Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossier : 2002‑2734(EI)

ENTRE :

CLIFFORD DEVOE,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

SPARKLING WATERS BOAT TOURS & RENTALS LTD.,

intervenante.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

______________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Clifford Devoe (2002‑470(EI)) et de Sandra Piercey (2002‑468(EI)) le 11 août 2003 et jugement rendu oralement à Corner Brook (Terre‑Neuve‑et‑Labrador)

 

Devant : L’honorable juge Diane Campbell

 

Comparutions

 

Avocat de l’appelant :

MNicholas Summers

Avocat de l’intimé :

MJames Murphy

Avocat de l’intervenante :

MNicholas Summers

_______________________________________________________________

 

 

JUGEMENT

 

          L’appel est accueilli et la décision du ministre est annulée.


 

Signé à Ottawa, Canada, ce 15jour de septembre 2003.

 

 

« Diane Campbell »

        Juge Campbell

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 27jour de janvier 2004.

 

 

 

 

Crystal Lefebvre, traductrice


 

 

 

Dossier : 2002‑470(EI)

ENTRE :

CLIFFORD DEVOE,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

______________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Clifford Devoe (2002‑2734(EI)) et de Sandra Piercey (2002‑468(EI)) le 11 août 2003 et jugement rendu oralement le 13 août 2003 à Corner Brook (Terre‑Neuve)

 

Devant : L’honorable juge Diane Campbell

 

Comparutions

 

Avocat de l’appelant :

MNicholas Summers

Avocat de l’intimé :

MJames Murphy

 

 

_______________________________________________________________

 

 

JUGEMENT

 

          L’appel est accueilli et la décision du ministre est annulée.


 

Signé à Ottawa, Canada, ce 15jour de septembre 2003.

 

 

« Diane Campbell »

        Juge Campbell

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 31jour de mars 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur


 

 

 

Dossier : 2002‑468(EI)

ENTRE :

SANDRA PIERCEY,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

______________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Clifford Devoe (2002‑470(EI)) et (2002-2734(EI)) le 11 août 2003 et jugement rendu oralement le 13 août 2003 à Corner Brook (Terre‑Neuve)

 

Devant : L’honorable juge Diane Campbell

 

Comparutions

 

Avocat de l’appelante :

MNicholas Summers

Avocat de l’intimé :

MJames Murphy

 

 

_______________________________________________________________

 

 

JUGEMENT

 

          L’appel est accueilli et la décision du ministre est annulée.


 

Signé à Ottawa, Canada, ce 15jour de septembre 2003.

 

 

« Diane Campbell »

        Juge Campbell

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 31jour de mars 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur


 

 

Référence : 2003CCI723

Date : 20031028

Dossiers : 2002‑2734(EI)

2002‑468(EI)

2002‑470(EI)

ENTRE :

CLIFFORD DEVOE,

SANDRA PIERCEY

appelants,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

(Révisés à partir de la transcription des motifs du jugement rendus oralement à l’audience le 13 août 2003 à Corner Brook (Terre‑Neuve‑et‑Labrador).)

 

 

La juge Campbell

 

[1]     Les trois appels en l’instance ont été entendus ensemble sur preuve commune. Les appelants, Sandra Piercey et Clifford Devoe, étaient les seuls témoins appelés ainsi qu’un témoignage présenté par voie de conférence téléphonique quant à l’avocat des appelants, MJohn Bruce.

 

[2]     Selon le témoignage de Sandra Piercey, cette dernière et Clifford Devoe sont devenus des conjoints de fait à la fin de 1994 ou au début de 1995. Ils ont eu un enfant en 1996. En juillet 1995, ils ont acquis un bien‑fonds du père de Clifford Devoe. En 1995, ils ont grevé ce bien‑fonds d’une hypothèque auprès de Codroy Valley Credit Union. Sandra Piercey a déclaré qu’elle avait mis fin à la relation et qu’elle avait quitté le bien‑fonds en 1997. L’appelante et son enfant ont vécu avec les parents de celle‑ci de celle‑ci alors que M. Devoe résidait toujours sur ce bien‑fonds acquis en 1995.


 

[3]     En 1999, Sandra Piercey était étudiante et, dans le cadre de son programme, elle a élaboré un plan d’affaires concernant des croisières et la location de bateaux. Elle a décidé de réaliser ce plan d’affaires et elle a envoyé un projet d’entreprise à Clifford Devoe. M. Devoe a quitté Terre‑Neuve depuis un certain nombre d’années pour travailler à temps partiel et sur une base saisonnière en Nouvelle‑Écosse. Il y gagnait 12 $ l’heure et y travaillait de longues semaines de travail dans le domaine de la construction. En contrepartie de la permission d’exploiter son entreprise à partir du bien‑fonds qui était toujours aux noms des deux appelants, elle lui a offert un emploi au sein de sa nouvelle entreprise projetée. M. Devoe a témoigné que, dans la mesure où il recevait des salaires comparables, il préférait demeurer à Terre‑Neuve pour travailler.

 

[4]     À la date à laquelle ils ont conclu l’entente, les appelants étaient encore séparés. Ils n’ont repris la cohabitation qu’au mois de novembre 2000. La preuve indique que les parties n’ont pas cohabité et qu’elles ont retenu des résidences séparées durant la première saison d’exploitation, soit environ du mois de mai ou juin jusqu’au mois d’octobre 2000. Selon le témoignage de Mme Piercey, M. Devoe a été embauché pour s’occuper des croisières, pour aider relativement à la location de petits bateaux et pour construire des quais, des chaussées de roche et un terrain de jeux. Puisque M. Devoe a passé toute sa vie près de l’eau, il connaissait la rivière, les hauts‑fonds sableux et les points de repère. De plus, il possédait une licence de guide pour la pêche au saumon et il a, à la demande de Mme Piercey, suivi des cours de secourisme et de kayak. Elle a conclu une entente orale avec M. Devoe selon laquelle elle l’embaucherait en 2000 à un salaire de 10 $ l’heure pour une semaine de travail de 70 heures.

 

[5]     En février 2000, Mme Piercey a sollicité un prêt à l’entreprise de 30 000 $ auprès de Gateway Development Association. Elle a obtenu le prêt en son nom personnel sans cosignataire ni garant. Elle a témoigné qu’elle avait pris toutes les décisions en 2000 et que M. Devoe n’y avait pas participé. Elle était également propriétaire de tous les actifs et elle a emprunté des outils de son père pour construire la chaussée de roche, les quais et le terrain de jeux. Elle a déclaré que M. Devoe a peut‑être utilisé son propre marteau.

 

[6]     Les appelants ont ranimé leur relation après que l’entreprise a, au mois d’octobre, cessé ses activités pour la saison 2000. Au début de 2001, ils ont décidé de constituer en société l’entreprise auparavant exploitée comme entreprise à propriétaire unique sous le nom de Mme Piercey. La principale préoccupation motivant la constitution de l’entreprise en société était de limiter la responsabilité liée aux activités. Ce point a été confirmé par le témoignage de MBruce, l’avocat des appelants, qui a constitué l’entreprise en société.

 

[7]     Le témoignage de Sandra Piercey a confirmé que la capacité d’obtenir des prestations d’assurance‑emploi constituait également un facteur. Les actionnaires de la société étaient Sandra Piercey avec 34 p. 100 des actions, Clifford Devoe avec 33 p. 100 des actions et Vincent, le frère de Clifford, avec 33 p. 100 des actions. Le bien‑fonds adjacent à celui des appelants appartenait à Vincent. On a construit le terrain de jeux sur le bien‑fonds de Vincent. Ce dernier vivait en Nouvelle‑Écosse et travaillait pour les forces armées. Il était sur le point de prendre sa retraite et voulait se lancer dans cette entreprise lorsqu’il retournerait à Terre‑Neuve. Ils tenaient régulièrement des assemblées générales d’actionnaires et si Vincent n’y participait pas en personne, il y participait par téléphone.

 

[8]     L’appel de Sandra Piercey vise la période du 14 mai 2001 au 31 août 2001. La seule question en litige dans son appel consiste à savoir si elle était employée par Sparkling Waters Boat Tours and Rentals Limited selon un contrat de louage de services. Le ministre a refusé de lui accorder des prestations d’assurance‑emploi pour cette période au motif qu’elle n’était pas ainsi employée par la société. L’intimé soutient que la société n’existait pas à titre d’une entité distincte et que, puisque la société et Sandra Piercey étaient une seule et même entité, elle était essentiellement employée par elle‑même. En refusant la demande de 2001 de prestation d’assurance‑emploi de Mme Piercey, le ministre s’est fondé sur les hypothèses que j’ai résumées comme suit :

 

–        avant que l’entreprise ne soit constituée en société, Sparkling Waters était exploitée par Mme Piercey à titre d’entreprise à propriétaire unique, [Traduction] « davantage du caractère d’une société de personnes formée de celle‑ci et de Clifford Devoe »;

 

–        en 2001, Mme Piercey exploitait toujours l’entreprise à titre d’une société de personnes formée de celle‑ci et de Clifford Devoe;

 

–        Sparkling Waters n’a compensé ni Mme Piercey ni les autres propriétaires fonciers pour l’utilisation commerciale du bien‑fonds;

 

–        Sparkling Waters a utilisé, dans le cadre de son entreprise, les bateaux et les autres actifs dont Mme Piercey était la propriétaire;

 

–        Sparkling Waters ne possédait pas son propre compte bancaire et utilisait, au lieu, le compte de l’entreprise à propriétaire unique sous le nom de Mme Piercey;

 

–        Mme Piercey a rempli les mêmes fonctions administratives et les mêmes fonctions liées au service à la clientèle pour Sparkling Waters avant et après sa constitution en société;

 

–        par conséquent, il n’existe pas de contrat de louage de services entre Mme Piercey et Sparkling Waters.

 

[9]     L’entreprise a été constituée en société en 2001 et tant Mme Piercey que M. Devoe sont devenus des actionnaires. La protection contre la responsabilité personnelle constituait le principal élément moteur de la constitution en société. Cela a été confirmé par le témoignage de Mme Piercey et de MJohn Bruce, avocat, qui a effectué la constitution. MBruce a fait part de sa préoccupation à savoir que la société obtienne une assurance suffisante et érige une signalisation convenable sur le bien‑fonds. Mme Piercey a témoigné également qu’une des raisons motivant la constitution en société était de permettre aux parties de recevoir des prestations. Il n’y a rien d’anormal à ce que des personnes règlent leurs affaires pour faire valoir les avantages de pareils paiements. En l’espèce, la preuve n’indique rien d’illégal ou d’anormal dans la procédure utilisée par les appelants.

 

[10]    Les témoignages de MBruce et de l’appelante, Sandra Piercey, établissent clairement que Mme Piercey avait l’intention de transférer les actifs de l’entreprise à propriétaire unique, qu’elle a exploitée, à la société, conformément à l’article 85 de la Loi de l’impôt sur le revenu. MBruce a confirmé qu’il avait avisé les appelants à ce sujet et qu’il avait préparé un bail et un acte de vente. Il a fourni ces derniers aux appelants avec des directives selon lesquelles ils devaient dresser une liste des actifs accompagnés de leurs valeurs et communiquer avec un comptable à ce sujet. Ni MBruce ni les autres ne pouvaient trouver les originaux des documents. L’acte de vente (page 34 de la pièce A‑1) a été signé par Mme Piercey et daté du 14 mai 2001, mais ne porte pas la signature d’un témoin. Il ressort de la preuve qu’elle a inclus le montant de 300 $ comme contrepartie payée à Sandra Piercey par la société pour les actifs, bien que cette somme ne représente pas la valeur réelle des actifs que j’estime être près d’une valeur de 25 000 $. Il ressort clairement du témoignage de Mme Piercey qu’elle n’a pas bien saisi la nature des documents. Elle avait une idée générale de ce que MBruce voulait accomplir, mais elle n’est pas avocate et n’a pas suivi de formation juridique et, par conséquent, elle n’a pas réellement saisi la nature des documents qu’elle a signés. Elle a témoigné qu’elle voulait transférer les actifs de l’entreprise à la société. La question de savoir si cela a été fait légalement n’est pas pertinente par rapport à la question dont je suis saisi. J’estime qu’il suffit que la preuve appuie le fait qu’elle a pleinement eu l’intention de transférer les actifs et qu’elle a signé l’acte de vente afin de réaliser cette dernière. Aucune liste d’actifs n’était jointe à l’acte de vente, mais elle a confirmé qu’elle en avait dressé une et qu’elle l’avait donnée au comptable conformément aux directives de MBruce. Elle croyait avoir transféré les actifs à la société et qu’en 2001, la société était la propriétaire des actifs et des outils de l’entreprise. Il n’y a eu aucune preuve contraire, et j’accepte que la société était la propriétaire éventuelle des outils nécessaires à l’exploitation de l’entreprise, dont les bateaux et le matériel. Je ne tire aucune inférence défavorable à l’égard de l’appelante sauf pour dire que son avocat aurait dû agir de façon plus diligente dans le suivi des documents jusqu'à ce qu’ils soient remplis correctement.

 

[11]    En ce qui concerne la question de contrôle, selon le témoignage de Mme Piercey, ils ont tenu des assemblées d’actionnaires régulières. Les procès‑verbaux de ces dernières ont été enregistrés (pièce R‑2) et lorsque Vincent Devoe ne pouvait pas y assister, il y participait par téléphone. Lors de ces assemblées, ils ont pris des décisions portant sur la façon d’effectuer les activités commerciales de l’entreprise. Mme Piercey n’avait plus le contrôle qu’elle exerçait auparavant en 2000 lorsqu’elle exploitait l’entreprise comme une entreprise à propriétaire unique. Bien que le compte bancaire ait toujours été à son nom, elle a expliqué qu’elle tentait d’éviter de payer les frais bancaires pour changer le nom sur le compte pour celui de la société. Toutefois, elle a témoigné que la banque était parfaitement au courant que l’entreprise était maintenant exploitée par une société. En ce qui concerne les deux derniers facteurs, les chances de profit et les risques de perte, il y existe un risque de perte et une chance de profit pour les actionnaires de la société, mais non pour les employés de la société. Les employés et les actionnaires d’une société jouent des rôles distincts. Un employé qui est également un actionnaire n’est pas automatiquement exclu de recevoir des prestations. Les actionnaires se sont réunis et ont pris des décisions qui touchent les fonctions des employés. L’avocat de l’appelant a cité le facteur d’intégration, mais je le renvoie à l’affaire de la Cour fédérale, et je crois que cela est la bonne prononciation, Mirchandani c. Canada [2001] A.C.F. n269 par laquelle j’estime que, lorsqu’il s’agit de trancher de telles questions, ce facteur a été relégué à un rôle plus mineur, voire insignifiant.

 

[12]    Bien qu’en 2000 l’entreprise ait été exploitée comme entreprise à propriétaire unique, il ressort clairement de la preuve que la société constituée au début de 2001 était et demeure une entreprise commerciale viable. Après sa constitution en société, cette dernière est devenue une entité distincte de Mme Piercey, et il est évident qu’elle avait l’intention que l’entreprise soit exploitée de cette manière. Rien, dans la preuve, n’indique qu’elle continuait d’exploiter l’entreprise comme une entreprise à propriétaire unique. C’était maintenant la société qui possédait les actifs, les chances de profit, les risques de perte et le contrôle sur les activités commerciales. L’entreprise n’en était plus une à propriétaire unique sous la seule gestion de Mme Piercey. Simplement, je n’accepte pas que cette société ait été, de quelque manière, mise sur pied à titre d’une société fictive. Il n’y existe aucune preuve à l’appui que la société fait partie d’une certaine manœuvre frauduleuse visant à obtenir des prestations d’assurance‑emploi. Bien que M. Vincent n’ait pas participé aux activités quotidiennes, il participait régulièrement aux assemblées d’actionnaires où ils prenaient systématiquement des décisions. Cela faisait partie de son projet de retraite éventuel. L’entreprise continue à ce jour et, en fait, elle est en croissance. Un bureau, un terrain de golf miniature et un garage ont été ajoutés, et des projets existent en vue de continuer d’accroître les activités. Bien que la preuve ne soit pas tout à fait claire, il semble que la société ne payait pas de loyer pour l’utilisation du bien‑fonds. Dans l’arrêt Canada c. Société d’exploitation des ressources de la Vallée Inc. et al. (C.A.F. nA‑98‑82, 4 janvier 1984 ((1984) 61 N.R. 131), la Cour fédérale a déclaré que le fait de se faire rémunérer pour travailler sur son propre bien‑fonds ne rendait pas nécessairement un emploi non assurable. Cette décision indique que ce qui est important, en matière de détermination d’assurabilité, est la création d’un lien de subordination entre l’employeur et l’employé et non l’endroit où les fonctions sont exercées. Ce facteur, à lui seul, n’est pas déterminant en ce qui concerne ce litige, surtout lorsqu’un lien de subordination a été établi tel qu’il l’a été en l’espèce.

 

[13]    Je conclus par conséquent que, puisqu’il existait un contrat de louage de services entre l’appelante, Sandra Piercey et la société payeuse, Sandra Piercey a été embauchée par Sparkling Waters Boat Tours and Rentals Limited pour la période du 14 mai 2001 jusqu’au 31 août 2001 et qu’elle exerçait un emploi assurable au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi. Son appel est donc accueilli.

 

[14]    J’aborde maintenant les deux appels de Clifford Devoe. Le premier appel vise la période du 6 juillet au 6 octobre 2000 et le deuxième du 23 juillet au 26 octobre 2001. Le ministre a fait valoir qu’il n’existait pas de contrat de louage de services entre M. Devoe et Sandra Piercey puisqu’ils exploitaient alors l’entreprise dans le cadre d’un contrat de société. En ce qui concerne l’appel de 2001, le ministre a fait valoir qu’il n’existait pas de contrat de louage de services entre M. Devoe et la société puisqu’ils n’ont fait que proroger le contrat de société. En outre, le ministre a refusé la demande qui fait l’objet de cet appel en particulier pour le motif que l’emploi exercé par M. Devoe constituait un emploi exclu puisqu’il avait un lien de dépendance avec la société au sens de l’alinéa 5(2)i) de la Loi.

 

[15]    En refusant la demande de prestations d’assurance‑emploi de M. Devoe pour 2000, le ministre s’est fondé sur les hypothèses suivantes que je résumerai :

 

–        M. Devoe était rémunéré principalement pour améliorer les biens‑fonds dont lui‑même, Mme Piercey et Vincent étaient les propriétaires;

 

‑        le revenu généré par l’entreprise ne suffisait pas à couvrir les frais de son salaire;

 

‑        M. Devoe n’était pas dédommagé pour l’utilisation commerciale du bien‑fonds;

 

‑        on ne s’attendait pas à ce que M. Devoe travaille des heures prédéterminées;

 

‑        la relation de travail entre M. Devoe et Mme Piercey avait le caractère d’une relation d’associés.

 

[16]    La question entourant l’appel de M. Devoe pour 2000 consiste à savoir s’il était un associé ou un employé de l’entreprise. Si M. Devoe était un associé de Sparkling Waters avant sa constitution en société, il va de soi que son appel à l’égard des prestations d’assurance‑emploi pour l’année 2000 doit être rejeté. Devant ces faits, il est évident que c’est Mme Piercey seule qui a formulé l’idée des croisières et de la location de bateaux, qui a élaboré le projet d’entreprise, qui a obtenu le financement nécessaire, qui a acheté les actifs et le matériel et qui s’est occupée des activités commerciales pour la saison 2000. M. Devoe ne participait ni aux profits ni aux pertes et il n’était propriétaire d’aucun actif ou matériel utilisé par l’entreprise. Il n’a repris sa relation avec Mme Piercey qu’au mois de novembre 2000, soit un mois après que l’entreprise a cessé toutes ses activités commerciales pour la saison. En outre, c’était Mme Piercey qui a obtenu le financement nécessaire par l’intermédiaire d’une subvention de développement. M. Devoe n’établissait pas ses propres heures de travail puisque, comme son témoignage l’indiquait, Mme Piercey lui demandait parfois de partir à une certaine heure et d’y revenir plusieurs heures par la suite pour y travailler tard dans la soirée. Mme Piercey lui donnait ses directives, non seulement concernant ces heures, mais également en ce qui concerne les tâches à accomplir. Rien dans la conduite des parties ne pouvait donner à croire que M. Devoe et Mme Piercey étaient associés dans cette entreprise. Il est évident que, en 2000, l’entreprise était celle de Mme Piercey. Bien que M. Devoe ait eu une licence de guide pour la pêche au saumon et qu’il connaisse les eaux, ce qui constituaient des atouts précieux pour un tel employé, aucune licence n’était nécessaire pour ces croisières. Cependant, Mme Piercey a témoigné qu’elle était capable de faire les croisières elle‑même et, qu’en fait, elle l’avait fait dans la saison 2001.

 

[17]    Il est vrai que, le 28 septembre 2000, Mme Piercey et M. Devoe ont contracté un prêt hypothécaire de deuxième rang sur le bien‑fonds et ont utilisé une partie de celui‑ci pour acquitter le prêt de Sparkling Waters. La date de ce prêt hypothécaire est importante. Il a été obtenu seulement quelques jours avant la fin de l’emploi de M. Devoe pour la saison 2000. Par conséquent, j’accorde moins d’importance à ce facteur que si le prêt hypothécaire avait été obtenu au début de la saison 2000.

 

[18]    Rien dans la preuve n’indique que le taux de salaire de 10 $ l’heure offert à M. Devoe par Mme Piercey serait disproportionné pour une personne embauchée pour accomplir les travaux et pour s’occuper des croisières, tel que l’on s’y attendait de la part de M. Devoe. Le fait que le revenu d’entreprise ne suffisait pas à couvrir le salaire payé à M. Devoe ne constitue pas un facteur qui indique clairement qu’il s’agit soit d’un contrat de société, soit d’une relation employeur‑employée. Cela était la première année d’exploitation d’une nouvelle entreprise. Bon nombre d’entreprises exploitent à perte lors des années de démarrage. À ce jour, l’entreprise s’accroît toujours et augmente ses actifs. Il est vrai  que l’appelant ne se faisait pas payer pour l’utilisation de son bien‑fonds, bien que le fait de se faire offrir un emploi qui lui permettrait de rester à Terre‑Neuve plutôt que de retourner en Nouvelle‑Écosse puisse être envisagé comme une rémunération partielle. J’ai déjà fait mention de l’arrêt Canada c. Société d’exploitation  des ressources de la Vallée Inc. et al., par lequel la Cour fédérale avait déclaré que le fait de se faire payer pour travailler sur son propre bien‑fonds ne rendait pas nécessairement un emploi non assurable. Cet arrêt s’applique directement en l’espèce. La preuve a établi clairement un lien de subordination entre M. Devoe et Mme Piercey. M. Devoe était clairement un employé de l’entreprise à propriétaire unique exploitée par Mme Piercey dans l’année 2000. Ils ont conclu un contrat de location, mais ce dernier n’a pas été bien appliqué. Bien que l’intention de payer 50 $ par mois à titre de loyer pour l’utilisation du bien‑fonds ait été présente, le fait qu’aucun loyer n’a été payé ne peut pas modifier la relation employeur‑employée que les faits ont établie.

 

[19]    J’aborde en dernier lieu l’hypothèse visant les fonctions de M. Devoe liées à son travail, qui, selon le ministre [Traduction] « [...] consistaient principalement à améliorer le bien‑fonds dont lui‑même, la payeuse et Vincent Devoe étaient les propriétaires ». Les faits ont établi que cela n’est exact qu’en partie. Les tâches que M. Devoe a accomplies n’ont apporté qu’une amélioration possible à ce bien‑fonds, à savoir la construction d’une chaussée de roche sur la bordure du bien‑fonds mais qui était en réalité sur la terre de la Couronne. Elle pouvait améliorer leur bien‑fonds en prévenant l’érosion du sol. Toutes les autres améliorations, notamment les quais et le terrain de jeu, étaient enlevées et rangées à la fin de chaque saison.

 

[20]    Fondé sur ma conclusion selon laquelle il était un employé uniquement de l’entreprise à propriétaire unique exploitée par Mme Piercey, j’accueille donc l’appel de M. Devoe à l’égard de cette période d’emploi pendant l’année 2000.

 

[21]    En refusant la demande de prestations d’assurance‑emploi de M. Devoe pour 2001, le ministre s’est fondé sur les hypothèses suivantes que, encore une fois, je résumerai :

 

‑        Sparkling Waters n’a dédommagé aucun des propriétaires fonciers pour l’utilisation commerciale de son bien‑fonds;

 

‑        on peut déduire, malgré le fait que M. Devoe ne figurait pas sur la feuille de paye de l’entreprise avant le 23 juillet 2001, qu’il était le seul guide touristique de l’entreprise pendant toute la saison et que Mme Piercey n’était pas une guide qui détenait elle‑même une licence;

 

‑        on ne s’attendait pas à ce que M. Devoe travaille des heures prédéterminées et on ne tenait aucun registre des heures qu’il avait travaillées;

 

‑        par conséquent, M. Devoe n’était pas un employé conformément au contrat de louage de services avec l’entreprise;

 

‑        M. Devoe était lié à l’entreprise et il avait un lien de dépendance;

 

‑        il n’était pas raisonnable de conclure, compte tenu des circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, que M. Devoe et l’entreprise auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[22]    Bien que M. Devoe soit un actionnaire de la société employeuse pendant la saison 2001 et qu’il a apporté des améliorations au bien‑fonds dont lui‑même et Mme Piercey étaient les propriétaires, ces faits à eux seuls n’en font pas automatiquement l’emploi de M. Devoe non assurable. J’ai déjà conclu que les fonctions de M. Devoe n’étaient pas principalement liées aux améliorations du bien‑fonds comme l’avait proposé le ministre. En outre, j’ai également conclu que l’entreprise n’était pas fictive mais bien une entreprise viable. Aucun des outils, des actifs ou d’équipements ou une partie de ceux‑ci n’appartenaient à M. Devoe. Comme je l’ai indiqué précédemment lorsque j’ai tranché l’appel de Mme Piercey, cette dernière en était la propriétaire et elle les a transférés à l’entreprise en 2001. Lors du contre‑interrogatoire portant sur l’utilisation de son propre camion pour déplacer les rames, les bateaux et les actifs de la société, M. Devoe a clairement indiqué, dans son témoignage, que son camion était personnalisé et qu’il ne l’utiliserait jamais pour déplacer ces objets. Bien qu’il n’ait pas commencé à travailler avant le 23 juillet 2001, ces activités étaient les mêmes que l’année antérieure. Mme Piercey a témoigné que M. Devoe n’avait pas été réembauché avant que l’entreprise ne soit suffisamment occupée pour le réembaucher et qu’elle avait fait les circuits touristiques jusqu’à ce qu’il soit réembauché. Ils ont tenu périodiquement les assemblées générales des actionnaires, et M. Devoe recevait ses directives de ces assemblées. Il n’effectuait pas de prélèvements. Il se faisait toujours payer son salaire régulier de 10 $ l’heure pour une semaine de travail de 70 heures. Bien qu’il travaillait parfois plus de 70 heures par semaine, il a témoigné qu’il y était habitué lors du travail saisonnier. Afin d’illustrer une pratique semblable dans d’autres emplois saisonniers qu’il avait par le passé, il a utilisé l’expression suivante « [...] il faut profiter du beau temps ».

 

[23]    Je conclus que M. Devoe était un employé pendant la période d’emploi de 2001 conformément au contrat de louage de services avec l’entreprise.

 

[24]    De façon subsidiaire, le ministre a fait valoir que M. Devoe avait un lien de dépendance avec l’entreprise. Selon la définition de « personnes liées » figurant à l’article 251 de la Loi de l’impôt sur le revenu, ayant repris encore une fois son union de fait avec Mme Piercey et qu’ensemble ils possédaient 67 p. 100 des actions d’entreprises, M. Devoe répond à la définition figurant à cet article. Le ministre a décidé que l’emploi de M. Devoe constituait un emploi exclu au sens de l’alinéa 5(2)i) de la Loi puisque M. Devoe et la société payeuse avaient un lien de dépendance. Il s’agit de savoir si la décision du ministre a été rendue conformément à la loi.

 

[25]    En ce qui concerne toutes ces décisions, il existe une norme de contrôle judiciaire que la Cour doit respecter. L’affaire Procureur général du Canada c. Jencan Ltd. [1998] 1 C.F. 187 est souvent citée comme établissant la norme de contrôle judiciaire qui lie la Cour. La Cour ne peut intervenir à l’égard de la décision du ministre que si le ministre a agi de mauvaise foi ou pour un motif irrégulier, s’il a omis de tenir compte de toutes les circonstances pertinentes ou s’il a tenu compte de facteurs non pertinents. L’affaire Tignish Auto Parts Inc. c. Canada (M.R.N.), [1994] A.C.F. no 1130 impose que, lors d’un appel portant sur une telle décision, la Cour doit faire une analyse qui comporte deux étapes. L’analyse est bien résumée au paragraphe 15 de l’affaire Bayside Drive‑In Ltd. c. M.R.N. [1997] A.C.F. n1019 où il est stipulé ceci :

 

À la première étape de l'analyse, l'examen effectué par la Cour de l'impôt doit se limiter à s'assurer que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon légale.  Si, et seulement si, le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon qui est contraire à la loi, la Cour de l'impôt pourra ensuite procéder à une analyse du bien‑fondé de la décision. Ce n'est qu'en limitant de cette façon la première étape de son analyse que la Cour de l'impôt fait preuve du degré de retenue judiciaire exigé quand elle est saisie d'un appel concernant une décision discrétionnaire.

 

Dans l’arrêt Ferme Émile Richard c. M.R.N. [1994] A.C.F. n1859, la Cour d’appel fédérale a déclaré au paragraphe 4 ce qui suit :

 

[...] La Cour, en d'autres termes, n'a pas à se demander si la décision du Ministre est la bonne; elle doit plutôt se demander si la décision du Ministre résulte d'un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire. 

 

Par conséquent, je dois vérifier si les faits retenus par le ministre pour rendre sa décision étaient réels et ont été appréciés et examinés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus. Toutefois, la Cour ne peut pas substituer son appréciation à celle du ministre, même si elle était arrivée à une différente conclusion.

 

[26]    L’hypothèse l) a été réfutée puisque la preuve appuie le fait qu’avant le 23 juillet, lorsque M. Devoe a été embauché, Mme Piercey exerçait les fonctions liées aux circuits touristiques. Selon la preuve présentée par l’appelant, qui n’a pas été réfutée, un guide n’était pas tenu de détenir une licence. L’hypothèse m) n’est pas entièrement exacte puisque Mme Piercey exerçait également les fonctions de guide touristique, au besoin, avant le 23 juillet. L’hypothèse h) a été réfutée puisque, selon la preuve présentée par Mme Piercey, elle menait les circuits touristiques avant que M. Devoe ne soit embauché et qu’en tout état de cause, elle n’était pas tenue de détenir une licence pour exercer ces fonctions. L’hypothèse o) a été réfutée. M. Devoe était, en fait, un guide détenant une licence, mais pour la pêche au saumon, ce qui n’avait rien à voir avec ses fonctions exercées pour cette entreprise. Rien dans la preuve n’indiquait qu’il avait mené des circuits touristiques pour l’entreprise avant le 23 juillet. L’hypothèse q) n’est exacte qu’en partie. M. Devoe devait travailler 70 heures par semaine, ce qui était prédéterminé avec le salaire de 10 $ l’heure. En outre, rien dans la preuve n’indiquait que le salaire de 10 $ l’heure constituait un montant déraisonnable.

 

[27]    Ces hypothèses étaient essentielles à la décision du ministre. Selon l’effet cumulatif de tous mes commentaires susmentionnés concernant les hypothèses, le ministre a commis une erreur à plusieurs endroits à la première étape de l’analyse en ce qu’il a tenu compte de facteurs non pertinents et qu’il a omis de tenir compte de certains facteurs pertinents. L’appelant s’est acquitté du fardeau requis à cette étape. La deuxième étape de l’analyse comporte la question de savoir si l’appelant a établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de louage de services à peu près semblable si les parties n’avaient pas été liées. Je suis convaincu que l’emploi de l’appelant n’était pas fictif ou inventé. Le travail accompli par M. Devoe était essentiel à l’exploitation de la société. Rien dans la preuve n’indiquait que le taux horaire de 10 $ est déraisonnable. Le taux a été négocié lors de la saison 2000 et a continué dans la saison 2001. M. Devoe travaillait un minimum de 70 heures par semaine. J’accorde peu d’importance au fait qu’il a parfois travaillé plus de 70 heures puisqu’il a témoigné qu’il avait habituellement un emploi saisonnier et qu’il travaillait souvent des heures supplémentaires afin d’accomplir le travail pour d’autres employeurs. Les outils étaient fournis par son employeur. Les actionnaires lui donnaient ses directives par l’intermédiaire des assemblées générales pour lesquelles les comptes rendus sont conservés. Je suis convaincu qu’un contrat à peu près semblable de louage de services auraient été conclu avec une personne non liée ou sans lien de dépendance. Par conséquent, l’appel de M. Devoe visant la période de 2001 est accueilli. 


 

[28]    En résumé, tous les trois appels sont accueillis et les décisions rendues par le ministre sont modifiées compte tenu du fait que les appelants exerçaient un emploi assurable pour les périodes en litige.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 28jour d’octobre 2003.

 

 

 

 

« Diane Campbell »

Juge Campbell

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 26jour de janvier 2004.

 

 

 

 

Crystal Lefebvre, traductrice

 


 

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