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Dossiers : 2004-3717(EI)

2004-3718(EI)

 

ENTRE :

9020-8653 QUÉBEC INC.,

 

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

Appels entendus le 6 septembre 2007, à Chicoutimi (Québec)

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Jean-François Maltais

 

Avocate de l'intimé :

Me Nancy Dagenais

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels interjetés en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance‑emploi sont rejetés et les décisions du ministre du Revenu national sont confirmées, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de novembre 2007.

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard


 

 

 

 

 

Référence : 2007CCI604

Date : 20071114

Dossiers : 2004-3717(EI)

2004-3718(EI)

ENTRE :

 

9020-8653 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Bédard

 

[1]     Il s'agit de deux appels entendus sur preuve commune. L'appel no 2004‑3718(EI) concerne une décision du ministre du Revenu national du Canada (le « ministre ») selon laquelle le travail effectué par monsieur Mario Caron (le « travailleur ») alors qu'il était au service de l'appelante satisfait aux exigences d'un contrat de louage de services au sens de l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance‑emploi (la « Loi »). Les périodes visées par cet appel sont du 20 février 1997 au 17 janvier 1998, du 1er février 1998 au 5 septembre 1998, du 13 décembre 1998 au 1er mai 1999, du 9 mai 1999 au 29 mai 1999, du 6 juin 1999 au 29 avril 2000 et du 25 juin 2000 au 19 janvier 2003 (les « périodes pertinentes »).

 

[2]     L'appel no 2004‑3717(EI) porte sur une cotisation établie par le ministre pour les cotisations d'assurance-emploi de l'appelante à l'égard du travailleur pour les années 2000, 2001 et 2002. Les cotisations s'établissaient comme suit :

 

ANNÉE

 

COTISATIONS A.E.

PÉNALITÉ

INTÉRÊTS

TOTAL

2000

2 106,56 $

210,61 $

660 $

2 977,17 $

2001

2 106,00 $

210,56 $

430 $

2 746,56 $

2002

2 059,17 $

205,87 $

226 $

2 491,04 $

Total

6 271,73 $

627,04 $

1 316 $  

8 214,77 $

 

 

[3]     Pour expliquer ses décisions, le ministre s'est appuyé dans les deux appels sur les mêmes hypothèses de fait, lesquelles ont été admises ou niées par l'appelante comme il est indiqué entre parenthèses :

 

a)         l'appelante a été constituée en société le 23 mai 1995; (admis)

 

b)         l'appelante faisait affaires sous le nom et raison sociale « Motel Richelieu Jonquière »; (admis)

 

c)         l'appelante exploitait un motel de 100 chambres, un restaurant de 72 places et un bar pouvant accueillir 400 personnes; (admis)

 

d)         l'appelante embauchait 100 employés environ à chaque année; (admis)

 

e)         le travailleur est menuisier; (admis)

 

f)          l'appelante a embauché le travailleur en 1995; (admis)

 

g)         l'appelante assignait les tâches à accomplir au travailleur; (admis)

 

h)         les tâches du travailleur consistaient à s'occuper des travaux de rénovations aux chambres du motel, au bar et au restaurant en plus de s'occuper de l'entretien général; (nié)

 

i)          la rénovation du bar et du restaurant se faisait annuellement par l'appelante et le travailleur prenait de 2 à 3 mois pour le bar et de 1 à 2 mois pour le restaurant, le restant de l'année était consacré à la rénovation graduelle des chambres; (nié)

 

j)          l'entretien général pour réparer les bris d'équipement occupait le travailleur une quinzaine d'heures par semaine; (admis)

 

k)         le travailleur poinçonnait ses heures d'entrée et de sortie comme tous les autres employés de l'appelante; (admis)

 

l)          les heures de travail du travailleur variaient d'une semaine à l'autre selon les travaux à accomplir; (nié tel que rédigé)

 

m)        le travailleur devait respecter les échéanciers établis par l'appelante; (admis)

 

n)         le travailleur était aidé dans l'exécution de ses tâches par un employé salarié de l'appelante; (nié)

 

o)         le travailleur devait exécuter ses tâches personnellement et il ne pouvait pas se faire remplacer; (nié)

 

p)         depuis 1997, le travailleur rendait des services à l'appelante sur une base régulière à chaque semaine pour un nombre d'heures hebdomadaire dépassant souvent les 40 heures par semaine; (nié tel que rédigé)

 

q)         l'appelante exerçait un droit du contrôle sur le travail et sur les heures de travail du travailleur; (nié)

 

r)          le travailleur était rémunéré sur une base horaire; (admis)

 

s)         le travailleur recevait 17 $ de l'heure pour les travaux de rénovations et de 15 $ de l'heure pour l'entretien général; (admis)

 

t)          le travailleur était rémunéré par chèque à chaque mercredi; (admis)

 

u)         le travailleur fournissait ses petits outils de menuisier; (nié tel que rédigé)

 

v)         l'appelante fournissait au travailleur un banc de scie, une toupie et un fusil à peinturer; (nié tel que rédigé)

 

w)        l'appelante fournissait un téléphone cellulaire au travailleur; (admis)

 

x)         lorsque le travailleur effectuait des déplacements avec son automobile personnelle, l'appelante lui donnait 10 $ par semaine; (nié)

 

y)         l'appelante fournissait tous les matériaux nécessaires à l'accomplissement des tâches du travailleur; (admis)

 

z)         le travailleur n'avait aucun risque de perte ou chance de profit dans l'accomplissement de ses tâches pour l'appelante; (nié)

 

aa)       les tâches du travailleur étaient intégrées aux activités de l'appelante; (nié tel que rédigé)

 

bb)       le 24 février 2004, l'appelante a reçu une mise en demeure de la Commission des normes du travail du Québec concernant des montants d'argent pour les vacances et les jours fériés impayés au travailleur qui sont dus par l'appelante; (admis)

 

cc)       au cours des 27 dernières semaines de la période, le travailleur a reçu de l'appelante 23 448,47 $; (ignoré)

 

dd)       au cours des 53 dernières semaines de la dernière période d'emploi, le travailleur a travaillé 2 493 heures; (ignoré)

 

Remarques préliminaires

 

[4]     Monsieur Guy Desmeules, un actionnaire et administrateur de l'appelante, madame Sandra Tremblay, la contrôleuse de l'appelante, et monsieur Marc‑André Émond, un ancien directeur de l'hébergement, ont témoigné à l'appui de la position de l'appelante. Seul le travailleur a témoigné à l'appui de la position de l'intimée.

 

Témoignage de monsieur Desmeules

 

[5]     Monsieur Desmeules a affirmé ce qui suit :

 

          i)   en 1995, il s'était porté acquéreur avec monsieur Roger Simard des actions de l'appelante, qui exploitait un motel qui était alors dans un état lamentable en raison d'un manque flagrant d'entretien depuis sa construction en 1970;

 

          ii)  puisque ses ressources financières étaient très limitées, l'appelante ne pouvait se permettre de rénover le motel trop rapidement. C'est pour cette raison que l'appelante avait accordé pendant les années pertinentes la plupart des contrats de menuiserie pour la rénovation au travailleur, qui était un petit fournisseur et travaillait seul;

 

          iii) l'appelante avait fait les rénovations suivantes de 1995 à 2002 :

 

Nature des travaux

 

1) Rénovation du bar

2) Petite rénovation du bar

3) Rénovation de 5 chambres

4) Travaux préparatoires à l'installation d'unités de chauffage de marque « Convectair » dans 103 chambres

5) Fabrication et installation d'un

comptoir dans le bar

6) Rénovation de 12 chambres

7) Rénovation de 12 chambres

8) Rénovation de la chambre froide

9) Rénovation de la cuisine

10) Rénovation du bas, des toilettes

du vestiaire et de la réception

 

Année

 

1995

fin 1995

1996

1997

 

 

1997

 

1998

1999

1999

2000

2000

Durée d'exécution des travaux

 

7 à 9 semaines

3 semaines

6 à 7 mois

de janvier à septembre

 

 

octobre et novembre

 

12 mois

de janvier à novembre

décembre

de janvier à avril

de juillet à décembre

 

       iv)   le travailleur avait travaillé pour l'appelante de façon continue pendant toute la durée des travaux de rénovation mentionnés ci-dessus. Monsieur Desmeules a aussi admis que pendant les périodes pertinentes, le travailleur s'était occupé de l'entretien général du motel pendant une quinzaine d'heures par semaine;

 

       v)    pendant les périodes pertinentes, le travailleur avait eu le libre choix des moyens d'exécution des travaux de rénovation et d'entretien;

 

       vi)   pendant les périodes pertinentes, le travailleur n'avait pas eu l'obligation de demeurer à la disposition de l'appelante selon un horaire établi par cette dernière. Selon monsieur Desmeules, le travailleur aurait pu travailler pendant autant d'heures qu'il le désirait, et ce, selon son propre horaire. Monsieur Desmeules a expliqué que le travailleur n'avait pas eu à respecter la règle que l'appelante imposait à tous ses employés et voulant qu'ils ne pouvaient pas travailler pendant plus de 40 heures par semaine;

 

       vii)   le travailleur avait consigné ses heures de travail en se servant d'une horloge de pointage comme tous les autres employés de l'appelante, non pas parce que cette dernière l'avait exigé, mais bien parce qu'il considérait que cette façon de faire lui permettait d'établir avec précision le nombre d'heures pendant lesquelles il avait travaillé pour l'appelante;

 

       viii)  le travailleur avait toujours fourni les outils pour exécuter les contrats qui lui avaient été octroyés par l'appelante, à l'exception d'un banc de scie acheté par l'appelante en 2001;

 

       ix)   les matériaux utilisés par le travailleur lors de l'exécution des contrats qui lui avaient été octroyés par l'appelante avaient été fournis par cette dernière;

      

       x)    les contrats octroyés au travailleur par l'appelante ne l'obligeaient pas à fournir en personne la prestation de travail. Toutefois, monsieur Desmeules a précisé que l'appelante devait accepter le remplaçant choisi par le travailleur;

 

       xi)   le travailleur avait réalisé, plusieurs contrats de menuiserie pour d'autres personnes pendant les périodes pertinentes sans avoir eu à obtenir l'accord de l'appelante;

 

       xii)   l'appelante payait le travailleur 17 $ l'heure pour les travaux de rénovation;

 

       xiii)  l'appelante payait le travailleur 15 $ l'heure pour les travaux d'entretien du motel;

 

       xiv)  le travailleur remettait hebdomadairement à l'appelante, en guise de facture, un bout de papier où étaient inscrites ses heures de travail pour la semaine. Sur présentation de la facture, l'appelante tirait immédiatement un chèque sur son compte bancaire pour acquitter la facture du travailleur. Monsieur Desmeules a expliqué par ailleurs que la rémunération de tous les employés avait toujours été versée directement dans leur compte bancaire;

 

       xv)  l'appelante avait toujours considéré que le travailleur était un fournisseur et non un employé. Je souligne immédiatement que cette allégation a été contredite par des documents déposés en preuve par l'intimé (pièce I‑1) lors du contre‑interrogatoire de monsieur Desmeules, preuve documentaire qui démontre tout au moins que l'appelante avait inscrit pendant quelques mois en 1996 le nom du travailleur dans son livre de paie, lui avait remis un bulletin de paie, avait retenu l'impôt de la rémunération du travailleur et avait versé les cotisations pour les régimes de sécurité sociale. Je souligne que monsieur Desmeules a tout simplement répondu qu'il ne se souvenait pas de ce fait lorsqu'il fut contre‑interrogé à cet égard par l'avocate de l'intimé. Enfin, je note aussi que j'ai été particulièrement estomaqué d'entendre monsieur Desmeules dire lors de son contre‑interrogatoire, que l'appelante avait offert à plusieurs reprises de traiter le travailleur comme un employé. Monsieur Desmeules a même ajouté que le travailleur avait toujours refusé l'offre de l'appelante, bien qu'elle lui ait expliqué les avantages d'être un employé. C'est donc dire que l'appelante traitait le travailleur comme un fournisseur non pas parce qu'elle le considérait comme tel, mais bien parce que le travailleur s'opposait à être traité comme un employé. En quelque sorte, il semble que l'appelante ait dû se plier aux exigences du travailleur pour être en mesure de bénéficier de ses services.

 

Témoignage de madame Sandra Tremblay

 

[6]     Lors de son témoignage, madame Tremblay, la contrôleuse de l'appelante pendant les périodes pertinentes, a essentiellement corroboré la plupart des affirmations de monsieur Desmeules. Je souligne aussi que madame Tremblay, tout comme monsieur Desmeules, ne se souvenait pas que l'appelante avait inscrit le nom du travailleur dans son livre de paie pendant quelques mois en 1996. Madame Tremblay a ajouté qu'elle avait elle‑même préparé annuellement les « États des frais engagés pour la réalisation de l'égard d'un immeuble » (pièce A‑2), et que l'appelante avait produit comme elle le devait ces états au ministre du Revenu du Québec. Madame Tremblay a expliqué que ces états contiennent le nom de tous les fournisseurs qui, durant une année donnée, ont réalisé des travaux de rénovation, d'amélioration, d'entretien ou de réparation à l'égard du motel ainsi que le montant payé ou à payer à ces fournisseurs pour ces travaux. Madame Tremblay a fait remarquer à la Cour que ces états démontraient que le travailleur avait été un fournisseur de l'appelante en 1997, 1998, 1999, 2000, 2001 et 2002, et que l'appelante lui avait versé pour ses services la somme de 36 297,50 $ en 1997, de 21 523 $ en 1998, de 34 210,75 $ en 1999, de 36 105,85 $ en 2000, de 45 078,25 $ en 2001 et de 40 322,50 $ en 2002.

 

 

Témoignage de monsieur Marc‑André Émond

 

[7]     Dans sa déclaration assermentée produite sous la cote I‑2, monsieur Émond a déclaré ce qui suit :

 

Déclaration sous serment

 

Affidavit

 

[...]

 

Je connais M. Mario Caron depuis juillet 1999, depuis que j'ai commencé à travailler au Motel Richelieu en tant que directeur de l'hébergement. Je travaillais conjointement avec M. Caron en tout temps, car il y avait de nombreux bris partout dans l'hôtel dû aux nombreuses plaintes des clients.

 

Nos tâches étant élargies, nous devrions demander des soumissions auprès des compagnies d'alcool ainsi que de faire la gestion de l'inventaire du bar et du restaurant. De plus, lors d'un problème de personnel, moi et Mario Caron ont dû, dans nos heures de fonctions, s'occuper du restaurant, M. Caron s'occupait de l'approvisionnement des aliments tandis que je m'occupais des horaires.

 

Nous avions un cellulaire payé par le Motel Richelieu, dont nous étions à la disposition de tous 24 heures sur 24 et ce, sans compensation monétaire.

 

M. Mario Caron devait poinçonner son temps comme tout autre employé et je lui remettais son chèque de paye en même temps que tout le monde.

 

Son travail l'emmenait à venir voir sur l'ordinateur de la réception pour vérifier le travail à faire dans les chambres, il y avait un coin réservé à lui.

 

M. Caron était appelé à faire de nombreux déplacement pour aller chercher des matériaux et des outils afin de faire l'entretien et les rénovations dans le Motel Richelieu. Pour tous ces déplacements, qui pouvait aller de 2 à 300 km, il recevait 10 $, c'était moi qui lui remettais. De plus, il était payé 15 $ de l'heure lorsqu'il faisait de l'entretien et 17 $ de l'heure lorsqu'il faisait des rénovations. C'était partagé environ 60 % rénovation et 40 % d'entretien.

 

Parmi toutes ses tâches, M. Caron avait dans l'obligation de faire du travail dangereux sans avoir les certificats de compétences pour les exécuter (propane, 600 volts, chauffe-eau, ...) dans le but de réduite les coûts et ce, sans aucune formation offerte par l'employeur.

 

J'ai été mis au courant des quatre (4) semaine de paye qui ont été saisie à M. Mario Caron.

 

Sous les ordres de M. Guy Desmeules, j'ai dû placer une offre d'emploi pour trouver quelqu'un pour faire l'entretien, donc pour remplacer Mario Caron sans qu'il en ait connaissance.

 

[...]

 

 

[8]     Lors de son témoignage, monsieur Émond a ajouté qu'à sa connaissance, le travailleur « travaillait quand il voulait » et qu'il « n'avait aucun contrôle sur l'horaire de travail du travailleur ». Monsieur Émond a aussi dit que les clients de l'appelante s'étaient plaints à cette dernière que ses employés monopolisaient les appareils de vidéopoker. L'appelante avait donc interdit à ses employés de jouer sur ces appareils. Monsieur Émond a dit que le travailleur disait fréquemment aux clients de l'appelante qu'il n'était pas un employé, mais bien un fournisseur, et ce, pour éviter qu'ils ne se plaignent à cette dernière de son utilisation de ces appareils de vidéopoker.

 

 

Témoignage du travailleur

 

[9]     Le travailleur a d'abord décrit sa journée de travail type avec l'appelante. Il prenait d'abord connaissance d'un bordereau de travail semblable à celui produit sous la cote I‑2, sur lequel étaient inscrits tous les bris et défauts constatés par les préposés aux chambres. Il corrigeait d'abord les défauts puis procédait aux rénovations selon les directives de l'appelante.

 

[10]    Le travailleur a aussi témoigné que :

 

          i)     il avait travaillé de façon continue et exclusive pour l'appelante pendant les périodes pertinentes, et ce, de 55 à 75 heures par semaine. Il a ajouté que l'appelante avait exigé qu'il soit disponible 24 heures par jour, 7 jours par semaine, pour répondre aux urgences. Il a expliqué que l'appelante avait mis à sa disposition un téléphone portable précisément pour être en mesure de le rejoindre en tout temps;

 

          ii)    l'appelante avait exigé l'exclusivité de ses services. Il a raconté à cet égard que la permission de réaliser un contrat mineur pour un tiers lui avait été refusée par l'appelante. Le travailleur a admis par ailleurs qu'il avait participé avec son frère à la réalisation d'un contrat de fabrication de meubles pendant ses vacances de la période des fêtes de l'année 2002. Il a aussi admis avoir travaillé pour le restaurant Chez Pierre du 11 au 25 mai 1998, avec l'accord de monsieur Desmeules et au bar Chez Claude pendant quelques jours en décembre 2002;

 

          iii)    il était devenu un homme à tout faire pour l'appelante. En plus de rénover le motel et de s'occuper de son entretien général, il vérifiait le travail des autres fournisseurs (plombier, électricien, poseur de tapis, etc.). Il a même ajouté que l'appelante ne payait pas ces fournisseurs sans avoir obtenu son autorisation. Il a aussi corroboré la déclaration de monsieur Émond selon laquelle l'appelante lui avait aussi confié à l'occasion la responsabilité de l'approvisionnement et du contrôle des stocks des boissons et des aliments. Le travailleur a souligné que l'appelante l'avait désigné au service des incendies de Jonquière comme étant la première personne à joindre en cas d'incendie. Enfin, il a témoigné que l'appelante avait exigé qu'il supervise le travail de monsieur Alain Bouliane, un préposé à l'entretien général du motel;

 

          iv)   l'appelante avait exigé qu'il consigne ses heures de travail en utilisant une horloge de pointage;

 

          v)    tous ses travaux de rénovation du motel avaient été effectués sous la supervision de monsieur Desmeules. Le travailleur a expliqué à cet égard que monsieur Desmeules lui dictait la nature exacte des travaux à accomplir et les délais dans lesquels les travaux de rénovation devaient être accomplis. Il a ajouté qu'il rencontrait monsieur Desmeules deux ou trois fois par semaine dans le but de lui faire rapport sur le progrès des travaux;

 

          vi)   les gros outils avaient été fournis par l'appelante;

 

          vii)   il avait utilisé à l'occasion sa voiture pour se procurer les matériaux et les outils dont il avait eu besoin pour rénover le model et en faire l'entretien général. L'appelante lui avait alors versé la somme d'environ 20 $ par semaine à titre d'allocation pour les frais liés à sa voiture qu'il avait ainsi engagés dans l'exercice des fonctions de son emploi;

 

          viii)  il s'était toujours vu comme un employé et non comme un fournisseur de services. Il a ajouté que l'appelante, malgré ses demandes répétées, ne voulait pas le reconnaître comme employé et qu'il s'était résigné à accepter l'état que lui avait donné l'appelante et à traiter ses revenus provenant de l'appelante comme des revenus d'entreprise.

 

 

Analyse et conclusion

 

[11]    Quand les tribunaux ont à définir des notions de droit privé québécois aux fins de l'application d'une loi fédérale telle la Loi sur l'assurance-emploi, ils doivent se conformer à la règle d'interprétation à l'article 8.1 de la Loi d''interprétation. Pour déterminer la nature d'un contrat de travail québécois et le distinguer d'un contrat de service, il faut, tout au moins depuis le 1er juin 2001, se fonder sur les dispositions pertinentes du Code civil du Québec (« Code civil »). Ces règles sont incompatibles avec les règles énoncées dans des arrêts comme 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983, et Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553. Contrairement à la situation en common law, les éléments constitutifs du contrat de travail ont été codifiés et les tribunaux n'ont plus, depuis l'entrée en vigueur de l'article 2085 et de l'article 2099 du Code civil le 1er janvier 1994, la latitude qu'ont les tribunaux de common law pour définir ce qui constitue un contrat de travail. S'il est nécessaire de s'appuyer sur des décisions judiciaires pour déterminer s'il existait un contrat de travail, il faut choisir celles qui ont appliqué une approche conforme aux principes du droit civil.

[12]    Dans le Code civil, des chapitres distincts portent sur le « contrat de travail » (articles 2085 à 2097) et sur le « contrat d'entreprise et de service » (articles 2098 à 2129).

[13]    L'article 2085 prévoit que le contrat de travail

 

[...] est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

 

[14]    L'article 2098 prévoit que le contrat d'entreprise :

 

[...] est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

 

[15]    L'article 2099 suit, rédigé dans les termes suivants :

 

L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

 

[16]    On peut dire que ce qui distingue fondamentalement un contrat de service d'un contrat de travail est l'absence, dans le premier cas, d'un lien de subordination entre le prestataire de services et le client et la présence, dans le second cas, du droit de l'employeur de diriger et de contrôler l'employé. Il faut donc déterminer en l'espèce s'il y avait ou non un lien de subordination entre l'appelante et le travailleur.

[17]    L'appelante a le fardeau de faire la preuve, selon la prépondérance des probabilités, des faits en litige pour établir son droit à l'annulation des décisions du ministre. Elle doit établir le contrat que les parties ont conclu et établir leur intention commune quant à la nature de ce contrat. S'il n'y a pas de preuve directe de cette intention, l'appelante peut avoir recours à des indices conformément au contrat qui avait été convenu et aux dispositions du Code civil qui le régissaient. L'appelante devra, en l'espèce, prouver l'absence d'un lien de subordination si elle veut établir l'inexistence d'un contrat de travail et, pour ce faire, elle peut utiliser, si nécessaire, des indices d'autonomie tels que ceux qui ont été énoncés dans l'affaire Wiebe Door, précitée, soit la propriété des outils ainsi que le risque de perte et la possibilité de profit. Je suis d'avis toutefois que contrairement à l'approche en common law, une fois qu'un juge est en mesure de conclure à l'absence d'un lien de subordination, son analyse s'arrête là pour déterminer s'il s'agit d'un contrat de service. Il n'est pas nécessaire de considérer la pertinence de la propriété des outils ainsi que le risque de perte ou la possibilité de profit, puisqu'en vertu du Code civil, l'absence du lien de subordination constitue le seul élément constitutif du contrat de service qui le distingue du contrat de travail. Les éléments tel que la propriété des outils et les risques de perte ou la possibilité de profit ne sont pas des éléments essentiels à un contrat de service. Par contre, l'absence d'un lien de subordination est déterminante. À l'égard des deux formes de contrat, il faut décider s'il existe ou non un lien de subordination. Évidemment, le fait que le travailleur se comportait comme entrepreneur pourrait être un indice de l'absence de lien de subordination.

[18]    En dernier ressort, c'est habituellement sur la base des faits révélés par la preuve au sujet de l'exécution du contrat qu'une décision devra être rendue par la Cour, et cela même si l'intention manifestée par les parties indique le contraire. Si la preuve au sujet de l'exécution du contrat n'est pas concluante, une décision peut quand même être rendue selon l'intention des parties et la façon dont ils ont décrit le contrat, si la preuve est probante sur ces questions. Si cette preuve n'est également pas concluante, alors la sanction sera le rejet de l'appel de l'appelant pour cause de preuve insuffisante.

 

[19]    Je tiens à souligner que l'appelante devait prouver l'absence de lien de subordination selon la prépondérance des probabilités, pour établir qu'il n'y avait pas de contrat de travail. Je tiens aussi à souligner que si la preuve révèle à la fois des éléments d'autonomie et de subordination, il faut conclure à l'existence d'un contrat de travail, puisque le contrat de service doit être exécuté sans lien de subordination. C'est ce que le juge Picard a décidé dans l'arrêt Commission des normes du travail c. 9002-8515 Québec inc, no 505‑05‑020995‑963, 6 avril 2000 (C. Sup. Québec) :

 

15.       Pour qu'il y ait un contrat d'entreprise, il ne doit y avoir aucun lien de subordination.[...] Il existe dans ce cas un nombre suffisant d'indices d'un rapport d'autorité.

 

[20]    L'expérience révèle qu'il arrive que des employeurs, désirant diminuer leurs charges fiscales et sociales à l'égard de leurs salariés, décident de les traiter comme des travailleurs autonomes. Cette décision peut intervenir tant au début de leur relation que par la suite. Pareillement, certains salariés pourraient avoir intérêt à maquiller leur contrat de travail en contrat de service parce que les circonstances sont telles qu'ils ne pensent pas avoir besoin de prestations d'assurance‑emploi et qu'ils désirent notamment ne pas verser leur cotisation ouvrière au régime d'assurance‑emploi. Comme la Loi, de façon générale, n'autorise le versement des prestations d'assurance‑emploi qu'aux employés qui perdent leur emploi, la vigilance des tribunaux est requise pour démasquer les faux travailleurs autonomes. Les tribunaux doivent donc s'assurer que la caisse d'assurance‑emploi, d'où sont tirées ces prestations, reçoit des cotisations de tous ceux qui y sont tenus, y compris les faux autonomes et leurs employeurs.

 

[21]    En l'espèce, la preuve (pièce I‑1) a révélé que l'appelante avait traité le travailleur comme un employé tout au moins pendant quelques mois en 1996 et qu'à l'expiration de cette période, l'appelante avait reconnu le travailleur comme travailleur autonome. Ni l'appelante ni le travailleur n'ont été en mesure d'expliquer les circonstances qui ont fait en sorte que le travailleur a cessé d'être un employé. Je rappelle à cet égard que monsieur Desmeules a témoigné que l'appelante n'avait jamais inscrit le travailleur dans son livre de paie. Lorsqu'il fut confronté à la preuve documentaire qui démontrait le contraire, monsieur Desmeules a tout simplement déclaré qu'il ne se souvenait pas de ce fait. Même madame Tremblay, la contrôleuse de l'appelante, ne se souvenait pas de ce fait. Même après s'être rafraîchi la mémoire, monsieur Desmeules n'a pas été en mesure de donner quelque explication que ce soit à l'égard de ce changement soudain de l'état du travailleur en 1996. Par ailleurs, je souligne que le témoignage du travailleur à cet égard fut pour le moins incompréhensible et intelligible. J'ai eu la nette impression que monsieur Desmeules et le travailleur me cachaient la vérité et leur témoignage doit donc être examiné avec beaucoup de circonspection. Ce changement soudain et inexpliqué de l'état du travailleur en 1996 me laisse croire que la véritable nature de cette relation contractuelle avait été maquillée à partir de 1996. D'ailleurs, le témoignage pour le moins étonnant de monsieur Desmeules, qui a déclaré que le travailleur avait refusé d'être traité comme un employé, n'est‑il pas la confirmation implicite que la véritable nature de cette relation contractuelle avait été maquillée? Monsieur Desmeules est venu nous dire en quelque sorte que l'appelante avait accordé au travailleur l'état de travailleur autonome non pas parce qu'elle croyait qu'il était un travailleur autonome, mais bien parce qu'elle avait été contrainte par le travailleur de lui reconnaître cet état pour être en mesure de retenir ses services. Que le travailleur ait contraint l'appelante à le reconnaître comme travailleur autonome, ce dont je doute, ne change rien au fait que la véritable nature de cette relation contractuelle a été maquillée. Je suis plutôt d'avis que, dans la présente affaire, les deux parties ont d'un commun accord maquillé la vérité parce que chacune d'elles y trouvait son intérêt. D'abord, le travailleur désirait probablement ne pas verser notamment ses cotisations ouvrières au régime d'assurance‑emploi, les circonstances étant telles qu'il ne prévoyait pas avoir besoin des prestations d'assurance‑emploi. Par ailleurs, l'appelante voulait probablement diminuer ses charges fiscales et sociales à l'égard du travailleur. L'appelante ne voulait probablement pas payer le travailleur selon le barème qui s'applique aux heures de travail qui excèdent 40 heures par semaine.

 

[22]    Certains éléments du témoignage du travailleur non contredits par le témoignage de monsieur Desmeules et d'autres éléments du témoignage du travailleur corroborés par l'affidavit de monsieur Émond (pièce I‑2), par le témoignage ce dernier et par la preuve documentaire (pièces I‑3, I‑4, I‑5 et I‑6) me permettent aussi de conclure que le travailleur était un employé pendant les périodes pertinentes. Ainsi, le fait que le travailleur ait consacré à un seul payeur environ 50 heures par semaine, et ce, de façon presque continue pendant les périodes pertinentes, me fait croire qu'il était parfaitement intégré à l'entreprise du payeur. À cet égard, je souligne que le travailleur avait tout au plus exécuté quelques petits contrats pendant les périodes pertinentes, et ce, pendant ses vacances. Cette collaboration régulière et de façon prolongée constitue, à mon avis, un indice évident d'un lien de subordination entre l'appelante et le travailleur. Le fait que le travailleur était devenu un homme à tout faire pour l'appelante me confirme qu'il était parfaitement intégré à l'entreprise de l'appelante. À cet égard, la preuve a révélé qu'en plus de rénover le motel, le travailleur faisait l'entretien général de ce motel et avait eu à l'occasion la responsabilité de gérer les stocks du bar et du restaurant de l'appelante. Je souligne aussi que l'appelante avait désigné le travailleur au service des incendies de la ville de Jonquière comme était la première personne à joindre en cas d'incendie. L'obligation pour le travailleur d'être disponible 24 heures par jour pour répondre aux urgences constitue aussi, à mon avis, un indice de lien de subordination. Je rappelle, à cet égard, que l'appelante avait fourni au travailleur un téléphone portable pour s'assurer de sa disponibilité en tout temps. L'affectation régulière au travailleur de tâches précises à accomplir dénote aussi qu'il y avait un lien de subordination entre l'appelante et le travailleur. Je rappelle notamment à cet égard que chaque matin, le travailleur devait prendre connaissance d'un bordereau de travail semblable à celui déposé en preuve sous la cote I‑2 et qu'il devait d'abord réparer tous les bris et défauts qui étaient inscrits sur ce bordereau. Enfin, le fait que l'appelante avait remboursé des dépenses de travail constitue un autre indice d'un lien de subordination.

 

[23]    Pour ces motifs, les appels sont rejetés.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de novembre 2007.

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI604

 

Nºs DES DOSSIERS DE LA COUR : 2004-3717(EI) et 2004-3718(EI)

 

INTITULÉS DES CAUSES :             9020-8653 Québec Inc. et le ministre du Revenu national.

 

LIEU DES AUDIENCES :                  Chicoutimi (Québec)

 

DATES DES AUDIENCES :              le 6 septembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Paul Bédard

 

DATE DES JUGEMENTS :               le 14 novembre 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

 

Avocate de l'intimé :

Me Jean‑François Maltais

 

Me Nancy Dagenais

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante :

 

                     Nom :                            Me Jean‑François Maltais

                     Ville :                             Jonquière (Québec)

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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