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Dossier : 2003-1149(EI)

ENTRE :

MAXIME DESCHÊNES,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 18 août 2003 à Chicoutimi (Québec)

 

Devant : L'honorable S.J. Savoie, juge suppléant

 

Comparutions :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

 

Avocate de l'intimé :

Me Julie David

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 9e jour de décembre 2003.

 

 

 

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


 

 

 

Référence : 2003CCI857

Date : 20031209

Dossier : 2003-1149(EI)

ENTRE :

MAXIME DESCHÊNES,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Savoie

 

[1]     Cet appel a été entendu à Chicoutimi (Québec), le 18 août 2003.

 

[2]     Il s'agit d'un appel portant sur l'assurabilité de l'emploi de l'appelant, Maxime Deschênes, lorsqu'au service de Claude Deschênes, le payeur, durant la période en litige, soit du 15 septembre au 24 octobre 1997.

 

[3]     Le 31 janvier 2003 le ministre du Revenu national (le « Ministre ») a informé l'appelant, le payeur et le Développement des ressources humaines Canada (DRHC) de sa décision selon laquelle l'emploi de l'appelant n'était pas assurable en raison du fait qu'il ne rencontrait pas les exigences d'un contrat de louage de services et qu'il n'y avait pas de relation employeur-employé entre le payeur et l'appelant.

 

[4]     En rendant sa décision, le Ministre s'est fondé sur les présomptions de fait suivantes lesquelles ont été admises ou niées par l'appelant :

 

a)         Durant la période en litige, le payeur était l'unique propriétaire d'une ferme agro-touristique qu'il exploitait sous la raison sociale de « Ferme Cinq Étoiles ». (admis)

 

b)         L'appelant, petit cousin du payeur, possédait une débusqueuse et un tracteur de ferme. (admis)

 

c)         En septembre 1997, l'appelant se trouvait sans travail et a offert ses services, incluant sa machinerie, au payeur. (admis avec précisions à y apporter)

 

d)         L'appelant prétend avoir rendu de nombreux services au payeur à raison de 40 heures par semaine pendant 6 semaines alors que, en fait, il n'aurait travaillé que durant 76 heures sur 4 semaines. (nié)

 

e)         Le 25 octobre 1997, le payeur émettait un relevé d'emploi, portant le numéro A62304374, au nom de l'appelant indiquant que, du 15 septembre au 24 octobre 1997, il avait accumulé 240 heures de travail et une rémunération assurable totalisant 3 300 $ (6 semaines de 550 $). (admis)

 

f)          Dans une déclaration statutaire signée et datée du 17 mai 2002, le payeur déclarait, entre autres :

 

Concernant le relevé d'emploi numéro A62304374 émis à Maxime Deschênes le 25 octobre 1997, je reconnais qu'il a travaillé avec sa débusqueuse et labouré avec son tracteur pendant 76 heures puis le montant de la facture a été divisé en 6 semaines de façon à lui émettre un relevé d'emploi représentant 40 heures de travail par semaine, du 14 septembre au 25 octobre 1997, qui lui manquait pour se qualifier à l'assurance-emploi. (nié)

 

g)         Dans une déclaration statutaire signée et datée du 28 mai 2002, l'appelant déclarait, entre autres :

 

On s'est arrangés que lorsque je travaillais avec ma débusqueuse, c'était 30 $ l'heure, avec le tracteur 35 $ l'heure... je payais tout : mes cotisations d'assurance-chômage, avec les parts employeur, cotisations au régime des rentes du Québec, avec les parts employeur. (admis)

 

Concernant le relevé d'emploi A62304374, ce n'est pas la réalité que j'ai fini le 24 octobre 1997. Je n'ai pas fait 6 semaines à 550 $ par semaine. Les vraies semaines sont celles sur les notes manuscrites. (nié)

 

h)         Durant la période en litige, l'appelant a rendu des services au payeur en utilisant sa propre machinerie tout en en payant tous les coûts. (admis)

 

i)          Ni le payeur ni l'appelant ne possède de documents pouvant confirmer les heures réellement travaillées par l'appelant en septembre et octobre 1997. (nié)

 

j)          Il y a eu arrangement entre les parties dans l'unique but de permettre à l'appelant de retirer des prestations d'assurance‑emploi. (nié)

 

[5]     La preuve présentée à l'audition a établi toutes les présomptions niées par l'appelant. En effet, les pièces I-2 et I-3, soit les déclarations statutaires de l'appelant et du payeur, produites en preuve à l'audition, confirment les présomptions de fait du Ministre telles qu'énoncées aux alinéas f) et g) ci-haut. Il en est de même pour la présomption de fait du Ministre énoncée à l'alinéa d). Cette présomption a été confirmée par l'appelant dans sa déclaration statutaire produite en preuve sous la cote I-2. Pour ce qui est de la présomption énoncée à l'alinéa i), elle a été confirmée par la preuve recueillie à l'audition.

 

[6]     En 1997, l'appelant n'avait pas suffisamment travaillé pour se qualifier aux prestations d'assurance-emploi. Il a demandé au payeur, son cousin, de l'embaucher et ce dernier a refusé en lui disant qu'il n'en avait pas les moyens. L'appelant est retourné le voir plus tard et, à cette occasion, lui a offert ses services avec sa débusqueuse ou avec son tracteur pour faire les labours. C'est alors que le payeur l'a embauché.

 

[7]     Le payeur a donc embauché l'appelant à la condition que celui-ci utilise sa débusqueuse à 30 $ l'heure et son tracteur à 35 $ l'heure. Selon l'arrangement, le travailleur devait payer toutes les cotisations, incluant la part du payeur, au régime d'assurance-emploi, à la régie des rentes du Québec, à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST), à l'assurance-maladie et aux normes du travail, par déductions sur les argents que lui versait le payeur.

 

[8]     Les seuls documents établissant les conditions d'emploi ont été les notes manuscrites du payeur avec lesquelles l'appelant s'est dit d'accord. Le payeur ne versait pas à l'appelant de sommes additionnelles pour les frais reliés à l'utilisation de son équipement. Les notes manuscrites préparées par le payeur établissent un certain nombre d'heures travaillées mais n'indiquent aucune date.

 

[9]     Il a été démontré que l'appelant avait pris note de ses heures de travail et qu'il les comparait avec celles du payeur. Lorsque le payeur lui réglait sa rémunération, il jetait ses notes; l'appelant n'a donc plus de preuve de ses heures travaillées. Quant au payeur, ses notes ne portent aucune date.

 

[10]    Il a été démontré que l'appelant s'est souvenu qu'il avait également fait des travaux aux bâtiments du payeur. Lorsque ceci se produisait, le payeur établissait alors sa rémunération à 10 $ l'heure mais il convertissait ce temps en « heure pelle », soit une « heure pelle » à 30 $ pour trois heures de travaux aux bâtiments.

 

[11]    L'appelant n'avait pas le choix de fournir son tracteur et sa débusqueuse pour travailler chez le payeur. Il ne faisait pas d'argent puisque son salaire ne couvrait pas les coûts de carburant de son équipement. Par exemple, pour son tracteur il faisait le plein d'essence tous les soirs, soit 110 litres et pour sa débusqueuse, avec un plein d'essence de 30 litres il pouvait faire plus d'une journée de travail.

 

[12]    L'appelant n'avait pas le choix, il devait payer les cotisations, part employeur, même s'il ne trouvait pas ça normal.

 

[13]    L'appelant ne travaillait pas 40 heures par semaine parce qu'il devait soigner ses animaux à sa ferme personnelle.

 

[14]    La preuve a révélé que le payeur a rétribué l'appelant pour 76 heures de travail à 30 $ ou 35 $ l'heure, mais le payeur ne possède pas le détail de la répartition de ces heures.

 

[15]    La preuve a révélé que le payeur avait un « arrangement » avec l'appelant. Comme le payeur sortait le bois dans des endroits difficiles d'accès, travail pour lequel il était rémunéré, il pouvait donc engager l'appelant avec son tracteur et sa débusqueuse.

 

[16]    La preuve a également révélé que les parties se sont entendues pour permettre à l'appelant de se qualifier aux prestations d'assurance-emploi.

 

[17]    Quant aux critères visant à déterminer si l'emploi de l'appelant était assurable, il suffit de considérer les faits à la lumière des critères du contrôle et de la propriété des outils pour conclure que de telles conditions ne sont pas celles qui existent dans une relation normale employeur-employé. L'appelant n'était aucunement assujetti au contrôle du payeur et il n'existait aucun lien de subordination entre eux. Quant aux outils utilisés, notamment la débusqueuse et le tracteur, ils étaient la propriété de l'appelant et celui-ci, dans l'exécution de son travail, payait lui-même le carburant utilisé.

 

[18]    Le juge Tardif de cette Cour, dans des circonstances semblables à celles sous étude, écrivait dans l'arrêt Duplin c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [2001] A.C.I. no 136 :

 

...Un véritable contrat de louage de services existe lorsqu'une personne fournit une prestation de travail défini dans le temps et généralement décrite à un livre de salaires, en retour de quoi, il reçoit une juste et raisonnable rémunération par le payeur qui en tout temps doit avoir un pouvoir de contrôle sur les faits et gestes de la personne qu'il rémunère. La rémunération doit correspondre à la prestation de travail exécuté pour une période de temps défini.

 

            [...]

 

            Les composantes fondamentales d'un contrat de louage de services sont d'ordre essentiellement économique. Les registres établis, tels livres de salaires, modalités de paye, etc. doivent être réels et correspondre également à la réalité. À titre d'exemple, le livre de salaires doit consigner les heures travaillées correspondant à la paye émise. Un livre des salaires qui consigne des heures non travaillées ou ne consigne pas des heures travaillées pour la période indiquée est une indication sérieuse qu'il y a eu falsification...

 

[19]    Le juge Tardif reprenait des propos semblables dans l'arrêt Laverdière c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.I. no 124, quand il écrivait ce qui suit :

 

Le salarié, partie à un véritable contrat de louage de services, où il existe un réel lien de subordination et dont la prestation est assujettie au pouvoir de contrôle du payeur doit recevoir sa rémunération en fonction exclusivement du travail exécuté au taux convenu; il n'y a pas de place pour d'autres considérations telles la générosité ou complaisance. J'ai souvent indiqué que l'assurance-chômage est une mesure sociale pour venir en aide à ceux qui perdent vraiment leur emploi et non un programme de subventions pour venir en aide à l'entreprise, ou pour avantager des bénéficiaires qui déforment ou modifient la structure et les modalités de paiement de la rétribution que commande leur prestation de travail.

 

            Toute entente ou arrangement relatif au cumul ou à l'étalement a pour effet de vicier le contrat de louage de services, d'autant plus que cela crée une relation contractuelle peu ou pas propice à l'existence d'un lien de subordination, composante essentielle d'un contrat de louage de services.

 

[20]    Dans la cause sous étude, il a été utile de considérer, encore une fois, les propos du juge Tardif, cette fois, dans l'arrêt Acériculture Rémi Lachance et Fils Inc. c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1997] A.C.I. no 1171, où il écrivait ce qui suit :

 

L'assurance-chômage n'est pas un programme de soutien à la P.M.E.; il s'agit essentiellement d'une mesure sociale pour aider les personnes ayant perdu leur emploi; cette aide est assujettie au respect de conditions spécifiques. Il doit s'agir d'un véritable emploi commandé par la réalité économique de l'entreprise qui l'a créé. En d'autres termes, les périodes d'emploi doivent être déterminées essentiellement par les besoins de l'entreprise.

 

            [...]

 

            Il ne suffit pas de prétendre que cela n'était pas un travail ou de minimiser l'importance de ce travail exécuté en dehors des périodes en litige pour exclure ces faits de l'analyse.

 

            [...]

 

            En l'espèce, la preuve a clairement démontré qu'il ne s'agissait pas d'un contrat de louage de services au sens de la Loi; il s'agissait plutôt d'une prestation de travail exécutée dans le cadre d'une entreprise commune et conjointe. Le contenu des deux déclarations statutaires est éloquent quant à l'absence de contrôle sur le travail de l'appelante. D'autre part, je ne retiens pas les explications de l'appelante et de son conjoint quant à l'existence du lien de subordination; je crois qu'ils ont déformé la réalité.

 

            L'assurance-chômage est une mesure sociale mise en place pour venir en aide à ceux et celles qui perdent réellement leur emploi de façon temporaire ou définitive; il doit s'agit d'un véritable emploi et d'une véritable mise à pied, l'assurance‑chômage n'étant pas un programme de soutien financier pour aider les petites et moyennes entreprises à se développer.

 

[21]    Les faits dans le dossier sous étude ont été examinés à la lumière de la jurisprudence établie en matière de contrats de louage de services et, en particulier, les arrêts Montreal c. Montreal Locomotive Works Ltd, [1947] 1 D.L.R. 161, Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 (C.A.F.) et Canada (Procureur général) c. Rousselle, [1990] A.C.F. no 990. Les faits, en l'espèce, ne rencontrent pas les critères établis dans ces arrêts.

 

[22]    En conséquence, cette Cour doit conclure que l'appelant n'occupait pas un emploi assurable au sens de la Loi sur l'assurance-emploi pendant la période en litige puisque, pendant cette période, lui et le payeur n'étaient pas liés par un contrat de louage de services au sens de l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance‑emploi.

 

[23]    En outre, cette Cour est d'avis qu'il y a eu arrangement entre le payeur et l'appelant dans le seul but de permettre à ce dernier de pouvoir bénéficier de prestations d'assurance-emploi.

 

[24]    En conséquence, l'appel est rejeté et la décision du Ministre est confirmée.

 

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 9e jour de décembre 2003.

 

 

 

 

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


 

 

RÉFÉRENCE :

2003CCI857

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-1149(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Maxime Deschênes et M.R.N.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Chicoutimi (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

le 18 août 2003

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable S.J. Savoie, juge suppléant

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 9 décembre 2003

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

 

Pour l'intimé :

Me Julie David

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

 

Pour l'appelant :

 

Nom :

 

 

Étude :

 

 

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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