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Dossier : 2004-1284(IT)G

ENTRE :

BASELL CANADA INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appels entendus le 20 novembre 2006, à Montréal (Québec).

 

Devant : L’honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Wilfrid Lefebvre

Avocats de l’intimée :

Me Yanick Houle

Me Jane Meagher

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels interjetés à l’égard des nouvelles cotisations établies sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») relativement aux années d’imposition se terminant le 31 décembre 1995, le 31 décembre 1996, le 28 octobre 1997, le 31 décembre 1997 et le 31 décembre 1998 sont accueillis, avec dépens, et les nouvelles cotisations sont renvoyées au ministre du Revenu national pour qu’il les examine à nouveau et établisse de nouvelles cotisations compte tenu du fait que l’appelante avait le droit de déduire, en application du paragraphe 9(1) et de l’alinéa 18(1)a) de la Loi, la somme de 16 300 000 $US (22 865 640 $CAN) à titre de dépense courante qui pouvait être amortie et radiée, comme l’a fait l’appelante, pour chacune des années d’imposition en cause.

 

          Vu le consentement à jugement intervenu en l’espèce, l’appel relatif à l’année d’imposition se terminant le 31 décembre 1996 et à la double inclusion de la somme de 53 277 $ au titre d’un crédit d’impôt à l’investissement est également accueilli.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de novembre 2007.

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de décembre 2007.

 

Johanne Brassard, trad. a.


 

 

 

 

Référence : 2007CCI685

Date : 20071116

Dossier : 2004-1284(IT)G

ENTRE :

BASELL CANADA INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Lamarre

 

[1]     L’appelante a interjeté appel de nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national (le « ministre ») relativement à ses années d’imposition se terminant le 31 décembre 1995, le 31 décembre 1996, le 28 octobre 1997, le 31 décembre 1997 et le 31 décembre 1998.

 

[2]     Lorsqu’il a établi ces nouvelles cotisations, le ministre a refusé certaines déductions demandées par l’appelante en application du paragraphe 9(1) et de l’alinéa 18(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») relativement à des contrats d’approvisionnement, et il a plutôt traité ces sommes comme des dépenses en capital admissibles au sens de l’article 14 de la Loi et donc comme des dépenses déductibles suivant l’alinéa 20(1)b) de la Loi. C’est la seule question dont la Cour est saisie[1].

 

[3]     Les parties ont présenté un exposé conjoint partiel des faits. Il est reproduit ci‑dessous :

 

[traduction

 

EXPOSÉ CONJOINT PartiEl DES FAITs

 

Par leur avocat respectif, les parties aux présentes reconnaissent, pour les besoins du présent appel seulement, l’exactitude des faits suivants; les parties peuvent présenter à l’instruction d’autres éléments de preuve qui ne sont pas incompatibles avec le présent exposé conjoint partiel des faits :

 

            Contexte

 

1.                  Le groupe d’entreprises Royal Dutch/Shell et le groupe Montedison étaient les principaux producteurs de polypropylène au monde.

 

2.                  En 1995, le groupe d’entreprises Royal Dutch/Shell et le groupe Montedison ont convenu de former une nouvelle coentreprise constituée en société, Montell, pour leurs activités mondiales liées au polypropylène.

 

Voir le « Rapport d’activité » de Montell Polyolefins, le rapport annuel de 1995 de Royal Dutch Petroleum Co./Shell Transport and Trading Co. et le rapport annuel de 1995 de Montedison (respectivement les annexes A, B et C du présent exposé).

 

3.                  À cette époque, Produits Shell Canada Limitée, membre du groupe d’entreprises Royal Dutch/Shell, fabriquait et commercialisait du polypropylène au Canada à son usine de production située à Sarnia (Ontario).

 

4.                  À cette époque, Himont Canada Inc., membre du groupe Montedison, fabriquait et commercialisait du polypropylène au Canada à son usine de production située à Varennes (Québec).

 

5.                  Dans le cadre de cette réorganisation mondiale, Produits Shell Canada Limitée s’est engagée à transférer à Himont Canada Inc. ses entreprises d’apport.

 

Voir les attendus de la convention d’achat de biens du 20 mars 1995 conclue entre Produits Shell Canada Ltée et l’appelante (annexe D du présent exposé) et le procès‑verbal de l’assemblée ordinaire du conseil d’administration de Himont Canada Inc. daté du 17 mars 1995 (annexe E du présent exposé).

 

6.                  La dénomination de Himont Canada Inc. a ensuite été remplacée par Montell Canada Inc. le 31 mars 1995, et l’entreprise est maintenant connue sous la dénomination de Basell Canada Inc. (ci‑après l’« appelante »).

 

Convention d’achat de biens

 

7.                  Conformément à une convention d’achat de biens conclue le 20 mars 1995, l’appelante a acheté des biens comprenant les entreprises d’apport de Produits Shell Canada Limitée pour un prix d’achat de 164 000 000 $US, comme il est précisé ci‑dessous :

 

-                     144 280 000 $US, correspondant à 202 395 984 $CAN (au taux de change de 1,4028), pour les biens;

 

-                     19 720 000 $US, correspondant à 27 663 216 $CAN (au même taux de change), pour le « fonds de roulement », c’est‑à‑dire pour la valeur des stocks et des créances clients moins la valeur des comptes fournisseurs, sous réserve de rajustements.

 

Voir la convention d’achat de biens conclue le 20 mars 1995 entre Produits Shell Canada Ltée et l’appelante (annexe D du présent exposé) et la cession générale intervenue le 31 mars 1995 entre Produits Shell Canada Ltée et l’appelante (annexe F du présent exposé).

 

8.                  L’appelante a ajouté les biens comprenant les entreprises d’apport acquises de Produits Shell Canada Limitée à l’actif de son entreprise existante de polypropylène au Canada.

 

9.                  Avant l’acquisition, Himont Canada Inc. possédait déjà des biens totalisant plus de 207 000 000 $CAN utilisés à Varennes (Québec) pour la fabrication et la commercialisation de polypropylène.

 

Contrats d’approvisionnement

 

10.              Dans le cadre de l’acquisition mentionnée au paragraphe 7 du présent exposé, l’appelante, par voie d’un transfert et en contrepartie d’une somme de 16 300 000 $US (correspondant à 22 865 640 $CAN), est devenue partie à certains contrats d’approvisionnement.

 

Voir l’annexe 3 de la convention d’achat de biens conclue le 20 mars 1995 entre Produits Shell Canada Ltée et l’appelante (annexe D du présent exposé) ainsi que le transfert de contrats et la prise en charge des obligations intervenus le 31 mars 1995 entre Produits Shell Canada Ltée et l’appelante (annexe G du présent exposé).

 

11.              Les contrats d’approvisionnement comprenaient principalement un contrat signé le 1er septembre 1991 entre Novacor Chemicals (Canada) Ltd. (ci‑après « Novacor ») et Shell Canada Chemical Company, une filiale de Produits Shell Canada Limitée, (ci‑après le « contrat Novacor »).

 

Voir le contrat de vente de propène conclu le 1er septembre 1991 entre Shell Canada Chemical Company, une filiale de Produits Shell Canada Ltée, et Novacor Chemicals (Canada) Ltd. (annexe H du présent exposé).

 

12.              Selon le contrat Novacor, Novacor s’engageait à vendre, pendant une période de dix ans, des quantités convenues de propène à Produits Shell Canada Limitée pour un prix donné.

 

13.              Le propène était la principale matière première utilisée dans le cadre des activités de l’entreprise de l’appelante.

 

14.              Lorsqu’elle a versé le paiement susmentionné de 16 300 000 $US (22 865 640 $CAN), l’appelante a obtenu le droit d’acheter de Novacor, à un prix donné qui était avantageux comparativement au prix du marché au comptant en vigueur à l’époque, la matière première dont elle avait besoin pour son entreprise.

 

Traitement fiscal

 

15.              Tant à des fins fiscales que comptables, l’appelante a traité la somme de 16 300 000 $US (22 865 640 $CAN) ainsi payée comme une dépense courante qui a été initialement amortie sur la durée du contrat Novacor parce que cet amortissement offrait, de l’avis de l’appelante, une image plus fidèle de sa situation financière.

 

16.              Dans son année d’imposition se terminant le 31 décembre 1998, l’appelante a totalement déduit le solde non amorti conformément aux règles comptables relatives à la baisse de valeur des biens parce que le prix fixe convenu avec Novacor pour la matière première n’était plus avantageux en regard du prix du marché au comptant :

 

Année d’imposition

31 déc. 1995

31 déc. 1996

31 oct. 1997

31 déc. 1997

31 déc. 1998

Déduction demandée

Déduction demandée

au titre de la radiation

2 540 628 $

 

3 387 504 $

 

2 822 920 $

 

564 584 $

 

3 387 504 $

10 162 500 $

 

 

17.              Comme la somme de 16 300 000 $US (22 865 640 $CAN) versée par l’appelante relativement aux contrats d’approvisionnement consistait en des paiements à titre de capital qui constituaient des « dépenses en capital admissibles » au sens de l’article 14 de la Loi de l’impôt sur le revenu, le ministre a établi à l’égard de l’appelante une nouvelle cotisation de manière à admettre en partie les déductions en application de l’alinéa 20(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu, au lieu des déductions demandées :

 

Année d’imposition

31 déc. 1995

31 déc. 1996

31 oct. 1997

31 déc. 1997

31 déc. 1998

Déduction refusée

Déduction admise en application de l’al. 20(1)b)

(2 540 628 $)

1 200 446 $

(3 387 504 $)

1 116 415 $

(2 822 920 $)

1 038 266 $

(564 584 $)

965 587 $

(13 550 004 $)

897 996 $

 

18.              L’appelante s’est dûment opposée aux nouvelles cotisations.

 

19.              Le ministre a ratifié sa décision, et l’appelante a interjeté appel à la Cour relativement à ses années d’imposition se terminant le 31 décembre 1995, le 31 décembre 1996, le 28 octobre 1997, le 31 décembre 1997 et le 31 décembre 1998.

 

Question en litige

 

20.              Il s’agit de savoir si la somme de 16 300 000 $US (22 865 640 $CAN) versée par l’appelante relativement aux contrats d’approvisionnement constituait une dépense courante qui pouvait être amortie et radiée, comme l’a fait l’appelante, ou un paiement à titre de capital qui est une « dépense en capital admissible », comme le soutient l’intimée.

 

[4]     En 1991, M. Steven Mineer, un des chefs de file dans le domaine de la fourniture d’oléfines, est entré au service de Himont Canada – dont l’usine est située à Varennes (Québec) – en qualité d’acheteur de matières premières. À l’instruction, il a expliqué que l’entreprise de l’appelante consistait à produire du polypropylène sous forme de pastilles (essentiellement du plastique); ces pastilles étaient vendues à des sociétés qui les moulaient ensuite pour en faire des produits, lesquels étaient finalement vendus sur le marché (par exemple, les glacières Igloo et les contenants de yogourt).

 

[5]     La principale matière première à partir de laquelle l’appelante produit le polypropylène est le propène lui‑même (un gaz). Le propène constitue probablement 95 pour 100 du produit fini qui est vendu par l’appelante et correspond, sur le plan de la valeur, à 80 pour 100 des coûts incorporables. M. Mineer a précisé que l’appelante achète le propène de différentes sources, le traite et produit des pastilles qu’elle vend ensuite. Les pastilles constituent les stocks qu’elle vend sur le marché à ses clients.

 

[6]     En mars 1995, l’appelante a acheté les biens de Produits Shell Canada Limitée (« Shell »), laquelle exploitait le même genre d’entreprise à Sarnia (Ontario). La convention d’achat de biens conclue entre Shell et Himont Canada Inc. (société remplacée par l’appelante) a été produite sous la cote A‑2, onglet D. À l’article 13 de cette convention, chacune des parties s’engage à conclure, en particulier, un contrat d’approvisionnement en matière première ayant pour l’essentiel la forme de l’entente jointe à l’annexe 13(i) de ce document. L’article 2 de ce contrat prévoit ce qui suit :

 

[TRADUCTION] « Indépendamment du présent contrat, SHELL cédera son intérêt dans le contrat de vente de propène de Novacor intervenu le 1er septembre 1991, avec ses modifications (le « contrat Novacor ») […]. [Voir la pièce A‑2, onglet D, page 29].

 

[7]     Le contrat de vente de propène prenant effet le 1er septembre 1991 conclu entre Novacor Chemicals (Canada) Ltd. (« Novacor ») et Shell a été produit sous la cote A‑2, onglet H (le « contrat Novacor »). Ce contrat donnait à Shell le droit d’acheter de 270 millions à 330 millions de livres de propène pour l’approvisionnement de son usine de Sarnia et d’effectuer ces achats en fonction d’un ensemble de modalités relatives au prix tributaires du marché contractuel du propène sur la côte du golfe du Mexique aux États‑Unis.

 

[8]     Selon les précisions données par M. Mineer, on s’attendait à ce que Shell (et subséquemment l’appelante) achète au moins 270 millions de livres de propène, et Novacor avait l’obligation de fournir jusqu’à concurrence de 330 millions de livres de ce produit.

 

[9]     Il a affirmé que Novacor n’avait aucune obligation de fournir la matière première (propène) exclusivement à l’appelante (c’est ce qui ressort des clauses 4.01 et 4.02 du contrat Novacor).

 

[10]    M. Mineer a déclaré que la production totale de Novacor était estimée à 800 millions de livres par année, dont 270 millions à 330 millions de livres devaient être attribués à l’appelante. La clause 4.02 du contrat Novacor montre que Novacor devait également approvisionner d’autres clients. M. Mineer a ajouté que le contrat conclu avec Shell (et qui a subséquemment été cédé à l’appelante) visait environ les 3/8 de la production de propène de Novacor.

 

[11]    Par contre, Shell (et subséquemment l’appelante) pouvait d’abord s’approvisionner en propène à ses propres raffineries situées à Montréal et à Sarnia, telles qu’elles existaient à la date de prise d’effet du contrat, mais elle était ensuite tenue de s’approvisionner auprès de Novacor, conformément à ce contrat, de préférence à tous les autres fournisseurs de propène, sous réserve des conditions qui la liaient déjà à des tiers fournisseurs aux termes d’ententes écrites conclues avant la date de prise d’effet de ce contrat (le 1er septembre 1991) (voir la clause 4.01 du contrat Novacor).

 

[12]    Le mécanisme d’établissement des prix prévu dans le contrat Novacor était lié au prix mensuel fixé sur la côte américaine du golfe du Mexique, soit le prix fixé sur la côte américaine du golfe du Mexique mentionné dans la stipulation relative au prix contractuel (c.‑à‑d. l’article V) du contrat. Ce sont les participants au marché sur la côte du golfe du Mexique qui établissent ce prix, et des remises sont accordées en fonction du volume consommé. En d’autres termes, la remise varie en fonction des volumes donnés de consommation.

 

[13]    M. Mineer a affirmé que ces prix contractuels sont habituellement avantageux en regard des prix au comptant fixés sur le marché. Les achats faits auprès d’un fournisseur sur le marché ne sont assujettis à aucune obligation touchant un volume minimal ou maximal.

 

[14]    Lorsqu’elle a consenti au transfert du contrat en faveur de l’appelante (suivant l’article XIX du contrat Novacor), Novacor s’est engagée à mettre l’approvisionnement à la disposition de l’appelante en fonction d’un prix contractuel.

 

[15]    M. Mineer a expliqué qu’au moment du transfert en 1995, la valeur de cette obligation contractuelle avait été établie à 16 300 000 $US.

 

[16]    En réalité, un transfert de contrats et une prise en charge des obligations sont intervenus entre Shell et Himont Canada Inc. (société remplacée par l’appelante) le 31 mars 1995 (pièce A‑2, onglet G). Selon cette entente, Shell s’engageait à céder à l’appelante l’ensemble des avantages découlant des contrats et des conventions (les « contrats ») faisant partie des biens acquis (dont le contrat Novacor), et l’appelante s’engageait à assumer la responsabilité liée à l’exécution des obligations de Shell aux termes de ces contrats (clause B). Le consentement au transfert des contrats a été obtenu (clause C) et, par ce transfert, Shell a vendu, cédé et transféré à l’appelante l’ensemble de ses droits aux termes des contrats, tandis que l’appelante s’est engagée à assumer, à respecter et à exécuter l’ensemble des obligations incombant à Shell en vertu des contrats.

 

[17]    Selon la convention d’achat de biens, le 20 mars 1995 (pièce A‑2, onglet D), Shell a vendu à l’appelante ses entreprises d’apport pour une somme totale de 164 000 000 $US. Le prix exigible pour les biens achetés s’élevait à 144 280 000 $US. La répartition de ce prix d’achat est précisée à l’annexe 3 de cette convention d’achat de biens (pièce A‑2, onglet D, page 26). Les contrats d’approvisionnement en litige dans la présente affaire figurent sous la rubrique intitulée [traduction] « Immobilisations incorporelles » et sont évalués à 16 300 000 $US.

 

[18]    L’acquisition des biens et de l’entreprise de propène de Shell a été approuvée dans le procès‑verbal d’une assemblée ordinaire de Himont Canada Inc. le 17 mars 1995 (pièce A‑2, onglet E). Le conseil d’administration a approuvé et autorisé l’acquisition, par l’appelante, de certains biens et éléments d’actif – y compris l’usine et le matériel qui appartenait à Shell et qui était alors utilisé par cette dernière à son usine de Sarnia pour la production et la vente de polypropylène – pour la somme de 164 000 000 $US.

 

[19]    Le conseil d’administration a en outre adopté une résolution selon laquelle il approuvait et autorisait la signature, par l’appelante, du contrat d’approvisionnement en matière première [traduction] « afin d’assurer, notamment, l’approvisionnement partiel en propène de la société [l’appelante] conformément aux précisions qui y sont énoncées ».

 

[20]    D’après M. Mineer, cette opération n’a pas eu pour effet de placer l’appelante dans une situation de monopole. Il a affirmé que le marché nord‑américain du polypropylène a une capacité totale de l’ordre de 18 milliards de livres. La part de l’appelante dans ce marché équivaut à une capacité d’environ trois milliards de livres, ce qui veut dire qu’à peu près 15 à 20 pour 100 de la capacité totale du marché se trouve dans les installations de production de l'appelante. L’usine de Sarnia, qui a été achetée par l’appelante, avait une capacité de l’ordre de 350 millions de livres, soit deux pour cent du marché total.

 

[21]    Pendant le contre‑interrogatoire, M. Mineer a toutefois reconnu qu’il n’existait que deux usines de polypropylène au Canada, lesquelles appartiennent maintenant toutes deux à l’appelante. Lorsque cette dernière a acquis l’usine de Sarnia, les activités qui s’y déroulaient n’ont pas été interrompues.

 

Thèse de l’appelante

 

[22]    L’avocat de l’appelante n’a pas contesté le fait que l’appelante a élargi la structure de sa propre entreprise lorsqu’elle a acquis les biens appartenant à Shell qui se trouvaient dans les installations de cette dernière à Sarnia. Il a plutôt avancé que rien n’empêchait l’appelante d’effectuer une dépense courante en même temps qu’elle engageait une dépense en capital pour acquérir les immobilisations de l’établissement exploité par Shell à Sarnia. L’avocat estime qu’il faut examiner la répartition du prix d’achat pour classer de façon appropriée chacun des biens ainsi acquis.

 

[23]    L’avocat de l’appelante a soutenu que l’acquisition des contrats d’approvisionnement n’était pas, en soi, déterminante. En ce qui concerne la question de la caractérisation du paiement, il a invoqué l’arrêt Johns‑Manville Canada c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 46, de la Cour suprême du Canada pour affirmer que la nature de ce versement doit être déterminée d’un point de vue pratique et commercial plutôt qu’en fonction de la classification juridique fondée sur l’objet visé par la dépense.

 

[24]    En l’espèce, la somme de 16 300 000 $US constituait le paiement initial versé pour l’achat de la matière première. L’appelante achetait donc les fournitures à un prix qui était considéré comme avantageux à l’époque. En réalité, le coût des fournitures (le propène, c.‑à‑d. les stocks) comportait deux éléments : 1) le paiement effectué périodiquement au moment de l’achat, l’appelante recevant une facture mensuelle au prix fixé dans le contrat Novacor; 2) une portion du paiement initial (la somme de 16 300 000 $US). Cette somme de 16 300 000 $US avait été versée pour obtenir des prix favorables. Si elle voulait s’approvisionner en matière première, l’appelante devait verser ce paiement anticipé. Il contribuait au capital de roulement (par opposition au capital fixe), soit les éléments d’actif engagés (les pastilles), ceux‑là mêmes que l’appelante utilisait pour gagner un revenu (voir l’arrêt B.P. Australia, Ltd. v. Commissioner of Taxation of the Commonwealth of Australia, [1965] 3 All. E.R. 209 (Conseil privé), à la page 219). En d’autres termes, pour réaliser les ventes, l’appelante devait acheter la matière première, ce qu’elle devait évidemment faire de façon récurrente. La matière première était acquise, traitée puis vendue, c’est‑à‑dire qu’il y avait un roulement.

 

[25]    L’avocat de l’appelante a en outre avancé qu’en achetant la matière première, l’appelante n’achetait pas un moyen de production : elle l’utilisait. La nature du bénéfice recherché consistait à obtenir des stocks à un meilleur prix, et ces stocks pouvaient ensuite donner lieu à des profits plus élevés.

 

[26]    Il a laissé entendre que la Cour devait examiner la réalité commerciale de l’objet visé par la dépense. Pour ce faire, la Cour devait exercer un jugement judiciaire fondé sur le bon sens et analyser divers facteurs pour décider s’il s’agissait d’une dépense à titre de revenu ou de capital (référence a été faite aux motifs prononcés par M. le juge Le Dain, dissident, dans l’arrêt M.R.N. c. Canadian Glassine Co. Ltd., [1976] 2 C.F. 517 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 24). Selon l’avocat de l’appelante, un contrat d’approvisionnement ne constitue pas une immobilisation; il ne fait pas partie de la structure ou de l’organisation génératrice de revenus d’une entreprise. Le paiement effectué au titre du contrat Novacor visait l’approvisionnement et constituait donc une dépense courante dans les circonstances en l’espèce.

 

Thèse de l’intimée

 

[27]    Dès le début, l’avocat de l’intimée a déclaré que la seule question en litige était celle de savoir si la somme de 16 300 000 $US imputée aux droits relatifs aux contrats d’approvisionnement constituait un paiement à titre de revenu ou de capital. S’il ne s’agit pas d’un paiement à titre de capital – contrairement à ce que soutient l’intimée –, l’intimée ne conteste pas la façon dont l’appelante a choisi d’amortir la dépense, qui, selon l’appelante, offrait une image plus fidèle de sa situation financière.

 

[28]    D’après l’intimée, la somme de 16 300 000 $US constituait un paiement à titre de capital puisqu’il faisait partie de la somme totale de 164 000 000 $US versée par l’appelante pour acquérir l’entreprise de propène de Shell – à savoir les installations de raffinage situées à Sarnia (Ontario) ainsi que les immobilisations incorporelles, comme une main‑d’œuvre réunie, les contrats d’approvisionnement, les logiciels et l’achalandage – afin d’étendre sa structure génératrice de revenus existante, soit son entreprise de polypropylène située à Varennes (Québec). En réalité, l’appelante a doublé la structure génératrice de revenus qu’elle avait à l’époque. Selon l’intimée, la totalité de la somme de 164 000 000 $US (y compris la somme de 16 300 000 $US) constituait donc une dépense à titre de capital.

 

[29]    L’avocat a allégué qu’une dépense engagée pour acquérir une entreprise à titre d’entreprise en exploitation constitue toujours un débours de capital puisqu’elle est faite pour obtenir une source de revenu plutôt qu’en vue de tirer un revenu (l’avocat s’est appuyé sur les arrêts City of London Contract Corporation v. Styles (1887), 2 T.C. 239 (C.A.), et John Smith and Son v. Moore, [1921] 2 A.C. 13, pour formuler cette assertion).

 

[30]    Il a mentionné que, pour fins fiscales au Canada, la somme payée par un acquéreur au moment de l’acquisition de la totalité ou de la presque totalité des éléments d’actif d’une entreprise est considérée comme une dépense en capital plutôt qu’une dépense courante, à moins que les activités de l’acquéreur consistent à acheter et à revendre des entreprises (il a invoqué les arrêts Seaboard Advertising Co. v. M.N.R., [1966] Ex. C.R. 266, et Southam Business Publications Ltd. v. M.N.R., [1966] Ex. C.R. 1055, à cet égard).

 

[31]    L’avocat de l’intimée a donc fait valoir que la somme de 16 300 000 $US ne faisait pas partie du coût d’exploitation de l’entreprise, mais bien du coût d’acquisition de l’entreprise. L’intimée estime que, même si un prix a été fixé pour les divers éléments d’actif achetés, la convention d’achat de biens précisait sans équivoque que la somme globale était versée à titre de contrepartie pour l’opération. Selon l’avocat, l’intention consistait à vendre, d’une part, et à acheter, d’autre part, comme un tout, l’ensemble de l’entreprise de polypropylène située à Sarnia. L’opération visait à acquérir une structure génératrice de profits afin d’ajouter à une structure commerciale existante un élément d’actif durable, et non à acquérir plusieurs parties disparates. De l’avis de l’intimée, l’appelante ne peut affirmer que la somme de 16 300 000 $US constituait une dépense payée d’avance au titre de ses besoins futurs en matière première ou une dépense faite pour acquérir des stocks puisque la somme en litige n’a pas été payée au fournisseur et qu’aucune matière première n’a réellement été achetée et conservée dans les stocks par l’appelante par suite du versement de cette somme. Ce que l’appelante a obtenu, en revanche, ce sont les droits relatifs aux contrats d’approvisionnement qui lui permettaient d’acheter des quantités convenues de matière première, pendant une période précise, à un prix donné qui était avantageux en regard du prix en vigueur sur le marché au comptant au moment de l’acquisition. Cette opération s’est déroulée dans le cadre de l’achat d’une structure génératrice de profits qui a donné lieu à des bénéfices durables.

 

Analyse

 

[32]    À mon avis, on ne peut inférer des documents mis en preuve et du témoignage de M. Mineer qu’il était de l’intention des parties que l’appelante achète comme un tout l’ensemble des installations de polypropylène situées à Sarnia. Même si l’appelante a sans nul doute étendu sa structure génératrice de profits lorsqu’elle a acquis l’entreprise de Shell à Sarnia, je suis portée à convenir avec l’appelante que le transfert du contrat Novacor constituait un objet à part entière des négociations engagées avec Shell. Cette dernière était liée par le contrat, et il était totalement dans son intérêt de s’en libérer en vendant son entreprise. On ne peut en dire autant de l’appelante. Celle‑ci aurait très bien pu acquérir l’entreprise de Shell sans accepter le transfert du contrat Novacor si le prix contractuel du propène n’avait pas été avantageux pour elle au moment de l’opération. Dans cette éventualité, Shell aurait été tenue de payer des dommages‑intérêts à Novacor pour avoir manqué aux obligations qui lui incombaient aux termes de ce contrat (clauses 4.05(b) et (c) du contrat Novacor, pièce A‑2, onglet H). On peut supposer que dans un tel cas, Shell aurait tenté de négocier un prix d’achat plus élevé pour la vente de ses éléments d’actif à l’appelante de manière à couvrir le coût de ces dommages‑intérêts.

 

[33]    Il aurait toutefois été loisible à Shell, pour une raison ou pour une autre, de simplement céder à l’appelante ses droits et obligations aux termes du contrat Novacor sans nécessairement lui vendre son entreprise. Nous pouvons supposer que le prix attribué au contrat aurait alors été celui précisé dans l’opération conclue, soit 16 300 000 $US. Dans cette éventualité, le ministre aurait très bien pu considérer qu’il s’agissait d’une dépense engagée pour tirer un revenu puisqu’elle n’aurait pas eu lieu dans le cadre d’une opération visant à acquérir l’ensemble d’une entreprise génératrice de revenus.

 

[34]    Lorsqu’elle a accepté le transfert du contrat Novacor, l’appelante s’engageait à payer pour sa matière première un prix qui semblait avantageux à ce moment‑là. Mais l’appelante courait également le risque que le prix au comptant sur le marché passe sous le prix fixé dans le contrat. En réalité, c’est ce qui s’est produit en 1998 lorsque l’appelante a décidé de déduire la totalité du solde non amorti conformément aux règles relatives à la baisse de valeur des biens, puisque le prix convenu avec Novacor n’était plus avantageux et que l’appelante était néanmoins tenue d’acheter à cette dernière une quantité minimale de propène.

 

[35]    En outre, un examen approfondi des documents tend à montrer que le transfert du contrat Novacor et le transfert de l’entreprise de Shell ont été traités de façon distincte. Premièrement, à l’article 2 du contrat d’approvisionnement en matière première, on mentionne clairement que le transfert du contrat Novacor doit être traité indépendamment de la convention d’achat de biens (voir la pièce A‑2, onglet D, page 29). Deuxièmement, il existait une entente distincte, intitulée [traduction] « Transfert de contrats et prise en charge des obligations », qui visait notamment le transfert du contrat Novacor de Shell à Himont Canada Inc. (pièce A‑2, onglet G). Troisièmement, une résolution distincte du conseil d’administration de Himont Canada Inc. approuvait la conclusion du contrat d’approvisionnement, d’une part, et l’achat des biens de l’usine de Shell, d’autre part (pièce A‑2, onglet E). Quatrièmement, un prix était expressément attribué aux contrats d’approvisionnement dans la convention d’achat de biens (pièce A‑2, onglet D, article 3 et annexe 3 de cette convention).

 

[36]    Tous ces faits me donnent à penser que le transfert du contrat Novacor ne faisait pas nécessairement partie du prix global de l’acquisition de la structure génératrice de profits de Shell. À tout le moins, la situation n’est pas aussi nette que le prétend l’intimée[2].

 

[37]    L’intimée s’est largement appuyée sur l’arrêt John Smith and Son v. Moore, précité, du Conseil privé. Dans cette affaire, un contribuable avait acheté l’entreprise charbonnière de son père, y compris certains contrats à court terme conclus avec des houillères afin d’approvisionner l’entreprise en charbon. Dans l’arrêt M.R.N. c. Canadian Glassine Co., précité, le juge Le Dain, dissident, tient les propos suivants au sujet de l’arrêt John Smith aux paragraphes 31, 32 et 33 :

 

[31]      […] Bien peu d’autorités traitent directement de la nature d’un paiement global pour obtenir un contrat d’approvisionnement. Dans l’arrêt John Smith and Son c. Moore [1921] 2 A.C. 13, un contribuable avait acheté l’entreprise de vente de charbon de son père et a vainement tenté de déduire lors du calcul des bénéfices, une somme de £30,000 qui correspondait à la valeur au moment de l’achat, de certains contrats à court terme conclus avec des houillères pour approvisionner l’entreprise en charbon. En fait, le fils n’avait pas déboursé cette somme mais avait payé un montant moins élevé que la valeur nette de l’ensemble de l’entreprise. La majorité de la Chambre des lords a conclu que la somme de £30,000 n’était pas une déduction admissible aux fins du calcul des bénéfices. D’après lord Haldane et lord Sumner, majoritaires, il s’agissait d’une dépense de capital – une somme imputable aux immobilisations. Selon lord Cave, majoritaire, l’entreprise était active et la dépense engagée pour les contrats d’approvisionnement ne relevait pas de l’entreprise, aux fins de son commerce, mais du fils qui y investissait ses propres deniers. Ce paiement n’avait donc aucune incidence sur les bénéfices de l’entreprise. Le vicomte Finlay, dissident, a jugé que ladite somme avait été versée en paiement du charbon.

 

[32]      Bien qu’une abondante jurisprudence ait commenté l’arrêt Smith, il semble presque impossible d’en tirer une règle générale, étant donné la particularité des faits et les différents motifs de l’opinion majoritaire. Voir Commissioner of Taxes c. Nchanga Consolidated Copper Mines Ltd. [1964] A.C. 948, aux pages 962 et 964; B.P. Australia Ltd. c. Commissioner of Taxation of the Commonwealth of Australia [1966] A.C. 224, aux pages 268 et 269; Regent Oil Co. Ltd. c. Strick (Inspector of Taxes) [1966] A.C. 295, aux pages 322, 323 et 353. On ne peut donc prétendre que cet arrêt établit la règle qu’un paiement global versé à un fournisseur pour obtenir un contrat d’approvisionnement constitue une dépense de capital. Comme le disait lord Pearce dans l’arrêt B.P. Australia (précité) à la page 269 : [traduction] « On ne peut certainement pas conclure que le résultat aurait été le même si le fils avait versé £30,000 aux houillères, en contrepartie des contrats. »

 

[33]      À mon sens, un contrat d’approvisionnement peu importe ses conditions et ses avantages, ne constitue pas un élément d’actif ou un avantage de la nature d’une immobilisation. D’aucune façon ne peut-il être considéré comme une partie de la structure ou de l’organisation génératrice de revenu d’une entreprise. Il ne produit ni n’entraîne aucune distribution. C’est l’approvisionnement prévu au contrat qui permet de réaliser des bénéfices. Le contrat reflète uniquement les obligations juridiques qu’entraînent des opérations relatives à l’exploitation de l’entreprise. Sans doute cet élément est-il précieux pour l’entreprise mais il n’a tout de même pas la valeur d’une immobilisation. La valeur du contrat réside dans le fait qu’il stipule l’approvisionnement. À mon sens un paiement en contrepartie du contrat constitue un paiement en contrepartie de l’approvisionnement.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[38]    Dans l’arrêt Canadian Glassine, les juges exprimant l’opinion majoritaire n’étaient pas en désaccord sur point. Dans cette affaire, la société contribuable avait été constituée pour fabriquer du papier cristal. Elle avait conclu une entente avec une autre société, Anglo‑Canadian, qui lui fournissait à long terme la pulpe dont elle avait besoin à un prix avantageux. Cette entente prévoyait notamment qu’Anglo‑Canadian s’engageait à construire des conduites souterraines pour acheminer de la pâte humide et de la vapeur de son usine à celle de la contribuable. La majorité des juges de la Cour a estimé que la somme payée par la contribuable à Anglo-Canadian aux termes de cette entente avait été versée en contrepartie de la construction des conduites et non de l’exécution des contrats d’approvisionnement en soi. Elle a donc conclu qu’il s’agissait d’un débours de capital. Le juge Le Dain a émis une opinion dissidente selon laquelle la somme versée constituait un paiement anticipé fait pour obtenir de la matière première et de l’énergie, et qu’il s’agissait donc d’une dépense engagée pour gagner un revenu.

 

[39]    Auparavant, dans l’arrêt Commissioner of Taxes v. Nchanga Consolidated Copper Mines, Ltd., [1964] 1 All. E.R. 208 (Conseil privé), aux pages 213 à 215, on avait examiné l’arrêt John Smith et établi des distinctions avec cette décision en raison des faits qui lui étaient propres :

 

[traduction]

 

Naturellement, l’argument de l’appelante se fonde en grande partie sur l’arrêt John Smith & Son v. Moore de la Chambre des lords (6). Il est peut‑être plus exact de dire qu’il repose sur les propos qu’y ont tenus lord Haldane et lord Sumner puisque, parmi les quatre lords ayant rendu cette décision, le vicomte Finlay était dissident et lord Cave a suivi une approche qui n’est pas pertinente en l’espèce. […]

 

Il ressort sans équivoque d’un examen approfondi des propos de lord Haldane et de lord Sumner que deux éléments de l’affaire, ou plutôt la conjugaison de ces deux éléments, ont étayé leur décision. Premièrement, aucune somme de 30 000 £ n’a jamais été versée. L’acquisition visait une entreprise ayant divers biens – dont le bénéfice de certains contrats – et diverses obligations; la seule somme d’argent que le fils a dû débourser est celle correspondant à la valeur nette de l’entreprise. Lord Sumner a mentionné ce qui suit (8) :

 

Il a acheté une entreprise et les actifs de celle‑ci sur le fondement d’une évaluation […]. Il n’a pas acheté de charbon; l’entreprise n’en avait pas et elle n’avait pas non plus d’articles de commerce; de même, il n’a pas acheté d’articles de commerce dans aucun sens commercial du terme […]. Il n’a pas payé cette somme en contrepartie du transfert, en sa faveur, du bénéfice découlant de ces contrats; il n’a pas consenti à un transfert.

 

Manifestement, les deux lords ont estimé qu’il était impossible de dire qu’une somme payée pour acquérir une entreprise sur le fondement de sa valeur nette, mais sans être expressément affectée à des éléments d’actif distincts de l’entreprise, constituait autre chose qu’une dépense en capital au titre d’une immobilisation. Selon lord Sumner, l’affaire était en réalité régie par les décisions antérieures City of London Contract Corpn. v. Styles (9) et Alianza Co., Ltd. v. Bell (10). Et c’est ce qui ressort des propos qu’il a tenus lorsqu’il a tranché la question. Le deuxième aspect jugé important touche au fait, auquel lord Sumner (8) a fait allusion, que le fils, lorsqu’il a payé une certaine somme pour obtenir le bénéfice des contrats, n’a pas acheté des articles de commerce ni quoi que ce soit de cette nature. Il n’est pas difficile de supposer que, dans un contexte différent, la somme versée par une entreprise en exploitation à un négociant pour obtenir les contrats d’approvisionnement de ce dernier à des prix fixes, pour la seule année de détermination des profits, pourrait être équitablement considérée comme faisant partie du coût d’acquisition des marchandises devant être fournies et, à ce titre, être imputable au produit brut de leur vente. Lord Sumner paraît effectivement avoir envisagé cette situation lorsqu’il affirme (11) ce qui suit au moment d’expliquer la décision Styles (9) :

 

Cette somme a été versée en même temps que le reste du prix global pour acheter l’entreprise ainsi que les profits ultérieurs réalisés dans le cadre de celle‑ci; la somme n’a pas été déboursée à titre de dépense dans le cadre d’une entreprise déjà acquise, en vue d’exploiter cette dernière et de tirer un profit de cette dépense en tant que dépense d’exploitation.

 

La décision John Smith (12) reposait donc sur la conjugaison de deux éléments propres aux faits de l’affaire : un prix global payé à titre de valeur nette de l’entreprise acquise, et l’inclusion dans l’actif de cette entreprise du bénéfice découlant de contrats d’approvisionnement à court terme qui n’avaient pas été établis d’une manière permettant de les assimiler à des articles du commerce. En l’absence de ces éléments conjugués, on ne peut supposer que la décision aurait été la même parce qu’il est difficile de reconnaître comme fondée l’assertion générale voulant que, si un homme achète et paye des articles de commerce pour sa propre entreprise en faisant l’acquisition d’une autre entreprise, il ne peut appliquer en compensation du produit brut tiré de la réalisation de ces articles de commerce le coût distinct de leur acquisition. […]

[Non souligné dans l’original.]

 

(6) [1921] 2 A.C. 13; 12 Tax Cas. 266.

[…]

(8) [1921] 2 A.C. p. 37; 12 Tax Cas. p. 295.

(9) (1887), 2 Tax Cas. 239.

(10) [1906] A.C. 18; 5 Tax Cas. 60 et 172.

(11) [1921] 2 A.C. p. 39; 12 Tax Cas. p. 296.

(12) [1921] 2 A.C. 13; 12 Tax Cas. 266.

 

[40]    En l’espèce, l’appelante a payé une somme de 16 300 000 $US en contrepartie du transfert, en sa faveur, des avantages découlant de contrats d’approvisionnement. Une somme a expressément été attribuée au transfert de ces contrats. Comme l’a mentionné le vicomte Radcliffe dans l’arrêt Nchanga, précité, à la page 215, il est difficile de reconnaître comme fondée l’assertion générale voulant que, si un homme (ou une personne morale) achète et paye des articles de commerce pour sa propre entreprise en faisant l’acquisition d’une autre entreprise, il ne peut appliquer en compensation du produit brut tiré de la réalisation de ces articles de commerce le coût distinct de leur acquisition.

 

[41]    Il n’existe aucun critère unique permettant de décider si une dépense donnée est à titre de revenu ou de capital. En dernière analyse, il faut exercer un jugement judiciaire fondé sur le bon sens à la lumière des circonstances propres à chaque cas (voir l’arrêt Canadian Glassine, précité, au paragraphe 24, où on renvoie à l’arrêt B.P. Australia Ltd., précité, lequel est mentionné avec approbation par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt M.N.R. v. Algoma Central Railway, [1968] S.C.R. 447). Le critère le plus fréquemment énoncé comme celui faisant autorité tient à la notion [traduction] « de bien ou d’avantage qui profite de façon durable au commerce du contribuable » énoncée par le vicomte Cave dans l’arrêt British Insulated and Helsby Cables, Limited v. Atherton, [1926] A.C. 205. Toutefois, comme il est mentionné dans l’arrêt Nchanga, précité, à la page 212, on ne peut présumer que ce critère permet d’une quelconque manière de justifier l’idée selon laquelle le fait d’obtenir un avantage pour l’entreprise constitue à première vue une dépense en capital. Dans la présente affaire, même s’il semble y avoir un avantage contractuel pour une certaine période (le contrat Novacor a expiré seulement en 2001), rien ne garantissait le caractère durable de l’avantage puisque le prix sur le marché au comptant pouvait à n’importe quel moment passer sous le prix du contrat, ce qui, comme je l’ai déjà signalé, est effectivement arrivé en 1998.

 

[42]    En outre, le critère permettant de savoir si les sommes étaient payables sur le capital fixe ou sur le capital de roulement qui est énoncé dans l’arrêt John Smith a été examiné dans l’arrêt B.P. Australia, précité, à la page 219 : [traduction] « Le capital fixe est à première vue celui dont on s’attend qu’il permettra de réaliser un rendement grâce aux opérations commerciales de l’entreprise. Le capital de roulement est celui qui est affecté à ces opérations commerciales. » La dépense faite en vue d’un objet lié au capital fixe est considérée comme une dépense de capital, tandis qu’une dépense faite en vue d’un objet lié au capital de roulement ne l’est pas. Même si, dans l’arrêt Johns‑Manville, précité, la Cour suprême du Canada a déclaré que le vocabulaire avait changé, elle a reconnu que le problème de classification est demeuré (à la page 59). Comme je l’ai déjà signalé, j’estime que l’appelante a fait un choix délibéré lorsqu’elle a décidé d’accepter le transfert du contrat Novacor. Elle a ainsi pris les dispositions nécessaires pour isoler du prix d’achat à payer à Shell la somme précise devant être attribuée au contrat d’approvisionnement. Il est donc difficile d’imaginer, pour employer les termes utilisés dans l’arrêt B.P. Australia, que l’appelante n’aurait pas tenu compte de cette somme forfaitaire dans le calcul du coût de production du polypropylène. Comme dans l’arrêt B.P. Australia, cette somme était [traduction] « au premier rang des frais de vente du grossiste » (à la page 219). Lorsque la question est examinée du point de vue de l’entreprise de l’appelante, comme il se doit (voir l’arrêt Pantorama Industries Inc. c. Canada (C.A.F.), 2005 CAF 135, [2005] A.C.F. no 635 [QL]), la dépense de 16 300 000 $US faisait partie des frais d’exploitation engagés par l’appelante pour obtenir du propène. Comme l’a déclaré le juge Le Dain dans l’arrêt Canadian Glassine, au paragraphe 38, l’appelante n’a obtenu, pour cette somme, rien qui puisse être considéré comme un élément d’actif ou un avantage de la nature d’une immobilisation. À première vue, la somme de 16 300 000 $US constituait donc [traduction] « du capital de roulement qui a été utilisé et qui, dans le cadre de son utilisation, a donné lieu à un profit ou à une perte; il fait partie des exigences constantes auxquelles il faut répondre au moyen des profits tirés du commerce » (B.P. Australia, précité, à la page 219).

 

[43]    J’arrive donc à la conclusion que la somme de 16 300 000 $US ne constituait pas, en soi, une dépense en capital même si elle était comprise dans le prix d’achat de l’ensemble des éléments d’actif que Shell a vendus à l’appelante. Cette dépense particulière a été soigneusement isolée dans des ententes distinctes (convention d’achat de biens, pièce A‑2, onglet D, annexe 3; transfert de contrats et prise en charge des obligations, pièce A‑2, onglet G; contrat d’approvisionnement en matière première et en vapeur de retour, pièce A‑2, onglet D, page 29; il y a en outre une résolution distincte du conseil d’administration, pièce A‑2, onglet E) qui, à mon sens, montrent quel était l’objet de cette dépense particulière (voir la décision Oxford Shopping Centres Ltd. v. The Queen, 79 DTC 5458, à la page 5464 (C.F. 1re inst.), confirmée par la Cour d’appel fédérale, 81 DTC 5065).

 

[44]    Les appels sont accueillis, avec dépens, compte tenu du fait que l’appelante avait le droit de déduire, en application du paragraphe 9(1) et de l’alinéa 18(1)a) de la Loi, la somme de 16 300 000 $US (22 865 640 $CAN) à titre de dépense courante qui pouvait être amortie et radiée, comme l’a fait l’appelante, pour chacune des années d’imposition en cause.

 

[45]    Vu le consentement à jugement intervenu en l’espèce, l’appel relatif à l’année d’imposition se terminant le 31 décembre 1996 et à la double inclusion de la somme de 53 277 $ au titre d’un crédit d’impôt à l’investissement est également accueilli.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de novembre 2007.

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de décembre 2007.

 

Johanne Brassard, trad. a.


 

 

 

RÉFÉRENCE :                                  2007CCI685

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2004-1284(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              BASELL CANADA INC. c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 20 novembre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 16 novembre 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Wilfrid Lefebvre

Avocats de l’intimée :

Me Yanick Houle

Me Jane Meagher

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                      Me Wilfrid Lefebvre

 

                          Cabinet :                  Ogilvy Renault

                                                          Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           En réalité, il y avait une autre question en litige relative à l’année d’imposition se terminant le 31 décembre 1996 et à la double inclusion de la somme de 53 277 $ au titre d’un crédit d’impôt à l’investissement. L’intimée a consenti à ce que jugement soit rendu en faveur de l’appelante sur ce point.

[2]           Il faut donc établir une distinction avec les décisions invoquées par l’intimée dans lesquelles la somme en litige payée faisait partie du prix d’achat de l’entreprise en exploitation, sans qu’aucune somme précise ne soit attribuée à l’élément particulier en cause. Je dois ajouter que, dans les arrêts City of London Contract Corporation et Seaboard Advertising Co invoqués par l’intimée, les contribuables avaient acquis des contrats conclus avec des clients et des entreprises grâce auxquels ils réalisaient leurs profits; ce n’est pas le cas en l’espèce. Dans l’arrêt Southam Business Publications Ltd., la somme a été versée pour des registres de prêts, lesquels constituaient l’unique bien de valeur que le vendeur avait à vendre (paragraphe 39). Il aurait donc été difficile d’affirmer que la somme n’avait pas été payée pour l’acquisition de l’entreprise à titre d’entreprise en exploitation. En l’espèce, la somme attribuée au contrat d’approvisionnement (16 300 000 $US) constituait seulement dix pour cent du prix d’achat total (164 000 000 $US).

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