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Dossier : 2002-3098(EI)

ENTRE :

 

WORLD INTERNET BROADCASTING NETWORK

CORPORATION INC. ET GLOBAL TREE TECHNOLOGIES INC.,

appelantes,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 22 septembre 2003, à Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Par le juge J.M. Woods

 

COMPARUTIONS

 

Pour les appelantes :

Thomas Kennedy

 

Avocat de l’intimé :

Bruce Senkpiel

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel interjeté à l’égard d’une décision rendue en application de la Loi sur l’assurance-emploi est rejeté, et la décision du ministre du Revenu national est confirmée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de décembre 2003.

 

« J.M. Woods »

Juge Woods

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de décembre 2004.

 

Jacques Deschênes, traducteur


 

 

 

 

Référence : 2003CCI716

Date : 20031219

Dossier : 2002-3098(EI)

ENTRE :

 

WORLD INTERNET BROADCASTING NETWORK

CORPORATION INC. ET GLOBAL TREE TECHNOLOGIES INC.,

appelantes,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Woods, C.C.I.

 

[1]     Possédant de l’expérience dans le domaine de la diffusion, Robert Mackin est devenu en 2000 président d’une jeune entreprise de diffusion sur Internet, World Internet Broadcasting Network Corporation Inc. Le présent appel concerne la nature de la relation de M. Mackin avec World Internet pour l’application de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi »). Cette relation était régie par une entente écrite qui stipulait expressément que M. Mackin n’était pas un employé de World Internet. Cependant, lorsque cette dernière a cessé ses activités, M. Mackin a demandé et reçu des prestations d’assurance-emploi. World Internet et sa société mère, Global Tree Technologies Inc., contestent la décision de considérer M. Mackin admissible à ces prestations. Global Tree participe au présent appel parce qu’elle a versé une partie des honoraires de M. Mackin directement et que le ministre du Revenu en a conclu qu’elle était un employeur réputé au sens de la Loi.

 


M. Mackin était-il un employé?

 

Faits

 

[2]     Une seule personne a témoigné à l’audience : le président de Global Tree, Robert Kennedy. M. Kennedy a admis qu’il n’était pas la personne la mieux informée du dossier, alors j’ai dû tirer mes conclusions essentiellement de l’entente écrite régissant la relation en cause. Je signale que les appelantes n’ont pas été les seules parties à assigner peu de témoins, car la Couronne n’a convoqué aucun témoin. M. Mackin, plus particulièrement, n’a pas témoigné à l’appui de sa thèse.

 

[3]     À un moment donné, en 2000, Robert Mackin a suggéré à Global Tree de lancer une entreprise de diffusion sur Internet. Global Tree est une société ouverte dans l’industrie des ressources et n’avait aucune expérience en matière de diffusion, mais elle était en mesure de fournir du financement. M. Mackin possédait les connaissances et les relations voulues dans l’industrie pour s’occuper de la gestion et avait son site Web, MyCityRadio.com, qui devait être utilisé dans le cadre des activités de l’entreprise.

 

[4]     World Internet était une filiale que Global Tree a constituée pour exercer les nouvelles activités, qui ont débuté autour du 1er juin 2000. Les affaires n’ont pas tourné aussi bien que prévu et, le 8 août 2001, Global Tree a cessé de fournir des capitaux. World Internet a mis fin à ses activités.

 

[5]     À partir du 1er décembre 2000, la relation entre M. Mackin et World Internet était régie par un document intitulé [traduction] « entente de consultation ». M. Mackin, sous le nom de Nikcam Holdings, convenait d’offrir ses services à World Internet en qualité d’entrepreneur indépendant pour une période de deux ans. Les tâches du consultant (définies par M. Mackin et Nikcam Holdings) consistaient à assurer la présidence de World Internet et à exercer les fonctions suivantes :

 

[Traduction]

De concert avec le conseil d’administration et le propriétaire, dont il doit obtenir l’approbation :

 

-           dresser un budget d’exploitation annuel assorti de projections et d’hypothèses qui doivent être approuvées par le conseil d’administration;

 

-           chaque trimestre, présenter les résultats atteints par rapport au budget;

 

-                     mener à bien les tâches du propriétaire relatives à la programmation;

 

-           gérer le programme des entreprises affiliées;

 

-           travailler avec le vice-président responsable du marketing et des ventes afin de concevoir et de mettre en œuvre des programmes locaux et nationaux de publicité tout en respectant les budgets de publicité;

 

-           travailler avec le chef de la direction et le groupe des relations avec les investisseurs de Global Tree Technologies Inc. afin d’aider à recueillir des capitaux;

 

-           maintenir une atmosphère positive et compétente sur les lieux de travail du propriétaire;

 

-           s’occuper du développement du site Web MyCityRadio.

 

Chacune de ces fonctions peut, avec l’approbation du conseil d’administration ou du propriétaire, être déléguée à un consultant ou à un employé compétent du propriétaire.

 

[6]     Selon l’entente de consultation et ses modifications, M. Mackin devait toucher des honoraires d’environ 7 000 $ par mois, plus TPS. Il était prévu que les honoraires passent à 8 250 $ à la deuxième année du contrat si World Internet parvenait à faire des profits. M. Mackin était censé également recevoir une commission équivalant à 7 ½ % des frais qui devaient être perçus sur l’octroi de licences d’utilisation du site Web dans d’autres villes. L’entente indiquait en outre que M. Mackin devait faire en sorte que World Internet puisse utiliser son site Web en vertu d’une licence exclusive perpétuelle moyennant une redevance égale à 1 ½ % des revenus nets de publicité. Aucun accord de licence en bonne et due forme n’a été signé.

 

[7]     M. Mackin ne détenait aucune action de World Internet, mais il possédait quelques actions de Global Tree. M. Kennedy a précisé qu’un collègue et lui-même avaient personnellement prêté de l’argent à M. Mackin pour l’acquisition de ces actions et qu’il était entendu que ce prêt leur serait remboursé sur le produit de la vente future des actions.

 

[8]     Une bonne partie du témoignage de M. Kennedy a porté sur les relations tendues entre M. Mackin et le conseil d’administration. Ces propos ne sont pas particulièrement pertinents, pour l’essentiel, mais pourraient expliquer pourquoi M. Mackin n’est pas venu témoigner. M. Kennedy lui-même était réticent à témoigner à l’audience. Afin d’illustrer la mésentente entre les administrateurs et M. Mackin, M. Kennedy a raconté qu’il avait une fois demandé à M. Mackin de participer à la recherche d’autres bailleurs de fonds pour World Internet. Lorsqu’il a plus tard demandé à M. Mackin de lui montrer les documents qu’il remettait aux investisseurs éventuels, M. Kennedy a eu le choc de constater qu’il y proposait une réorganisation de World Internet lui accordant 80 % de l’entreprise et laissant seulement une part de 20 % à Global Tree.

 

Analyse

 

[9]     Le statut d’une personne en tant qu’employé ou entrepreneur indépendant est généralement déterminé en fonction des faits. Les principes généraux sont décrits par le juge Major dans l’affaire Sagaz Industries Canada Inc. c. 671122 Ontario Limited[1] :

 

[47] […] La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l'employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses assistants, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu'à quel point il peut tirer profit de l'exécution de ses tâches.

[48]  Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n'y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l'affaire.

 

[10]    Même si World Internet a signé une entente de « consultation », elle est responsable des cotisations à l’assurance-emploi si, en droit, elle avait une relation employeur-employé avec M. Mackin. Le titre qui a été donné à l’entente régissant les parties n’est pas déterminant : Nametco Holdings Ltd. c. Canada. Il en va de même du fait que l’entente a été signée par « Nikcam Holdings », une dénomination sociale utilisée par M. Mackin.

 

[11]    Selon l’arrêt Sagaz Industries, la question centrale consiste à déterminer si M. Mackin, en qualité de président de World Internet, exploitait une entreprise distincte. En général, il serait difficile pour le président d’une société commerciale ayant le vaste mandat de gérer les activités de cette société d’en exploiter en même temps une autre à son compte. Les tâches que doit remplir un président seraient généralement incompatibles avec l’exploitation d’une entreprise à but lucratif parallèle et distincte. Lorsque M. Mackin a tenté de le faire en recueillant des fonds pour une entreprise restructurée, M. Kennedy a fait savoir qu’il en avait été choqué. Il est clair dans l’esprit de M. Kennedy que M. Mackin devait agir dans les intérêts de World Internet seulement. Par conséquent, le poste hiérarchique très élevé de M. Mackin et la responsabilité qu’avait celui-ci dans la plupart des activités de l’entreprise militent vigoureusement contre l’octroi du statut d’entrepreneur indépendant.

 

[12]    M. Kennedy a déclaré que le fait que ce soit M. Mackin qui ait proposé à Global Tree de lancer une telle entreprise montrait qu’il ne s’agissait pas d’une relation employeur-employé typique. Il a peut-être raison, mais cette conclusion ne vient aucunement aider les appelantes ici. Puisque l’entreprise était le projet de M. Mackin et que Global Tree n’avait aucune expertise en matière de diffusion, il devient encore plus difficile de soutenir que M. Mackin travaillait à son compte. World Internet s’est fiée à M. Mackin pour la gestion de toutes ses activités, sauf le financement, et il aurait été incompatible avec la responsabilité de M. Mackin envers elle qu’il agisse en tant qu’homme d’affaires indépendant soucieux de maximiser son profit.

 

[13]    J’estime que le degré de responsabilité dans la gestion de l’entreprise est le facteur le plus important en l’espèce. Les autres facteurs mentionnés dans l’arrêt Sagaz Industries, soit le degré de contrôle, la possibilité de profit et le risque de perte, l’embauche d’assistants et la propriété des instruments de travail, sont moins importants et n’empêchent pas de conclure que M. Mackin était un employé.

 

[14]    Au sujet du degré de contrôle, rappelons que le président d’une société commerciale jouit habituellement d’une plus grande autonomie que les autres employés. Néanmoins, il est clair que M. Mackin agissait sous la supervision du conseil d’administration. L’entente de consultation est explicite là-dessus et concorde avec le témoignage de M. Kennedy. À mon sens, ce facteur n’est pas significatif en l’espèce.

 

[15]    Quant à la possibilité de profit, M. Mackin était en mesure de participer au succès de l’entreprise. Ses honoraires mensuels auraient augmenté si les activités avaient généré des liquidités, et il avait aussi droit à une commission calculée en fonction des frais de licence reçus pendant la période de validité de l’entente de consultation. Il pouvait également toucher des redevances sur l’octroi d’une licence perpétuelle visant son site Web. Toutefois, les redevances étaient exigibles même une fois que l’entente prenait fin et n’étaient donc pas liées aux services rendus.

 

[16]    D’après moi, les possibilités qu’avait M. Mackin de participer au succès de l’entreprise ne sont pas importantes. Les mesures incitatives forment en général un élément crucial de la rémunération versée aux cadres supérieurs et ne sont pas incompatibles avec une relation employeur-employé.

 

[17]    Quant au risque de perte, l’entente de consultation comporte deux dispositions pertinentes :

 

[TRADUCTION]

4.3       Le propriétaire n’est pas tenu de verser quoi que ce soit pour des services rendus ou des dépenses engagées par le consultant afin de corriger des erreurs ou des omissions pour lesquelles, de l’avis raisonnable du propriétaire, le consultant est responsable.

 

4.4       Si le consultant omet de se conformer aux lois en vigueur et que le propriétaire prend des mesures ou verse des sommes quelconques pour corriger la non‑conformité, il peut déduire le coût de la rectification des sommes qu’il doit alors ou qu’il devra ultérieurement verser au consultant.

 

[18]    Ces clauses n’ont été mentionnées par ni l’une ni l’autre partie à l’audience et leur portée n’est pas claire. Les droits qu’elles confèrent à World Internet peuvent être un peu plus vastes que ceux dont jouit un employeur en vertu de l’obligation implicite de l’employé en common law[2], mais il aurait été raisonnable que World Internet souhaite ce genre de protection, puisque l’actionnaire ne possédait aucune expertise dans le domaine de la diffusion. Le droit de poursuite de World Internet semble être limité aux frais ou honoraires en souffrance, ce qui est sans doute même plus restrictif que même les recours qui peuvent être exercés en common law contre un employé. Aucun élément de preuve ne montre que World Internet a cherché à se prévaloir de ces clauses, malgré ce que M. Kennedy a décrit comme des manquements graves de M. Mackin. À mon avis, le facteur fondé sur le risque de perte est neutre : les dispositions sur lesquelles les parties se sont entendues sont compatibles aussi bien avec le statut d’un entrepreneur indépendant qu’avec une  relation employeur-employé.

 

[19]    Quant à l’embauche d’assistants, rien n’indique que M. Mackin ait embauché qui que ce soit, de sorte que ce facteur n’aide pas la cause des appelantes.

 

[20]    Le dernier facteur touche la propriété des instruments de travail. Ce qui est pertinent en l’espèce, c’est le matériel de bureau, lequel était en général fourni par World Internet. Ce facteur n’entre donc pas en ligne de compte.

 

[21]    D’après la relation globale entre les parties, je conclus que M. Mackin était un employé de World Internet. Le facteur déterminant ici tient à la responsabilité qu’assumait M. Mackin à l’égard des activités de World Internet. Elle dénote fortement l’existence d’une relation employeur-employé. Les autres considérations sont neutres ou, à tout le moins, pas assez importantes pour annuler ce facteur.

 

 

Global Tree est-elle responsable des cotisations?

 

[22]    Le ministre s’appuie sur le paragraphe 10(1) du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations pour conclure que Global Tree est responsable d’une partie des cotisations à l’assurance-emploi. Voici ce que dit le paragraphe en question :

 

10.(1) Lorsque, dans un cas non prévu par le présent règlement, un assuré travaille

 

a) soit sous la direction générale ou la surveillance directe d'une personne qui n'est pas son véritable employeur, ou est payé par une telle personne, […]

 

cette personne est réputée, aux fins de la tenue des registres, du calcul de la rémunération assurable de l'assuré ainsi que du paiement, de la retenue et du versement des cotisations exigibles à cet égard aux termes de la Loi et du présent règlement, être l'employeur de l'assuré conjointement avec le véritable employeur.

(aucun souligné dans l’original)

 

[23]    De mai à août 2001, Global Tree a réglé directement les factures de World Internet. Global Tree se demandait si World Internet payait ses créanciers, car elle était l’objet d’une poursuite judiciaire. Par conséquent, c’est Global Tree qui, durant cette période, a versé elle-même les honoraires de M. Mackin; elle les a comptabilisés comme des avances.

 

[24]    Le vaste champ d’application du paragraphe 10(1) a été analysé récemment par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada c. Insurance Corp. of British Columbia[3], où le juge Strayer s’est exprimé comme suit :

 

[8]        […] La proposition est assez simple et son but est clair : les cotisations doivent être retenues à la source lorsque le traitement ou le salaire est calculé et administré et lorsque les paies ou les chèques sont émis. Le terme « payé » doit être interprété dans son contexte et il n'est pas nécessaire d'examiner les sources techniques dans le but de lui attribuer un sens qui irait à l'encontre du but clairement recherché par l'article.

 

[25]    Le paragraphe 10(1) a été appliqué dans des situations semblables à celles qui nous occupe ici, c'est-à-dire lorsqu’une société a pris en charge la liste de paye d’un employeur qui éprouvait des difficultés financières : Gateway Building and Supply Ltd. v. M.N.R.[4]. Global Tree a assumé la responsabilité des affaires bancaires de World Internet parce qu’elle s’inquiétait du risque que les créanciers de World Internet ne soient pas payés à cause d’une poursuite judiciaire dont elle était l’objet. Vu ces circonstances, Global Tree est un employeur réputé aux fins du paragraphe 10(1) du Règlement.

 

Conclusion

 

[26]    Dans sa demande de prestations d’assurance-emploi, M. Mackin a adopté une position contraire à l’entente qu’il avait signée. Bien qu’il soit dommage qu’une personne puisse exploiter le système de cette manière, c’est la loi qui le veut ainsi. S’il était raisonnable de conclure que M. Mackin était un entrepreneur indépendant, je serais enclin à accepter la thèse des appelantes. L’arrêt Wolf c. Canada[5] confirme que l’intention exprimée par les parties doit être prise en considération, à moins qu’elle ne soit pas fondée en droit. Dans le présent appel, l’intention exprimée ne peut être considérée fondée.

 

[27]    L’appel est rejeté.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de décembre 2003.

 

« J.M. Woods »

Juge Woods

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de décembre 2004.

 

Jacques Deschênes, traducteur

 



[1]           [2001] 2 R.C.S. 983.

[2]           Voir Stacey Reginald Ball, Canadian Employment Law, aux pp. 22-55.

[3]           [2002] A.C.F. no 380 (C.A.F.).

[4]           [1991] A.C.I. no 521.

 

[5]           [2002] 3 C.T.C. 3 (C.A.F.).

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