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Dossier : 2006-3644(EI)

ENTRE :

 

PLUS QUE NOËL INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 14 août 2007, à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Éric Beaulieu

Avocate de l'intimé :

Me Nadia Golmier

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L'appel interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance‑emploi est rejeté et la décision du ministre du Revenu national est confirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de novembre 2007.

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard


 

 

 

 

Référence : 2007CCI602

Date : 20071126

Dossier : 2006-3644(EI)

ENTRE :

 

PLUS QUE NOËL INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Bédard

 

[1]     L'appelante se spécialise dans la conception, la fabrication et l'installation de décors de Noël que l'on retrouve généralement dans des lieux publics telle la Place Ville‑Marie. Les activités de fabrication et d'installation des décorations de Noël se déroulent principalement sur une période d'environ six semaines à l'automne. Ainsi, afin de répondre aux besoins saisonniers de sa clientèle, l'appelante retient à chaque année, à l'automne, les services de plusieurs travailleurs qui, généralement, ne demeurent en poste que pour la période de fabrication et d'installation de ces décorations de Noël. C'est dans ce contexte que madame Véronique Dufour (la « travailleuse ») effectua du travail pour le compte de l'appelante penfant la période du 24 octobre au 5 décembre 2005 (la « période pertinente »). Il s'agit de déterminer, en l'espèce, si le travail effectué par la travailleuse pour le compte de l'appelante répond aux exigences d'un contrat de louage de services au sens de l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance‑emploi (la « Loi »).

 

[2]     Pour prendre sa décision, le ministre du Revenu national (le « ministre ») s'est appuyé sur les hypothèses de fait suivantes énoncées au paragraphe 10 de la Réponse à l'avis d'appel, lesquelles ont été admises, niées ou ignorées par l'appelante, comme il est indiqué entre parenthèses.

 

a)         l'appelante a été constituée en société le 20 novembre 2001; (admis)

 

b)         l'appelante se spécialisait dans la fabrication et l'installation de décorations de Noël; (admis)

 

c)         l'appelante embauchait 5 employés réguliers à l'année longue et plusieurs travailleurs occasionnels durant la période des fêtes de fin d'année; (nié)

 

d)         la travailleuse est étudiante; (ignoré)

 

e)         la travailleuse a répondu à une annonce parue dans le journal « Voir » pour des travailleurs pigistes, à temps partiel ou à temps plein, pour du travail de montage de décors avec une rémunération de 8 $ de l'heure; (ignoré)

 

f)          le 24 octobre 2005, la travailleuse signait un contrat préparé par l'appelante; (admis)

 

g)         le 2 août 2006, la travailleuse déclarait à un représentant de l'intimé qu'elle ne se posait pas de question sur son statut de travailleuse, elle voulait juste gagner un peu d'argent; (ignoré)

 

h)         la travailleuse n'avait aucune expérience en décoration de Noël; (ignoré)

 

i)          la travailleuse travaillait dans un premier temps à l'entrepôt de l'appelante pour faire la préparation des décorations, par la suite, elle a travaillé sur différents sites des entreprises clientes de l'appelante (Place Ville‑Marie, Domtar) pour faire le montage des décorations; (admis)

 

j)          la travailleuse recevait ses directives de l'appelante; (nié)

 

k)         dans l'exécution de ses tâches, la travailleuse suivait les instructions d'un superviseur de l'appelante à l'entrepôt et sur les sites de montage; (nié)

 

l)          la travailleuse travaillait 3 jours par semaine pour l'appelante, elle suivait des cours les 2 autres journées; (ignoré)

 

m)        la travailleuse avait un horaire de travail de 8 h 30 à 17 h lors de ses journées de travail à l'entrepôt; (nié)

 

n)         pour l'installation des décors, la travailleuse se présentait à l'endroit et à l'heure déterminés par l'appelante; (nié)

 

o)         la travailleuse avait une pause de 15 minutes le matin et une pause-repas de 30 minutes qui étaient rémunérées par l'appelante; (nié)

 

p)         la travailleuse n'a pas négocié son salaire, elle recevait une rémunération de 8 $ de l'heure qui était décidée par l'appelante; (ignoré)

 

q)         à chaque semaine, le superviseur faisait signer la travailleuse, une feuille de temps de ses heures travaillées; (admis)

 

r)          la travailleuse devait établir une facture à l'appelante avec le même nombre d'heures pour toucher sa rémunération; (admis)

 

s)         la semaine suivante, la travailleuse recevait un chèque; (ignoré)

 

t)          tout le matériel et l'équipement dont la travailleuse avait besoin dans l'exécution de ses tâches, sauf ses bottes et ses gants, étaient fournis par l'appelante. (admis)

 

Remarques préliminaires

 

[3]     Monsieur Paul‑André Fortin, agent d'admissibilité à l'Agence des douanes et du revenu du Canada, a été le seul témoin de l'intimé. La travailleuse, monsieur Yves Guilbeault et madame Karine‑Ève Crochetière ont été les témoins de l'appelante.

 

[4]     Les parties ont soumis certaines décisions à la Cour, dont celles dans les causes Landry c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [2004] A.C.I. no 86, Lacroix c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [2007] A.C.I. no 87, Dynamex Canada Inc. c. Mamona, 2003 C.A.F. 248, Le Livreur Plus Inc. et le Ministre du Revenu national et Georges Laganière, [2004] C.A.F. 68, D & J Driveway Inc. c. Ministre du Revenu national, [2003] Carswell Nat 3785, 2003 C.A.F. 453, 322 N.R. 381 et Procureur général du Canada et les Productions Bibi et Zoé inc. (C.A.F., 2004-02-04), 2004 C.A.F. 54.

 

Analyse

Le droit

[5]     Quand les tribunaux ont à définir des notions de droit privé québécois aux fins de l'application d'une loi fédérale, telle la Loi sur l'assurance-emploi, ils doivent se conformer à la règle d'interprétation à l'article 8.1 de la Loi d'interprétation. Pour déterminer la nature d'un contrat de travail québécois et le distinguer d'un contrat de service, il faut, tout au moins depuis le 1er juin 2001, se fonder sur les dispositions pertinentes du Code civil du Québec (« Code civil »). Ces règles sont incompatibles avec les règles énoncées dans des arrêts comme 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983 et Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553. Contrairement à la situation dans les provinces de common law, au Québec, les éléments constitutifs du contrat de travail ont été codifiés et les tribunaux n'ont plus, depuis l'entrée en vigueur des articles 2085 et 2099 du Code civil, le 1er janvier 1994, la latitude qu'ont les tribunaux de common law pour définir ce qui constitue un contrat de travail. S'il est nécessaire de s'appuyer sur des décisions jurisprudentielles pour déterminer s'il existait un contrat de travail, il faut choisir celles qui ont appliqué une approche conforme aux principes du droit civil.

[6]     Dans le Code civil, des chapitres distincts portent sur le « contrat de travail » (articles 2085 à 2097) et sur le « contrat d'entreprise et de service » (articles 2098 à 2129).

[7]     L'article 2085 porte que le contrat de travail :

[...] est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

[8]     L'article 2098 porte que le contrat d'entreprise :

[...] est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

 

[9]     L'article 2099 suit, rédigé dans les termes suivants :

L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution

 

 

[10]    On peut dire que ce qui distingue fondamentalement un contrat de service d'un contrat de travail est l'absence, dans le premier cas, d'un lien de subordination entre le prestataire de services et le client et la présence, dans le second cas, du droit de l'employeur de diriger et de contrôler l'employé. Il faut donc déterminer en l'espèce s'il y avait ou non un lien de subordination entre l'appelante et la travailleuse.

[11]    L'appelante a le fardeau de faire la preuve, selon la prépondérance des probabilités, des faits en litige pour établir son droit à l'annulation de la décision du ministre. Elle doit faire la preuve du contrat que les parties ont conclu et établir leur intention commune quant à la nature de ce contrat. S'il n'y a pas de preuve directe de cette intention, l'appelante peut avoir recours à des indices tirés du contrat qui a été conclu et aux dispositions du Code civil qui le régissaient. L'appelante devra en l'espèce démolir la thèse du ministre concernant l'existence d'un lien de subordination si elle veut établir que les parties n'ont pas conclu un contrat de travail et, pour ce faire, elle peut faire la preuve, si nécessaire, d'indices d'autonomie tels que ceux qui ont été énoncés dans l'arrêt Wiebe Door, précité, soit la propriété des outils ainsi que le risque de perte et la possibilité de profit. Je suis d'avis toutefois que, contrairement à l'approche en common law, une fois qu'un juge est en mesure de conclure à l'absence d'un lien de subordination, son analyse portant sur la question de déterminer s'il s'agit d'un contrat de service s'arrête là. Il n'est pas nécessaire de considérer la pertinence de la propriété des outils ni le risque de perte ou la possibilité de profit, puisqu'en vertu du Code civil, l'absence du lien de subordination constitue le seul élément constitutif du contrat de service qui le distingue du contrat de travail. Les éléments tels la propriété des outils et les risques de perte ou la possibilité de profit ne sont pas des éléments essentiels à un contrat de service. Par contre, l'absence d'un lien de subordination est un élément essentiel. À l'égard des deux formes de contrat, il faut décider s'il existe ou non un lien de subordination. Évidemment, le fait que la travailleuse se comportait comme un entrepreneur pourrait être un indice de l'absence d'un lien de subordination.

[12]    En dernier ressort, c'est habituellement sur la base des faits révélés par la preuve au sujet de l'exécution du contrat que la Cour devrait rendre une décision, et cela, même si l'intention exprimée par les parties au contrat indique le contraire. Si la preuve au sujet de l'exécution du contrat n'est pas concluante, la Cour peut quand même rendre une décision en se fondant sur l'intention des parties et la façon dont ils ont décrit le contrat, si la preuve est probante sur ces questions. Si cette preuve n'est pas concluante là non plus, alors la sanction sera le rejet de l'appel pour insuffisance de preuve.

 

Lien de subordination

 

[13]    Est-ce que la travailleuse travaillait sous le contrôle ou la direction de l'appelante, ou encore, est-ce que l'appelante pouvait ou était en droit de diriger ou de contrôler la travailleuse?

 

[14]    Certes, l'entente de travail (pièce A‑2) entre l'appelante et la travailleuse mentionne clairement que les services de cette dernière sont retenus à titre de travailleur autonome. Toutefois, même si les parties contractantes ont en l'espèce exprimé clairement leur intention dans leur contrat écrit, cela ne signifie pas que je dois considérer cette intention comme étant probante. Encore faut-il que le contrat soit exécuté conformément à ce qui y est prévu. Ce n'est pas parce que les parties ont stipulé dans le contrat que le travail sera exécuté par un travailleur autonome qu'il n'existe pas de relation employeur-employé. Cette vérification m'apparaît essentielle car, trop souvent, les parties ont intérêt à masquer la nature véritable d'un contrat. En effet, trop souvent les employeurs, désirant diminuer leurs charges fiscales et sociales liées aux salaires, décident de traiter leurs employés comme des travailleurs autonomes. Souvent, les employés ne négocient pas leurs contrats d'égal à égal, contrats que je décrirais la plupart du temps comme des contrats d'adhésion. En l'espèce, le témoignage très crédible de la travailleuse, qui était étudiante pendant la période pertinente, a révélé très clairement qu'elle avait un besoin urgent de travailler et qu'elle avait signé le contrat tel que soumis par l'appelante sans qu'il fasse l'objet de quelque négociation que ce soit. En fait, la travailleuse n'a même dpas compris ce qu'elle a signé. En résumé, la travailleuse était prête à signer n'importe quoi pour travailler. Dans un tel cas, il faut vérifier attentivement si la stipulation contractuelle est conforme à la réalité.

 

[15]    Je tiens à rappeler que l'appelante, en l'espèce, doit réfuter, selon la prépondérance des probabilités, la thèse du ministre qu'il y avait un lien de subordination si elle veut établir qu'il n'y avait pas de contrat de travail. Je tiens aussi à souligner que, si la preuve révèle à la fois des éléments d'autonomie et de subordination, la Cour devra conclure à l'existence d'un contrat de travail, puisque le contrat de services doit être exécuté sans lien de subordination. C'est ce que le juge Picard a décidé dans Commission des normes du travail c. 9002‑8515 Québec inc., REJB 2000‑18725 par. 15(5e) (C.S. Qué.) :

 

15.       Pour qu'il y ait un contrat d'entreprise, il ne doit y avoir aucun lien de subordination. Il existe dans ce cas un nombre suffisant d'indices d'un rapport d'autorité.

 

[16]    Est-ce que la travailleuse était libre de choisir les modalités d'exécution (« où », « quoi », « quand » et « comment ») du travail qui lui était assigné? Les faits énumérés dans la Réponse à l'avis d'appel liés aux modalités d'exécution du travail sur lesquels l'intimé s'est appuyé pour décider que la travailleuse exerçait un emploi assurable aux termes d'un contrat de louage de services sont, principalement, les suivants :

 

[...]

 

h)         la travailleuse n'avait aucune expérience en décoration de Noël;

 

i)          la travailleuse travaillait dans un premier temps à l'entrepôt de l'appelante pour faire la préparation de décorations, par la suite, elle a travaillé sur différents sites des entreprises clientes de l'appelante (Place Ville‑Marie, Domtar et Caetera) pour faire le montage des décorations;

 

j)          la travailleuse recevait des directives de l'appelante;

 

k)         dans l'exécution de ses tâches, la travailleuse suivait les instructions d'un superviseur de l'appelante à l'entrepôt et sur les sites de montage;

 

l)          la travailleuse travaillait 3 jours par semaine pour l'appelante, elle suivait des cours les 2 autres journées;

 

m)        la travailleuse avait un horaire de travail de 8 h 30 à 17 h lors de ses journées de travail à l'entrepôt;

 

n)         pour l'installation de décors, la travailleuse se présentait à l'endroit et à l'heure déterminé par l'appelante;

 

o)         la travailleuse avait une pose de 15 minutes le matin et une pause-repas de 30 minutes qui étaient rémunérées par l'appelante;

 

[...]

 

q)         à chaque semaine, le superviseur faisait signer la travailleuse une feuille de temps de ses heures travaillées;

 

[...]

 

t)          tout le matériel et l'équipement dont la travailleuse avait besoin dans l'exécution de ses tâches, sauf ses bottes et ses gants, étaient fournis par l'appelante.

 

[17]    L'appelante devait démontrer, selon la balance de probabilité, que ces faits étaient inexacts. La preuve de l'appelante, à cet égard, reposait essentiellement sur le témoignage de son président, monsieur Guilbeault, et sur le témoignage de madame Crochetière, qui a corroboré le témoignage de monsieur Guilbeault sur ces faits. Il convient de souligner que madame Crochetière avait été une pigiste puis un chef d'équipe de l'appelante. Je note aussi que madame Crochetière exploite maintenant une entreprise de marketing et qu'elle reçoit de l'appelante des mandats de marketing.

 

[18]    Le témoignage de monsieur Guilbeault pourrait se résumer ainsi :

 

i)        les pigistes, dont la travailleuse, devaient effectuer leur prestation de travail à l'entrepôt de l'appelante en ce qui a trait à la fabrication ou au montage des décors de Noël (telle la fabrication de couronnes, de vignes, de guirlandes, la décoration de sapins, etc.) et chez les clientes de l'appelante en ce qui a trait à l'installation et à la mise en place de ces décors;

 

ii)       aucun horaire de travail n'était imposé aux pigistes de l'appelante. Les pigistes étaient libres de travailler les jours et les heures qui leur convenaient;

 

iii)      la travailleuse, tout comme la plupart des pigistes dont les services étaient retenus, n'avait aucune expérience dans le domaine de la fabrication, du montage, de l'installation et de la mise en place de décors de Noël. Ces travailleurs recevaient une formation d'une journée avant que ne débute leur travail;

 

iv)      Tout le matériel (tels pinces, nacelles, échafauds, fils de métal, rubans, sapins, branches de sapin, machines à coudre et cætera) dont ces travailleurs avaient besoin étaient fournis par l'appelante, à l'exception des bottes et des gants;

 

v)       Ces travailleurs avaient deux poses rémunérées de 15 minutes pendant une journée de travail. Ils pouvaient prendre ces poses au moment qui leur convenait. Par ailleurs, ces travailleurs pouvaient prendre une pause-repas d'une durée allant de 15 à 60 minutes, et ce, au moment qui leur convenait;

 

vi)      Les pigistes étaient totalement libres de refuser ou d'accepter une assignation de travail. Quand les pigistes se présentaient sur les lieux de travail, le superviseur de l'appelante leur offrait différentes possibilités de travail. Les pigistes pouvaient alors refuser ou accepter d'exécuter les tâches qui leur étaient ainsi offertes. Généralement, ces travailleurs choisissaient d'exécuter des tâches qui convenaient à leurs habiletés et à leur goût. Une fois la tâche terminée, les travailleurs pouvaient cesser de travailler. S'ils voulaient continuer de travailler, l'appelante leur offrait généralement d'exécuter d'autres tâches qu'ils pouvaient refuser ou accepter.

 

vii)     Le rôle du superviseur ou du chef d'équipe consistait notamment à distribuer le travail aux pigistes. Le témoignage de monsieur Guilbeault à cet égard mérite d'être cité[1] :

 

Q.        ... toujours en prenant en considération ce que les pigistes font comme travail et par la suite, nous allons regarder ce que les employés, les chefs d'atelier effectuent aussi comme travail?

 

R.         Donc moi, je rencontre les superviseurs chefs d'équipe, on détermine, on dit c'est quoi le plan de match et ces personnes-là vont faire en sorte de distribuer la job aux pigistes qui vont se présenter le matin, on a telle, telle chose à faire donc, les pigistes vont prendre cette job-là ou celle-là ou celle-là pour être capable, encore une fois, d'arriver à nos buts à la fin de la journée, parce que le temps est toujours très serré et on a des targets  à respecter

 

Q.        Alors, le matin en atelier, il y a du travail à faire...

 

R.         Oui.

 

            ... expliquez-nous là, comment ça se passe, le superviseur fait quoi dans l'atelier?

 

R.         Les gens arrivent, la personne qui est en charge, le chef d'équipe est là, quand les gens sont arrivés, on dit, * bon, aujourd'hui, on va travailler sur Place Ville-Marie, sur le 1250, sur le 1100, René-Lévesque. Là-dessus, il y a des guirlandes à faire, il y a des couronnes à faire, il y a des sapins à faire. Il y a de la vigne, il y a différents sapinages, donc qui fait quoi? On offre aux personnes et ces personnes-là vont aller vers ce qu'ils aiment le plus à faire.

 

viii)    Le rôle du superviseur ou du chef d'équipe consistait aussi à motiver les pigistes, à les superviser et à coordonner leur travail de façon à ce que les délais soient respectés et que le produit fini soit d'une qualité à la hauteur de la réputation de l'appelante.[2] Le témoignage de monsieur Guilbeault à l'égard de la nécessité de contrôler le travail des pigistes par les chefs d'équipe mérite aussi d'être cité :

 

Le superviseur va être là pour regarder... parce que si je vous donne un exemple précis, on a deux personnes qui travaillent sur des morceaux de couronne, exemple, la couronne de Domtar qui a trente-deux pieds (32 pi), s'il y en a une qui travaille d'une façon et l'autre travaille de l'autre façon, lorsqu'on arrive pour les jointer, ça fait des intensités de lumières, ça fait des patterns qui n'ont pas d'allure donc, il faut contrôler, le chef d'équipe contrôle la qualité du produit en tant que telle et voit à dispatcher quand ils ont fini, à offrir autre chose, veux-tu aller faire ci? Veux-tu aller faire ça? et à ce moment-là, on travaille toute la journée.[3]

 

[19]    Le témoignage de monsieur Guilbeault et celui de madame Crochetière m'ont paru invraisemblables. En outre, madame Crochetière ne m'a pas semblé être un témoin indépendant. À en croire ces deux témoins, l'anarchie régnait chez l'appelante. Ils ont prétendu qu'il n'y avait aucune direction ni aucun contrôle sur les modalités du travail des pigistes. Essentiellement, les pigistes, dont la travailleuse, pouvaient travailler quand ils le voulaient et accumuler le nombre d'heures qu'ils voulaient. Ils étaient totalement libres d'accepter ou de refuser une assignation de travail. Ils déterminaient en quelque sorte le travail qu'ils étaient prêts à faire. Le rôle des chefs d'équipe consistait essentiellement à motiver les pigistes, à leur offrir des tâches à exécuter et à contrôler la qualité du produit final. À mon avis, le contrôle de l'appelante sur le lieu où le travail devait être effectué était évident. Les pigistes n'avaient pas le libre choix d'effectuer leur prestation de travail ailleurs qu'à l'entrepôt et chez les clientes de l'appelante. À mon avis, le contrôle de l'appelante sur l'horaire et la nature du travail des pigistes était indirect et subtil, pour ne pas dire insidieux. La travailleuse avait besoin de travailler. Elle savait aussi qu'elle devait travailler un certain nombre d'heures pendant des périodes de disponibilité dont elle avait informé l'appelante et qu'elle devait exécuter les tâches qu'on lui confiait. Elle savait que, si elle ne se pliait pas aux exigences de l'appelante, elle serait congédiée. Comment le disait si bien madame Crochetière : « Si le travail, si une fois que le travail est expliqué, la personne n'arrive pas à le produire de la manière qu'on l'a démontré ou une personne qui ne veut rien faire chaque fois qu'on propose quelque chose, on va juste pas la rappeler, on va prendre quelqu'un d'autre »[4]. Je conçois que l'appelante devait être flexible à l'égard de l'horaire et de la nature du travail des pigistes, compte tenu du caractère saisonnier du travail et de la rémunération minimale versée pour ce travail, mais de là à tenter de me faire croire qu'il n'y avait aucune directive sur l'horaire et la nature du travail, il y avait un pas qu'il ne fallait pas franchir. En effet, compte tenu des faits propres à cette affaire, la Cour ne croit pas les allégations de l'appelante que la travailleuse avait carte blanche pour travailler quand elle le voulait et faire le travail qu'elle voulait bien faire. À en croire les deux témoins de l'appelante, la travailleuse ne recevait aucune directive des chefs d'équipe concernent le travail à exécuter et ne faisait l'objet d'aucune supervision de la part des chefs d'équipe. À en croire ces deux témoins, le rôle des chefs d'équipe consistait uniquement à motiver les travailleurs, à offrir aux travailleurs du travail et à vérifier la qualité des produits finis. Ceci m'apparaît invraisemblable compte tenu de l'inexpérience de la travailleuse. L'exemple de la fabrication de la couronne de 32 pieds de Domtar ne démontre‑t‑il pas que les chefs d'équipe donnaient des directives précises sur la manière de faire la couronne? Je ne vois pas comment une travailleuse aussi peu expérimentée que l'appelante aurait pu faire le montage final des décors de Noël chez les clients de l'appelante sans recevoir des directives précises des chefs d'équipe.

 

[20]    J'ajouterai que la travailleuse s'était vu rembourser certaines dépenses, qu'elle avait eu deux poses rémunérées de 15 minutes à chaque journée de travail, qu'elle avait été rémunérée pour ses heures de formation et que l'appelante avait fourni à la travailleuse tout le matériel dont elle avait besoin pour exécuter ses tâches. Ces faits sont autant d'indices d'un lien de subordination et d'une absence d'autonomie.

 

[21]    Pour ces motifs, l'appel est rejeté.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de novembre 2007.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI602

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2006-3644(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              PLUS QUE NOËL INC. ET M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 14 août 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Paul Bédard

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 26 novembre 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Éric Beaulieu

Avocate de l'intimé :

Me Nadia Golmier

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante:

 

                     Nom :                            Me Éric Beaulieu

                  

                   Ville :                              Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]  Voir notes sténographiques, par. 173 à 175.

[2]  Voir notes sténographiques, par. 213.

[3]  Voir notes sténographiques, par. 185.

[4]  Voir notes sténographiques, par. 328.

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