédit d’impôt pour frais de scolarité de transférer ce crédit à son père ou à sa mère, ou encore à un grand‑parent.

 

[3]     Les passages pertinents du paragraphe 118.5(1) et de l’article 118.9 qui s’appliquaient à l’année d’imposition 2003 étaient rédigés comme suit :

 

118.5(1) Les montants suivants sont déductibles dans le calcul de l’impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d’imposition :

a)   si le particulier est inscrit au cours de l’année à l’un des établissements d’enseignement suivants situés au Canada :

      (i) établissement d’enseignement – université, collège ou autre – offrant des cours de niveau postsecondaire,

      (ii) établissement d’enseignement reconnu par le ministre du Développement des ressources humaines comme offrant des cours – sauf les cours permettant d’obtenir des crédits universitaires – qui visent à donner ou à augmenter la compétence nécessaire à l’exercice d’une activité professionnelle,

le produit de la multiplication du taux de base pour l’année par les frais de scolarité payés à l’établissement pour l’année si le total de ces frais dépasse 100 $, à l’exception des frais :

      (ii.1) soit qui sont payés à un établissement visé au sous‑alinéa (i) pour des cours qui ne sont pas de niveau postsecondaire,

      (ii.2) soit qui sont payés à un établissement visé au sous‑alinéa (ii) si, selon le cas :

(A)  le particulier n’avait pas atteint l’âge de 16 ans avant la fin de l’année,

(B)  il n’est pas raisonnable de considérer que le motif de l’inscription du particulier à l’établissement consistait à lui permettre d’acquérir ou d’améliorer la compétence nécessaire à l’exercice d’une activité professionnelle.

 

118.9.  Dans le cas où, pour une année d’imposition, la personne qui est le père, la mère, le grand‑père ou la grand‑mère d’un particulier (à l’exception d’un particulier dont l’époux ou conjoint de fait déduit un montant à son égard pour l’année en application des articles 118 ou 118.8) est la seule que le particulier ait désignée par écrit pour l’année pour l’application du présent article, les crédits d’impôt pour frais de scolarité et pour études que le particulier lui a transférés pour l’année sont déductibles dans le calcul de l’impôt payable par la personne en vertu de la présente partie pour l’année.

 

[4]     Il s’agit en l’espèce de savoir si les frais de scolarité que les fils de l’appelante ont payés en 2003 pour des leçons de pilotage satisfaisaient aux exigences énoncées au sous‑alinéa 118.5(1)a)(ii.2) aux fins de l’obtention des crédits d’impôt.

 

[5]     L’intimée affirme que ces conditions n’ont pas été remplies parce que les fils de l’appelante n’avaient pas atteint l’âge de 16 ans avant la fin de l’année 2003, et que le motif de leur inscription aux leçons de pilotage ne consistait pas à leur permettre d’acquérir ou d’améliorer la compétence nécessaire à l’exercice d’une activité professionnelle.

 

[6]     L’appelante prend la position selon laquelle les leçons de pilotage que ses fils prenaient permettaient à ceux‑ci d’acquérir la compétence nécessaire à l’exercice d’une activité professionnelle comme l’exige la division 118.5(1)a)(ii.2)(B), et que la condition relative à l’âge figurant à la division 118.5(1)a)(ii.2)(A) est discriminatoire et constitue une violation du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés[2], et devrait être considérée comme n’ayant aucune force exécutoire.

 

Première question : Les cours permettaient‑ils d’acquérir la compétence nécessaire à l’exercice d’une activité professionnelle?

 

[7]     L’un des fils de l’appelante, Max, a témoigné avoir commencé à prendre des leçons de pilotage en 2003 et avoir obtenu son permis d’élève‑pilote en 2004, à l’âge de 14 ans, soit l’âge minimum auquel ce permis peut être obtenu. Le permis l’autorisait à voler en solo. Max a maintenant 17 ans; il est titulaire d’un permis de pilote de loisir et il a accumulé 120 heures de vol. Il a été admis au programme de pilotage, au collège Seneca, en vue de recevoir une formation de pilote professionnel.

 

[8]     L’autre fils de l’appelante, Erik, a commencé à prendre des leçons de pilotage en 2003; il est titulaire d’un permis d’élève‑pilote. Il a été admis au même programme de pilotage que celui auquel Max avait été admis, au collège Seneca.

 

[9]     Grâce à la compétence acquise par suite des leçons de pilotage, les fils de l’appelante ont obtenu leur permis d’élève‑pilote, ce qui, en retour, leur a permis de voler en solo et d’accumuler un nombre suffisant d’heures de vol pour satisfaire aux exigences applicables à une licence de pilote professionnel.

 

[10]    À mon avis, la preuve montre que Max et Erik ont pris des leçons de pilotage en 2003 afin d’acquérir la compétence nécessaire à l’exercice d’une activité professionnelle. Selon le Règlement de l’aviation canadien, pris conformément à la Loi sur l’aéronautique[3], la personne qui demande une licence de pilote professionnel doit avoir effectué au moins 200 heures de vol (y compris les heures effectuées en solo). Par conséquent, les leçons de pilotage prises par les fils de l’appelante constituaient une première étape nécessaire pour que ceux‑ci soient admissibles à titre de pilotes professionnels et les compétences acquises grâce à ces leçons devaient servir de fondement aux compétences utilisées dans l’exercice de cette activité professionnelle.

 

La question fondée sur la Charte

 

[11]    L’avocate de l’intimée a demandé que l’audition de la question fondée sur la Charte soit partagée en deux parties. L’avocate a proposé que la Cour décide d’abord si la division 118.5 (1)a)(ii.2)(B) de la Loi est discriminatoire au sens du paragraphe 15(1) de la Charte et, le cas échéant, que l’audience reprenne afin de permettre aux parties de soumettre une preuve au sujet de la question de savoir si cette discrimination est justifiable en vertu de l’article premier de la Charte. Le représentant de l’appelante ne s’est pas opposé à cette façon de procéder, et la demande de l’intimée a été accueillie.

 

[12]    En ce qui concerne la question fondée sur la Charte, il n’est pas contesté que les fils de l’appelante avaient tous deux moins de 16 ans à la fin de l’année 2003, de sorte que les frais de scolarité en question n’étaient pas admissibles aux fins du crédit d’impôt prévu par la Loi. Toutefois, l’appelante affirme que la condition relative à l’âge énoncée à la division 118.5(1)a)(ii.2)(A) et à l’article 118.9 de la Loi est discriminatoire et porte atteinte aux droits à l’égalité qui lui sont reconnus au paragraphe 15(1) de la Charte.

 

[13]    Le paragraphe 15(1) de la Charte est rédigé comme suit :

 

15.(1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

 

[14]    La Cour a été saisie de la même question dans l’affaire Troupe c. La Reine[4]. Dans l’affaire Troupe, le contribuable avait demandé le transfert du crédit d’impôt pour frais de scolarité de sa fille, âgée de 14 ans, qui était inscrite à un programme professionnel de ballet. La Cour avait conclu que l’inscription de la fille au programme visait à permettre à celle‑ci d’acquérir la compétence nécessaire à l’exercice d’une activité professionnelle, mais que la fille n’avait pas droit au crédit d’impôt pour frais de scolarité parce qu’elle ne répondait pas à l’exigence relative à l’âge imposée à la division 118.5(1)a)(ii.2)(A). La Cour a rejeté l’argument de l’appelant selon lequel l’exigence en matière d’âge était discriminatoire envers sa fille en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte.

 

[15]    L’affaire Troupe a été entendue sous le régime de la procédure informelle et, selon l’article 18.28 de la Loi sur la  Cour canadienne de l’impôt[5], la décision ne constitue pas un précédent, mais les deux parties s’y sont dans une large mesure reportées, ce qui était tout à fait acceptable étant donné l’examen minutieux et l’analyse approfondie de la question effectués par la juge Lamarre dans cette décision‑là.

 

[16]    Dans la décision Troupe, la Cour a appliqué, en ce qui concerne l’interprétation du paragraphe 15(1) de la Charte, l’approche préconisée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[6]. La Cour suprême a résumé cette approche comme suit (au paragraphe 88) :

 

La démarche que notre cour a adoptée et qu’elle applique régulièrement relativement à l’interprétation du par. 15(1) repose sur trois questions primordiales :

 

(A)  La loi a‑t‑elle pour objet ou pour effet d’imposer une différence de traitement entre le demandeur et d’autres personnes?

 

(B)  La différence de traitement est‑elle fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues?

 

(C)  La loi en question a-t-elle un objet ou un effet discriminatoires au sens de la garantie d’égalité?

 

[...]

 

Par conséquent, le tribunal ayant à se prononcer sur une allégation de discrimination fondée sur le par. 15(1) doit se poser trois grandes questions :

 

 (A)  La loi contestée : a) établit‑elle une distinction formelle entre le demandeur et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou b) omet‑elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui‑ci et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles?

 

(B)  Le demandeur fait‑il l’objet d’une différence de traitement fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues?

 

et

 

(C)  La différence de traitement est‑elle discriminatoire en ce qu’elle impose un fardeau au demandeur ou le prive d’un avantage d’une manière qui dénote une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou qui a par ailleurs pour effet de perpétuer ou de promouvoir l’opinion que l’individu touché est moins capable ou est moins digne d’être reconnu ou valorisé en tant qu’être humain ou que membre de la société canadienne, qui mérite le même intérêt, le même respect et la même considération?

 

[17]    Dans la décision Troupe, la Cour a conclu que la division 118.5(1)a)(ii.2)(A), si elle était combinée à l’article 118.9 de la Loi, entraînait un traitement différent à l’égard du contribuable, fondé sur une caractéristique personnelle. La Cour est arrivée à cette conclusion en comparant le traitement de l’appelant en vertu de la Loi et le traitement dont bénéficient les parents d’enfants ayant plus de 16 ans qui étaient inscrits dans une école ou dans un établissement admissible.

 

[18]    La Cour a conclu que la différence de traitement était fondée sur l’âge, soit un motif de discrimination énuméré au paragraphe 15(1). Toutefois, elle a ensuite conclu qu’en fin de compte, la différence de traitement n’était pas discriminatoire au sens de cette disposition parce qu’il n’y avait pas violation de la dignité humaine. La différence de traitement ne favorisait pas l’opinion selon laquelle les parents d’enfants de moins de 16 ans inscrits dans des écoles admissibles ne méritaient pas le même intérêt, le même respect et la même considération. La Cour a également conclu que la différence de traitement était temporaire et s’appliquait uniquement jusqu’à ce que l’enfant ait atteint l’âge de 16 ans, les crédits d’impôt devenant alors disponibles pour que l’enfant, le père ou la mère de l’enfant, ou un grand‑parent les utilise.

 

[19]    Dans l’affaire dont je suis saisi, l’appelante tente de faire une distinction entre son cas et celui du contribuable en cause dans l’affaire Troupe, en choisissant un groupe de comparaison différent. L’appelante affirme qu’étant donné qu’on a refusé le transfert de crédits d’impôt pour frais de scolarité parce que ses fils avaient moins de 16 ans à la fin de l’année au cours de laquelle les frais de scolarité avaient été payés, le groupe de comparaison approprié serait composé des enfants de plus de 16 ans qui prenaient des leçons de pilotage dans une école ou dans un établissement reconnu, plutôt que les parents de ces enfants.

 

[20]    Je ne suis pas d’accord avec l’appelante. Lorsqu’il s’agit de décider si la législation entraîne une différence de traitement, il faut comparer le traitement dont fait l’objet le demandeur au traitement dont bénéficient d’autres personnes. S’il existe une différence de traitement, les motifs y afférents doivent ensuite être également établis. En ce qui concerne le choix du groupe de comparaison approprié, la Cour suprême a en outre dit ce qui suit dans l’arrêt Law[7] :

 

[6]        La garantie d’égalité est un concept relatif qui, en dernière analyse, oblige le tribunal à cerner un ou plusieurs éléments de comparaison pertinents. C’est généralement le demandeur qui choisit la personne, le groupe ou les groupes avec lesquels il désire être comparé aux fins de l’analyse relative à la discrimination. Cependant, lorsque la qualification de la comparaison par le demandeur n’est pas suffisante, le tribunal peut, dans le cadre du ou des motifs invoqués, approfondir la comparaison soumise par le demandeur lorsqu’il estime justifié de le faire. Pour déterminer quel est le groupe de comparaison pertinent, il faut examiner l’objet et les effets des dispositions législatives et tenir compte du contexte dans son ensemble.

 

[21]    Il faut définir d’une façon plus précise le groupe de comparaison choisi par l’appelante en l’espèce parce qu’il ne permet pas d’effectuer une comparaison valable entre l’appelante et d’autres personnes. Il ne sert à rien de comparer l’appelante aux enfants âgés de plus de 16 ans qui ont pris des leçons de pilotage. « [Il faut] se placer dans la perspective du demandeur, et uniquement dans cette perspective, pour déterminer si la mesure législative sape sa dignité [...] »[8] (Law, paragraphe 60) [Je souligne].

 

[22]    À mon avis, l’examen de l’objet de la législation pertinente et de ses effets ainsi que l’examen du contexte pertinent étayent dans les deux cas le choix du groupe de comparaison effectué par la juge Lamarre dans la décision Troupe. Cela permet de procéder à une analyse plus appropriée de la question de savoir si l’effet combiné de l’article 118.9 et du paragraphe 118.5(1) est discriminatoire à l’endroit de l’appelante.

 

[23]    L’objet de la législation ici en cause est le transfert d’un crédit d’impôt pour frais de scolarité au père ou à la mère, ou à un grand‑parent, conformément à l’article 118.9 de la Loi. La législation a pour effet de fournir un avantage au père ou à la mère, ou à un grand‑parent, de l’étudiant. Quant au contexte, il importe de noter que la disponibilité d’un avantage prévu à l’article 118.9 est fondée sur ce que l’étudiant est en premier lieu admissible au crédit d’impôt en vertu du paragraphe 118.5(1).

 

[24]    Il faut tenir compte de chacun de ces facteurs en choisissant le groupe de comparaison approprié; à mon avis, le groupe de comparaison doit donc être composé des parents d’enfants âgés de plus de 16 ans qui prennent des leçons de pilotage. Cela permet à la Cour de mettre dans le contexte approprié la distinction qui, selon l’appelante, est discriminatoire et d’évaluer l’effet de la distinction pour l’appelante, soit la personne qui demande à bénéficier du transfert du crédit d’impôt. D’autre part, selon le groupe de comparaison proposé par l’appelante, l’accent est uniquement mis sur les fils de l’appelante plutôt que sur l’appelante aux fins de la comparaison.

 

[25]    Comme il en a ci‑dessus été fait mention, l’intimée a reconnu en l’espèce, comme dans l’affaire Troupe, que l’application de la division 118.5(1)a)(ii.2)(A) et de l’article 118.9 crée une différence de traitement entre l’appelante et le groupe de comparaison, et qu’il est raisonnable de conclure que la différence de traitement est fondée sur l’âge, soit un motif énuméré au paragraphe 15(1).

 

[26]    Il s’agit en fait de savoir si l’objet ou l’effet de ces dispositions est discriminatoire au sens du paragraphe 15(1).

 

[27]    Comme l’a dit la juge Lamarre, les dispositions en question visent à accorder un allègement fiscal aux étudiants (ou à la personne assumant les frais d’entretien) en reconnaissant les frais de scolarité et les autres dépenses qu’ils doivent engager pour faire des études postsecondaires ou pour recevoir une formation en matière d’employabilité dans un établissement reconnu où sont offerts des cours permettant d’acquérir des compétences professionnelles. L’âge de 16 ans a été utilisé comme point de démarcation afin de correspondre aux exigences provinciales voulant que tous fassent des études secondaires jusqu’à un certain âge obligatoire (16 ans dans la plupart des provinces canadiennes) avant de passer à une formation professionnelle ou à des études postsecondaires.

 

[28]    Dans cette affaire‑là, la juge Lamarre s’est fondée sur un affidavit qui avait été déposé, mais l’objet de la législation semble ressortir clairement du libellé de la législation elle‑même, ainsi que de la législation provinciale ou territoriale pertinente concernant la fréquentation scolaire obligatoire. Quoi qu’il en soit, l’appelante n’a pas allégué que quelque objet de la législation (par opposition aux effets de la législation) était discriminatoire.

 

[29]    Toutefois, l’appelante soutient que ces dispositions ont pour effet de porter atteinte à la dignité de ses fils, parce qu’elles les considèrent comme des membres moins méritants de la société que les enfants âgés de plus de 16 ans qui prennent des leçons de pilotage. L’appelante s’est fondée sur le témoignage de son fils, qui a affirmé avoir l’impression d’être un citoyen de seconde classe du fait que le crédit d’impôt pour frais de scolarité lui était refusé, et que ce refus faisait subir à sa famille et à lui‑même un désavantage économique comparativement aux étudiants prenant des leçons de pilotage auxquels le crédit était accordé. Le fils a affirmé que s’il avait attendu d’avoir 16 ans pour prendre des leçons de pilotage, le retard aurait influé sur le moment où il aurait pu obtenir sa licence de pilote professionnel et commencer à gagner sa vie dans l’exercice de cette activité professionnelle.

 

[30]    Toutefois, la preuve soumise par l’appelante ne traitait pas de la question de savoir si la législation favorisait l’opinion selon laquelle l’appelante, en sa qualité de mère d’un enfant de moins de 16 ans, était moins digne d’être reconnue ou valorisée en tant qu’être humain ou en tant que membre de la société canadienne, et je ne puis rien trouver dans la preuve qui permette de tirer une telle conclusion.

 

[31]    Premièrement, il n’a pas été démontré que les parents d’enfants âgés de moins de 16 ans forment un groupe qui a toujours été désavantagé ou un groupe vulnérable, de sorte qu’il est plus difficile de conclure à la discrimination.

 

[32]    Deuxièmement, comme l’a signalé la juge Lamarre, le désavantage en question n’est pas un désavantage réel, mais plutôt un désavantage temporaire, en ce sens que les crédits d’impôt deviennent disponibles une fois que l’enfant a atteint l’âge de 16 ans, et que le désavantage ne porte pas atteinte à la dignité de personnes qui se trouvent dans la même situation que l’appelante.

 

[33]    Troisièmement, la législation contestée dénote le fait qu’à cause de la législation portant sur la fréquentation obligatoire, les enfants sont beaucoup moins susceptibles de suivre une formation professionnelle dans un établissement d’enseignement reconnu avant d’avoir atteint l’âge de 16 ans. Comme l’a dit la Cour suprême dans l’arrêt Law (paragraphe 102) :

 

La loi ne fonctionne pas au moyen de stéréotypes mais au moyen de distinctions qui correspondent à la situation véritable des personnes qu’elle vise.

 

Il importe de rappeler que la Cour suprême a également dit ce qui suit dans l’arrêt Law (paragraphe 105) :

 

En évoquant l’existence d’une correspondance entre une distinction de traitement établie par la loi et la situation véritable de personnes ou de groupes différents, je ne veux pas laisser entendre qu’une loi doit toujours correspondre parfaitement à la réalité sociale pour être conforme au par. 15(1) de la Charte.

[Je souligne.]

 

[34]    La Cour suprême a reconnu qu’il suffisait que les dispositions de la législation qui étaient contestées correspondent dans une très large mesure aux besoins et à la situation des personnes ciblées par la législation. Cela est également vrai de la législation que l’appelante conteste en l’espèce.

 

[35]    Je conclus que l’appelante n’a pas démontré que les dispositions en question, que ce soit quant à leur objet ou quant à leur effet, portent atteinte à sa dignité humaine, et l’appelante n’a donc pas démontré que ces dispositions violent le paragraphe 15(1) de la Charte.

 

[36]    Étant donné la conclusion qui a été tirée, il n’est pas nécessaire de reprendre l’audience afin de se pencher sur l’article premier de la Charte.

 

[37]    Pour ces motifs, l’appel est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour d’octobre 2007.

 

 

« B. Paris »

Juge Paris

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de décembre 2007.

 

Johanne Brassard, trad. a.


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI637

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2006-112(IT)I

 

INTITULÉ :                                       MARY LOUISE SULCS

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 13 avril 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge B. Paris

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 19 octobre 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelante :

M. Peter Sulcs

Avocate de l’intimée :

Me Nimanthika Kaneira

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                            

 

                   Cabinet :                        

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 



[1]               L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.).

[2]               Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11.

[3]               L.R.C. (1985), ch. A‑2.

[4]               [2002] A.C.I. no 77 (QL).

[5]           L.R.C. 1985, ch. T‑2.

[6]           [1999] 1 R.C.S. 497 (C.S.C.).

[7]           Paragraphe 88.

[8]           Law, précité, paragraphe 60.

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