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Dossier : 2006-3923(IT)I

ENTRE :

SKYWAY DEVELOPMENTS LTD.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 3 octobre 2007, à Moncton (Nouveau-Brunswick).

 

Devant : L’honorable juge E. P. Rossiter

 

Comparutions :

 

Avocate de l’appelante :

Me Melissa Melanson

 

 

Avocate de l’intimée :

Me Devon Peavoy

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

         Lappel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2000 est accueilli, avec dépens fixés à 500 $ en faveur de l’appelante, et la cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour qu’il l’examine à nouveau et établisse une nouvelle cotisation conformément aux motifs de jugement ci-joints.

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de novembre 2007.

 

 

« E. P. Rossiter »

Juge Rossiter

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de décembre 2007.

 

Johanne Brassard, trad. a.


 

 

 

Référence : 2007CCI616

Date : 20071105

Dossier : 2006-3923(IT)I

ENTRE:

SKYWAY DEVELOPMENTS LTD.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Rossiter

 

QUESTION EN LITIGE

 

[1]     La Cour doit décider si Skyway Developments Ltd. a produit une déclaration de revenus pour son année d’imposition 2000 auprès du ministre du Revenu national (le « ministre ») au plus tard à la date limite de production visant les personnes morales qui s’appliquait dans son cas, soit le 30 novembre 2000.

 

FAITS

 

[2]     L’exercice de l’appelante se terminait le 31 mai. L’appelante soutient avoir posté au ministre vers le 11 octobre 2000 sa déclaration de revenus pour l’exercice se terminant le 31 mai 2000. Si la déclaration telle qu’elle a été produite avait fait l’objet d’une cotisation, une somme d’environ 9 527 $ moins un remboursement au titre de dividendes d’environ 4 804 $ aurait été due. Aucune cotisation n’a été envoyée par le ministre. Une demande informatisée de production de la déclaration visant l’année 2000 a été envoyée à l’appelante le 10 octobre 2001, et le ministre a fait parvenir une deuxième demande à cet effet le 4 décembre 2001. L’appelante n’a jamais répondu à ces demandes. Le 12 août 2005, le ministre a posté une première lettre à l’appelante et, le 12 septembre 2005, il a reçu un double de la déclaration de revenus des sociétés que l’appelante allègue avoir postée vers le 11 octobre 2000.

 

[3]     Selon le ministre, la déclaration de revenus des sociétés de l’appelante pour l’année 2000 n’était pas la première déclaration à avoir été produite tardivement : pour l’année d’imposition se terminant le 31 mai 2001, la date limite de production était le 30 novembre 2001, et la déclaration a été produite le 10 décembre 2001 (soit dix jours en retard); pour l’année d’imposition se terminant le 31 mai 1994, la date limite de production était le 30 novembre 1994, et la déclaration a été produite le 9 juin 1995 (soit 191 jours en retard).

 

[4]     David Close, comptable agréé depuis 1976, était l’expert‑comptable, le spécialiste en déclarations de revenus et le conseiller financier de l’appelante depuis le milieu des années 80. L’appelante est une société de location immobilière propriétaire d’un seul immeuble loué à un seul locataire, un cabinet d’avocats. Un des associés de ce cabinet était le directeur de l’appelante. Année après année (la date limite de production applicable à l’appelante étant le 30 novembre de chaque année), M. Close avait l’habitude de rencontrer sa cliente en août ou en septembre et, comme l’appelante ne tenait aucun livre comptable, d’établir les documents financiers de cette dernière, puis de dresser ses états financiers annuels ainsi que les déclarations de revenus devant être produites. Pendant les années 80 et 90 et au début des années 2000, M. Close envoyait les déclarations de revenus par la poste. Il rencontrait la cliente, il examinait les états financiers et la déclaration de revenus, il apportait une lettre préétablie adressée à l’Agence du revenu du Canada ainsi qu’une enveloppe affranchie pour l’envoi de la déclaration de revenus, il faisait signer la déclaration par le représentant de la cliente en sa présence, puis il postait la déclaration.

 

[5]     Le 11 octobre 2000, M. Close a rencontré le représentant de sa cliente et il a examiné avec lui les états financiers ainsi que la déclaration de revenus de l’appelante pour l’année se terminant le 31 mai 2000. Selon M. Close, il aurait d’abord fait signer la déclaration ce jour‑là, puis il l’aurait produite par la poste le même jour. Aucun avis de cotisation n’a été reçu, mais M. Close a affirmé qu’à cette époque, l’ARC éprouvait des difficultés à faire parvenir en temps opportun les avis de cotisation des sociétés. L’ARC était justement en train de convertir son système informatique pour permettre la production des déclarations par voie électronique. Le 11 octobre 2000, M. Close a remis à l’appelante une lettre ainsi que les états financiers et la déclaration de revenus la concernant. Les relevés informatisés de gestion du temps de M. Close montraient en détail les services professionnels qu’il avait fournis à l’appelante, tandis que son état de compte pour services rendus précisait la nature et la date des services professionnels offerts.

 

[6]     Aucun chèque n’a été envoyé avec la déclaration au moment de sa mise à la poste. On attendait habituellement de recevoir un avis de cotisation, lequel tenait lieu de facture d’impôt. Il s’agissait d’une petite entreprise, de sorte que la facture était payée à la réception de la cotisation.

 

[7]     L’intimée a envoyé à l’appelante des avis lui demandant de produire sa déclaration de revenus, mais elle n’a obtenu aucune réponse. L’intimée ne disposait d’aucun document faisant état de la production de la déclaration de revenus. Elle ne pouvait pas vraiment contester l’assertion de M. Close voulant que l’ARC ait eu certains problèmes informatiques liés au traitement des déclarations de revenus à cette époque en raison de sa conversion à la production par voie électronique. L’ARC n’a pas tenté d’obtenir des renseignements au sujet de quelconques documents faisant état du défaut de l’appelante de payer ses impôts dans le délai applicable.

 

ANALYSE

 

[8]     D’une part, les éléments de preuve suivants ont été présentés pour le compte de l’ARC :

 

1.       Selon ses dossiers, l’ARC n’a jamais reçu la déclaration de revenus de l’appelante pour l’année 2000 alors que cette dernière affirme l’avoir produite.

 

2.       L’ARC a envoyé deux avis à l’appelante [le 10 octobre 2001 et le 4 décembre 2001] pour lui demander de produire ses déclarations de revenus, mais l’appelante n’a jamais donné suite.

 

3.       L’ARC a communiqué avec l’appelante le 12 août 2005 pour que cette dernière produise une déclaration, et un double de la déclaration de revenus de l’appelante a été reçu le 12 septembre 2005.

 

4.       Auparavant, l’appelante avait déjà produit une déclaration tardive à deux occasions.

 

5.       La preuve présentée n’est pas suffisante pour établir si la déclaration a été produite dans le délai applicable, et aucun suivi de l’historique de paiement de l’appelante n’a été effectué.

 

[9]     D’autre part, je suis saisi du témoignage de M. Close. Il a exposé le processus suivi chaque année pour produire les déclarations de revenus de l’appelante.

 

1.       Peu après la fin de l’exercice de l’appelante, M. Close rencontrait cette dernière, obtenait les renseignements financiers nécessaires et établissait les documents financiers de celle‑ci pour l’exercice en cause;

 

2.       Environ six semaines avant la date limite de production, M. Close rencontrait les dirigeants de l’appelante, il examinait les états financiers et la déclaration de revenus alors établis et il demandait au représentant de la cliente de signer cette déclaration;

 

3.       À son retour au bureau, M. Close mettait à la poste la déclaration de revenus dans une enveloppe dûment affranchie avant sa rencontre avec la cliente.

 

[10]    Cette pratique a été confirmée par le dirigeant de l’appelante, Edward McGrath, avocat depuis 1973 et associé du cabinet qui était le seul locataire de l’appelante. Me McGrath ne pouvait témoigner à propos du moment où les déclarations de revenus étaient habituellement postées, mais il a confirmé le témoignage du comptable agréé de l’appelante, lequel a également été confirmé par la déposition d’un ancien actionnaire de l’appelante, un certain Joseph Tippett.

 

[11]    La Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») comporte‑t‑elle une disposition selon laquelle un envoi par courrier ordinaire est réputé reçu dans un délai donné? L’intimée a laissé entendre que l’ARC devait réellement avoir reçu la déclaration de revenus pour que celle‑ci soit réputée produite.

 

[12]    Bien qu’il n’existe dans la Loi aucune disposition prévoyant une date de réception réputée pour les envois postés par courrier ordinaire, il ressort d’une certaine jurisprudence qu’en l’absence d’une preuve directe, la Cour peut ajouter foi au témoignage de personnes crédibles rendu sur ce point.

 

[13]    Le paragraphe 248(7) de la Loi est ainsi rédigé :

 

248(7) Pour l’application de la présente loi :

 

a)         tout envoi en première classe ou l’équivalent, sauf une somme remise ou payée qui est visée à l’alinéa b), est réputé reçu par le destinataire le jour de sa mise à la poste;

 

b)         la somme déduite ou retenue, ou payable par une société, qui est remise ou payée conformément à la présente loi ou à son règlement est réputée remise ou payée le jour de sa réception par le receveur général.

 

[14]    La disposition suivante intéresse certaines mesures prises par le ministre :

 

244(14) Pour l’application de la présente loi, la date de mise à la poste d’un avis ou d’une notification, prévus aux paragraphes 149.1(6.3), 152(3.1), 165(3) ou 166.1(5), ou d’un avis de cotisation ou de détermination est présumée être la date apparaissant sur cet avis ou sur cette notification.

 

[15]    Dans son ouvrage intitulé The Fundamentals of Canadian Income Tax, 8e édition, Toronto, Carswell, 2004, à la page 897, Vern Krishna mentionne ce qui suit à cet égard :

 

[traduction]

 

9. – Réception de documents

 

Selon la Loi, un document envoyé en première classe (ou l’équivalent) est réputé reçu par le destinataire le jour de sa mise à la poste [alinéa 248(7)a)]. Les services de messagerie sont en général assimilés au service de courrier de première classe. Il incombe au contribuable d’établir les faits. [Erroca Enterprises Limited v. Canada, (M.N.R.), [1986] 2. C.T.C. 2425, 86 DTC 1821 (C.C.I.). Voir également VIH Logging Ltd. v. Canada, [2004] 2 C.T.C. 2149, 2004 DTC 2090 (C.C.I.) [procédure générale]); confirmé par [2005] 1 C.T.C. 387 (C.A.F.) (avis envoyé au moment où le service de messagerie ramassait le courrier).]

 

[16]    Les faits de l’affaire Erroca Enterprises Limited c. Canada (Ministre du Revenu national), [1986] A.C.I. no 1003, [1986] 2. C.T.C. 2425, sont les suivants. Les déclarations devaient être produites au plus tard le 31 octobre 1983. Dans son témoignage, le vérificateur a déclaré qu’il avait fait signer la déclaration de revenus par le président de la société le 28 juin 1983, après quoi il l’avait laissée au président pour qu’il la mette à la poste. Dans son témoignage, le président a affirmé qu’il avait l’habitude de laisser les envois à poster sur le photocopieur afin que la chef de service s’en charge. Cette dernière a mentionné dans son témoignage qu’elle ne se souvenait pas d’avoir posté les déclarations, mais qu’elle avait l’habitude de le faire. La société avait toujours produit ses déclarations à temps et, en l’occurrence, elle n’avait rien à gagner à retarder la production de sa déclaration.

 

Dans cette affaire particulière, le juge en chef Couture, tel était alors son titre, tient notamment les propos suivants aux pages 2428 et 2429 :

 

Il est vrai qu’il n’y a pas de preuve directe concernant l’envoi réel par la poste desdites déclarations mais le fait qu’elles ont été préparées et signées (cela est confirmé par M. Stille), que l’appelante et son président n’avaient jamais accusé de retard avant cet imprévu en 1983 et que la procédure était établie depuis longtemps pour l’envoi du courrier (comme le décrit M. Coffee et comme le confirme Madame Whiteman) donne beaucoup de crédibilité aux dépositions de ces deux témoins.

 

Pour ces motifs, la Cour accepte leur version respective des événements survenus le 28 juin 1983 à l’égard de ces déclarations, et selon la prépondérance des probabilités, la Cour est convaincue que les déclarations ont été envoyées par la poste dans le délai prévu par l’alinéa 150(1)a) de la Loi. [...]

 

[17]    J’ai apprécié le témoignage du comptable agréé de l’appelante, M. Close, et j’arrive à la conclusion qu’il s’agit d’une personne franche et honnête qui, comme bien d’autres comptables agréés, fait preuve d’une grande prudence dans sa façon d’exercer sa profession. Il a produit des documents pour corroborer son témoignage (relevés de temps, lettre au client, état de compte). Il est vrai qu’il n’y a pas de preuve directe de l’envoi réel par la poste de la déclaration de revenus en cause, mais celle‑ci a été établie et signée (ce qui est confirmé par le dirigeant de l’appelante, Me McGrath) conformément à la pratique et au processus habituels que le comptable agréé de l’appelante, M. Close, suivait depuis de nombreuses années. Même s’il y a eu production tardive à deux occasions auparavant, dans l’un des cas, le retard était sans intérêt parce qu’aucun impôt n’était exigible et, dans l’autre cas, le retard n’était que de neuf jours ; M. Close a même contesté l’existence d’un véritable retard. M. Close avait manifestement l’habitude bien établie de préparer les renseignements financiers de la société en vue de dresser les états financiers et de remplir les déclarations de revenus, de rencontrer le client pour qu’il examine les états financiers et la déclaration de revenus, d’être présent au moment où le client signait la déclaration de revenus puis de mettre ces documents à la poste après la rencontre. Cette pratique et ce processus ont été confirmés par le dirigeant de la société, Me McGrath, et par l’ancien associé de ce dernier dans la société, M. Tippitt. Ni Me McGrath ni M. Tippitt n’ont été en mesure de témoigner quant au moment où les déclarations de revenus étaient habituellement mises à la poste, puisque cette tâche était confiée à M. Close; en revanche, leur déposition a un certain poids dans l’appréciation de la vraisemblance de la preuve présentée par M. Close.

 

[18]    J’accepte la version de M. Close quant aux faits qui se sont déroulés le 10 octobre 2000 relativement à cette déclaration de revenus et, selon la prépondérance des probabilités, je conviens avec l’appelante que la déclaration de revenus a été mise à la poste dans le délai prescrit à l’alinéa 150(1)a) de la Loi.

 

[19]    Même si je ne me penche pas expressément sur la question de la réception, il va sans dire que l’ARC a dû recevoir des documents dans le délai imparti et qu’il doit y avoir eu une difficulté quelconque au moment de consigner la réception des documents. Cela est compréhensible, compte tenu des problèmes que l’ARC éprouvait à l’époque, selon M. Close, en raison de sa conversion à un nouveau programme informatique.

 

[20]    Je ferai droit à l’appel et j’adjugerai des dépens fixés à 500 $ en faveur de l’appelante.

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de novembre 2007.

 

 

 

 

« E. P. Rossiter »

Juge Rossiter

 

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de décembre 2007.

 

Johanne Brassard, trad. a.


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI616

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2006-3923(IT)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              SKYWAY DEVELOPMENTS LTD. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Moncton (Nouveau-Brunswick)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 3 octobre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge E. P. Rossiter

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 5 novembre 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l’appelante :

Me Melissa Melanson

 

 

Avocate de l’intimée :

Me Devon Peavoy

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                      Me Melissa Melanson

 

                          Cabinet :                  Anderson Sinclair

                                                          Moncton (Nouveau-Brunswick)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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