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Dossier : 2003-1134(EI)

ENTRE :

FERME LORGE INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

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Appel entendu le 1er août 2003 à Québec (Québec)

 

Devant : L'honorable S.J. Savoie, juge suppléant

 

Comparutions :

 

Représentants de l'appelante :

Georges Boivin

Lorraine Duclos

 

Avocate de l'intimé :

Me Marie-Claude Landry

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 18e jour de novembre 2003.

 

 

 

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


 

 

 

Référence : 2003CCI792

Date : 20031118

Dossier : 2003-1134(EI)

ENTRE :

FERME LORGE INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Savoie

 

[1]     Cet appel a été entendu à Québec (Québec), le 1er août 2003.

 

[2]     Il s'agit d'un appel portant sur l'assurabilité de l'emploi du travailleur, Pascal Boivin, lorsqu'au service de l'appelante pendant la période en litige, soit du 1er janvier au 29 novembre 2002, au sens de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi »).

 

[3]     Le 24 février 2003 le ministre du Revenu national (le « Ministre ») a informé l'appelante de sa décision selon laquelle le travailleur, pendant la période en litige, occupait un emploi assurable parce qu'il rencontrait les exigences d'un contrat de louage de services et qu'il existait une relation employeur-employé entre elle et le travailleur.

 

[4]     En rendant sa décision, le Ministre s'est fondé sur les présomptions de fait suivantes, lesquelles ont été admises ou niée par l'appelante :

 

a)         l'appelante a été constituée en société le 18 mars 1985; (admis)

 

b)         l'appelante exploitait une ferme d'élevage porcin (110 truies à la maternité et 540 porcs à l'engraissement) et de production de céréales; (admis avec précisions)

 

c)         l'entreprise était en exploitation à l'année longue; (admis)

 

d)         durant la période en litige, les actionnaires de l'appelante, avec des actions votantes, étaient

 

            Georges Boivin             41 % des actions

            Lorraine Duclos                        39 % des actions

            le travailleur                              20 % des actions; (admis)

 

e)         Georges Boivin et Lorraine Duclos sont le père et la mère du travailleur; (admis)

 

f)          en avril 1999, le travailleur a été engagé comme ouvrier agricole par l'appelante; (nié)

 

g)         les tâches du travailleur consistaient à s'occuper de la maternité, à acheter et à mélanger la moulée, à réparer la machinerie et à entretenir les bâtiments; (admis)

 

h)         les tâches du travailleur avaient été établies par l'appelante; (nié)

 

i)          le travailleur oeuvrait à l'année longue pour l'appelante; (admis)

 

j)          le travailleur avait un horaire de 70 heures par semaine durant l'été et de 40 heures pendant l'hiver; (admis)

 

k)         le travailleur recevait une rémunération de 340 $ brute par semaine; (admis)

 

l)          durant la période en litige, le travailleur a été rémunéré à chaque semaine; (admis)

 

m)        selon le guide des salaires selon les professions au Québec publié en mars 2001, le salaire hebdomadaire moyen d'un ouvrier agricole était de 388 $; (admis)

 

n)         le travailleur n'avait aucun risque de perte ou chance de profit; (nié)

 

o)         le travailleur effectuait ses tâches sur la ferme de l'appelante; (admis)

 

p)         le travailleur utilisait l'équipement et le matériel qui appartenaient à l'appelante; (admis)

 

q)         les services rendus par le travailleur faisaient partie intégrante des activités de l'appelante; (admis)

 

[5]     Les précisions apportées par la preuve de l'appelante ont établi qu'au‑delà de ses opérations reconnues par le Ministre, elle exploitait subsidiairement une entreprise de travaux à forfait à l'extérieur ainsi que de déneigement.

 

[6]     Madame Duclos, représentante de l'appelante, a tenu à préciser que contrairement à la prétention du Ministre énoncée à l'alinéa f) ci-haut, le travailleur n'aurait pas été engagé par l'appelante mais serait devenu actionnaire de celle-ci.

 

[7]     Selon elle, les tâches du travailleur n'ont pas été établies par l'appelante. Le travailleur aurait plutôt assumé les responsabilités de son père, Georges Boivin, telles que décidées par les trois actionnaires.

 

[8]     Elle précise, en outre, que le travailleur encourait des risques de perte parce qu'il avait cautionné les prêts de l'entreprise.

 

[9]     Madame Duclos a admis presque la totalité des présomptions du Ministre. Quant aux précisions qu'elle a apportées, celles-ci ne changent pas le fait que le travailleur ne détient que 20 % des actions votantes de l'entreprise et qu'à ce titre il se trouve subordonné au pouvoir des actionnaires majoritaires. Cette situation explique également que le risque de perte encouru par le travailleur, s'il existe véritablement, se limite à la valeur des actions votantes qu'il détient, c'est-à-dire 20 %.

 

[10]    Au centre de ce litige se situe la question du lien de subordination, s'il en est un, entre le travailleur et l'appelante. En d'autres termes, l'appelante avait‑elle le pouvoir de contrôler et d'intervenir dans le travail exécuté par Pascal Boivin, le travailleur?

 

[11]    Pour déterminer s'il existe un contrat de louage de services, l'examen des faits doit se faire, selon la jurisprudence, à la lumière de quatre critères spécifiques dont celui du contrôle qui est de loin le plus important et déterminant. Une situation semblable à celle sous étude a fait l'objet d'une analyse par le juge Tardif de cette Cour dans l'arrêt Roxboro Excavation Inc. c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.I. no 32 qui s'exprimait en ces termes :

 

            À cet égard, je crois important de rappeler que les tribunaux ont souvent répété qu'il n'était pas obligatoire ou nécessaire que le pouvoir de contrôler se soit manifesté dans les faits; en d'autres termes, un employeur qui n'exerce pas son droit de contrôle ne perd pas pour autant ce pouvoir tout à fait essentiel pour l'existence d'un contrat de louage de services.

 

[12]    Poursuivant son analyse, le juge Tardif écrivait ce qui suit :

 

            L'évaluation de la présence ou non d'un lien de subordination est un exercice difficile lorsque les personnes détenant l'autorité découlant de leur statut d'actionnaires et/ou d'administrateurs sont les mêmes personnes physiques qui, pour un travail donné, sont assujetties au pouvoir de contrôle ou à l'autorité. Exprimé différemment, il est pénible de faire une démarcation lorsqu'une personne est salariée et en partie patron en même temps.

 

[13]    Toujours à l'étude des droits et obligations respectives des actionnaires qui sont à la fois travailleurs et actionnaires, le juge Tardif ajoutait :

 

            Je ne crois pas qu'il soit objectivement raisonnable d'exiger une rupture totale et absolue entre les responsabilités découlant du statut d'actionnaires et celles découlant du statut de travailleurs. Le cumul des deux chapeaux crée normalement, ce qui est tout à fait légitime, une plus grande tolérance, flexibilité dans les rapports découlant des deux fonctions. L'amalgamation des deux tâches génère cependant des effets qui sont souvent contraires aux exigences d'un véritable contrat de louage de services.

 

[14]    Dans la cause sous étude, rien dans la preuve n'indique que Georges Boivin et Lorraine Duclos, les actionnaires majoritaires de l'appelante, ont fait quoi que ce soit pour céder à quiconque leurs parts majoritaires des actions, ni le degré de contrôle qu'ils possèdent dans l'entreprise, ni leur droit de vote rattaché aux actions qu'ils détiennent.

 

[15]    La preuve a établi que l'appelante est une société contrôlée par un groupe lié. Une société et une personne qui est membre d'un groupe lié qui contrôle la société sont des personnes liées tel que défini à l'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cette même Loi précise que des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance en vertu de l'alinéa 251(1)a). La Loi sur l'assurance-emploi stipule que tout emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance est exclu des emplois assurables en vertu de l'alinéa 5(2)i) sauf s'il est raisonnable de conclure qu'un tel emploi aurait existé dans des conditions similaires si les parties n'avaient pas eu entre elles de lien de dépendance, et ce en vertu du paragraphe 5(3) de la Loi sur l'assurance-emploi.

 

[16]    Le Ministre a donc débuté son analyse de l'emploi du travailleur en vertu de l'alinéa 5(2)i) de la Loi.

 

[17]    Il a été établi que pendant la période en litige, le travailleur a reçu un salaire de 340 $ par semaine, ce qui paraît normal selon le guide des salaires des professions au Québec, publié en 2001 pour l'année 2000, qui stipule que le salaire moyen d'un ouvrier agricole était de 388 $ par semaine.

 

[18]    Quant aux modalités d'emploi et à la nature du travail accompli, il a été démontré que le travailleur était encadré par un horaire à respecter et par des tâches assignées par Georges Boivin, même si ce dernier ne vérifiait pas toujours le travail ainsi effectué. La preuve a révélé, en outre, que le travail de Pascal Boivin était essentiel aux opérations de l'appelante et que cette dernière se devrait d'engager un autre employé si ce travailleur cessait d'y oeuvrer.

 

[19]    Il a été établi, par ailleurs, que pendant la période en litige, le travailleur a effectué des tâches à toutes les semaines.

 

[20]    À la lumière de ce qui précède, le Ministre a conclu que, compte tenu de la rétribution versée, des modalités d'emploi, de la nature et de la durée du travail accompli, il était raisonnable de conclure que le contrat de travail aurait été semblable s'il n'y avait pas eu entre les parties de lien de dépendance.

 

[21]    Ayant conclu que le travail de Pascal Boivin n'était pas exclu des emplois assurables en vertu de l'alinéa 5(2)i) de la Loi, le Ministre a poursuivi son analyse de l'emploi du travailleur en vertu de l'alinéa 5(1)a) de cette même Loi. Ainsi, il a examiné l'emploi sous l'angle des quatre critères établis par la jurisprudence, c'est-à-dire le contrôle, la propriété des outils, les chances de profit et risques de perte et l'intégration des travaux effectués par l'employé dans l'entreprise de l'employeur.

 

[22]    Aux termes de son analyse, le Ministre a conclu que le critère de contrôle est fondé sur le fait que l'employeur a le droit de diriger l'employé et de le contrôler dans sa façon de travailler aussi bien en ce qui concerne le résultat final que le moment et l'endroit. Il a été établi, par ailleurs, que tout l'équipement et le matériel de travail utilisés par le travailleur étaient la propriété de l'appelante. En outre, le Ministre a déterminé que le travailleur Pascal Boivin n'encourait aucun risque de perte ou chance de profit. À ce propos, il est important de souligner qu'en dépit du cautionnement du travailleur au profit de l'appelante, le risque encouru par ce dernier ne dépassait pas la valeur des actions votantes qu'il détient dans l'entreprise, c'est-à-dire, 20 %.

 

[23]    D'après l'analyse des faits selon la Loi, en particulier les alinéas 5(1)a) et 5(2)i) et selon les critères établis par la jurisprudence dont les arrêts Montreal c. Locomotive Works Ltd., [1947] 1 D.L.R. 161 et Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553, cette Cour estime qu'il a été prouvé que le travailleur occupait un emploi assurable au sens de la Loi pendant la période en litige puisque, pendant cette période, l'appelante et le travailleur étaient liés par un contrat de louage de services.

 

[24]    En outre, la preuve a démontré que l'emploi du travailleur était assurable puisque, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, un contrat de travail à peu près semblable aurait été conclu même s'il n'y avait pas eu de lien de dépendance entre l'appelante et le travailleur durant la période en litige.

 

[25]    Pour tous ces motifs, l'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée.

 

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 18e jour de novembre 2003.

 

 

 

 

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


 

 

RÉFÉRENCE :

2003CCI792

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-1134(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Ferme Lorge Inc. et M.R.N.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Québec (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

le 1er août 2003

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable S.J. Savoie,

juge suppléant

 

DATE DU JUGEMENT :

le 18 novembre 2003

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant) :

Georges Boivin et Lorraine Duclos

(représentants)

 

Pour l'intimé :

Me Marie-Claude Landry

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

 

Pour l'appelante :

 

Nom :

 

 

Étude :

 

 

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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