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Dossier : 2004-2960(IT) G

ENTRE :

ROSS WINSOR,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 1er novembre 2007,

à St. John's (Terre-Neuve-et-Labrador)

 

Devant : L’honorable juge Wyman W. Webb

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

MRonald A. Cole

Avocat de l’intimée :

Me Cecil S. Woon

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2000 est rejeté avec dépens.

 

      


Signé à Vancouver (Colombie‑Britannique), ce 21e jour de novembre 2007.

 

 

« Wyman W. Webb »

Juge Webb

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de décembre 2007.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice


 

 

 

 

Référence : 2007CCI692

Date : 20071121

Dossier : 2004-2960(IT)G

ENTRE :

ROSS WINSOR,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Webb

 

[1]     La question en litige dans la présente affaire est de savoir si la moitié du montant que l’appelant a reçu du gouvernement fédéral en 2000 pour le rachat de ses permis de pêche devrait être incluse dans son revenu, soit en application de l’article 14 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») en tant que revenu tiré de son entreprise, soit en application de l’article 38 de la Loi en tant que gain en capital imposable.

 

[2]     L’appelant demeure à Embree (Terre‑Neuve‑et‑Labrador) et a commencé à pêcher il y a plus de 30 ans lorsqu’il a fait l’acquisition de son premier permis de pêche au homard. L’industrie de la pêche de la côte est de plus en plus contrôlée en raison de l’affaissement des stocks de poissons. À une certaine époque, les pêcheurs n’avaient pas besoin d’un permis pour pêcher, mais ce n’est certainement plus le cas aujourd’hui. À l’heure actuelle, le gouvernement fédéral contrôle de nombreux aspects de l’industrie de la pêche. Il limite entre autres le nombre de permis, les types de bateaux et d’engins de pêche qui peuvent être utilisés, les espèces de poissons qui peuvent être pêchées et les périodes où la pêche est permise.

 

[3]     En 1998, le gouvernement fédéral a décidé qu’il était nécessaire de réduire le nombre de personnes qui exploitaient une entreprise de pêche de poissons de fond et a instauré un programme volontaire (le Programme de retrait de permis de pêche du poisson de fond de l'Atlantique (l’« PRPPFA »)) dans le cadre duquel le gouvernement fédéral demandait aux personnes titulaires de permis de présenter des offres au gouvernement fédéral pour la vente de leurs permis à ce dernier. Le gouvernement fédéral examinait les offres et les évaluait dans le but de réduire la plus grande quantité de poisson débarquée au coût le plus bas. Différents cycles d’appels d’offres ont eu lieu pour la présentation d’offres. Aucun élément de preuve n’a été présenté concernant le nombre de personnes qui ont vendu leurs permis au gouvernement fédéral dans le cadre de ce programme, mais dans la circulaire d’information pour le huitième appel d’offres, il est mentionné ce qui suit :

 

[traduction]

 

Le septième appel d’offres du PRPPFA s’est terminé le 2 juin 2000. Au total, 627 offres ont été présentées par les détenteurs de permis de pêche de poisson de fond dans la région de Terre‑Neuve‑et‑Labrador dans le cadre du septième appel d’offres. Parmi les offres présentées, 101 offres évaluées à 10,7 millions de dollars ont été acceptées par le ministère des Pêches et des Océans.

 

[4]     En 2000, l’appelant a présenté une offre pour ses permis dans le cadre du huitième appel d’offres du PRPPFA. Son offre a été approuvée et, en fonction de celle‑ci, il a reçu du ministère des Pêches et des Océans (le « MPO ») une offre datée du 27 octobre 2000 pour le rachat de ses permis. L’offre comportait deux aspects – le premier était l’achat de tous les permis dont l’appelant était titulaire et le deuxième était que l’appelant accepte de cesser définitivement de pratiquer la pêche commerciale. L’appelant a accepté.

 

[5]     Le montant total qui a été payé à l’appelant s’élève à 120 000 $. L’appelant et l’intimée ont convenu que ce montant devrait être divisé également entre le montant payé pour les permis et le montant payé à l’appelant pour qu’il accepte de cesser définitivement de pratiquer la pêche commerciale. Le présent appel vise le montant de 60 000 $ qui a été payé pour les permis.

 

[6]     Un montant de 30 000 $ (soit la moitié du montant qui a été payé pour les permis) a été inclus dans le revenu de l’appelant en application du paragraphe 14(1) de la Loi, étant donné qu’en l’espèce, aucun montant n’avait été déterminé pour les éléments A à D dans la définition de l’expression « montant cumulatif des immobilisations admissibles » qui figure au paragraphe 14(5) de la Loi. Un montant ne serait inclus en application du paragraphe 14(1) de la Loi que s’il y a un « excédent » déterminé en application du paragraphe 14(1) de la Loi.

 

[7]     Pour établir s’il y avait un « excédent » aux fins du paragraphe 14(1) de la Loi pour l’année 2000, il est nécessaire de déterminer le montant qui aurait été calculé en 2000 pour l’élément E dans la définition de l’expression « montant cumulatif des immobilisations admissibles » qui figure au paragraphe 14(5) de la Loi. La règle à suivre pour déterminer ce montant (avant les récentes modifications apportées à la description de l’élément E dans la définition de l’expression « montant cumulatif des immobilisations admissibles ») est communément appelée la «règle de l’image inversée ». Cette description de l’élément E dans la définition de l’expression « montant cumulatif des immobilisations admissibles » pour l’année en cause était formulée en ces termes :

 

E    le total des sommes dont chacune représente les 3/4 de l'excédent éventuel du montant visé à l'alinéa a) sur le total visé à l'alinéa b) :

 

a)      le montant que, par suite d'une disposition effectuée après le moment du rajustement applicable au contribuable et avant le moment donné, le contribuable est devenu ou peut devenir en droit de recevoir, au titre de l'entreprise qu'il exploite ou qu'il a exploitée, si la contrepartie qu'il en donne est telle que, s'il avait fait, pour cette contrepartie, un paiement après 1971, ce paiement aurait été pour lui une dépense en capital admissible au titre de l'entreprise;

 

b)      le total des dépenses engagées ou effectuées par le contribuable en vue de donner cette contrepartie et qui ne sont pas déductibles par ailleurs dans le calcul de son revenue; […]

 

[8]     Aucun élément de preuve n’a été présenté au sujet des dépenses engagées par le contribuable concernant la vente des permis de pêche au gouvernement fédéral.

 

[9]     Les montants que l’appelant a reçus pour ses permis concernaient les permis qu’il détenait pour la pêche au poisson de fond, au homard et pour d’autres permis. Le gouvernement fédéral, dans le cadre du PRPPFA, exigeait que l’appelant (et tous les autres soumissionnaires approuvés) permette au gouvernement de racheter tous les permis dont il était titulaire, pas seulement son permis de pêche au poison de fond. Même s’il est évident que le programme avait pour but de réduire la quantité de poissons de fond pêchée (et que les permis de pêche au poisson de fond étaient donc retirés de façon permanente et qu’ils n’étaient pas redélivrés), je ne sais pas avec certitude si les autres permis étaient délivrés à d’autres personnes par la suite. Il est toutefois clair que le gouvernement fédéral n’achetait pas les permis pour pouvoir exploiter une entreprise de pêche.

 

[10]    Dans l’arrêt La Reine c. Toronto Refiners and Smelters Limited, 2002 CAF 476, 2003 DTC 5002, [2003] 1 C.T.C. 365, la Cour d’appel fédérale a eu affaire à l’application de l’article 14 de la Loi dans une situation où la Ville de Toronto faisait l’acquisition de l’achalandage d’une entreprise dans des circonstances où elle n’exploitait pas l’entreprise à laquelle l’achalandage était lié. La juge Sharlow a formulé les commentaires suivants au nom de la Cour d’appel fédérale :

 

Question 4 – la règle de l’image inversée : Si Toronto Refiners avait payé 9 millions de dollars pour la même contrepartie donnée par elle à la Ville de Toronto, ce paiement aurait-il été une dépense d’immobilisations admissible de Toronto Refiners?

 

15       Comme la Cour l’a dit dans l’arrêt Goodwin Johnson, précité, cette question ne peut être posée dans l’abstrait. Il faut plutôt présumer que les circonstances de l’hypothétique paiement de Toronto Refiners sont les mêmes que les circonstances du paiement effectif de la ville de Toronto. Autrement dit, Toronto Refiners doit être placée fictivement dans la situation de la ville de Toronto.

 

16       J’exposerais comme il suit les faits hypothétiques. Toronto Refiners est une autorité expropriante qui souhaite acquérir un certain bien-fonds à des fins municipales. Il n’y a pas d’expropriation effective, mais le bien-fonds est transféré de gré à gré à Toronto Refiners, le propriétaire réservant son droit de recours devant la CAMO. L’entreprise du propriétaire prend fin et ne peut être réinstallée ailleurs, et son achalandage est par conséquent anéanti. On s’entend finalement pour que l’indemnité payable en vertu du paragraphe 19(2) de la Loi sur l’expropriation, c’est-à-dire la valeur de l’achalandage, soit de 9 millions de dollars. En conséquence, en 1992, la somme de 9 millions de dollars est payée à titre d’indemnité selon le paragraphe 19(2). Vu ces faits hypothétiques, le paiement de 9 millions de dollars aurait-il été une « dépense d’immobilisations admissible » de Toronto Refiners?

17       L’avocat de la Couronne a fait valoir que les faits hypothétiques ne devraient pas être exposés de cette façon. Selon lui, il faut plutôt énoncer simplement l’hypothèse que Toronto Refiners paie une somme d’argent à un tiers pour que ce tiers abandonne ses activités, et que, sur cette somme, 9 millions de dollars sont attribués à l’achalandage. Il a indiqué qu’un tel scénario pourrait se produire si Toronto Refiners faisait l’acquisition d’un concurrent ou amenait simplement une autre entreprise à fermer ses portes pour une autre raison commerciale.

18        À mon avis, l’approche proposée par l’avocat de la Couronne présente deux défauts. L’un est qu’elle ne s’accorde pas avec l’arrêt Goodwin Johnson rendu par la Cour. Dans cette affaire, la Cour avait dit que les circonstances hypothétiques du paiement devaient être les mêmes que les circonstances réelles du paiement. L’avocat de la Couronne voudrait énoncer l’hypothèse d’une opération commerciale, motivée par le profit, lorsqu’il n’y a aucune opération du genre. En l’espèce, il y a eu cessation d’une entreprise pour un objet municipal, avec pour conséquence le versement d’une indemnité. Ces circonstances réelles doivent constituer la base des questions hypothétiques posées par la règle de l’image inversée.

 

[...]

 

22       Revenons maintenant aux faits hypothétiques pour savoir où ils nous mènent. À ce stade de l’analyse, il s’agit de savoir si le paiement hypothétique de 9 millions de dollars effectué par Toronto Refiners répond à la définition de « dépense en immobilisations admissible », à l’alinéa 14(5)b) (tel qu’il existait en 1992).

23       Plusieurs conditions doivent être remplies selon cette définition. La première condition, qui apparaît dans les mots introductifs de l’alinéa 14(5)b), est que le paiement doit avoir été un débours ou une dépense de capital fait ou engagé en vue de tirer un revenu d’une entreprise. À mon avis, cette condition n’est pas remplie. L’expropriation hypothétique, comme l’expropriation réelle, avait un objet municipal. Elle n’avait pas pour objet de générer un revenu, et certainement pas celui de tirer un revenu d’une entreprise.

 

[11]    Selon le principe qui est tiré de l’affaire Toronto Refiners and Smelters Limited, lorsqu’on applique la règle de l’image inversée, la situation relative au paiement hypothétique doit être la même que la situation réelle relative au paiement du montant reçu par l’appelant, et si la personne qui effectue le paiement véritable ne le fait pas en vue de tirer un revenu d’une entreprise, on ne peut pas dire que le paiement hypothétique serait effectué à des fins commerciales. En l’espèce, le gouvernement fédéral ne faisait pas l’acquisition des permis de pêche afin de tirer un revenu d’une entreprise ou de réaliser des profits. Plus particulièrement, le PRPPFA avait pour but de retirer les permis de pêche du poisson de fond de façon permanente afin qu’ils ne puissent plus être utilisés dans le cadre d’une entreprise. L’avocat de l’intimée a longuement plaidé que l’affaire Toronto Refiners and Smelters Limited ne devrait pas être suivie. Le principe du stare decisis est toutefois très clair. Dans l’arrêt Commissioner of Competition v. Superior Propane Inc. et al. (2003), 223 D.L.R. (4e) 55, le juge Rothstein de la Cour d’appel fédérale (tel était alors son titre) a décrit ce principe ainsi :

 

[54]    Le principe du stare decisis est évidemment bien connu des avocats et des juges. Les tribunaux inférieurs doivent suivre le droit tel qu’il est interprété par une juridiction supérieure du même ordre de juridiction. Ils ne peuvent refuser de le faire : Re Canada Temperance Act, Re Constitutional Questions, Re Consolidated Rules of Practice, [1939] 4 D.L.R. 14 à la page 33 (C.A. Ont.), conf. par [1946] 2 D.L.R. 1 (C.S.C.); Woods Manufacturing Co. c. Canada (Procureur général), [1951] R.C.S. 504 à la page 515.

 

[12]    Par conséquent, je suis lié par l’arrêt Toronto Refiners and Smelters Limited et je conclus que, compte tenu de cette affaire, comme le gouvernement fédéral faisait l’acquisition de ces permis à des fins non commerciales, aucune partie du montant que l’appelant a reçu pour ses permis de pêche ne serait incluse dans la détermination de l’élément E dans la définition de l’expression « montant cumulatif des immobilisations admissibles » et aucun montant ne serait donc inclus dans le revenu de l’appelant en application de l’article 14 de la Loi relativement au montant que l’appelant a reçu pour ses permis de pêche.

 

[13]    La prochaine question qui a été soulevée est celle de savoir si la moitié du montant reçu serait un gain en capital imposable aux fins de l’article 38 de la Loi. Si c’était le cas, le même montant serait inclus dans le calcul du revenu de l’appelant (c.‑à‑d. 30 000 $), étant donné que rien dans la preuve n’indiquait qu’un montant devrait être inclus aux fins du calcul du prix de base rajusté des permis dont l’appelant était titulaire. L’avocat de l’appelant a abandonné son argument concernant la production tardive d’un choix relatif à des gains en capital en application du paragraphe 110.6(19) de la Loi que l’appelant avait essayé de produire le 5 juin 2002.

 

[14]    L’appelant n’aurait un gain en capital imposable aux termes de l’article 38 de la Loi que s’il avait eu un gain en capital aux termes de l’article 39 de la Loi. L’alinéa 39(1)a) de la Loi prévoit ce qui suit : « un gain en capital d'un contribuable, tiré, pour une année d'imposition, de la disposition d'un bien quelconque, est le gain [...] ».

 

[15]    Par conséquent, pour que l’appelant ait un gain en capital, il faut qu’il ait fait la disposition d’un bien.

 

[16]    Le statut des permis de pêche en tant de biens à d’autres fins a fait l’objet de litiges devant les cours des provinces de l’Atlantique. La question est soulevée en raison de l’article 16 du Règlement de pêche (dispositions générales) (le « Règlement ») (soit le règlement qui concerne les permis de pêches dont l’appelant était titulaire), qui prévoit ce qui suit :

 

16. (1)  Tout document appartient à la Couronne et est incessible.

 

(2)        La délivrance d'un document quelconque à une personne n'implique ou ne lui confère aucun droit ou privilège futur quant à l'obtention d'un document du même type ou non.

 

[17]    Dans le Règlement, un document est défini de façon à comprendre un permis qui donne le privilège juridique de pêcher. Les permis sont accordés pour une période d’un an. De plus, l’accord de permis est assujetti au pouvoir discrétionnaire du ministre des Pêches. Les droits, s’il y a lieu, que peuvent avoir les titulaires d’un permis de pêche sont établis par la loi, alors que la valeur de ces  « droits » est déterminée en fonction du marché.

 

[18]    Malgré ces dispositions très restrictives, des permis de pêche ont été échangés contre des sommes importantes d’argent. En l’espèce, le montant payé pour les permis était de 60 000 $. L’appelant a vendu ses permis au gouvernement en 2000 après la fin de toutes les saisons de pêche relatives à ses permis pour 2000. Par conséquent, l’appelant avait pêché pendant toutes les périodes de temps où il pouvait le faire en 2000. Le revenu brut pour 2000 qu’il a tiré de son entreprise de pêche (compte non tenu du montant reçu pour ses permis) était de 27 182 $ et son revenu net était de 19 719 $. Le montant accordé pour les permis représentait plus du double de son revenu brut pour une année et plus de trois fois son revenu net pour une année.

 

[19]    Dans Green v. Harnum, 2007 NLTD 23, une décision récente rendue par la Cour suprême de Terre‑neuve‑et‑Labrador, Section de première instance, le juge Handrigan a formulé les commentaires suivants concernant les activités commerciales liées à l’achat et à la vente de permis de pêche :

 

          [traduction]

[16]      Le ministère des Pêches et des Océans (Canada) fait des efforts considérables pour s’assurer que les pêcheurs comprennent clairement qu’un permis de pêche n’accorde à son titulaire que le « privilège » de pêcher et non pas le « droit » de le faire. En fait, le MPO n’admettra même pas qu’un permis puisse être « cédé » : il maintient qu’un permis qui est « délivré » pour remplacer un permis auquel un titulaire a « renoncé » n’est pas transféré entre les titulaires de permis, même lorsque le nouveau permis est identique au permis auquel le titulaire a renoncé et qu’il a été délivré à une personne désignée par le titulaire qui a renoncé à son permis.

[17]      Toutefois, malgré la position du MPO selon laquelle les permis sont incessibles, les permis font l’objet d’un commerce actif chez les pêcheurs professionnels, et dans certains cas, chez des personnes qui ne sont pas des pêcheurs professionnels, mais qui participent à l’industrie par l’intermédiaire de conventions de fiducie. Les permis sont souvent « vendus » contre de grosses sommes d’argent, il n’est donc pas surprenant que certaines de ces transactions échouent et que les parties se retrouvent devant les tribunaux et demandent que leurs ententes soient exécutées; ou, comme en l’espèce, cherchent à obtenir une partie de la valeur des permis.

[...]

[20]      Il convient également de noter que les permis de pêche sont régulièrement achetés et vendus. Dwight Saunders travaille pour Tri-Nav Consultants Inc. dans son bureau de St. John’s (T.‑N.‑L.). La société Tri‑Nav a été constituée en 1994 et se targue d’être le « plus important cabinet de courtage de permis et de bateaux faisant affaire dans le Canada atlantique qui compte plus de 50 ans d’expérience dans l’industrie de la pêche et l’industrie navale ».

 

[21]      M. Saunders travaille au sein de la société depuis 1998 et se décrit comme un « courtier dans le secteur maritime ». M. Saunders a dit que son cabinet offre les mêmes services à l’industrie de la pêche que les agents offrent aux acheteurs et aux vendeurs de biens immobiliers. Il a admis avoir participé à l’achat ou à la vente de plus de 200 entreprises de pêche, y compris leurs permis, depuis qu’il a commencé à travailler pour Tri‑Nav.

 

[22]      Tri-Nav demande une commission de 5 %, en échange de laquelle elle met les entreprises de pêche en vente, réunit les parties au moyen d’une convention d’achat‑vente et agit à titre d’intermédiaire avec le MPO pour la renonciation aux permis de pêche et la redélivrance de ceux‑ci. M. Saunders a dit qu’il sait qu’il y a d’autres personnes qui agissent en tant que courtiers dans le secteur maritime à part Tri‑Nav et que certaines entreprises de pêche sont achetées et vendues par les pêcheurs professionnels eux‑mêmes sans l’aide de courtiers.

 

[20]    Dans Green v. Harnum, précité, la Cour suprême a souligné que la valeur des permis de pêche dans cette affaire était de 400 000 $ à 500 000 $ et a ordonné que les permis soient mis en vente et que le produit de la vente soit réparti entre les parties.

 

[21]    Ken Carew, le chef de l’analyse économique et de la politique au MPO, a témoigné lors de l’audience. Il a confirmé que le MPO est au courant du commerce des permis de pêches qui se fait, malgré les dispositions du Règlement de pêche (dispositions générales) qui prévoient que les permis sont incessibles. Il a également indiqué que, selon la politique du MPO, le titulaire du permis a le droit de renouveler le permis de pêche à condition qu’il demande le renouvellement, paye les frais de renouvellement et ne contrevienne pas aux dispositions du permis. Cela est toutefois contraire au Règlement de pêche (dispositions générales) et particulièrement au paragraphe 16(2), qui indique clairement que la délivrance d’un document à une personne (ce qui comprendrait un permis de pêche) n'implique ou ne lui confère aucun droit ou privilège futur quant à l'obtention d'un document du même type ou non. La politique du MPO concernant le droit qu’ont les personnes de renouveler leurs permis de pêche ne peut pas changer les restrictions juridiques énoncées dans le Règlement de pêche (dispositions générales).

 

[22]    Dans l’arrêt récent Royal Bank of Canada v. Saulnier, [2006] N.S.J. 307, 2006 N.S.C.A. 91, la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a eu affaire à la question de savoir quel droit de propriété existait, s’il y a lieu, dans les permis de pêche aux fins de l’alinéa 67(1)c) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (la « LFI »). Le paragraphe 67(1) de la LFI prévoit ce qui suit :

67. (1) Les biens d’un failli, constituant le patrimoine attribué à ses créanciers, ne comprennent pas les biens suivants :

a) les biens détenus par le failli en fiducie pour toute autre personne;

b) les biens qui, à l’encontre du failli, sont exempts d’exécution ou de saisie sous le régime des lois applicables dans la province dans laquelle sont situés ces biens et où réside le failli;

b.1) dans les circonstances prescrites, les paiements au titre de crédits de la taxe sur les produits et services et les paiements prescrits qui sont faits à des personnes physiques relativement à leurs besoins essentiels et qui ne sont pas visés aux alinéas a) et b),

mais ils comprennent :

c) tous les biens, où qu’ils soient situés, qui appartiennent au failli à la date de la faillite, ou qu’il peut acquérir ou qui peuvent lui être dévolus avant sa libération;

d) les pouvoirs sur des biens ou à leur égard, qui auraient pu être exercés par le failli pour son propre bénéfice.

 

[23]    La Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a examiné la Loi sur les pêches et le Règlement de pêche (dispositions générales), de même que la jurisprudence relative à la question de savoir si une personne détient un bien lorsqu’elle est titulaire d’une licence discrétionnaire. La Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a tiré les conclusions suivantes concernant la question de savoir si M. Saulnier détenait un bien aux fins de la LFI pour ce qui est de ses permis de pêche :

 

          [traduction]

 

[53]      Si on retourne à l’alinéa 67(1)c) de la LFI, mes conclusions sont les suivantes :

 

a)         M. Saulnier avait le droit d’exiger que la décision de rejeter sa demande de renouvellement de permis ou de redélivrance au nom de la personne qu’il avait désignée ne soit pas prise d’une manière arbitraire, de mauvaise foi ou en tenant compte de considérations non pertinentes. Cet énoncé peut déclencher la mise en œuvre de la méthode pragmatique et fonctionnelle permettant de cibler la norme de contrôle applicable en fonction des circonstances.

 

b)         Le droit de M. Saulnier n’est pas « transitoire ou éphémère », qu’il s’agisse d’un « droit légal » limité ou d’un « intérêt bénéficiaire». Il s’agit d’un bien incorporel pour les besoins de l’article 2 de la LFI et il est transféré à l’administration du syndic selon l’alinéa 67(1)c).

 

[...]

 

[55]      Je conclus que le droit qu’avait M. Saulnier de demander le renouvellement ou la redélivrance de son permis et de s’opposer à un refus arbitraire constitue un transfert de « biens » aux syndics pour les besoins des alinéas 67(1)c) et 67(1)d) de la LFI.

 

[24]    Dans la LFI, le terme « bien » est défini ainsi :

 

Bien de toute nature, qu’il soit situé au Canada ou ailleurs. Sont compris parmi les biens les biens personnels et réels, en droit ou en equity, les sommes d’argent, marchandises, choses non possessoires et terres, ainsi que les obligations, servitudes et toute espèce de domaines, d’intérêts ou de profits, présents ou futurs, acquis ou éventuels, sur des biens, ou en provenant ou s’y rattachant.

 

[25]    Dans la Loi, le terme « bien » est défini ainsi :

 

Biens de toute nature, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, y compris, sans préjudice de la portée générale de ce qui précède :

 

a)         les droits de quelque nature qu'ils soient, les actions ou parts;

 

b)         à moins d'une intention contraire évidente, l'argent;

 

c)         les avoirs forestiers;

 

d)         les travaux en cours d'une entreprise qui est une profession libérale.

 

[26]    Par conséquent, à mon avis, comme toute personne qui est titulaire d’un permis en vertu du Règlement de pêche (dispositions générales) a le droit [traduction] « de demander le renouvellement ou la redélivrance de son permis et de s’opposer à un refus arbitraire », ce droit constituerait non seulement un bien aux fins de la LFI, mais aussi un bien aux fins de la Loi. La définition de bien aux fins de la Loi est très large et comprend un droit. Ce droit de l’appelant, comme il est indiqué ci‑dessus, aussi faible soit‑il, est donc un bien aux fins de la Loi.

 

[27]    Le sous‑alinéa 39(1)a)(i) de la Loi prévoit que l’appelant ne réaliserait pas un gain en capital si le bien dont il faisait la disposition était une immobilisation admissible. Le terme « immobilisation admissible » est défini ainsi à l’article 54 de la Loi :

 

Bien dont la disposition aurait pour contrepartie partielle un montant en immobilisations admissibles au titre d'une entreprise.

 

[28]    L’expression « montant en immobilisations admissible » est définie au paragraphe 14(1) de la Loi, qui prévoit en partie ce qui suit :

 

Lorsque, à la fin d'une année d'imposition, le total des montants représentant chacun la valeur, déterminée relativement à une entreprise d'un contribuable, de l'élément E de la formule applicable figurant à la définition de « montant cumulatif des immobilisations admissibles » au paragraphe (5) (appelé « montant en immobilisations admissible » au présent article) [...]

 

[29]    Compte tenu des dispositions du paragraphe 248(1) de la Loi, le sens que le paragraphe 14(1) de la Loi donne à l’expression « montant en immobilisations admissible » est applicable aux fins de la Loi et pas seulement de l’article 14 de la Loi.

 

[30]    Comme il est mentionné ci‑dessus, comme le montant que l’appelant a reçu du gouvernement fédéral en 2000 pour les permis n’est pas inclus dans la détermination de l’élément E dans la définition de l’expression « montant cumulatif des immobilisations admissibles » qui figure au paragraphe 14(5) de la Loi à l’égard d’une entreprise de l’appelant, le montant reçu par l’appelant en 2000 pour les permis n’est pas un montant en immobilisations admissible à l’égard d’une entreprise. Dans ces circonstances, étant donné que l’appelant a fait la disposition du bien et que le montant reçu n’est pas un montant en immobilisations admissible à l’égard d’une entreprise, les permis ne sont donc pas des immobilisations admissibles de l’appelant. Par conséquent, le gain découlant de la disposition des permis est un gain en capital de l’appelant et la moitié de ce montant est un gain en capital imposable de l’appelant.

 

[31]    Cela ne change pas le montant qui doit être inclus dans le revenu de l’appelant pour 2000, ni le montant d’impôt à payer par l’appelant. La classification du montant inclus dans le revenu comme un gain en capital imposable, au lieu d’un revenu d’entreprise, aux fins de l’article 14 de la Loi, entraînera d’autres conséquences qui ne sont pas en litige. Pour ce qui est de la classification du montant en tant que gain en capital imposable, si l’appelant avait eu des pertes en capital admissibles qui auraient pu être déduites en 2000, toute perte en capital admissible disponible aurait été déduite du gain en capital imposable (ce qui ne serait pas possible si le montant était un revenu d’entreprise aux fins de l’article 14 de la Loi). Rien dans la preuve n’indiquait que l’appelant avait des pertes en capital déductibles disponibles en l’espèce. Le changement de classification du montant inclus dans le revenu en tant que gain en capital imposable au lieu de revenu d’entreprise entraînera une réduction du revenu gagné par l’appelant aux fins de REER, mais cela n’a pas d’incidence sur le montant d’impôt à payer par l’appelant pour 2000.

 

[32]    L’appel interjeté devant la Cour porte sur une cotisation d’impôt. Dans l’arrêt La Reine c. Anchor Pointe Energy Ltd., 2007 CAF 188, [2007] 4 C.T.C. 5, 2007 DTC 5379, le juge Létourneau a formulé les commentaires suivants au nom de la Cour d’appel fédérale :

 

32        Deuxièmement, s’il est vrai que l’établissement de la cotisation et de la nouvelle cotisation et la ratification renvoient à trois actes précis que le ministre pose en vertu de la Loi lors du processus de détermination de l’obligation fiscale du contribuable, le terme « cotisation » renvoie aussi au produit de ce processus. Le juge Hugessen a bien décrit les deux significations de ce mot dans l’arrêt Canada c. Consumers’ Gas Co., [1987] 2 C.F. 60 (C.A.F.). Il a écrit, à la page 67 :

 

C’est la cotisation du ministre qui fait l’objet d’un appel devant les tribunaux aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu. Bien que le terme « cotisation » puisse être interprété de deux manières différentes, soit comme la procédure au moyen de laquelle l’impôt est évalué, soit comme le produit de cette évaluation, il me semble évident, à la lecture des articles 152 à 177 de la Loi de l’impôt sur le revenu, que le terme y est employé seulement dans son second sens. Cette conclusion découle en particulier du paragraphe 165(1) et du principe bien établi selon lequel un contribuable ne peut ni s’opposer à une cotisation égale à zéro ni interjeter appel contre celle‑ci.

 

33        Je conviens avec le juge des requêtes que l’appel ne vise pas la ratification de la cotisation. Pour reprendre les mots du juge Hugessen, il vise le produit de cette évaluation : voir aussi la décision Parsons c. M.R.N., précitée, à la page 814, où le juge Cattanach a affirmé que la « cotisation établie par le Ministre, qui fixe le montant et détermine l’assujettissement à l’impôt, est ce qui fait l’objet de l’appel ». Ce produit renvoie au montant de la dette fiscale initialement établi ou déterminé et ensuite ratifié. De la perspective du processus en soi, l’établissement de la cotisation conformément aux articles 152 à 165 n’est pas terminé tant que le ministre n’a pas déterminé de façon définitive, dans le délai prescrit par la Loi, le montant de la dette fiscale, que ce soit au moyen de l’établissement d’une nouvelle cotisation, modification, suppression ou ratification de la cotisation initiale : voir la décision Parsons c. M.R.N., précitée, page 814.

 

[33]    Par conséquent, comme la reclassification du montant inclus dans le revenu en tant que gain en capital imposable au lieu de revenu d’entreprise n’a pas changé le montant d’impôt à payer par l’appelant pour 2000 et comme l’appel est interjeté à l’encontre d’une cotisation d’impôt, l’appel est rejeté avec dépens.

 

       Signé à Vancouver (Colombie‑Britannique), ce 21e jour de novembre 2007.

 

 

« Wyman W. Webb »

Juge Webb

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de décembre 2007.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI692

 

NO DU DOSSIER :                             2004-2960(IT)G

 

INTITULÉ :                                       ROSS WINSOR c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   St. John's (Terre-Neuve-et-Labrador)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 1er novembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge Wyman W. Webb

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 21 novembre 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l’appelant :

MRonald A. Cole

Avocate de l’intimée :

Me Cecil S. Woon

 

AVOCAT(S) INSCRIT(S) AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                      MRonald A. Cole

                          Cabinet :                  Cole Law Offices

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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