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Dossier : 2003-1050(EI)

ENTRE :

CONCEPT D'USINAGE DE BEAUCE INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 1er août 2003 à Québec (Québec)

 

Devant : L'honorable S.J. Savoie, juge suppléant

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me William Noonan

 

Avocate de l'intimé :

Me Marie-Claude Landry

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel est accueilli et la décision rendue par le Ministre est annulée selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 18e jour de novembre 2003.

 

 

 

 

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


 

 

 

Référence : 2003CCI785

Date : 20031118

Dossier : 2003-1050(EI)

ENTRE :

CONCEPT D'USINAGE DE BEAUCE INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Savoie

 

[1]     Cet appel a été entendu à Québec (Québec), le 1er août 2003.

 

[2]     Il s'agit d'un appel portant sur l'assurabilité de l'emploi de Guylaine Beaudoin, la travailleuse, lorsqu'au service de l'appelante, pour la période en litige, soit du 1er janvier au 30 janvier 2002.

 

[3]     Le 20 décembre 2002 le ministre du Revenu national (le « Ministre ») a informé l'appelante de sa décision selon laquelle l'emploi de la travailleuse rencontrait les exigences d'un contrat de louage de services et qu'il existait une relation employeur-employée entre les parties.

 

[4]     Tel que mentionné dans la Réponse à l'avis d'appel, malgré que la décision du 20 décembre 2002 ne fait pas mention du lien de dépendance entre la travailleuse et l'appelante, le Ministre a exercé sa discrétion, tel que prévu à l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi ») et a conclu que l'emploi de la travailleuse était assurable.

 

[5]     En rendant sa décision, le Ministre s'est fondé sur les présomptions de fait suivantes lesquelles ont été admises ou niées par l'appelante :

 

a)         l'appelante a été constituée en société le 10 mai 1994; (admis)

 

b)         l'appelante exploitait une entreprise d'usinage, de soudure et de conception de machineries; (admis)

 

c)         l'entreprise était en exploitation à l'année longue; (admis)

 

d)         durant la période en litige, l'actionnaire unique de l'appelante était la société 9078-0602 Québec Inc.; (admis)

 

e)         durant la période en litige, l'actionnaire unique de la société 9078‑0602 Québec Inc. était Rénald Létourneau; (admis)

 

f)          Rénald Létourneau est le conjoint de la travailleuse; (admis)

 

g)         la travailleuse a commencé à travailler pour l'appelante en 1999; (admis)

 

h)         avant la période en litige, en 1999, 2000 et 2001, la travailleuse rendait des services à l'appelante sans rémunération; (admis)

 

i)          à partir du 1er janvier 2002, l'appelante inscrivait la travailleuse à son journal des salaires et commençait à la rémunérer; (admis)

 

j)          les tâches de la travailleuse consistaient à tenir la comptabilité de l'appelante et à faire du ménage; (admis avec précision)

 

k)         la travailleuse avait un horaire souple pour l'accomplissement de ses tâches; (admis)

 

l)          ka travailleuse travaillait en moyenne 32 heures par semaine, soit 5-6 heures au ménage et 26 heures à la comptabilité; (nié)

 

m)        la travailleuse recevait une rémunération de 480 $ brute par semaine de 32 heures; (admis avec précision)

 

n)         durant la période en litige, la travailleuse a été rémunérée par chèque à chaque semaine; (admis)

 

o)         la travailleuse n'avait aucun risque de perte ou chance de profit; (admis avec précision)

 

p)         la travailleuse effectuait la grande majorité de ses tâches dans les locaux de l'appelante; (admis)

 

q)         la travailleuse utilisait l'équipement qui appartenait à l'appelante; (admis)

 

r)          les services rendus par la travailleuse faisaient partie intégrante des activités de l'appelante. (admis)

 

[6]     La preuve a établi que les tâches de la travailleuse consistaient à faire le ménage, à s'occuper des achats et des comptes de l'appelante. Elle faisait les remises de taxes, était chargée du secrétariat, s'occupait des conciliations bancaires et des rapports de fin de mois. Elle s'occupait, en outre, des dossiers nécessitant l'intervention, entre autres, d'avocats, c'est-à-dire la partie « contentieux ». Elle était, par ailleurs, chargée de régler l'état du crédit de l'appelante avec le gérant de la banque.

 

[7]     Il a été établi à l'audition que la travailleuse n'avait pas d'heures fixes. Elle entrait travailler quand elle le voulait et n'avait aucun compte à rendre à l'appelante pourvu que son travail soit fait. Elle recevait un salaire de 480 $ brut par semaine et travaillait, en moyenne, 50 heures par semaine.

 

[8]     La travailleuse siège au Conseil d'administration de l'appelante depuis 2001 et prend les décisions qui s'imposent et Rénald Létourneau en est informé par la suite.

 

[9]     Puisqu'elle travaille environ 50 heures par semaine, la travailleuse a décidé, de son propre chef, d'augmenter son salaire à 600 $ par semaine. C'est elle qui a fait le chèque de paie, à l'insu de l'appelante.

 

[10]    Le comptable de l'appelante a confirmé que la travailleuse est autorisée à signer seule les procès-verbaux du Conseil d'administration et que c'est avec elle qu'il règle la comptabilité de la société. Depuis janvier 2002, la travailleuse signe tout : à titre d'exemple, la travailleuse a relaté avoir réussi à faire enlever le cautionnement de 50 000 $ de monsieur Létourneau à la banque. Monsieur Létourneau a confirmé que la travailleuse avait carte blanche dans cette société et que les affaires bancaires, « c'est elle, seule, » qui s'en occupait. Il a reconnu qu'elle était meilleure que lui dans ces affaires.

 

[11]    Il a été établi, par ailleurs, que la travailleuse avait réussi à convaincre la banque de régler les affaires bancaires de l'appelante avec elle sans le concours de monsieur Létourneau.

 

[12]    Il a été reconnu que la travailleuse et Rénald Létourneau étaient conjoints de fait. Donc, il existe un lien de dépendance entre l'appelante et la travailleuse. Dans une situation comme celle-ci, la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi »), à l'article 5, précise ce qui suit :

 

5.(1)     Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

 

a) l'emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

 

[...]

 

(2)        N'est pas un emploi assurable :

 

[...]

 

i) l'emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance.

 

[...]

 

(3)        Pour l'application de l'alinéa (2)i) :

 

a)         la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu;

 

b)         l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[13]    Il est donc établi dans la Loi que dans une situation comme celle sous étude, la travailleuse et l'appelante sont réputées être liées, au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu, à moins que le Ministre, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, ne détermine qu'un contrat de travail à peu près semblable aurait pu être conclu entre des personnes non liées.

 

[14]    La preuve a démontré que le Ministre a conclu, en l'espèce, que l'emploi de la travailleuse, pendant la période en litige, était assurable parce qu'il rencontrait les exigences d'un contrat de louage de services.

 

[15]    Le Ministre a donc procédé à un examen du contrat de travail entre les parties selon les critères énoncés à l'alinéa 5(1)a) de la Loi. Il aurait fallu, à mon avis, que le Ministre exerce plutôt son pouvoir suivant une analyse des critères établis à l'alinéa 5(2)i de la Loi, avant de déterminer que l'emploi de la travailleuse rencontrait les exigences d'un contrat de louage de services et, de plus, qu'il existait une relation employeur-employée entre l'appelante et la travailleuse. En procédant comme il l'a fait, il a ignoré, dans son analyse, les critères énumérés à l'alinéa 5(2)i) de la Loi.

 

[16]    À l'appui de ce qui précède, il convient de reproduire les paragraphes 9, 10 et 11 de la Réponse à l'avis d'appel, signée au nom du Ministre, lesquels décrivent les raisons que l'avocate de l'intimé entendait soumettre à la Cour lors de l'audience dans le but de prouver que l'appel de l'appelante était mal fondé en fait et en droit :

 

L'intimé soutient que la travailleuse occupait un emploi assurable pendant la période en litige puisque, pendant cette période, cet emploi rencontrait les exigences d'un contrat de louage de services.

 

            Malgré que la décision du 20 décembre 2002 ne fait pas mention du lien de dépendance, l'intimé soutient que le Ministre a exercé sa discrétion tel que prévu à l'alinéa 5(3)b) et a conclu que l'emploi était assurable.

 

            Il soutient, de plus, qu'il est raisonnable de conclure que, bien qu'il y ait un lien de dépendance entre l'appelante et la travailleuse, ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable sans l'existence de ce lien.

 

[17]    Tel qu'il est indiqué au paragraphe 10 ci-haut, l'analyse du Ministre a été faite sans tenir compte du lien de dépendance qui existait entre les parties au contrat de travail.

 

[18]    La preuve amenée par l'appelante devant le Tribunal n'a pas été contredite par le Ministre. En effet, le Ministre n'a amené aucune preuve devant le Tribunal, sauf pour ce qui se trouvait au dossier avant l'audition de cet appel. L'appelante a fait entendre trois témoins mais l'intimé ne les a pas contre‑interrogés.

 

[19]    Il a été démontré que la travailleuse avait carte blanche dans l'entreprise. Elle signait les procès-verbaux du Conseil d'administration, elle déterminait elle‑même, toute seule, ses conditions de travail, son salaire, ses heures de travail et ses allées et venues et ce à l'insu du payeur. Elle s'octroyait une augmentation de salaire sans consulter qui que ce soit et n'avait aucun compte à rendre au payeur. Tout ceci est confirmé par le comptable de l'appelante et par Rénald Létourneau, l'actionnaire unique de l'appelante.

 

[20]    Comment peut-on prétendre que des parties non liées auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable?

 

[21]    La prépondérance de la preuve a établi qu'à l'analyse des critères énoncés à l'alinéa 5(3)b) de la Loi, tels la rétribution et les modalités d'emploi, aucune autre conclusion ne peut être supportée que celle qui établit que des conditions de travail à peu près semblables n'auraient pu exister sans l'existence d'un lien de dépendance.

 

[22]    Le juge Tardif de cette Cour dans l'arrêt Au Grand Bazar de Granby Inc. et le ministre du Revenu national (dossier 1999-3992(EI)) s'est penché sur un dossier semblable à celui en l'espèce et écrivait ceci :

 

            Or, la preuve a révélé que les frères Grondin prenaient eux‑mêmes les décisions de payer des bonis et cela quant au nombre, à leur période mais aussi et surtout quant à leur importance.

 

            La preuve a révélé que les frères Grondin avaient chacun reçu plus de 80 000 $ en 1998 et plus de 92 000 $ en 1999 à titre de salaire et de boni.

 

            La preuve a établi que les frères Grondin fixaient eux‑mêmes toutes les conditions et modalités de l'exécution de leur travail.

 

[23]    En poursuivant son analyse, le juge Tardif écrivait, en conclusion, ce qui suit :

 

            En effet, comment peut-on conclure de façon raisonnable que des personnes oeuvrant dans le domaine de la vente au détail n'ayant aucun lien de dépendance avec leur employeur fixent et déterminent eux-mêmes leurs propres conditions de travail?

 

            Comment peut-on prétendre que des tiers non liés à leur employeur pourraient décider eux-mêmes de leur traitement en fonction des performances de l'entreprise qui les emploie? Certes, il peut exister des situations où des tiers bénéficient d'avantages, de bonus, de commissions, etc. en fonction des rendements, mais les barèmes sont pré-établis par l'entreprise et jamais par les bénéficiaires de ces primes au rendement.

 

            [...]

 

            La prépondérance de la preuve est à l'effet que Pierre et Mario Grondin ont profité et bénéficié d'avantages et privilèges dont la seule justification était le lien de dépendance. N'eut été de ce lien de dépendance, ils n'auraient pu espérer des conditions de travail aussi avantageuses. Conséquemment, le travail exécuté par les frères Grondin doit être exclu des emplois assurables conformément à la Loi.

 

[24]    La preuve produite par l'appelante à l'audition de cet appel s'est avérée, à mon avis, suffisante pour conclure, comme l'a fait le juge Tardif dans l'arrêt Au Grand Bazar de Granby Inc., précité, que l'intimé n'a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judicieuse et irréprochable. En effet, de tels faits commandaient une conclusion tout à fait contraire à celle retenue par l'intimé.

 

[25]    En raison de ce qui précède, l'appel est accueilli et la décision du Ministre est annulée.

 

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 18e jour de novembre 2003.

 

 

 

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


 

 

RÉFÉRENCE :

2003CCI785

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-1050(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Concept d'Usinage de Beauce Inc. et

M.R.N.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Québec (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

le 1er août 2003

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable S.J. Savoie,

juge suppléant

 

DATE DU JUGEMENT :

le 18 novembre 2003

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelante :

Me William Noonan

 

Pour l'intimé :

Me Marie-Claude Landry

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

 

Pour l'appelante :

 

Nom :

Me William Noonan

 

Étude :

Hickson Noonan

Sillery (Québec)

 

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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