Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Dossier : 2006-2488(EI)

ENTRE :

DESROBEC INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

JACQUES TURBIDE,

intervenant.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 19 mars 2007, à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Réal Favreau

 

Comparutions :

 

Représentant de l’appelante :

Jean-Jacques Desrochers

Avocat de l'intimé :

Me Claude Lamoureux

Pour l’intervenant :

L’intervenant lui-même

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

          L'appel de la décision du ministre du Revenu national à l'effet que l'intervenant, monsieur Jacques Turbide, occupait un emploi assurable auprès de l'appelante, pour les périodes du 7 juin au 31 décembre 2004 et du 1er janvier au 18 octobre 2005, au sens de l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance‑emploi, est rejeté, selon les motifs du jugement ci-joint.

 

Signé à Montréal, (Québec), ce 15e jour d'août 2007.

 

 

« Réal Favreau »

Juge Favreau


 

 

 

Référence : 2007CCI459

Date : 20070815

Dossier : 2006-2488(EI)

ENTRE :

 

DESROBEC INC.,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

JACQUES TURBIDE,

intervenant.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Favreau

 

[1]     Il s’agit d’un appel de la décision rendue par le ministre du Revenu national (le « ministre ») le 6 juin 2006 concernant l’assurabilité de l’emploi de monsieur Jacques Turbide auprès de l’appelante pour les périodes du 1er juin au 31 décembre 2004 et du 1er janvier au 18 octobre 2005 (les « périodes visées ».

 

[2]     Le ministre a en effet conclu que monsieur Turbide exerçait auprès de l’appelante durant les périodes visées, un emploi assurable au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, c-23, telle que modifiée (la « Loi »).

 

Les faits

 

[3]     L’appelante a été constituée en société le 30 novembre 1982 et exploitait une entreprise de vente de systèmes de sécurité.

 

[4]     Au cours des périodes visées, monsieur Jean-Jacques Desrochers était actionnaire de l’appelante et détenait notamment un permis de courtier en valeurs mobilières.

 

[5]     L’appelante a embauché monsieur Turbide en novembre 2003 en tant que superviseur des employés en télémarketing.

 

[6]     En décembre 2003, l’appelante a réorganisé ses activités et a congédié tous ses employés en télémarketing.

 

[7]     Le 4 janvier 2004, monsieur Turbide fut réengagé par l’appelante pour effectuer des appels téléphoniques pour solliciter de nouveaux clients potentiels et obtenir des rendez-vous pour monsieur Desrochers. Il ne pouvait pas effectuer de ventes de produits financiers car il ne détenait pas de permis des autorités compétentes à cet effet.

 

[8]     Jusqu’en juin 2004, monsieur Turbide était considéré comme un employé de l’appelante et recevait un salaire de 400 $ par semaine, payé par chèque aux deux semaines.

 

[9]     En juin 2004, l’appelante et monsieur Desrochers ont décidé de changer le statut de monsieur Turbide de salarié à travailleur autonome et en septembre 2004, un contrat fut signé à cet effet portant la date du 7 juin 2004. Le contrat a été préparé par monsieur Desrochers et aucune négociation n’a été eu lieu entre les parties concernant le contenu du contrat. Des explications quant à la portée du contrat furent cependant fournies à monsieur Turbide par monsieur Desrochers. Le but du contrat était apparemment de motiver monsieur Turbide à devenir un représentant de carrière dans une agence d’une compagnie d’assurance-vie. Pour ce faire, monsieur Turbide devait obtenir son pardon pour un acte criminel antérieur, passer des tests d’équivalence pour ses études et suivre des cours appropriés pour obtenir un permis d’exercice de la fonction de représentant en assurance-vie et pour la vente de produits financiers. Selon monsieur Desrochers, monsieur Turbide aurait dû être remercié s’il n’avait pas signé ce contrat.

 

[10]    Suite à la conclusion du contrat, il n’y a eu aucun changement dans les tâches de monsieur Turbide.

 

[11]    Monsieur Turbide exerçait ses tâches dans le bureau de l’appelante selon un horaire établi en fonction des heures d’ouverture de l’appelante, soit du lundi au vendredi de 9 h à 16 h, sauf durant la période active des RÉER au cours de laquelle il y avait des horaires variables.

 

[12]    Monsieur Desrochers appelait quotidiennement monsieur Turbide pour s’informer des démarches effectuées et pour lui fournir des listes de personnes à contacter (ex. listes électorales). Monsieur Turbide utilisait les outils mis à sa disposition par l’appelante. Il n’encourait aucune dépense dans l’exécution de ses tâches et n’assumait aucun risque financier.

 

[13]    Dans l’exécution de ses fonctions, monsieur Turbide rendait personnellement les services à l’appelante et il devait représenter monsieur Desrochers de façon exclusive dans la recherche de clients incluant le travail de marketing.

 

[14]    Monsieur Turbide n’avait pas de clients car les clients étaient les clients de monsieur Desrochers. À la terminaison du contrat, le 24 février 2006, monsieur Turbide a dû remettre à l’appelante tous les documents relatifs à la clientèle.

 

[15]    Monsieur Turbide n'étaient pas intégrées aux activités de l’appelante, sauf pour l'aspect organisationnel du travail.

 

[16]    À compter de juin 2004, monsieur Turbide a signé des factures pour ses services, lesquelles étaient préparées par monsieur Desrochers ou par son comptable et a reçu des avances non redevables au moyen de chèques numérotés qu’il endossait et remettait à monsieur Desrochers pour encaissement moyennant un frais de 5 $ par chèque.

 

[17]    À compter du 30 août 2004, monsieur Turbide a reçu des avances non redevables de 500 $ par semaine. Monsieur Turbide pouvait également obtenir des bonis sur l’atteinte de résultats tangibles déterminés par monsieur Desrochers.

 

[18]    Monsieur Turbide ne reconnaît pas la validité du contrat avec l’appelante le désignant comme travailleur autonome et allègue qu’il s’agit d’un contrat d’adhésion préparé unilatéralement par monsieur Desrochers à son avantage.

 

 

Législation pertinente

 

 

[19]    L’alinéa 5(1)a) de la Loi définit l’expression « emploi assurable » de la façon suivante :

 

5.(1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

5.(1) Subject to subsection (2), insurable employment is

a) l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou facile, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière.

(a) employment in Canada by one or more employers, under any express or implied contract of service or apprenticeship, written or oral, whether the earnings of the employed person are received from the employer or some other person and whether the earnings are calculated by time or by the piece, or partly by time and partly by the piece, or otherwise;

 

 

[20]    L’expression « contrat de louage de service » utilisée à l’alinéa 5(1)a) de la Loi est désuète puisque le Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64 utilise maintenant les expressions « contrat de travail » à l’article 2085 et « contrat d’entreprise ou de service » à l’article 2098. Ces articles se lisent comme suit :

 

2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur.

 

2085. A contract of employment is a contract by which a person, the employee, undertakes for a limited period to do work for remuneration, according to the instructions and under the direction or control of another person, the employer.

 

2098. Le contrat d’entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l’entrepreneur ou le prestataire de services, s’engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s’oblige à lui payer.

2098. A contract of enterprise or for services is a contract by which a person, the contractor or the provider of services, as the case may be, undertakes to carry out physical or intellectual work for another person, the client or provide a service, for a price which the client binds himself to pay.

 

[21]    L’article 2099 du Code civil du Québec est également pertinent puisqu’il fournit les éléments qui caractérisent un entrepreneur ou un prestataire de services. Cet article se lit comme suit :

 

2099. L’entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d’exécution du contrat et il n’existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

2099. The contractor or the provider of services is free to choose the means of performing the contract and no relationship of subordination exists between the contractor or the provider of services and the client in respect of such performance.

 

 

 

[22]    En droit civil québécois, les trois éléments constitutifs qui caractérisent le « contrat de travail » est une prestation de travail, une rémunération et un lien de subordination.

 

 

Analyse

 

[23]    Pour les motifs qui suivent, je conclus que monsieur Turbide occupait un emploi assurable auprès de l’appelante et, par conséquent, n’était pas un travailleur autonome.

 

[24]    Suite à la conclusion du contrat précité, monsieur Turbide n’a pas acquis plus d’autonomie qu’il n’en avait avant alors qu’il était un employé de l’appelante. Il a été mis en preuve que les tâches de monsieur Turbide n’ont pas été modifiées suite à la conclusion du contrat.

 

[25]    Le contrat à sa face même renferme de nombreux éléments confirmant l’existence d’un lien de subordination et de contrôle qui caractérise un contrat de travail. Les principales dispositions à cet effet sont les suivantes :

 

-         3.1 : exclusivité des services;

 

-         4   :  contrat d’un an renouvelable automatiquement;

 

-         7.1 : seuls les services ou produits autorisés par monsieur Desrochers peuvent être exposés au téléphone;

 

-         7.2 : activités doivent être exercées à plein temps;

 

-         7.3 : accès immédiat à tous les emplacements où monsieur Turbide exerce ses activités ou y conserve des informations sous forme écrite ou électronique;

 

-         7.4 : obligation d’adhérer aux normes d’intégrité et de conduite édictées de temps à autre verbalement ou par écrit;

 

-         7.5 : engagement à ne pas transmettre à qui que ce soit les informations ou documents sans en avoir parlé avec monsieur Desrochers;

 

-         7.6 : incapacité légale d'engager la responsabilité de monsieur Desrochers;

 

-         7.7 : toute activité ou source de rémunération susceptible de contrevenir au contrat doit être soumise au préalable à monsieur Desrochers;

 

-         7.8 : les fonctions, les obligations et les responsabilités de monsieur Turbide s'exercent toujours sous la supervision de monsieur Desrochers;

 

-         8.1 : conformément aux lois applicables monsieur Desrochers est responsable de la conduite de monsieur Turbide et surveille cette conduite dans le cadre des activités commerciales de monsieur Desrochers;

 

-         10.1 : droit de révision du barème de rémunération conféré à monsieur Desrochers, lequel pouvait être exercé lorsqu'il le jugeait opportun.

 

 

[26]    Le régime de bonification n'était pas prévu au contrat quoiqu'il y fasse référence.

 

[27]    Curieusement, le contrat portait sur la fourniture de services administratifs pour la vente de produits financiers par monsieur Desrochers, alors que l'entreprise de l'appelante se limitait à la vente de systèmes d'alarme.

 

[28]    Monsieur Turbide ne reconnaît pas l'application du contrat parce qu'il n'avait pas d'autre choix que de le signer pour garder son travail.

 

[29]    L'application des critères énoncés dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd c. M.N.R. (1986) 3 C.F. 553, à savoir la propriété des instruments de travail, les chances de profits, les risques de pertes et l'intégration confirment également que monsieur Turbide occupait un emploi assurable auprès de l'appelante.

 

[30]    La preuve est à l'effet que monsieur Turbide n'avait pas la propriété des instruments de travail.

 

[31]    Les chances de profits étaient minimes et même aléatoires compte tenu du fait qu'il n'a jamais obtenu son pardon et n'a pas entrepris les deux années d'études à plein qu'il aurait dû faire pour obtenir les équivalences requises.

 

[32]    Les risques de pertes étaient également inexistants alors que le facteur d'intégration peut difficilement être appliqué en l'espèce, compte tenu du fait que les activités de monsieur Turbide n'était pas reliées à l'entreprise de l'appelante.

 

[33]    Le degré de contrôle exercé par monsieur Desrochers sur les activités de monsieur Turbide était tel, qu'à toute fin pratique, il ne pouvait exercer ses activités en tant que travailleur autonome.

 

[34]    Pour ces motifs, l'appel est rejeté.

 

Signé à Montréal (Québec), ce 15e jour d'août 2007.

 

 

« Réal Favreau »

Juge Favreau


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI459

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2006-2488(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              DESROBEC INC.et M.R.N. et JACQUES TURBIDE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 19 mars 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Réal Favreau

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 15 août 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelante :

Jean-Jacques Desrochers

Avocat de l'intimé :

Me Claude Lamoureux

Pour l’intervenant :

L’intervenant lui-même

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante :

 

                     Nom :

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.