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Dossier : 2003-850(EI)

ENTRE :

SERRES LACOSTE 2000 INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

GABRIEL LACOSTE, DANIEL LACOSTE, LUCIE BEAUCHAMP,

intervenants.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 31 juillet 2003 à Québec (Québec)

 

Devant : L'honorable S.J. Savoie, juge suppléant

 

Comparutions :

 

Représentants de l'appelante :

Daniel Lacoste

Lucie Beauchamp

 

Avocate de l'intimé :

Me Marie-Claude Landry

 

 

Représentante des intervenants :

Lucie Beauchamp

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

          L'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 18e jour de novembre 2003.

 

 

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


 

 

 

 

Référence : 2003CCI802

Date : 20031118

Dossier : 2003-850(EI)

ENTRE :

SERRES LACOSTE 2000 INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

GABRIEL LACOSTE, DANIEL LACOSTE, LUCIE BEAUCHAMP,

 

intervenants.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Savoie

 

[1]     Cet appel a été entendu à Québec (Québec), le 31 juillet 2003.

 

[2]     Il s'agit d'un appel portant sur l'assurabilité de l'emploi qu'occupait Gabriel Lacoste, le travailleur, lorsqu'au service de l'appelante pendant la période en litige, soit du 15 avril au 25 novembre 2002.

 

[3]     Le 18 février 2003, le ministre du Revenu national (le « Ministre ») a informé l'appelante de sa décision selon laquelle le travailleur, pendant la période en litige, occupait un emploi assurable parce que cet emploi rencontrait les exigences d'un contrat de louage de services et qu'il existait une relation employeur-employé entre elle et le travailleur. Par ailleurs, le Ministre a déterminé qu'il n'existait aucun litige entre lui et Daniel Lacoste et entre lui et Lucie Beauchamp puisque, selon les décisions du Ministre, ces personnes n'occupaient pas un emploi assurable auprès de l'appelante, et ce conformément aux prétentions de l'appelante.

 

[4]     En rendant sa décision, le Ministre s'est fondé sur les présomptions de fait suivantes lesquelles ont été admises ou niées par l'appelante :

 

a)         l'appelante a été constituée en société le 4 janvier 2001; (admis)

 

b)         l'appelante exploitait une entreprise agricole de production de tomates sous serres et de production de fleurs annuelles; (admis)

 

c)         l'entreprise était en exploitation à l'année longue; (admis)

 

d)         de sa formation au 24 octobre 2002, les actionnaires de l'appelante, avec des actions votantes, étaient :

 

            Daniel Lacoste              50 % des actions

            Lucie Beauchamp                     50 % des actions (admis)

 

e)         à partir du 25 octobre 2002, les actionnaires de l'appelante, avec des actions votantes, étaient :

 

            Daniel Lacoste              40 % des actions

            Lucie Beauchamp                     40 % des actions

            le travailleur                              20 % des actions (admis)

 

f)          Daniel Lacoste et Lucie Beauchamp sont le père et la mère du travailleur; (admis)

 

g)         antérieurement à la constitution de l'appelante, Daniel Lacoste exploitait l'entreprise personnellement depuis 1975; (nié)

 

h)         le 25 octobre 2002, Daniel Lacoste et Lucie Beauchamp ont donné chacun 10 % des actions de l'appelante au travailleur; (nié)

 

i)          l'appelante pour bénéficier de la subvention de 20 000 $ du programme de Relève agricole du Ministère de l'Agriculture a embauché le travailleur; (nié)

 

j)          le travailleur avait une formation de programmeur analyste et il n'avait aucune expérience dans la gestion et dans l'exploitation d'une entreprise agricole; (nié)

 

k)         l'appelante s'était donnée 6 mois pour former le travailleur aux rouages de l'entreprise; (nié)

 

l)          le 25 novembre 2002, Daniel Lacoste déclarait à un représentant de l'intimé que le travailleur était toujours « coaché » par lui ou par sa mère; (nié)

 

m)        les tâches du travailleur consistaient à l'administration, aux achats, au suivi technique de la production de tomates et à travailler à la production; (nié)

 

n)         l'appelant avait un horaire en alternance avec son père qui consistait à 10 jours consécutifs à assurer une présence 24 heures par jour en cas de bris des serres, suivi de 4 jours de congé et les 10 jours suivants à 10 heures de travail par jour; (admis)

 

o)         le père du travailleur avait un salaire de 16 300 $ annuellement; (nié)

 

p)         le travailleur devait rendre des services à l'année longue; (admis avec précisions)

 

q)         le travailleur habitait la résidence familiale; (admis)

 

r)          le travailleur avait un salaire annuel de 35 000 $ réparti sur 26 périodes de paye; (admis)

 

s)         le travailleur n'avait aucun risque de perte ou chance de profit autre que son salaire; (nié)

 

t)          le travailleur travaillait dans les locaux de l'appelante; (admis avec précisions)

 

u)         tout l'équipement dont se servait le travailleur appartenait à l'appelante; (admis avec précisions)

 

v)         les services rendus par le travailleur faisaient partie intégrante des activités de l'appelante. (admis avec précisions)

 

[5]     La preuve a révélé que Daniel Lacoste exploitait l'entreprise depuis 1978 et que l'appelante a été incorporée en 2001. Le 25 octobre 2002, Daniel Lacoste et Lucie Beauchamp ont vendu chacun 10 % des actions qu'ils détenaient dans la société au travailleur, ce qui les rendaient admissibles à une prime à l'établissement de l'ordre de 15 000 $ du ministère de l'Agriculture. Le travailleur a reçu également une subvention de 20 000 $ du ministère de l'Industrie et du Commerce. Le travailleur avait une formation de programmeur-analyste et occupait à ce titre un poste à Montréal. Au début de l'année 2002, le travailleur désirait faire un changement de carrière. Il a approché ses parents pour offrir ses services et ses connaissances à l'entreprise dans le but éventuel d'en devenir propriétaire. Une période d'essai de six mois avait été prévue par les parties.

 

[6]     Ayant vécu sa jeunesse dans l'entreprise de ses parents, le travailleur avait appris une partie de son fonctionnement. Très tôt, il en avait appris beaucoup sur la culture de la tomate. Pour ce qui concernait la comptabilité, il s'en remettait à sa mère.

 

[7]     Le travailleur soutient que, comme les autres, il n'est pas un employé de l'appelante. La preuve a établi qu'en qualité d'actionnaire minoritaire et jouissant d'une certaine autonomie dans l'exécution de ses tâches, il doit être considéré comme employé cadre.

 

[8]     En s'associant à l'entreprise de ses parents, le travailleur a fait bénéficier celle-ci de ses connaissances qui, au service de l'entreprise, ont contribué à combler certaines lacunes dans le domaine de l'entreposage, des commandes de matériel et de l'inventaire.

 

[9]     La preuve a établi qu'en plus des tâches reconnues par le Ministre, le travailleur faisait la gestion et la supervision des employés, rencontrait les agronomes et participait aux décisions prises dans le cadre des opérations de l'entreprise.

 

[10]    Le travailleur considère qu'il a accès aux profits de l'entreprise en raison de son statut d'actionnaire et que sa situation comporte des risques puisqu'il en a endossé les prêts.

 

[11]    La preuve a révélé que pendant la période en litige le travailleur recevait une formation de son père et de sa mère sur plusieurs aspects des opérations de l'entreprise même si, à bien des égards, il connaissait celle-ci, ayant grandi avec des parents qui la dirigeait.

 

[12]    Il a été démontré que plusieurs décisions se prenaient au coin de la table, à trois, lors de ce que Daniel Lacoste qualifiait de « mini C.A. » (C.A. tient lieu de Conseil d'administration).

 

[13]    En outre, la preuve a révélé que les grandes décisions, telles les achats importants, se prenaient au niveau du Conseil d'administration. Daniel Lacoste a reconnu, par ailleurs, qu'il gardait toujours un oeil sur l'ensemble de l'entreprise au cas où des problèmes majeurs se présenteraient.

 

[14]    Puisque Gabriel Lacoste, le travailleur, est le fils de Lucie Beauchamp et de Daniel Lacoste, les trois actionnaires sont membres d'un groupe lié qui contrôle la société selon le sous-alinéa 251(2)b)(ii) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

 

[15]    Le Ministre a débuté son analyse du dossier en examinant les faits à la lumière de l'alinéa 5(2)i) de la Loi sur l'assurance-emploi pour déterminer d'abord si l'emploi de Gabriel Lacoste, le travailleur, était exclu des emplois assurables.

 

[16]    Le Ministre s'est penché d'abord sur les modalités d'emploi du travailleur selon les critères prévus aux articles identifiés plus tôt.

 

[17]    En plus des tâches du travailleur précédemment énumérées, celui-ci devait se charger du système d'irrigation des serres; il aidait Lucie Beauchamp dans la préparation des salaires; il a développé un programme informatique pour suivre le rendement par employé par mètre carré; il planifiait le travail des employés, il participait à la production des tomates, il s'occupait des achats, il faisait l'entretien des équipements et s'occupait de la gestion de l'entrepôt. Depuis son arrivée dans l'entreprise, il se partageait la responsabilité du contrôle de la température des serres avec Daniel Lacoste.

 

[18]    Quant à sa rétribution, il recevait un salaire annuel de 35 000 $. Le Ministre a déterminé que ce salaire était raisonnable compte tenu du nombre d'heures qu'il travaillait. Par ailleurs, en 2002, les salaires versés à Lucie Beauchamp et Daniel Lacoste étaient de 16 300 $ chacun, salaires identiques à ceux de l'année 2001.

 

[19]    Il a été établi que le travail de Gabriel Lacoste, depuis le 15 avril 2002, était un travail à l'année et qu'il était intégré aux activités de l'entreprise et nécessaire à la bonne marche de celle-ci.

 

[20]    Aux termes de cet examen, le Ministre a déterminé que le travail de Gabriel Lacoste n'était pas exclu des emplois assurables selon l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'assurance-emploi.

 

[21]    Reste à savoir si l'emploi de Gabriel Lacoste rencontre les exigences d'un contrat de louage de services. Il a été établi que si Gabriel Lacoste ne s'était pas joint comme actionnaire de l'entreprise, l'appelante aurait dû engager un agronome ou un technicien et lui offrir une participation aux profits compte tenu des salaires peu élevés offerts dans le domaine agricole.

 

[22]    Avec l'arrivée de Gabriel Lacoste et le financement gouvernemental obtenu, le capital-actions de l'entreprise a été redistribué selon les modalités décrites plus haut et l'appelante a pu procéder à l'agrandissement de ses serres.

 

[23]    La preuve a révélé qu'en dépit de son apprentissage dans l'entreprise pour y avoir passé sa jeunesse, Gabriel Lacoste a été formé aux rouages de l'entreprise par Lucie Beauchamp et Daniel Lacoste et, à ce jour, il est toujours en formation.

 

[24]    Bien qu'il participe aux prises de décisions depuis le 25 octobre 2002, la participation du travailleur aux décisions est liée au 20 % des actions qu'il détient. De leurs côtés, avec leur 40 % chacun des actions votantes et leurs 255 182 $ d'actions privilégiées, Lucien Beauchamp et Daniel Lacoste contrôlent l'appelante et sa destinée.

 

[25]    La preuve a révélé que le temps et les efforts de Gabriel Lacoste étaient donc contrôlés par les deux principaux actionnaires, quoique souvent à distance ou sans contrainte. Il a été établi que ce contrôle exercé, si minime soit-il, dans les circonstances, suffisait à établir un lien de subordination entre le travailleur et l'appelante.

 

[26]    Quant aux chances de profit ou risques de perte, la preuve a révélé que les emprunts du payeur (678 000 $ de 2001 plus 900 000 $ de 2002) sont cautionnés par les immobilisations, les terrains, les équipements et personnellement par les trois actionnaires en proportion de leurs actions votantes. En conséquence, les chances de profit et les risques de perte dans l'exercice des activités du travailleur sont attribuables à l'appelante et le cautionnement personnel des emprunts de l'appelante par chacun des trois actionnaires proportionnellement au nombre d'actions qu'ils détiennent relève de leur statut d'actionnaire et non d'employé.

 

[27]    Il a été établi que le travailleur utilisait les outils et les équipements de l'appelante et que le travail de Gabriel Lacoste était intégré à l'entreprise de l'appelante et non à sa propre entreprise.

 

[28]    À cause du statut d'actionnaire du travailleur, le critère de contrôle exige une interprétation particulière de la jurisprudence. Ainsi, dans l'arrêt J.S.P. Inc. c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.I. no 423, le juge Tardif de cette Cour, devant une situation semblable à celle sous étude, s'exprimait en ces termes :

 

            Le fait de contribuer et d'être associé à la gérance, à l'administration ou au développement d'une entreprise, et tout particulièrement lorsqu'il s'agit d'une petite entreprise, fait en sorte que la description de tâches est fortement empreinte d'éléments propres et caractéristiques de celles souvent assumées par les propriétaires d'entreprise eux-mêmes ou de personnes détenant plus de 40 p. 100 des actions votantes de la compagnie dans laquelle ils ont un emploi. En d'autres termes, à ce niveau de responsabilités, la composante rétribution doit s'apprécier avec prudence au niveau d'une comparaison avec des tiers; il existe souvent des avantages qui compensent pour le salaire moindre.

 

[29]    Le même principe a été établi par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Groupe Desmarais Pinsonneault & Avard Inc. c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [2002] A.C.F. no 572, sous la plume du juge Noël, qui s'exprimait en ces termes :

 

            Le premier juge, en concluant à l'absence d'un lien de subordination entre les travailleurs et la défenderesse, semble ne pas avoir tenu compte du principe bien établi à l'effet que la société a une personnalité juridique distincte de celle de ses actionnaires et que par voie de conséquence, les travailleurs étaient assujettis au pouvoir de contrôle de la défenderesse.

 

            La question que devait se poser le premier juge était de savoir si la société avait le pouvoir de contrôler l'exécution du travail des travailleurs et non pas si la société exerçait effectivement ce contrôle. Le fait que la société n'ait pas exercé ce contrôle ou le fait que les travailleurs ne s'y soit pas senti assujettis lors de l'exécution de leur travail n'a pas pour effet de faire disparaître, réduire ou limiter ce pouvoir d'intervention que la société possède, par le biais de son conseil d'administration.

 

            Nous ajouterions que le premier juge ne pouvait conclure à l'absence de lien de subordination entre la défenderesse et les travailleurs du seul fait qu'ils accomplissaient leurs tâches journalières de façon autonome et sans supervision. Le contrôle exercé par une société sur ses employés cadres est évidemment moindre que celui qu'elle exerce sur ses employés subalternes.

 

[30]    Aux termes de cette analyse, il est donc raisonnable de conclure, compte tenu des circonstances en l'espèce, soit la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, que l'appelante et le travailleur auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s'il n'y avait pas eu de lien de dépendance entre eux.

 

[31]    Les critères servant à évaluer si l'emploi du travailleur rencontre les exigences d'un contrat de louage de services ont été établis dans les arrêts suivants : Montreal c. Montreal Locomotive Works Ltd. (1947), 1 D.L.R. 161; Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 (C.A.F.); Tignish Auto Parts Inc. c. M.R.N., [1994] A.C.F. no 1130; il s'agit, en l'occurrence, du contrôle, de la propriété des outils, des chances de profit et risques de perte et de l'intégration.

 

[32]    Les faits, en l'espèce, ayant été examinés selon chacun de ces critères, je dois conclure que l'emploi du travailleur rencontre les exigences d'un contrat de louage de services et, qu'à ce titre, il est assurable au sens de l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi.

 

[33]    Pour tous ces motifs, l'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée.

 

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 18e jour de novembre 2003.

 

 

 

 

 

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


 

 

RÉFÉRENCE :

2003CCI802

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-850(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Serres Lacoste 2000 Inc. et M.R.N. et Gabriel Lacoste, Daniel Lacoste, Lucie Beauchamp

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Québec (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

le 31 juillet 2003

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable S.J. Savoie,

juge suppléant

 

DATE DU JUGEMENT :

le 18 novembre 2003

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelante :

Daniel Lacoste et Lucie Beauchamp

(représentants)

 

Pour l'intimé :

Me Marie-Claude Landry

 

Pour les intervenants :

Lucie Beauchamp (représentante)

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

 

Pour l'appelante :

 

Nom :

 

Étude :

 

 

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

Pour les intervenants :

 

Nom :

 

Étude :

 

 

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