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Dossier : 2006-1711(EI)

ENTRE :

SANDRA JENNIFER VIEL,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

CORINNE FRANCIS,

intervenante.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel Sandra Jennifer Viel (2006-1712(CPP)) le 16 mars 2007 à

Nanaimo (Colombie-Britannique)

 

Devant : L’honorable juge suppléant D.W. Rowe

 

Comparutions :

 

Avocate de l’appelante :

Me Devinder K. Sidhu

Avocate de l’intimé :

Me Lise Walsh

Avocate de l’intervenante :

Me Devinder K. Sidhu

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L’appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Sidney (Colombie‑Britannique), ce 4e jour de juin 2007.

 

« D.W. Rowe »

Juge suppléant Rowe

 

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour d’octobre 2007.

 

Suzanne Bolduc, LL.B.


 

 

Dossier : 2006-1712(CPP)

ENTRE :

SANDRA JENNIFER VIEL,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

CORINNE FRANCIS,

intervenante.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel Sandra Jennifer Viel (2006-1711(EI)) le 16 mars 2007 à

Nanaimo (Colombie-Britannique)

 

Devant : L’honorable juge suppléant D.W. Rowe

 

Comparutions :

 

Avocate de l’appelante :

Me Devinder K. Sidhu

Avocate de l’intimé :

Me Lise Walsh

Avocate de l’intervenante :

Me Devinder K. Sidhu

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L’appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 4e jour de juin 2007.

 

« D.W. Rowe »

Juge suppléant Rowe

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour d’octobre 2007.

 

Suzanne Bolduc, LL.B.


 

 

 

Référence : 2007CCI299

Date : 20070604

Dossiers : 2006-1711(EI)

2006-1712(CPP)

ENTRE :

SANDRA JENNIFER VIEL,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

CORINNE FRANCIS,

intervenante.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Rowe

 

[1]     L’appelante a interjeté appel de deux décisions par lesquelles, le 12 avril 2006, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a déterminé, sous le régime de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi ») et du Régime de pensions du Canada (le « Régime »), que l’emploi qu’elle avait occupé auprès de Corinne Francis du 3 septembre 2002 au 6 juillet 2005 n’était pas assurable et n’ouvrait pas droit à pension au motif qu’elle n’était pas employée aux termes d’un contrat de louage de services.

 

[2]     L’avocate de l’intimé et l’avocate de l’intervenante et de l’appelante ont convenu que les deux appels pouvaient être entendus ensemble.

 

[3]     Sandra Jennifer Viel (Mme Viel) a déclaré lors de son témoignage qu’elle habite à Nanaimo (Colombie‑Britannique) et qu’elle travaille comme aide à domicile. Au début de 2000, elle a commencé à travailler pour Barb’s Home Care and Support Services, une agence qui fournissait des soins à domicile à des clients de la région de Nanaimo. Mme Viel était payée – par chèque – toutes les deux semaines selon un taux horaire et les retenues à la source habituelles étaient effectuées. Au cours des deux dernières semaines du mois d’août 2002, Barb Boekings (Barb), propriétaire de l’agence, a confié à l’appelante la tâche de fournir des services à Corrine Francis (Mme Francis), à son mari, le Dr Francis, et à leurs deux enfants, à leur résidence de Nanoose Bay, à 20 kilomètres environ au nord de Nanaimo. L’appelante a déclaré que Barb lui avait demandé d’effectuer le plus grand nombre de quarts de travail possibles parce que Mme Francis était insatisfaite de l’entente existante, suivant laquelle différents travailleurs étaient affectés à sa résidence. Mme Viel a indiqué que Barb l’avait informée que Mme Francis souhaitait qu’elle lui fournisse des services à titre exclusif cinq jours par semaine, une demande à laquelle Barb a opposé un refus. Mme Viel a déclaré avoir cru comprendre que le Dr Francis était médecin et qu’il exerçait sa profession dans la région en assurant la relève d’autres praticiens. Elle a rencontré Mme Francis et, ensemble, elles ont discuté de la nature du travail à effectuer. Mme Viel a accepté de travailler pour Mme Francis au taux horaire de 15 $ et d’exécuter certaines tâches, notamment de s’occuper des enfants, d’assurer l’entretien de la maison et de faire des courses pour la famille. Mme Viel a déclaré qu’au bout de quelques semaines, la nature de ses tâches a changé et que Mme Francis lui a confié des tâches additionnelles, malgré un taux de paye inchangé. Jusqu’à la fin de 2002, Mme Viel travaillait habituellement de 9 h à 15 h, cinq jours par semaine, du lundi au vendredi. Lorsqu’elle faisait des courses, comme le magasinage, elle empruntait l’un des deux véhicules dont Mme Francis et son époux étaient propriétaires. Elle utilisait la mini‑fourgonnette pour amener les enfants du couple à leurs activités et à d’autres fins également. L’appelante était payée par chèque toutes les deux semaines; Mme Francis consignait les heures de travail de Mme Viel sur un calendrier qu’elle gardait dans la cuisine. Mme Viel ne tenait pas son propre registre, mais elle se rappelle que, pendant quelques mois après qu’elle eut commencé à travailler pour Mme Francis, elle avait effectué en moyenne 30 heures par semaine. Mme Viel a indiqué qu’en janvier 2003, d’autres tâches ont été ajoutées et ses heures de travail ont été prolongées jusqu’à 16 h toute la semaine; elle travaillait aussi la fin de semaine au besoin. En avril 2004, Mme Francis a porté son taux horaire à 17 $. Mme Viel a indiqué que Mme Francis décidait quand, où et comment elle devait s’acquitter des fonctions qu’elle devait exécuter elle‑même. Mme Viel n’a pas engagé de frais liés au travail ni fourni d’outil ou d’équipement, et elle n’a réclamé à Mme Francis aucun montant au titre de la taxe sur les produits et services (TPS) relativement à ses services. Mme Viel a déclaré qu’après avoir reçu deux ou peut‑être quatre chèques de paye, elle a abordé le sujet des retenues que Mme Francis n’avait pas calculées. Mme Viel a déclaré que Mme Francis avait été contrariée et l’avait informé que [traduction] « ce n’est pas ainsi que nous faisons les choses, cela exige trop de paperasse », et que [traduction] « nous l’avons fait par le passé, mais plus maintenant ». L’appelante a déclaré que cette réponse l’avait laissée perplexe. L’utilisation de la mini‑fourgonnette de la famille Francis a donné lieu à des discussions également, Mme Viel ayant craint à un moment donné que la garantie d’assurance soit insuffisante parce que Mme Francis était désignée sur la police comme le conducteur principal, ce que l’appelante considérait inexact puisque, en semaine, elle utilisait le véhicule plus souvent que Mme Francis. À la suite de cette divergence d’opinions, Mme Viel a commencé à utiliser son propre véhicule pour effectuer ses tâches pendant la journée. À partir de ce moment‑là, Mme Francis lui a versé, tous les mois, une somme de 25 $ à titre d’indemnité pour les coûts d’essence parce qu’elle utilisait son propre véhicule pour faire les courses soit avant, soit après le travail. L’appelante n’a pas pris la peine de calculer si ce montant était suffisant pour couvrir ses frais. Elle vivait dans la partie centrale de Nanaimo, où sont situés la plupart des commerces, et elle était en mesure d’effectuer des achats pour Mme Francis en rentrant chez elle. La fille de quatre ans de Mme Francis était à la garderie jusqu’à 12 h 30; l’appelante allait l’y chercher et, à 14 h 45, elle allait chercher la fille aînée à l’école, puis s’occupait des enfants jusqu’à la fin de sa journée de travail. Mme Viel a indiqué qu’elle recevait des directives écrites de Mme Francis qui, chaque jour, lui remettait une liste; tous les matins, elles se rencontraient pour discuter des tâches, dont certaines étaient assorties d’un astérisque (*), ce qui indiquait leur nature prioritaire. L’appelante a indiqué qu’elle avait mentionné l’absence de retenues sur son chèque au printemps 2003, mais que Mme Francis avait refusé de discuter de cette question. À l’été 2003, la fille de l’appelante, née en août 1997, a commencé à prendre place avec cette dernière dans son véhicule; elle fréquentait la même école que la fille aînée de Mme Francis. En avril 2004, Mme Francis a annoncé que la paye de Mme Viel serait portée à 17 $ l’heure et qu’elle travaillerait en moyenne 40 heures par semaine. L’appelante est en désaccord avec l’hypothèse du ministre énoncée à l’alinéa 6l) de la réponse à l’avis d’appel (réponse), selon laquelle elle pouvait [traduction] « travailler pour d’autres personnes, mais Mme Francis avait priorité sur son temps ». Mme Viel a déclaré qu’elle avait été informée par Mme Francis en décembre 2002 qu’elle risquait d’avoir besoin de ses services pendant une fin de semaine et qu’elle souhaitait donc qu’elle reste disponible et qu’elle prenne congé de l’emploi à temps partiel qu’elle occupait à titre de représentante des ventes pour une entreprise de cartes de souhaits. Mme Viel a déclaré que Mme Francis l’avait informée qu’elle devrait choisir l’emploi qui était le plus important pour elle. La relation de travail entre Mme Viel et Mme Francis a pris fin le 6 juillet 2005. Mme Viel a indiqué qu’elle avait découvert, par hasard, qu’elle était remplacée, et elle a reçu au moment de la cessation d’emploi un chèque dont le montant représentait environ sept jours de paye supplémentaire, ce qui, a‑t‑elle supposé, devait tenir lieu d’avis. Le dernier chèque n’incluait aucune paye de vacances, contrairement à ce qui s’était produit lorsque Mme Viel avait travaillé pour l’agence de Barb. L’appelante a demandé des prestations d’assurance‑emploi; il a été déterminé qu’elle avait occupé un emploi assurable et ouvrant droit à pension auprès de Mme Francis, et elle a touché des prestations sur ce fondement. Toutefois, les prestations ont été interrompues en janvier 2006 parce qu’il a été interjeté appel de la décision, qui a été subséquemment infirmée par le ministre le 12 avril 2006. L’appelante travaille à l’heure actuelle pour une agence de soins à domicile et a indiqué qu’au cours de la période pertinente, elle n’avait ni compte bancaire d’entreprise ni permis, aucune carte professionnelle et aucun autre signe extérieur d’une entreprise commerciale. Elle a reconnu qu’elle n’avait été payée par Mme Francis que pour les heures pendant lesquelles elle avait effectivement travaillé.

 

[4]     L’appelante a été contre‑interrogée par Me Devinder Sidhu, l’avocate de l’intervenante, Mme Francis. En ce qui concerne la question de son statut au moment où elle a fourni des services à Mme Francis, l’appelante a déclaré qu’elle en avait discuté avec son comptable en 2003, avant de produire sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2002, mais qu’elle n’avait pas suivi sa recommandation de demander à l’Agence du revenu du Canada (ARC) de rendre une décision à cet égard. En conséquence, elle a produit sa déclaration et y a déclaré des revenus d’entreprise. Elle a indiqué que c’était un [traduction] « choix difficile à faire », mais qu’elle n’avait pas reçu de feuillet T4 de Mme Francis. Elle a identifié ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2002 à 2005 inclusivement, qui ont été versées en preuve sous les cotes suivantes : pièce I-1 — déclaration de 2002; pièce I-2 — déclaration de 2003; pièce I-3 — déclaration de 2004; pièce I-4 — déclaration de 2005. Dans la déclaration produite pour l’année d’imposition 2002, Mme Viel a déclaré un revenu d’emploi ainsi qu’un revenu d’entreprise — tiré de la prestation de services à Mme Francis — de 7 429 $ et elle a déduit un montant de 100 $ pour frais afférents à un véhicule à moteur. Dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2003, l’appelante a déclaré un revenu d’entreprise de 25 702,92 $ et déduit des dépenses de 1 523,92 $ au total, ainsi qu’il est indiqué dans l’état des activités commerciales (état) joint à la même déclaration. Ce total incluait la somme de 694,97 $ au titre des frais afférents à un véhicule à moteur et la somme de 686,40 $ sous la catégorie « téléphone et services publics ». Mme Viel a déclaré qu’elle avait parcouru une distance de 6 250 kilomètres avec son véhicule à moteur pour gagner un revenu. Aucun revenu d’emploi n’a été déclaré dans cette déclaration. Dans la déclaration de revenus qu’elle a produite pour l’année d’imposition 2004, l’appelante a déclaré un revenu d’entreprise de 24 962,50 $ et, ainsi que l’état l’indique, elle a déduit des dépenses de 1 737,39 $, soit notamment les montants de 828,45 $ et de 686,40 $ au titre des frais afférents à un véhicule à moteur et pour la catégorie téléphone et services publics, respectivement. D’après la feuille pertinente — frais d’automobile admissibles — jointe à la déclaration, elle a encore une fois parcouru une distance de 6 250 kilomètres avec son véhicule pour gagner ce revenu d’entreprise. Dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2005, l’appelante a déclaré un revenu d’entreprise de 18 076,50 $ et déduit au total des dépenses de 774,01 $ attribuables à la conduite de son véhicule automobile — 320,38 $ — et la somme de 288,40 $ pour le téléphone et les services publics. La distance parcourue et déclarée pour l’année d’imposition en question était de 3 849 kilomètres. Au cours de chacune de ces quatre années d’imposition, l’appelante a déduit des frais de comptabilité — moins de 85 $ par année — à titre de dépense d’entreprise. Dans les états joints à ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2003, 2004 et 2005, l’appelante a décrit son principal produit ou service comme étant une aide à domicile et a indiqué qu’elle exploitait son entreprise sous son nom, à une adresse située sur Doctors Road, Nanaimo (C.‑B.), soit le lieu de sa résidence. Mme Viel a déclaré qu’à l’automne 2004, elle a commencé à utiliser son véhicule pour s’acquitter de ses tâches et n’a conduit la mini‑fourgonnette de la famille de Mme Francis que si cette dernière et (ou) ses enfants en étaient passagers. Elle a reconnu que l’indemnité mensuelle de 25 $ au titre des frais d’utilisation du véhicule était incluse dans un chèque tiré par Mme Francis et que cette somme était demeurée inchangée malgré la hausse du prix de l’essence. Mme Viel a déclaré qu’elle [traduction] « adorait son emploi » et que la hausse du prix de l’essence n’était pas importante. L’avocate a demandé à l’appelante de se reporter à la pièce I‑5, une feuille préparée par des comptables dont les services avaient été retenus par Mme Francis, où était dressée la liste de tous les paiements effectués par Mme Francis à son intention dans chacune des années 2002 à 2005 inclusivement. L’avocate a fait remarquer à l’appelante que Mme Francis ne lui avait versé que 4 904,76 $ en 2002, alors que la déclaration de revenus faisait état d’un revenu d’entreprise de 7 429 $. Mme Viel a répondu que les revenus supplémentaires avaient probablement été tirés de son travail pour la compagnie de cartes de souhaits. L’avocate a donné à entendre que ce revenu d’entreprise supplémentaire pouvait être attribuable aux revenus tirés par l’appelante de la prestation de services d’aide à domicile à d’autres clients, L’appelante a répondu qu’elle n’avait tiré aucun autre revenu de cette manière et que, lorsqu’elle avait fourni des services de soins à domicile à d’autres personnes, elle l’avait fait pour rendre service à des amis et n’avait touché aucun paiement en contrepartie. L’avocate a demandé à l’appelante de se reporter à son avis d’appel, daté du 1er juin 2006. L’appelante a reconnu qu’elle ne détenait aucun diplôme dans le domaine des soins à domicile, si ce n’est une formation en premiers soins. Barb, une amie qui exploitait une agence, l’avait engagée à titre d’aide à domicile, et cet emploi lui avait permis d’acquérir de l’expérience. Précédemment, Mme Viel avait travaillé dans le domaine de la vente au détail, toujours à titre d’employée. Elle a admis que Mme Francis ne l’avait pas considérée comme une employée lorsqu’elle avait fourni des services d’aide à domicile à sa famille au cours de la période pertinente. Elle a déclaré qu’elle avait été avisée par son comptable qu’elle était probablement une employée de Mme Francis et non un entrepreneur indépendant. Elle a ajouté qu’elle avait pris la décision de produire chaque déclaration de revenus en supposant que le montant gagné auprès de Mme Francis était un revenu d’entreprise parce qu’elle voulait conserver ce travail qu’elle aimait et parce que, en 2003, sa fille avait commencé à fréquenter la même école que la fille aînée de Mme Francis. Mme Viel a déclaré qu’elle ignorait comment remettre un impôt sur le revenu tous les mois ou tous les trois mois, et qu’à la signature de chaque déclaration de revenus pour les années 2002 à 2005 inclusivement, elle considérait encore qu’elle avait gagné le revenu déclaré en sa qualité d’employée de Mme Francis. L’appelante a admis qu’elle préférait travailler pour Mme Francis directement plutôt que par l’intermédiaire de l’agence de Barb parce qu’elle ne voulait pas travailler pour plusieurs personnes, chez elles. Mme Viel a déclaré que Mme Francis était parfois insatisfaite de la manière dont elle s’acquittait de certaines tâches. Elle a indiqué que le taux horaire initial de 15 $ n’avait pas été négocié, mais qu’il avait été établi par Mme Francis et qu’elle l’avait accepté et avait commencé à travailler sur ce fondement. Mme Viel a mentionné un questionnaire à l’intention des fournisseurs de soins à domicile (questionnaire) — pièce I-6 — qu’elle a rempli et retourné à l’ARC. En réponse à la quatrième question, l’appelante — au verso de la page — a expliqué longuement la nature des tâches exécutées pour Mme Francis et ses deux enfants, dont l’une — Leah — avait besoin de soins particuliers. Mme Francis souffrait de plusieurs problèmes de santé graves, dont elle devait s’occuper tous les jours. L’appelante a mentionné une liasse de factures — pièce I-7 — datées toutes les deux semaines, à compter du 5 octobre 2002. La facture portant cette dernière date indiquait un total de 36 heures pour les soins de répit destinés à Leah, 15 heures pour les soins particuliers de Mme Francis, et 1 heure et demie pour des services résidentiels privés, ce qui représentait au total 722,50 $ — incluant la somme de 25 $ pour les frais de transport. L’appelante a reconnu que de nombreuses factures indiquaient qu’elle avait consacré plus d’heures à prodiguer des soins à Leah au cours de la période pertinente, mais elle a déclaré avoir cru comprendre que Mme Francis souhaitait que les factures soient préparées ainsi afin qu’elle obtienne une certaine forme d’avantage fiscal. Mme Viel a déclaré avoir convenu avec Mme Francis qu’aux fins de la facturation, elle attribuerait la moitié de ses heures aux soins prodigués à Leah et l’autre moitié aux tâches se rapportant au reste de la famille, notamment aux tâches ménagères. L’appelante a identifié son écriture manuscrite sur chaque facture, mais elle a indiqué que le libellé et la quantité de détails fournis sur ces factures portaient la marque de Mme Francis. Mme Viel a déclaré que la répartition des heures de travail était sans importance pour elle et qu’elle a donné son accord à la méthode prescrite par Mme Francis. L’avocate a demandé à l’appelante de se reporter au paragraphe 8 de son avis d’appel, où elle a énoncé les détails d’une liste quotidienne de tâches à titre d’exemple du genre de direction et de contrôle qu’exerçait Mme Francis. Mme Viel a reconnu qu’elle ne pouvait produire aucune des listes qui avaient été préparées par Mme Francis et qu’elle avait créé ces détails à titre d’exemple du contenu de telles listes. Elle a indiqué qu’elle n’avait jamais aidé Mme Francis à prendre un bain, mais qu’elle restait dans la salle de bains avec elle. Au paragraphe 9 de son avis d’appel, l’appelante a allégué que, lorsque Mme Francis était à l’hôpital de Vancouver, elle [traduction] « avait continué d’exercer un contrôle total sur mon emploi et mes tâches ». Mme Viel a expliqué à cet égard que Mme Francis avait téléphoné à plusieurs reprises pendant la journée pour donner des consignes sur les soins à prodiguer à ses enfants et sur le fonctionnement de la maisonnée.

 

[5]     L’avocate de l’intimé n’a pas contre‑interrogé l’appelante.

 

[6]     Corinne Francis a déclaré lors de son témoignage qu’elle est femme au foyer et réside à Nanoose Bay (Colombie‑Britannique). Elle a deux hanches artificielles et souffre d’autres problèmes de santé graves, dont un trouble abdominal chronique qui est attribuable à la maladie de Crohn et en raison duquel, à un moment donné, elle a dû s’alimenter au moyen d’une sonde d’alimentation. Mme Francis a déclaré que sa fille Leah, née en avril 1998, souffre d’un trouble envahissant du développement, qui se manifeste par un retard dans l’acquisition de la parole et du langage. Leah souffre également d’un trouble du sommeil et d’autres problèmes de santé liés à un syndrome qui était présent à sa naissance. Mme Francis a identifié le Certificat pour le crédit d’impôt pour personnes handicapées — pièce I-8 — se rapportant à Leah, qui a été signé par le Dr Lund, son médecin, le 14 octobre 2003. Une lettre que le Dr Lund a envoyée à un autre médecin le 2 mars 2004 concernant l’état de santé de Leah a été déposée comme pièce I‑9. Mme Francis a indiqué qu’en raison de ses problèmes de santé, Leah avait besoin d’aide dans de nombreux aspects de sa vie et que l’appelante avait fourni des services à cet égard. Mme Francis a déclaré que, pendant une bonne partie de la période pertinente, elle avait besoin d’aide aussi pour se glisser dans la baignoire et en sortir et pour accomplir certaines activités, notamment pour se laver les cheveux et appliquer certaines crèmes et lotions médicamentées destinées à atténuer les symptômes liés à une infection cutanée. La famille de Mme Francis avait déménagé à Nanoose Bay en août 2002 et avait perdu contact avec les amis et la famille. Au départ, l’appelante et plusieurs autres aides à domicile ont fourni des services à la famille de Mme Francis par l’intermédiaire de l’agence de Barb. Mme Francis a nié l’allégation de l’appelante selon laquelle elle avait demandé à Barb de lui affecter Mme Viel à titre exclusif. Mme Francis a déclaré que Mme Viel lui avait indiqué qu’elle pouvait offrir en permanence des soins à domicile directement à sa famille et éliminer ainsi la nécessité d’obtenir différents travailleurs par l’intermédiaire de l’agence. Elle a ajouté que Mme Viel avait affirmé qu’elle avait fréquenté un collège communautaire et qu’il ne lui [traduction] « manquait que quelques cours » pour obtenir un certificat ou un diplôme lié à l’occupation de fournisseur de soins à domicile. Mme Francis s’est rappelée qu’au cours de leur discussion, Mme Viel a mentionné les noms de plusieurs personnes auxquelles elle avait fourni des soins et a également indiqué qu’elle avait une jeune enfant. Mme Francis a déclaré que, lorsque Mme Viel avait fourni des soins par l’intermédiaire de l’agence de Barb, elle s’était souvent qualifiée de fournisseur de soins à domicile professionnel et qu’elle connaissait bien le langage afférent à cette occupation. Mme Francis a déclaré que Mme Viel avait indiqué qu’elle exploitait sa propre entreprise et souhaitait conserver certains clients qu’elle avait déjà, mais qu’elle l’avait assurée que, si elle ne pouvait pas se présenter personnellement à la résidence des Francis pour prodiguer les soins nécessaires, elle trouverait un remplaçant qualifié qui travaillait aussi dans le domaine des soins à domicile. Lorsque la discussion a porté sur le lieu du travail, Mme Francis a déclaré que Mme Viel avait mentionné que sa maison était trop petite et — sachant que Mme Francis était allergique — qu’elle avait des chats. En conséquence, elles se sont entendues pour que les soins soient prodigués à la résidence de Mme Francis à Nanoose Bay, pour qu’il soit satisfait aux besoins de Leah en priorité et pour que l’appelante prenne le temps qui lui restait pour s’occuper personnellement de Mme Francis. Cette dernière avait versé à l’agence de Barb la somme de 17 $ l’heure pour obtenir les services d’un travailleur. Elle a indiqué qu’au cours de sa discussion avec l’appelante, cette dernière avait offert de travailler pour 13 $ l’heure si le paiement était effectué comptant ou pour 15 $ l’heure si le paiement était effectué par chèque. La discussion a porté également sur la question de l’avis de résiliation et la paye tenant lieu de celui‑ci, et les deux femmes ont déterminé d’un commun accord qu’une période de deux semaines convenait dans un cas ou comme dans l’autre. Mme Francis s’est rappelée qu’au cours de ces discussions initiales, Mme Viel avait indiqué qu’elle souhaitait être son propre patron et avoir suffisamment de latitude pour choisir ses journées de congé, même si elle préférait fournir des soins à une seule famille. Mme Francis a déclaré que Mme Viel avait mentionné également qu’elle souhaitait pouvoir déduire des dépenses d’entreprise à titre d’entrepreneur indépendant plutôt que de faire effectuer des retenues à la source, et qu’elle l’avait prévenue que, si une situation de travail plus avantageuse se présentait, elle l’accepterait parce qu’elle ne touchait aucune pension alimentaire pour enfant et devait consacrer la totalité de son revenu mensuel brut à ses frais de subsistance. Mme Francis a déclaré que Mme Viel n’avait pas travaillé certains jours et qu’elle effectuait à l’occasion un nombre d’heures inférieur à la normale parce qu’elle n’avait pas de garderie pour sa propre fille. Mme Viel conduisait Mme Francis à ses rendez‑vous chez le médecin et, de temps en temps, elle amenait l’une des enfants de Mme Francis suivre ses cours de gymnastique, si cela était nécessaire. Mme Francis a déclaré qu’une année, Mme Viel a offert de travailler la veille de Noël et a proposé de s’occuper d’acheter des articles figurant sur une liste qui était affichée sur le réfrigérateur dans la cuisine de Mme Francis et précisait d’autres tâches à exécuter, notamment s’occuper de l’animal domestique. Mme Francis a indiqué que Mme Viel avait expliqué qu’elle ne s’entendait pas bien avec sa sœur et qu’il serait préférable de réduire au minimum les heures passées avec sa propre famille au cours du congé de Noël. Mme Viel aimait bien le chien des Francis et lui donnait régulièrement un bain pour le débarrasser des saletés et des bactéries. Les heures travaillées par Mme Viel étaient consignées sur un calendrier, et l’appelante présentait une facture à Mme Francis toutes les deux semaines conformément à la demande — faite par Mme Francis — que Mme Viel précise le nombre d’heures consacrées aux soins de Leah. Mme Francis a mentionné que Mme Viel décidait à quel moment elle prenait des vacances ou d’autres congés et qu’elle ne demandait aucune autorisation préalable. À un moment donné, elles avaient eu une discussion au sujet du besoin qu’avait Mme Francis d’obtenir des heures additionnelles d’aide à domicile chaque semaine. Mme Francis a exprimé son désaccord avec l’hypothèse du ministre — énoncée à l’alinéa 6b) de la réponse — selon laquelle l’appelante était tenue de fournir les services personnellement. Par suite de la discussion concernant la nécessité d’effectuer des heures additionnelles, Mme Viel a demandé et obtenu une hausse du taux horaire, qui est passé à 17 $. Mme Francis a déclaré que Mme Viel préparait un horaire de soins personnels, qui incluait les tâches liées à la sonde d’alimentation, lesquelles accaparaient plusieurs heures par jour. Mme Francis a nié qu’il ait été nécessaire de donner à Mme Viel des consignes à cet égard, car elle était compétente et en mesure d’exécuter ces tâches. Mme Francis a rappelé qu’elle s’était plainte à Mme Viel du fait que, bien que le chien ait eu deux bains au cours d’une période donnée, elle n’en avait eu aucun, mais elle n’a pas poussé l’affaire plus loin parce qu’elle ne considérait pas qu’elle avait le droit d’ordonner à Mme Viel de l’aider à prendre un bain. Mme Viel s’entendait bien avec les enfants de Mme Francis et s’acquittait bien de ses tâches, bien qu’elle se soit plainte à un moment donné qu’un certain médicament compromettait parfois sa capacité de fonctionner. Mme Francis était très malade au cours d’une bonne partie de la période pertinente en raison des nombreux problèmes de santé graves qui l’affligeaient, et elle a déclaré qu’elle se sentait intimidée par Mme Viel et estimait qu’elle n’était pas en mesure de négocier avec cette dernière les divers aspects de leur relation de travail. Mme Francis a été hospitalisée à Vancouver à l’été 2003 pour se faire installer une sonde d’alimentation. Il était prévu que son séjour durerait deux semaines au cours desquelles elle devrait apprendre à utiliser l’appareil, ce qui nécessitait de nombreuses visites chez des professionnels dans différents endroits de l’hôpital et un horaire quotidien chargé. Mme Francis a déclaré que, contrairement au témoignage de Mme Francis [sic] et aux allégations contenues dans l’avis d’appel concernant le contrôle constant exercé par elle au téléphone à partir de Vancouver au cours de son séjour à l’hôpital, elle avait été en mesure d’appeler à la maison trois fois seulement. Elle n’avait pas de téléphone dans sa chambre et devait utiliser un téléphone public qui se trouvait dans le couloir. Mme Francis a déclaré qu’elle voulait retourner à la maison le plus rapidement possible et qu’elle avait consacré son temps à apprendre à utiliser la sonde d’alimentation de manière à recevoir son congé de l’hôpital à la fin de la période de deux semaines. Lorsqu’elle a téléphoné à la maison, Mme Viel lui a assuré — ce qu’elle a accepté — que les choses se déroulaient normalement, de sorte qu’il n’y avait aucune raison de donner quelque directive que ce soit à Mme Viel. Mme Francis a déclaré que, de temps en temps au cours de la période pertinente, Mme Viel — sans mentionner aucun nom — a discuté de situations où elle avait soit fourni ses services directement à des personnes, soit remplacé une autre aide à domicile en s’acquittant des tâches de cette dernière. Mme Francis a déclaré qu’elle ne s’en faisait pas avec cela, puisqu’elle avait cru comprendre dès le départ que Mme Viel exploitait une entreprise de soins à domicile et s’acquittait des tâches s’y rapportant auprès de clients pour lesquels elle était rémunérée à un taux horaire fixe pour les heures véritablement travaillées. Mme Francis n’a pu se rappeler quelque discussion que ce soit avec Mme Viel concernant des conseils que cette dernière aurait pu recevoir d’un comptable et selon lesquels elle aurait dû être traitée comme une employée de Mme Francis. Mme Francis a déclaré que toute discussion concernant sa situation d’emploi s’était déroulée au tout début, avant que Mme Viel ne quitte l’agence de Barb. Mme Francis a déclaré qu’elle n’avait pas compris les inquiétudes de Mme Viel concernant la police d’assurance sur la mini‑fourgonnette, puisque le montant de la protection était suffisant et que la police était une police type, en ce sens qu’elle la protégeait à titre de conducteur principal de même que les autres membres de la famille et tout conducteur adulte ayant un certain nombre d’années d’expérience de la conduite automobile. Mme Francis reçoit à l’heure actuelle les services d’une aide à domicile — à titre d’employée — qui, au moment où elle a commencé à travailler, ne possédait aucune formation ni aucune expérience, et doit être supervisée. Les retenues habituelles et une cotisation relative aux accidents du travail sont déduites de son chèque de paye. Dans le passé, la famille de Mme Francis engageait une bonne d’enfants à titre d’employée, mais jusqu’à récemment, aucune aide à domicile n’avait à quelque moment que ce soit fourni ses services à la famille de Mme Francis autrement qu’à titre d’entrepreneur indépendant.

 

[7]     Corinne Francis a été contre‑interrogée par l’avocate de l’intimé. Elle a déclaré qu’elle aimait lorsque Mme Viel proposait d’exécuter des tâches additionnelles. Au sujet des négociations initiales avec Mme Viel, elle a dit qu’elle considérait qu’elles avaient été similaires à celles qu’il y avait eu avec Barb avant qu’elle puisse obtenir les services de travailleurs de l’agence. Mme Francis a indiqué qu’elle n’avait aucune objection à ce que Mme Viel fournisse des services à titre d’employée, mais que cette question n’avait pas été soulevée dans le cadre de leurs discussions. Elle a ajouté qu’elle avait consulté son comptable au sujet du nombre d’heures que Mme Viel travaillait eu égard au règlement provincial sur les heures de travail et que celui‑ci lui avait répondu que le nombre d’heures travaillées était sans importance si Mme Viel fournissait ses services à titre d’entrepreneur indépendant. À la fin de 2002, Mme Francis a obtenu de la Direction des normes du travail une feuille d’information — pièce I‑10 — datée de juillet 2002, traitant de la question de savoir si un travailleur est un employé ou un entrepreneur indépendant. Mme Francis a déclaré qu’elle avait examiné l’information et conclu qu’elle n’exerçait pas une direction et un contrôle suffisants sur Mme Viel pour lui conférer le statut d’employée, et que les autres facteurs qui y étaient mentionnés l’avaient convaincue davantage qu’elle et Mme Viel procédaient de manière appropriée. À titre d’exemple se rapportant au contrôle et à la direction, Mme Francis a indiqué que c’est Mme Viel qui, selon son propre horaire, déterminait les jours où elle prenait un bain. Mme Francis et son mari partaient tous les deux ou trois mois pour s’accorder un bref répit et, pendant leur absence, Mme Viel s’occupait de leurs enfants et de leur animal domestique en plus de tenir la maisonnée. Des factures soumises par Mme Viel — la deuxième page de la liasse versée sous la cote I-7 — portant sa propre écriture manuscrite — faisaient état du nombre d’heures consacrées à des soins de relève pour les enfants de Mme Francis, facturées au taux de 8,33 $ pendant 48 heures au cours de la période du 31 octobre au 3 novembre 2002, et au taux de 15 $ pendant 27 heures de relève, à un moment donné entre le 20 octobre et le 3 novembre 2002. Mme Francis a déclaré qu’elle avait cru comprendre que le taux de Mme Viel pour les soins de relève la nuit était de 144 $, plus un taux horaire pour les soins prodigués aux enfants et des frais distincts de 30 $ par jour pour s’occuper du chien. D’après la facture datée du 29 novembre 2002 — la 4e page dans la pièce en question — Mme Viel a facturé 8,33 $ l’heure pendant 24 heures au titre de soins de relève sur une période de deux nuits, alors que sur la facture datée du 28 décembre — sur la même page — elle avait réclamé à Mme Francis 24 heures au titre de soins de relève pour Leah, au taux horaire de 15 $, et avait facturé également cinq heures pour les soins personnels prodigués à Mme Francis, au même taux horaire. Une facture datée du 5 octobre 2002 — première page de la liasse — visant la période du 22 septembre au 5 octobre 2002 indiquait qu’une heure et demie avait été consacrée à des « services ménagers privés ». Mme Francis a déclaré qu’elle n’avait pas mis en cause la méthode de facturation de Mme Viel pour ses services — en fonction de diverses catégories — et qu’elle avait acquitté les factures telles qu’elles avaient été soumises. En juillet 2005, Mme Francis a décidé de tenter de s’occuper de sa famille elle‑même sans une aide à domicile à temps plein et a mis un terme à la relation avec Mme Viel conformément à leur entente initiale, suivant laquelle un avis de deux semaines ou une paye tenant lieu de celui‑ci était suffisant. Mme Francis a déclaré que la travailleuse qui a fourni l’aide à domicile après le départ de Mme Viel, soit de septembre à décembre 2005, n’a pas eu à lui apporter son aide autant que Mme Viel l’avait fait relativement à ses problèmes de santé, surtout parce que sa sonde d’alimentation avait été retirée. La nouvelle travailleuse était un entrepreneur indépendante et, pendant une brève période par la suite, Mme Francis a retenu les services également d’une agence qui fournissait un vaste éventail de services, notamment ceux qui ont été fournis par une aide‑infirmière, de même que des services de planification financière et autres questions connexes. Après trois mois, Mme Francis a mis fin à ces services parce qu’ils étaient coûteux et parce que cela l’obligeait à assister à plusieurs rencontres avec les administrateurs de l’agence. Par la suite, Mme Francis a déclaré qu’elle croyait que son état de santé s’était amélioré au point où elle croyait être en mesure de s’occuper elle‑même de sa famille, à condition qu’elle puisse engager une gardienne d’enfants de temps à autre. Plus tard, Mme Francis a engagé à titre d’employée la travailleuse qui fournit à l’heure actuelle des services de soins à domicile.

 

[8]     Corinne Francis a été contre‑interrogée par l’appelante, Mme Viel. Elle a confirmé qu’en raison d’une allergie aux chats, aucun soin personnel n’avait été fourni à la résidence de Mme Viel. En ce qui concerne la hausse du taux horaire de Mme Viel de 15 $ à 17 $, Mme Francis a déclaré qu’elle avait accepté de payer ce montant supplémentaire parce qu’elle jugeait cette hausse raisonnable et estimait qu’elle était une réponse appropriée aux commentaires de Mme Viel, selon lesquels elle devait travailler plus d’heures en raison des tâches liées à la sonde d’alimentation, qui prenaient beaucoup de temps. Mme Francis a réitéré qu’elle n’avait dressé aucune liste, contrairement à ce qu’alléguait Mme Viel dans son témoignage et dans l’avis d’appel, mais elle a reconnu qu’elle avait rédigé des instructions que Mme Viel avait dû suivre à un moment donné en 2005 vers la fin de leur relation de travail. Pour ce qui est de l’astérisque (*) dont certaines inscriptions sur la liste en question étaient assorties, Mme Francis a déclaré qu’elle avait agi ainsi parce que Mme Viel s’était plainte que sa vision était embrouillée et avait demandé qu’une « étoile » figure à côté des tâches qui étaient plus importantes. En ce qui concerne la nécessité de préciser le nombre d’heures consacrées aux soins prodigués à Leah, Mme Francis a expliqué qu’un fonds en fiducie avait été établi pour les soins de Leah, mais qu’un registre exact était requis parce qu’il existait une limite au montant disponible à cette fin. Pour ce qui est de l’offre de Mme Viel de travailler la veille de Noël pour préparer la fête du 25, Mme Francis a déclaré que cela n’avait aucun sens pour elle, puisque sa famille observe la tradition européenne qui consiste à célébrer Noël la veille plutôt que le jour même, comme le font les Nord‑américains. Mme Francis a admis qu’une autre travailleuse — Amanda — a été engagée le 4 août 2005, mais à titre d’entrepreneur indépendant.

 

[9]     L’appelante n’a produit aucune contre‑preuve.

 

[10]    L’appelante a souscrit à la suggestion que j’ai formulée, à savoir que j’entende d’abord les observations de l’avocate de l’intervenante, puis celles de l’avocate de l’intimé, puisque, ainsi, elle pourrait concentrer davantage ses propres arguments sur les faits des appels en cause et la jurisprudence applicable à leur égard, à l’appui de sa prétention selon laquelle les deux appels devraient être accueillis.

 

[11]    L’avocate de l’intervenante a fait valoir que la preuve ne justifiait pas certaines des hypothèses formulées par le ministre aux alinéas 6b) à f) inclusivement et à l’alinéa 6l) :

 

          [traduction]

 

b) l’appelante était tenue d’exécuter les tâches personnellement;

 

c) l’appelante ne pouvait embaucher une adjointe ou une remplaçante si elle était incapable d’exécuter les tâches;

 

d) Mme Francis déterminait le lieu, le moment et la manière dont l’appelante exécutait ses fonctions;

 

e) Mme Francis avait le dernier mot au sujet de l’exécution par l’appelante de ses fonctions et pouvait exiger de cette dernière qu’elle refasse le travail;

 

f) Mme Francis a fixé le taux de paye de l’appelante à 15 $ l’heure au début de la période et a par la suite porté ce taux horaire à 17 $;

 

l) l’appelante pouvait travailler pour d’autres personnes, mais Mme Francis avait priorité;

 

[12]    L’avocate a fait valoir que Mme Viel avait trouvé son « chemin de Damas » en route vers le bureau d’assurance‑emploi et a indiqué que l’appelante n’était pas une personne non avertie, mais plutôt une personne qui — jouissant de conseils professionnels en comptabilité — avait produit quatre déclarations de revenus consécutives dans lesquelles elle avait déclaré avoir tiré un revenu d’une entreprise qu’elle exploitait pour son compte. L’avocate a fait valoir qu’il y avait eu « rencontre des esprits » entre l’appelante et Mme Francis au début de la relation de travail. En ce qui concerne la question du contrôle, l’avocate a signalé divers aspects de la preuve qui ont révélé clairement que Mme Viel avait exécuté ses tâches conformément à son propre horaire et qu’il n’y avait aucune liste précise d’instructions détaillées affichée régulièrement par Mme Francis, contrairement à ce qu’avait allégué Mme Viel. L’avocate a renvoyé à la preuve indiquant que Mme Viel avait fourni des services d’aide et de soins à domicile à d’autres clients et elle a soutenu que les gains tirés de cette source étaient probablement inclus dans la catégorie des autres revenus d’entreprise déclarés pour l’année d’imposition 2002. L’avocate a concédé que les faits portaient à conclure que les seuls outils et équipement requis par l’appelante dans les circonstances étaient ses propres compétences et son propre véhicule.

 

[13]    L’avocate de l’intimé a reconnu que plusieurs des hypothèses du ministre mentionnées plus haut semblaient supposer l’existence d’un contrat de louage de services. Elle a renvoyé à la nécessité de prendre en considération tous les faits, particulièrement le comportement de l’appelante pendant toute la période pertinente, et elle a indiqué que l’évaluation rétroactive par Mme Viel de la nature de son statut au début de la relation d’emploi n’était pas crédible. Dans l’ensemble, l’avocate a fait valoir que l’appelante ne s’était pas acquittée de la charge de la preuve et, par conséquent, que les deux décisions du ministre devaient être confirmées et les deux appels, rejetés.

 

[14]    L’appelante a fait valoir que la preuve appuyait sa prétention selon laquelle Mme Francis avait exercé un degré élevé de contrôle sur le travail exécuté, qu’elle avait chaque jour affiché une liste de tâches précises à effectuer et qu’elle avait établi un ordre de priorité pour certaines tâches. Mme Viel a admis qu’elle avait quitté le travail tôt certaines journées et qu’elle n’avait alors facturé que les heures véritablement travaillées. Elle a toutefois affirmé qu’elle fournissait des services à Mme Francis à titre d’employée seulement et qu’elle n’avait exploité aucune entreprise d’aide à domicile, bien que ses déclarations de revenus aient été produites sur ce fondement pour les raisons énoncées au cours de son témoignage. L’appelante a fait valoir que les décisions du ministre étaient erronées et que les deux appels devaient être accueillis.

 

[15]    Dans plusieurs affaires récentes, dont Wolf v. Canada, 2002 DTC 6853, The Royal Winnipeg Ballet v. The Minister of National Revenue, 2006 DTC 6323 (RWB), Vida Wellness Corporation DBA Vida Wellness Spa v. The Minister of National Revenue - M.N.R.), [2006] T.C.J. No. 570, et City Water International Inc. c. Sa Majesté la Reine, [2006] A.C.F. no 1653, aucune question ne se posait à cet égard en raison de l’intention mutuelle clairement exprimée par les parties, selon laquelle la personne fournissant les services agirait à titre d’entrepreneur indépendant et non en tant qu’employé. Ce n’est pas le cas dans les présents appels et il est nécessaire que j’examine la preuve pour déterminer l’intention de l’appelante et de Mme Francis au début de leur relation de travail. Je vais mettre de côté cette tâche pour l’instant et établir le cadre de l’analyse des divers facteurs que requiert la jurisprudence pertinente.

 

[16]    Dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983 – (Sagaz), la Cour suprême du Canada a été saisie d’un cas de responsabilité du fait d’autrui et, dans le cadre de l’examen d’une série de questions pertinentes, elle a été tenue également de déterminer ce qu’est un entrepreneur indépendant. L’arrêt de la Cour a été rendu par le juge Major, qui a passé en revue l’évolution de la jurisprudence dans le contexte de l’importance de la différence entre un employé et un entrepreneur indépendant dans la mesure où elle concerne la question de la responsabilité du fait d’autrui. Après s’être reporté aux motifs du juge MacGuigan de la Cour d’appel dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R., [1986] 2 C.T.C. 200, et au renvoi dans ces motifs au critère de l’organisation énoncé par le lord Denning, ainsi qu’à la synthèse effectuée par le juge Cooke dans l’affaire Market Investigations Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732, le juge Major a dit ce qui suit au paragraphe 47 de son arrêt :

 

            Bien qu’aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui-même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

 

Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n’y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l’affaire.

 

[17]    Il importe de souligner que la crédibilité des parties jouera un rôle important aux fins d’établir les faits de la présente instance sur lesquels une conclusion repose. Sur certaines questions, l’appelante et Mme Francis se trouvent à l’opposé l’une de l’autre. Dans certains cas, elles se sont entendues substantiellement sur diverses questions et, dans d’autre cas, leur opinion sur ce qui s’était passé divergeait, ce qui n’est guère étonnant étant donné le temps qui s’est écoulé et la nature des services fournis, qui tendaient à être répétitifs.

 

[18]    Je vais examiner les faits dans les présents appels par rapport aux indices énoncés dans les motifs du juge Major dans l’arrêt Sagaz.

 

Degré de contrôle

 

[19]    Dans son avis d’appel ainsi que dans son témoignage, l’appelante a tenté de dresser un tableau illustrant une domination presque totale à son égard de la part de Mme Francis au cours de leur relation de travail. Mme Viel a déclaré qu’elle devait constamment répondre à des attentes et se conformer à une liste précise de fonctions, affichée quotidiennement dans la cuisine de la résidence de Mme Francis. Bien qu’elle n’ait pu produire en preuve aucune liste comme telle, Mme Viel s’est fondée sur l’exemple qu’elle avait créé aux fins de son avis d’appel et a déclaré que celui‑ci illustrait le genre de consignes et de directives extrêmement détaillées avec lesquelles elle devait jongler lorsqu’elle fournissait des services à la famille de Mme Francis. Dans cet exemple d’une liste quotidienne dont elle a allégué l’existence, Mme Viel a assorti certaines inscriptions d’un * pour les faire ressortir — comme [traduction] « le chien a vomi sur la moquette – couvrir le dégât avec un essuie‑tout; laver les cheveux de Mme Francis après 15 h » — puis elle a reproduit des directives touchant la préparation du souper, qui se lisent comme une recette tirée du livre Joy of Cooking. Cette liste reconstituée — qui, selon les prétentions de Mme Viel, constituait un exemple représentatif — contenait également des instructions sur la manière de nettoyer le réfrigérateur et d’installer des pièges à rats suivant un horaire donné au cours d’un cycle de deux ou trois jours. Ces instructions semblent étranges si, comme Mme Viel l’allègue, elles visent à régir les activités quotidiennes qui doivent faire l’objet de discussions chaque matin dans la cuisine. À titre d’exemple extrême de la nature du contrôle qu’aurait exercé Mme Francis, Mme Viel a décrit le contact soutenu que les deux femmes ont maintenu lorsque Mme Francis a été hospitalisée à Vancouver. D’après Mme Viel, Mme Francis a continué de régir les activités quotidiennes de la maisonnée en téléphonant à la maison plusieurs fois par jour pour lui faire part d’instructions détaillées concernant la maisonnée, les enfants et l’entretien des vêtements du Dr Francis. Cependant, au paragraphe 9 de l’avis d’appel, l’appelante a allégué que, conformément aux instructions de Mme Francis, elle avait elle‑même téléphoné à Mme Francis à l’hôpital tous les matins, tous les midis et avant de quitter le travail en soirée. Mme Viel a déclaré qu’elle se sentait intimidée par Mme Francis et qu’elle s’était volontiers conformée à ses instructions pendant toute la période pertinente.

 

[20]    Il convient à ce moment‑ci de vérifier les faits. Je dois dire avant toute chose que l’allégation d’intimidation est difficile à accepter. La preuve permet de penser que Mme Viel était une personne imposante, qu’elle avait beaucoup de volonté et qu’elle s’occupait avec efficacité de Mme Francis et de sa famille. Mme Viel était informée, capable, et elle s’acquittait de ses tâches suivant son propre horaire. La plupart du temps, Mme Francis était très malade et dépendait de Mme Viel non seulement pour ses soins personnels, mais aussi pour s’occuper des enfants et du chien et pour gérer la maisonnée. Mme Francis était dans un état précaire et fragile, semblable à celui du pauvre type reposant dans un lit d’hôpital, les jambes et les bras dans le plâtre, des tubes lui sortant de partout, auquel le pasteur demandait s’il était prêt, dès lors, à repousser le diable. L’homme a levé la tête et chuchoté : [traduction] « En ce moment, je n’ai pas du tout les moyens de me mettre quiconque à dos ». Mme Francis a relaté les circonstances de son séjour à l’hôpital de Vancouver. Il est raisonnable d’accepter sa version des événements au cours de la période de deux semaines pendant laquelle elle n’a été en mesure de téléphoner à la maison — en utilisant un téléphone public qui était situé dans le couloir — que trois fois seulement pour parler avec Mme Viel, qui l’a alors assurée que tout se passait bien chez les Francis. Le but de l’hospitalisation et les activités requises pour arriver rapidement au résultat souhaité ne permettaient pas à Mme Francis de maintenir les communications téléphoniques décrites par Mme Viel. Mme Francis devait s’occuper de ses propres problèmes de santé et a consulté à cette fin — presque sans arrêt, tous les jours — toute une série de professionnels de la santé. Il y a aussi la question du conflit sur l’assurance souscrite à l’égard de la mini‑fourgonnette, que Mme Viel a pris sur elle‑même de qualifier d’insuffisante quelque temps après l’automne 2004; elle a refusé par la suite de conduire le véhicule à moins que Mme Francis ne soit à bord. Mme Viel a plutôt commencé à utiliser son propre véhicule pendant la journée pour fournir des services à Mme Francis. Selon cette dernière, rien ne clochait dans la police d’assurance et elle ne comprenait pas les inquiétudes de Mme Viel; elle a tout de même accepté que cette dernière cesse d’utiliser le véhicule familial comme elle l’avait fait depuis qu’elle avait commencé à travailler le 3 septembre 2002. Il semble étrange qu’une employée adopte un tel point de vue avec son patron sur une question aussi importante que la suffisance de la protection d’assurance et qu’elle persiste à soutenir que son interprétation des modalités de la police était la bonne. Pour ce qui est de déterminer la séquence des tâches à effectuer, j’accepte la version des faits donnée par Mme Francis. Mme Viel comprenait ses responsabilités et elle était capable de s’en acquitter de manière satisfaisante tous les jours; elle pouvait adapter son horaire au besoin. Elle s’occupait des courses de Mme Francis avant, pendant et après les heures de travail, selon ce qui lui convenait. Elle s’accordait des journées de congé lorsqu’elle le souhaitait et finissait de travailler tôt si elle avait besoin d’aller chercher sa propre fille ou pour d’autres raisons. Elle n’observait aucun horaire précis dans le cadre d’une semaine de travail, si ce n’est pour s’acquitter de son mandat, qui consistait à répondre dans un premier temps aux besoins de Leah et, dans un deuxième temps, à ceux de Mme Francis et des autres membres de la famille. Lorsqu’il y a dans la preuve un conflit engendré par les divergences entre le témoignage de Mme Viel et celui de Mme Francis concernant les événements qui se rapportent à la question du contrôle et de la direction, je préfère la version de Mme Francis parce qu’elle est plus raisonnable et correspond davantage aux circonstances et parce que les événements se sont donc probablement déroulés de la manière décrite. Mme Francis a témoigné assez longuement sur la question des listes détaillées — remplies d’astérisques — dont Mme Viel a allégué l’existence, et elle a expliqué qu’à un certain moment, vers la fin de la période pertinente, une telle liste avait été dressée en détail — avec des astérisques pour en indiquer la priorité — en réponse à la demande de Mme Viel, dont la vue était embrouillée parce qu’elle prenait des médicaments. Mme Viel n’a pas contre‑interrogé Mme Francis sur ce point et elle n’a pas produit de contre‑preuve. Il s’agit à mon avis d’une question importante se rapportant au facteur du contrôle. Les affirmations de Mme Viel concernant le degré de la direction et du contrôle exercés régulièrement par Mme Francis étaient fondées sur l’effet créé par la liste reconstituée des tâches que l’appelante a présentée à titre d’exemple de la nature et de la mesure des directives strictes provenant quotidiennement de Mme Francis. Elles visaient à dépeindre Mme Francis comme un employeur dominant, intimidant, ayant une tendance à la microgestion.

 

[21]    La preuve ne permet pas de conclure que Mme Viel avait besoin de beaucoup de direction et de contrôle pour s’acquitter de ses tâches. Mme Viel avait commencé à fournir ses services pendant qu’elle était une employée de l’agence de Barb et elle se présentait à la résidence de Mme Francis sur rotation avec d’autres aides à domicile affectés par Barb conformément à l’entente contractuelle qui avait été conclue avec Mme Francis. La plupart du temps, Mme Viel déterminait l’ordre des tâches à exécuter et décidait si une tâche particulière serait exécutée un jour donné ou si elle serait remise à plus tard. Lorsqu’elle faisait des courses, lorsqu’elle amenait les enfants à l’école ou à d’autres activités ou les ramenait à la maison, ou lorsqu’elle travaillait à la maison, Mme Viel n’était pas supervisée. Elle exécutait ses tâches d’une manière qui correspondait au titre qu’elle se donnait, celui de fournisseur professionnel d’aide à domicile qui savait ce qu’il fallait faire à tout moment au cours d’une semaine de travail, et qui s’acquittait de ces tâches selon le temps dont elle disposait.

 

 

Fourniture de l’équipement et (ou) d’assistants

 

[22]    La majeure partie du travail était exécutée chez les Francis. En conséquence, les outils et l’équipement nécessaires pour fournir les services étaient fournis par Mme Francis, à l’exception du véhicule, que Mme Viel a utilisé initialement pour faire des courses pour Mme Francis en contrepartie d’une rémunération mensuelle de 25 $, laquelle devait couvrir les frais d’essence. Par la suite, l’appelante a utilisé son propre véhicule presque exclusivement pour des raisons dont je traiterai plus loin.  

 

Étendue des risques financiers et responsabilité à l’égard des mises de fonds et de la gestion

 

[23]    Le seul risque financier auquel s’exposait Mme Viel était celui d’un accident qu’elle aurait pu avoir avec son véhicule à moteur dans le cadre de l’exécution de ses tâches pendant qu’elle conduisait Mme Francis ou ses enfants à certains endroits ou lorsqu’elle faisait des courses. Sinon, elle ne courait aucun risque à exécuter ses fonctions conformément à certains taux établis.

 

Possibilité de tirer profit de l’exécution des tâches

 

[24]    Après l’automne 2004, Mme Viel a choisi d’utiliser son propre véhicule pour exécuter ses fonctions pendant la journée. L’indemnité mensuelle relative aux frais d’essence de 25 $ et les frais supplémentaires, le cas échéant, découlant de la hausse constante des coûts de l’essence ainsi que d’autres dépenses habituelles liées à la conduite d’un véhicule, étaient assumés par Mme Viel. En ce qui concerne la rémunération versée à Mme Viel, j’accepte la version des faits de Mme Francis concernant les négociations au terme desquelles le taux horaire a été établi. Mme Francis a déclaré que le processus avait été semblable à celui qu’elle et Barb avaient suivi avant que l’agence ne soit retenue pour envoyer des aides à domicile chargées d’aider Mme Francis. Lorsque les tâches concernant les soins personnels de Mme Francis ont augmenté pour répondre aux besoins créés par un problème de santé qui s’aggravait particulièrement, Mme Viel a demandé plus d’argent et Mme Francis a consenti à une hausse de 2 $ l’heure. Un examen des factures — pièce I-7 — révèle que Mme Viel a réclamé à Mme Francis ses propres taux que ce soit pour les soins de relève, les soins de Leah ou les tâches ménagères, ainsi que des frais mensuels au titre des frais de transport. L’appelante a calculé les taux horaires pour ses services de différentes manières, selon les circonstances. Je n’accepte pas la déclaration de Mme Viel selon laquelle le libellé de ces factures était dicté et contrôlé par Mme Francis. Chaque facture est écrite de la main de Mme Viel, et le contenu des factures de même que le langage qui y est utilisé, la description détaillée des services fournis et l’identité de celui ou celle qui en bénéficiait, correspondent tous à la pratique commerciale que sont susceptibles d’adopter l’agence de soins à domicile ou le fournisseur de services qui exploite son entreprise pour son propre compte. Mme Francis a déclaré qu’elle avait acquitté les factures telles qu’elles avaient été présentées, qu’elle avait accepté les taux afférents aux soins de relève qui avaient été fixés par Mme Viel et qu’elle n’avait pas remis en cause la répartition des heures pour certaines tâches, sauf qu’il était nécessaire, pour se conformer aux modalités d’une fiducie familiale, de préciser sur les factures le nombre d’heures consacrées aux soins prodigués à Leah. L’appelante n’a pas réclamé la TPS relativement à ses services. Même s’il eut pu être avantageux pour elle de s’inscrire aux fins de la TPS, elle n’était pas légalement tenue de le faire parce que son revenu d’entreprise brut ne dépassait pas 30 000 $ par année.

 

[25]    Dans l’affaire Royal Winnipeg Ballet, précitée, la question était de savoir si les danseurs étaient des employés ou des entrepreneurs indépendants. La position de la compagnie de ballet était appuyée par la Canadian Actors’ Equity Association (CAEA), qui agissait à titre d’agent négociateur des danseurs. Lorsqu’elle a déterminé que les danseurs n’étaient pas des employés de la compagnie de ballet, la juge Sharlow, de la Cour d’appel, se reportant à la décision rendue dans l’affaire Wolf, précitée, a dit aux paragraphes 60 à 64 inclusivement de ses motifs :

 

[60] Le juge Décary n’affirmait pas que la nature juridique d’une relation donnée est toujours celle que lui prêtent les parties. Il faisait référence en particulier aux articles 1425 et 1426 du Code civil du Québec, qui énoncent des principes du droit des contrats que l’on retrouve également en common law. Un de ces principes veut que, lorsqu’il s’agit d’interpréter un contrat, il faut rechercher l’intention commune des parties plutôt que de s’en remettre uniquement au sens littéral des mots utilisés. Un autre principe est que, pour interpréter un contrat, il convient de tenir compte des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l’interprétation que lui ont déjà donnée les parties ou d’autres personnes, ainsi que de l’usage. La conclusion inévitable est qu’il faut toujours examiner les éléments de preuve qui reflètent la façon dont les parties ont compris leur contrat et leur accorder une force probante appropriée.

 

[61] Je souligne, une fois de plus, que cela ne veut pas dire que les affirmations que font les parties quant à la nature juridique de leur contrat sont concluantes. Cela ne veut pas dire non plus que les déclarations que font les parties quant à leurs intentions doivent nécessairement amener le tribunal à conclure que leurs intentions ont été concrétisées. Pour paraphraser la juge Desjardins (au paragraphe 71 des motifs principaux de l’arrêt Wolf), lorsqu’il est prouvé que les modalités du contrat, examinées dans le contexte factuel approprié, ne reflètent pas la relation juridique que les parties affirment avoir souhaité établir, alors il ne faut pas tenir compte de leur intention déclarée.

 

[62] La question de savoir si l’intention contractuelle qu’une des parties déclare avoir eue coïncide avec celle de l’autre partie donne fréquemment lieu à des différends. En particulier, dans les appels intentés aux termes du RPC [Régime de pensions du Canada] et de la LAE [Loi sur l’assurance-emploi], il arrive que les parties présentent des preuves contradictoires au sujet de la nature de la relation juridique qu’elles souhaitaient créer. Ce genre de différend prend habituellement naissance dans le cas où une personne est embauchée pour fournir des services et signe un formulaire de contrat présenté par l’employeur dans lequel la personne en question est qualifiée d’entrepreneur indépendant. L’employeur insère parfois une telle clause dans le contrat dans le but d’éviter de créer une relation employeur‑employé. Il arrive que la personne en question affirme par la suite qu’elle était une employée. Elle pourrait déclarer qu’elle s’est sentie obligée d’indiquer son consentement sur le formulaire de contrat pour des raisons financières ou autres. Elle pourrait également déclarer qu’elle pensait, malgré le fait qu’elle a signé un contrat contenant ces termes, qu’elle serait traitée comme les autres travailleurs qui étaient manifestement des employés. Dans ce genre d’affaire, le tribunal pourrait fort bien conclure, en se fondant sur les facteurs exposés dans l’arrêt Wiebe Door, que la personne en question est une employée, mais cela ne veut pas dire que l’intention des parties n’est pas pertinente. En fait, les parties sont généralement d’accord sur le sens à donner à la plupart des modalités énoncées dans leur contrat. Cela veut simplement dire qu’une stipulation du contrat portant sur la nature juridique de la relation créée par celui-ci n’est pas déterminante.

 

[63] Ce qui est inhabituel en l’espèce, c’est qu’il n’y a pas d’accord écrit qui vise à qualifier la relation juridique existant entre les danseurs et le RWB, et que, parallèlement, les parties s’entendent sur ce qu’elles croient être la nature de leur relation. La preuve révèle que le RWB, la CAEA et les danseurs pensaient tous que les danseurs étaient des travailleurs indépendants et qu’ils avaient agi en conséquence. Le litige portant sur la nature de la relation juridique existant entre les danseurs et le RWB vient du fait qu’un tiers (le ministre), qui a un intérêt légitime à ce que la relation juridique soit correctement qualifiée, souhaite faire écarter le témoignage des parties au sujet de leur intention commune parce que ce témoignage n’est pas compatible avec les faits objectifs.

 

[64] Dans les circonstances, il me semble qu’il serait contraire aux principes applicables de mettre de côté, en le considérant comme dépourvu de toute force probante, le témoignage non contredit des parties quant à la façon dont elles comprennent la nature de leur relation juridique, même si ce témoignage ne saurait être déterminant. Le juge aurait dû examiner les facteurs de l’arrêt Wiebe Door à la lumière de ce témoignage non contredit et se demander si, dans l’ensemble, les faits étaient compatibles avec la conclusion selon laquelle les danseurs étaient des travailleurs indépendants, comme les parties le pensaient, ou s’ils étaient davantage compatibles avec la conclusion selon laquelle les danseurs étaient des employés. C’est parce que le juge n’a pas adopté cette approche qu’il en est arrivé à une conclusion erronée.

 

[26]    Dans les présents appels, je n’ai pas l’avantage d’être saisi d’une situation où la preuve sur l’intention mutuelle des parties n’est pas contredite. Au contraire, je dois tirer une conclusion à cet égard. Il ne faut pas oublier que Mme Viel et Mme Francis se sont connues pendant les semaines au cours desquelles Mme Viel travaillait pour l’agence de Barb et fournissait des services, chez Mme Francis, à titre d’aide à domicile. L’appelante a fait valoir que Mme Francis avait demandé à Barb de l’affecter exclusivement à sa famille et que Barb avait refusé. Mme Francis a nié avoir fait une telle demande et avoir à quelque moment que ce soit discuté de cette question avec Barb. Elle a déclaré que Mme Viel lui avait elle‑même offert de travailler directement pour elle de façon régulière au taux horaire de 15 $. Je préfère la version que Mme Francis a donnée sur les circonstances entourant ces discussions initiales avant que Mme Viel ne quitte son emploi chez Barb. J’admets que Mme Viel a déclaré qu’elle exploitait une entreprise d’aide à domicile à son compte et qu’elle était en mesure de fournir les services requis non seulement parce qu’elle était qualifiée grâce à l’expérience de travail acquise auprès de l’agence, mais également parce qu’elle était sur le point d’obtenir d’un collège communautaire une reconnaissance académique dans le domaine de l’aide à domicile. Il me semble raisonnable que Mme Viel ait discuté de sa volonté de conserver d’autres clients et qu’elle ait assuré à Mme Francis que, si elle devait se faire remplacer à un moment donné, elle trouverait un remplaçant convenable à titre temporaire. Je suis convaincu que Mme Viel souhaitait toucher le montant brut de ses gains conformément aux factures qu’elle avait préparées suivant sa propre méthode. Je ne peux retenir le témoignage de l’appelante selon lequel elle a discuté par la suite avec Mme Francis de l’absence de retenues sur son chèque, et que Mme Francis aurait répondu que la paperasse à cet égard représentait une tâche trop lourde. J’accepte la version de Mme Francis selon laquelle la question de la situation d’emploi ne s’est jamais posée, si ce n’est dans le cadre des discussions initiales lorsque Mme Viel a déclaré clairement qu’en raison de sa situation, elle devait ramener à la maison le total du montant réclamé sur ses factures parce qu’elle ne recevait aucune pension alimentaire pour enfant et avait besoin de cet argent. En concluant l’entente avec Mme Francis et en éliminant Barb à titre d’intermédiaire, l’appelante a pu obtenir un travail régulier à un taux horaire plus élevé. Pour arriver à ce résultat, elle s’est présentée à Mme Francis comme étant une personne qui fournissait des services d’aide à domicile à titre d’entrepreneur indépendant. L’examen du comportement subséquent des parties est une méthode qui permet de déterminer leur intention initiale. On peut aussi cerner les raisons, le cas échéant, qu’une partie ou l’autre a pu avoir de dénaturer les faits dans un dessein donné. Exception faite des méthodes par lesquelles l’appelante a fourni des services à Mme Francis — ainsi qu’il a été mentionné plus tôt — elle a déclaré au ministre, en produisant quatre déclarations pour les années d’imposition 2002 à 2005 inclusivement, qu’elle avait tiré un revenu d’entreprise en exploitant une entreprise de services d’aide à domicile. Chaque année, elle a déduit des dépenses d’entreprise, et elle a apparemment fait fi des conseils de son comptable, qui lui avait recommandé de demander à l’ARC de rendre une décision sur sa situation concernant les services qu’elle fournissait à Mme Francis. Mme Viel a déclaré que le revenu d’entreprise supplémentaire qu’elle avait gagné en 2002 provenait probablement du travail qu’elle avait effectué pour la compagnie de cartes de souhaits et que, bien qu’elle eut fourni certains services d’aide à domicile à d’autres personnes, elle l’avait fait pour rendre service et non pour être payée. Dans des affaires antérieures, où un travailleur ou un payeur a abandonné le point de vue qu’il avait auparavant soutenu, j’ai mentionné la forte compulsion qui pousse une personne à adapter les événements passés pour répondre à ses besoins actuels. Mme Viel comprend très bien que la question de l’intention des parties est importante dans ces cas et elle a tenté de décrire les événements de manière à ce qu’elle ait le rôle de la malheureuse subalterne qui acceptait les largesses que lui offrait Mme Francis, son employeur exigeant et excessivement contrôlant. Un examen de la preuve relative à la question de l’intention m’amène à conclure que les deux parties souhaitaient que Mme Viel offre ses services à titre d’entrepreneur indépendant. Ainsi qu’il a été mentionné plus haut, le comportement subséquent des deux parties — jusqu’à bien après la cessation de cette relation — reflétait cette intention. Après avoir demandé des prestations d’assurance‑emploi, l’appelante a eu une révélation, qui a été par la suite renforcée par une série de visions vives — quoique subtilement nuancées — d’un choc récent chargé d’événements importants dont elle aurait ardemment souhaité pouvoir dire qu’ils se sont véritablement produits.

 

[27]    Dans l’affaire Direct Care In-Home Health Services Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [2005] A.C.I. no 164, le juge Hershfield a été appelé à se prononcer sur la situation d’une aide à domicile qui faisait partie d’un répertoire d’infirmières que le payeur consultait pour y trouver des travailleuses afin de respecter les contrats de prestation de soins conclus avec diverses agences. En ce qui concerne l’important facteur du contrôle, le juge Hershfield a dit ceci aux paragraphes 11 et 12 de son jugement :

 

[11] Dans le cadre de l’analyse de ce facteur, il faut déterminer qui contrôle le travail et comment, quand et où il doit être effectué. S’il est jugé que le travailleur a le contrôle du travail une fois qu’il lui est confié, cela semble davantage indiquer que le travailleur est un entrepreneur indépendant, et s’il est jugé que l’employeur exerce un contrôle sur l’exécution du travail par le travailleur, cela laisse entendre qu’il y a une relation employeur‑employé [voir la note 3]. Toutefois, lorsque les travailleurs ont une spécialisation accrue, il se peut que ce critère soit considéré comme moins fiable. On accorde donc plus d’importance à la question de savoir si le service que le travailleur doit fournir dans le cadre de ses fonctions est simplement axé sur les « résultats »; c.‑à‑d. « voici une tâche précise – vous avez été engagé pour l’exécuter ». Dans un tel cas, il n’y a pas de lien de subordination, ce qui est une exigence fondamentale pour qu’il y ait une relation employé‑employeur [voir la note 4]. De plus, il ne faut pas confondre le contrôle des résultats, qui peut être exigé à chaque fois qu’un travailleur est engagé pour fournir des services, avec le contrôle ou la subordination d’un travailleur [voir la note 5].


 Note 3 : Wolf, paragraphe 74.

 Note 4 : Voir, par exemple, l’arrêt D & J Driveway Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), [2003] A.C.F. no 1784 (C.A.F.), aux paragraphes 9 et 13, et l’arrêt Wolf, au paragraphe 77.

 Note 5 : Voir l’arrêt Charbonneau c. Canada, [1996] A.C.F. no 1337 (C.A.F.), au paragraphe 10, tel qu’il est cité dans l’arrêt D & J Driveway au paragraphe 9.


[12] En l’espèce, la travailleuse pouvait refuser une affectation pour quelque raison que ce soit, ou même sans raison. Elle pouvait quitter un client et quand même travailler pour un autre client qu’elle préférait. Elle pouvait accomplir d’autres tâches comme bon lui semblait et quand elle le voulait. De plus, même si on lui offrait des tâches de soins infirmiers, on ne lui promettait rien à ce sujet et elle n’était pas supervisée dans l’accomplissement de ces tâches. Selon l’appelante, chacune des tâches offertes était une tâche axée sur les résultats. Le fait que l’appelante pouvait offrir de telles tâches de temps à autre et, dans une certaine mesure, contrôler le rendement des travailleurs ne m’amène pas à conclure qu’il y avait une relation employé‑employeur. Comme dans l’affaire D & J Driveway, où le lien de subordination entre la compagnie et les conducteurs n’était pas assez important pour que le juge puisse conclure qu’il y avait un contrat de travail, en l’espèce, le lien de subordination n’est pas assez important pour qu’il soit possible de conclure que la relation entre les parties est une relation employé‑employeur. Dans l’affaire D & J Driveway, les conducteurs pouvaient effectuer des livraisons particulières, et ils avaient le choix d’accepter ou de refuser de faire les livraisons quand on faisait appel à eux. Lorsque les conducteurs acceptaient d’effectuer une livraison, aucun contrôle n’était exercé concernant la façon dont ils exécutaient leurs fonctions. De même, dans l’arrêt Wolf, la juge Desjardins a dit qu’un lien de subordination n’avait pas été créé quand le travailleur, un ingénieur en mécanique indépendant engagé selon un contrat d’un an renouvelable, s’était fait assigner des tâches dont il était le « maître » [voir la note 6]. Comme dans ces cas‑là, je ne crois pas qu’en l’espèce il y a un lien de subordination entre la travailleuse et l’appelante, lequel lien doit être présent pour que l’on puisse conclure qu’il y a un contrat de travail. Le critère du contrôle semble donc indiquer qu’il y a une relation d’entrepreneur indépendant.


 Note 6 : Wolf, paragraphe 77.

 

[28]    Sur la question de l’intention des parties, le juge Hershfield a formulé les commentaires suivants aux paragraphes 25 et 26 :

 

[25] Même s’il ne faut pas considérer les intentions des parties comme un facteur déterminant, elles peuvent être utiles dans une issue serrée [voir la note 11]. En d’autres mots, si on arrivait à la conclusion après un examen de l’ensemble de la preuve qu’il s’agit d’une issue serrée où les facteurs pertinents pointent dans les deux directions avec autant de force et qu’il faut donc examiner et considérer la compréhension mutuelle des parties, comment l’affaire serait‑elle réglée?


 Note 11 : Voir l’extrait de l’arrêt Wolf au paragraphe 8 des présents motifs.


[26] Il ne m’est pas difficile de conclure que l’appelante avait l’intention d’engager la travailleuse à titre d’entrepreneuse indépendante. C’est ce qui ressort clairement du témoignage de M. Blais et des modalités de l’entente. Pour ce qui est de l’intention de la travailleuse, je tiens d’abord à souligner qu’elle n’est pas aussi évidente que celle de l’appelante. Le témoignage de la travailleuse semble indiquer que la question ne l’intéressait pas. Elle ne semblait pas préoccupée par sa classification. Bien qu’on puisse dire qu’elle ne s’est jamais vraiment considérée comme une entrepreneuse indépendante, on ne peut ignorer le fait qu’elle n’a jamais exercé ses fonctions en pensant qu’elle était une employée. Au contraire, elle a exercé les fonctions en acceptant, en toute connaissance de cause, la relation prévue par l’appelante. De plus, je suis obligé de conclure qu’elle doit avoir eu au moins un peu l’intention d’exploiter une entreprise en tant qu’entrepreneuse indépendante, compte tenu du fait qu’elle a accepté une entente selon laquelle elle n’avait pas droit à des avantages sociaux, et ce, sans la protection apparente de la législation du travail en ce qui concerne les avantages sociaux ou la sécurité d’emploi. Lors de l’audience, la travailleuse n’a aucunement montré qu’elle souhaitait changer sa situation parce qu’elle savait très bien qu’il s’agissait, et qu’il s’agit toujours de l’entente qu’elle a acceptée de plein gré. Son intention était et est toujours d’exploiter son entreprise comme l’exige l’entente.

 

[29]    Dans l’arrêt Poulin c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 2003 CAF 50, la Cour d’appel fédérale a examiné la situation mettant en cause des travailleurs de la santé qui prodiguaient des soins personnels à une personne qui était devenue quadraplégique à la suite d’un accident d’automobile. L’arrêt de la Cour a été rendu par le juge Létourneau, qui a écrit aux paragraphes 16 à 22 inclusivement :

 

[16] Au surplus, la notion de contrôle n’est pas nécessairement absente du contrat de services. Elle y apparaît généralement quoique, un peu d’ailleurs comme dans le contrat de travail, à des degrés variables, qui peuvent être toutefois surprenants en terme d’ampleur, sans que le contrat d’entreprise ne soit dénaturé pour autant. Par exemple, un contrôle quant aux lieux en général et quant aux endroits spécifiques où les travaux doivent être exécutés s’exerce sur les entrepreneurs généraux et leurs sous-traitants. Ces derniers se voient également remettre des spécifications quant aux matériaux ainsi que des plans et devis auxquels ils doivent se conformer. Les heures et horaires de travail des uns par rapport aux autres sont aussi souvent contrôlées [sic] et déterminées [sic] afin d’assurer une progression efficace et harmonieuse du chantier. Les travaux effectués par contrat de services sont aussi soumis à des contrôles d’exécution, de productivité et de qualité.

[17] En l’espèce, Mme Joseph prodiguait au demandeur des soins infirmiers selon sa profession et les règles de l’art, sans que le demandeur n’ait véritablement de contrôle à cet égard. Les soins et les médicaments étaient prescrits par le médecin et requis par l’état de santé du demandeur. Les services médicaux ainsi rendus pouvaient l’être aussi bien en vertu d’un contrat de services que d’un contrat de travail sans que, dans un cas comme dans l’autre, le demandeur n’ait vraiment grand chose à dire, encore moins à contrôler.

[18] Quant aux services fournis par le préposé aux bénéficiaires et l’auxiliaire familiale, ils peuvent aussi être rendus autant en vertu d’un contrat de services que d’un contrat de travail. La nature même de ces services fait en sorte que la notion de contrôle n’est pas déterminante. Par exemple, que le demandeur précise à l’auxiliaire familiale ses tâches et lui indique, même dans les moindres détails les travaux ménagers qu’elle doit exécuter, n’aurait pas pour effet de transformer un contrat clair et net d’entreprise qu’elle détiendrait en un contrat de travail. D’ailleurs, Mme Paquette, l’auxiliaire familiale était à l’emploi de l’agence Remue-Ménage de Gatineau, laquelle offrait ce genre de services. Il est vrai que le demandeur a pu retenir ses services à temps partiel (une fin de semaine sur deux) sans passer par l’agence afin de ramener le coût des services à un niveau correspondant à sa capacité limitée de payer. Je ne vois cependant pas en quoi cela change la nature des relations entre le demandeur et elle.

[19] Enfin, le fait que les tâches exécutées l’aient été selon un horaire et une rémunération déterminés à l’heure ne conduit pas nécessairement, comme semble l’avoir fait la Cour canadienne de l’impôt, à l’existence d’un lien de subordination entre les parties. Il est fréquent de voir des entrepreneurs, par exemple en plomberie, en chauffage ou en électricité, travailler et facturer selon des tarifs horaires établis et, comme pour les salariés, majorés les jours fériés. De même, il n’est pas rare pour un client de déterminer les heures auxquelles les services doivent être fournis par l’entrepreneur avec lequel il a contracté.

[20] Le défendeur a également grandement fait état du fait que les travailleurs devaient rendre les services personnellement. Je suis d’accord avec Madame le juge Desjardins que le fait qu’une personne ne puisse déléguer son travail à quelqu’un ne veut pas dire nécessairement que celle-ci est une employée : Wolf c. Sa Majesté la Reine, supra, au paragraphe 80. De même, on ne peut conclure à l’existence d’un statut d’employé du fait que la personne qui rend les services est un diplômé. Il faut examiner les faits et les circonstances entourant la prestation de services : chaque cas est un cas d’espèce.

[21] Dans le cas présent, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi le demandeur tenait à ce que les soins médicaux très intimes et très personnalisés que requérait son état de santé lui soient donnés par l’infirmière avec laquelle il avait contracté et en laquelle il avait confiance. La même remarque vaut pour beaucoup des services rendus par le préposé aux bénéficiaires et l’auxiliaire familiale suite aux carences neurologiques du demandeur. La preuve révèle que ces deux travailleurs s’occupaient de la personne du demandeur et des lieux de sa résidence : voir Dossier du demandeur, transcription des témoignages, pages 52 et 108-109. La pénible condition physique dans laquelle le demandeur s’est retrouvé n’a pas eu pour effet de le priver de ses droits à la dignité humaine et à l’intimité, et de ses attentes à cet égard.

[22] En somme, je crois que, dans les faits de la présente cause, les notions de contrôle et de lien de subordination sont au mieux neutres, au pire trompeuses. Elles ne sont pas d’une grande utilité dans la détermination de la nature de l’entente entre les parties.

b) la propriété des instruments de travail nécessaires à l’exécution du travail.

 

[30]    Dans l’affaire Parifsky c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.) 2005 CCI 84, le juge McArthur a entendu l’appel d’une travailleuse, Mme Vrdoljak, qui, de l’avis du ministre, était une employée de la bénéficiaire — Mme Parifsky — de ses services de soins personnels. Au paragraphe 15 de ses motifs, le juge McArthur s’est exprimé dans les termes suivants :

 

[15] En l’espèce, madame Vrdoljak prodiguait des soins à madame Parifsky sans que l’appelant n’ait véritablement de contrôle à cet égard. Les heures de madame Vrdoljak étaient établies en fonction des besoins de madame Parifsky. Son horaire du temps pouvait donc varier en conséquence. Les services de madame Vrdoljak étaient habituellement requis entre midi et 20 h, soit jusqu’au moment où madame Parifsky devait aller au lit, et ce, pour un total d’environ 32 heures par semaine à un taux de 9 $ l’heure. Le total d’heures de services pouvait donc grandement varier de semaines en semaines puisqu’il était fonction des besoins de madame Parifsky.

 

[31]    Après s’être reporté à un passage tiré des motifs du juge Létourneau, de la Cour d’appel, dans l’arrêt Poulin, précité, il a poursuivi dans les termes suivants aux paragraphes 16 et 17 :

 

[16] De plus, madame Vrdoljak poursuivait durant cette période, un cours en soins infirmiers à temps plein. Elle était donc maître de son temps et pouvait établir son propre horaire en fonction de ses disponibilités.

[17] Il est clair que madame Vrdoljak avait l’habilité de décider ce qui devait être fait comme soins pour madame Parifsky. Elle était dans une position où elle jouissait d’une grande indépendance quant aux services à offrir à madame Parifsky. L’appelant, ayant également un état de santé précaire, n’était aucunement dans une position pouvant lui permettre de donner des directives à madame Vrdoljak sur comment offrir les soins. L’appelant ne pouvait donc jouer qu’un rôle passif dans tous ces évènements, lui laissant seulement la possibilité de s’enquérir quotidiennement auprès de madame Vrdoljak de l’état de santé de sa femme.

 

[32]    On peut se faire pardonner d’avoir supposé, avant de lire les motifs de la juge Sharlow, de la Cour d’appel, dans l’arrêt Royal Winnipeg Ballet, précité, que les artistes superbement disciplinés, talentueux et athlétiques étaient des employés assujettis à un degré élevé de contrôle et de direction en vue d’exécuter des ballets classiques pour une compagnie de renommée mondiale. Il se pourrait peut‑être qu’à l’avenir, des danseurs soient à ce point envahis par un esprit d’entreprise enivrant qu’ils refuseront d’exécuter un grand jeté et choisiront plutôt de remplacer celui‑ci par l’une des six glissades connues ou, pire encore, d’interrompre une série par ailleurs fluide de mouvements gracieux avec une arabesque impromptue, prouvant ainsi une fois de plus que « la danse » peut être une entreprise qui comporte des risques.

 

[33]    Si on la compare aux exigences rigoureuses auxquelles sont astreints les danseurs, la routine quotidienne de l’appelante dans le cadre de la prestation de services d’aide à domicile à Mme Francis était beaucoup moins exigeante, et l’appelante jouissait d’une grande liberté et d’une grande souplesse dans son travail. Elle exécutait les tâches ainsi qu’elle le jugeait approprié, en fonction de son propre horaire, dans le cadre de l’ensemble des services qu’elle s’était engagée par contrat à fournir à Mme Francis en contrepartie d’une rémunération déterminée.

 

[34]    Je suis convaincu, après avoir analysé longuement la preuve produite dans les présents appels et après avoir examiné les indices énoncés dans l’arrêt Sagaz, précité, et d’autres décisions pertinentes, que l’appelante ne fournissait pas ses services à Mme Francis à titre d’employée, mais qu’elle le faisait dans le cadre de l’exploitation à son compte d’une entreprise de soins à domicile. Je suis convaincu également qu’au début de leur relation de travail, les parties souhaitaient que Mme Viel fournisse ses services à titre d’entrepreneur indépendant. À mon avis, cette conclusion, si on l’applique aux faits des présents appels conformément à la décision rendue à la majorité dans l’arrêt Royal Winnipeg Ballet, précité, et dans des arrêts ultérieurs de la Cour d’appel fédérale et d’autres tribunaux, permet de conclure que les deux décisions du ministre doivent être confirmées.

 

[35]    Les deux appels sont rejetés.

 

Signé à Sidney (Colombie‑Britannique), ce 4e jour de juin 2007.

 

 

 

 

« D.W. Rowe »

Juge suppléant Rowe

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour d’octobre 2007.

 

Suzanne Bolduc, LL.B.


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI299

 

Nos DES DOSSIERS

DE LA COUR :                                  2006-1711(EI), 2006-1712(CPP)

 

INTITULÉ :                                       SANDRA JENNIFER VIEL et M.R.N. et CORINNE FRANCIS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Nanaimo (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 16 mars 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

PRONONCÉS PAR :                         L’honorable juge suppléant D.W. Rowe

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 4 juin 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l’appelante :

Me Devinder K. Sidhu

 

 

Avocate de l’intimé :

Me Lise Walsh

 

 

Avocate de l’intervenante

Me Devinder K. Sidhu

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

                          Nom :                      Me Devinder K. Sidhu

                          Cabinet :                  Dwyer Tax Lawyer

                                                          Victoria (Colombie-Britannique)

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

       Pour l’intervenante :

                          Nom :                      Me Devinder K. Sidhu

                          Cabinet :                  Dwyer Tax Lawyer

                                                          Victoria (Colombie-Britannique)

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