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Dossier : 2006-2761(EI)

ENTRE :

 

FERME YOANIE INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 8 mars 2007 et le 26 juin 2007, à Sherbrooke (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

 

Comparutions :

 

Représentant de l'appelante :

Avocat de l'appelante :

Hans Stirniman Jr. (le 8 mars 2007)

Me François Bouchard (le 26 juin 2007)

Avocat de l'intimé :

Me Simon-Nicolas Crépin

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

          L'appel interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance‑emploi (la « Loi ») est rejeté au motif que le travail exécuté par Samuel Bonsant, au cours de la période allant du 1er janvier au 27 décembre 2005, constituait un contrat de louage de services au sens de l'alinéa 5(1)a) de la Loi, le tout selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour d'août 2007.

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif


 

 

 

 

Référence : 2007CCI391

Date : 20070809

Dossier : 2006-2761(EI)

ENTRE :

 

FERME YOANIE INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Tardif

 

[1]     Il s'agit d'un appel d'une détermination en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance‑emploi (la « Loi ») en date du 22 juin 2006. La décision dont il est fait appel est à l'effet que monsieur Samuel Bonsant a exercé un emploi, au cours de la période allant du 1er janvier au 27 décembre 2005, aux termes d'un véritable contrat de louage de services.

 

[2]     Pour justifier sa décision, le ministre du Revenu national (le « ministre ») s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

 

a)         l'appelante, constituée en société le 31 août 1998, exploite une ferme laitière; (admis)

 

b)         M. Hans Stirniman Jr. était le seul actionnaire de l'appelante; (admis)

 

c)         l'appelante possédait un troupeau d'environ 75 vaches laitières et quelques veaux; (admis)

 

d)         les activités de l'appelante étaient axées sur la production de lait et sur la culture de foin servant à nourrir les bêtes; (admis)

 

e)         en 2004, l'appelante a embauché le travailleur sur une base temporaire pour s'occuper de la traite des vaches et de quelques travaux reliés à la ferme; (nié)

 

f)          le travailleur complétait en même temps un cours de formation aux adultes à l'école secondaire et M. Stirniman lui enseignait comment s'occuper des travaux reliés à l'exploitation de sa ferme; (admis)

 

g)         le 1er janvier 2005, l'appelante embauchait le travailleur, qui avait complété son cours, sur une base régulière; (nié)

 

h)         les principales tâches du travailleur consistaient à :

 

- traire les vaches 2 fois par jour,

- s'occuper des travaux de semences,

- nourrir les animaux,

- nettoyer la grange

- s'occuper d'autres tâches déterminées par M. Stirniman; (admis)

 

i)          le travailleur rendait tous ses services sur la ferme de l'appelante; (admis)

 

j)          durant la saison estivale, le travailleur travaillait entre 70 et 80 heures par semaine; (admis)

 

k)         durant la saison hivernale (d'octobre à décembre), le travailleur travaillait, en moyenne, 20 heures par semaine; (admis)

 

l)          en janvier 2005, le travailleur recevait une rémunération de 8,00 $ de l'heure et, durant le reste de la période en litige, il recevait une rémunération de 10,00 $ de l'heure; (admis)

 

m)        les heures de travail du travailleur étaient contrôlées par l'appelante car il devait poinçonner ses heures sur une carte au début et à la fin de sa journée; (admis)

 

n)         le travailleur était rémunéré par chèque de l'appelante à chaque 2 semaines; (admis)

 

o)         le travailleur devait effectuer lui‑même le travail; il ne pouvait se faire remplacer ou embaucher un aide sans en obtenir l'autorisation de l'appelante; (admis)

 

p)         dans le cadre de son travail, le travailleur était couvert par la C.S.S.T. dont les primes étaient payées par l'appelante; (admis)

 

q)         le travailleur ne bénéficiait d'aucune journée de vacances ou de maladie payée et n'était pas rémunéré à un taux horaire supérieur pour ses heures supplémentaires; (admis)

 

r)          l'appelante considère le travailleur comme travailleur autonome alors que le travailleur se considère comme employé de l'appelante; (admis)

 

s)         le travail du travailleur était supervisé sous tous les aspects par l'appelante. (admis)

 

[3]     Après avoir été assermenté, monsieur Hans Stirniman Jr., représentant de l'appelante et seul actionnaire de celle‑ci, a indiqué au tribunal qu'il admettait le contenu des alinéas a) à d), f) et de h) à s). Seuls les alinéas e) et g) ont été niés.

 

[4]     Monsieur Stirniman Jr. a tenu un langage très sévère et extrêmement critique à l'endroit de Samuel Bonsant, jeune homme dont le travail est à l’origine du litige, lui reprochant notamment de mentir effrontément, d'abuser et d'agir par vengeance.

 

[5]     Selon le représentant de l'appelante, il se serait entendu avec monsieur Bonsant pour que le travail soit effectué sur la base d'un contrat d'entreprise. En d'autres termes, selon monsieur Stirniman Jr., monsieur Bonsant a travaillé chez lui comme un travailleur autonome et ce, en pleine connaissance et au surplus, à la suite d’un choix réfléchi.

 

[6]     Monsieur Stirniman Jr. a affirmé avoir expliqué le projet à son comptable, lequel lui aurait indiqué qu'il n'y avait pas de problème à ce que le travail à faire soit exécuté dans le cadre d’un contrat d’entreprise en autant que certaines conditions soient respectées.

 

[7]     Un contrat d'entreprise permettait à monsieur Bonsant de toucher un salaire plus élevé étant donné qu'il n'y avait pas de déductions à prélever. En outre, monsieur Bonsant pouvait déduire ses dépenses à titre de travailleur autonome.

 

[8]     L'appelante a repris essentiellement le contenu de la lettre adressée au Chef des Appels (pièce A-1), tenant lieu d’avis d’appel ; je reproduis le contenu de l’avis d’appel :

 

                         Sawyerville, le 20 mars 2006

 

Chef des Appels

Agence du revenu du Canada

305, boul. René-Lévesque Ouest, 3e étage

Montréal (Québec) H2Z 1A6

 

Réf.: Assurabilité de Monsieur Samuel Bonsant

 

Monsieur,

 

  Pour faire suite à nos récentes discussions et votre décision récente sur l'assurabilité de l'emploi au sein de notre entreprise, je viens par la présente contester cette décision et vous présenter mes commentaires sur les conditions établies avec Monsieur Bonsant pour son travail.

 

  Ayant peu d'expérience de travail dans une exploitation laitière, il débute sur le marché du travail.

 

Voici les options qui lui ont été proposées :

 

         -  Salaire avec retenues régulières selon les normes

-  Rémunération majorée pour tenir compte des contributions salariales sous forme de travailleur autonome

 

            Monsieur Bonsant prend contact avec son comptable pour évaluer cette proposition et me revient en m'avisant qu'il opte pour la rémunération majorée sous forme de travailleur autonome avec les arguments suivants :

 

-  Déduction d'une partie de ses frais de carburants

-  Déduction d'une partie des coûts d'entretien de son véhicule

-  Déduction d'une partie de l'amortissement de son véhicule

-  Possibilité de facturer les autres fermes laitières pour les traites occasionnelles

 

            Tout fonctionne bien entre nous jusqu'à la révision par Revenu Québec, section T.P.S. et T.V.Q., pour la vente d'un camion par ma corporation en faveur de Monsieur Bonsant. Le Ministère réclame un montant de T.P.S. sur la vente de ce véhicule. La T.V.Q. de son côté a été assumée par M. Bonsant au moment de l'immatriculation du camion.

 

            Dans le but d'aider Monsieur Bonsant à nous rembourser cette somme, il lui est proposé de faire une retenue régulière échelonnée sur plusieurs périodes de rémunération. Malheureusement, tout change à partir de ce moment‑là. Des menaces, des commentaires non élogieux, des réclamations de membres de sa famille et plus, me surprennent énormément. Il m'avise qu'il veut que la ferme paie pour tout cela et qu'il va aviser les normes du travail.

 

            Cette réclamation s'est finalisée sans ajustement de la part de la Commission des normes du travail après que M. Bonsant ait mentionné à la Commission qu'il était travailleur autonome. Il a voulu se rétracter lorsqu'il a vu que la réclamation était pour être abandonnée, mais ses arguments n'ont pas été retenus (référence : M. Christian Lessard, Commission des normes du travail du Québec, [...]. Par la suite, M. Bonsant m'avise que cela ne s'arrêtera pas là. Vous connaissez la suite et je demeure disponible pour aider à finaliser ce dossier le plus rapidement possible.

 

[...]

 

[9]     Samuel Bonsant a également témoigné. Il a formellement nié les prétentions de monsieur Stirniman Jr.; il a affirmé que ce dernier lui indiquait quoi faire; ses heures de travail étaient contrôlées au moyen d'un poinçon établissant de façon mécanique le début et la fin de chaque journée de travail.

 

[10]    Pour l'exécution de son travail, il se servait des outils qui étaient la propriété de l'appelante. À un moment donné, le salaire de 10 $ a été réduit à 8 $ l'heure pour le motif que le volume de travail effectué et que la qualité de son travail avaient diminué.

 

[11]    À la suite de la prise en délibéré du dossier, l'appelante a fait une demande pour obtenir la réouverture de l'enquête; la requête a été accueillie, l'intimé y ayant consenti.

 

[12]    Lors de la reprise, l’appelante, représentée cette fois par un avocat, a fait témoigner, à nouveau, l’actionnaire unique de la corporation, M. Hans Stirniman Jr. ainsi que trois autres personnes.

 

[13]    La réouverture de l'enquête a confirmé la prétention de l'appelante à l'effet que les parties au contrat de travail en litige s'étaient bel et bien entendues pour que le travail soit exécuté par le biais d'un contrat d'entreprise.

 

[14]    Cette conclusion provient notamment du témoignage du frère de monsieur Bonsant. Ce dernier a affirmé avoir aidé, à plusieurs reprises, son frère Samuel Bonsant pour faire le train (traite des vaches, distribution de nourriture et nettoyage des stalles des vaches). Pour l'exécution de ce travail défini il recevait un montant forfaitaire que son frère lui remettait; ainsi les deux frères se partageaient le montant obtenu, qui était de l'ordre de 50 $.

 

[15]    Par contre, lorsque le témoin exécutait du travail relatif à la cueillette des foins ou des roches, il était rémunéré selon un tarif horaire tout comme son frère d’ailleurs.

 

[16]    Le frère de monsieur Stirniman a également témoigné. Il a affirmé avoir retenu les services de Samuel Bonsant à plusieurs reprises, toujours selon la formule du « travailleur autonome » et ce, pendant des périodes où ce dernier ne travaillait pas pour l'appelante démontrant ainsi que le travailleur en question ne travaillait pas exclusivement pour l'appelante puisqu'il avait la possibilité de travailler pour d'autres, ce qui, dans les faits, a bel et bien eu lieu.

 

[17]    À un moment donné, monsieur Bonsant a logé une plainte contre l’appelante dans le but d'obtenir une compensation supérieure à celle obtenue. Il n'y a eu aucune enquête et la décision a été rapidement prise étant donné que monsieur Bonsant a lui-même indiqué dans sa plainte qu'il avait agi à titre de travailleur autonome.

 

[18]    À la suite d'une vérification faite auprès de l'appelante qui a confirmé que monsieur Bonsant avait travaillé à titre de travailleur autonome, la Commission a immédiatement classé le dossier pour le motif qu'elle n'avait pas compétence, eu égard à la qualité du contrat de travail défini par les parties. Une demande de révision de la décision a ensuite été présentée par monsieur Bonsant, mais la réponse à cette demande n'a pas été soumise en preuve.

 

[19]    Finalement monsieur Stirniman Jr. a, à nouveau, indiqué et répété avec insistance qu'il avait retenu les services de monsieur Bonsant à titre de travailleur autonome; il a aussi affirmé que ce dernier semblait connaître toutes les conséquences d'un tel statut. Il a indiqué que la traite des vaches était rémunérée à forfait et que le travail lié à la cueillette des roches et du foin l'était sur une base horaire.

 

[20]    Monsieur Stirniman Jr. a aussi affirmé que Samuel Bonsant pouvait travailler pour toute autre entreprise que la sienne, qu’il pouvait se faire remplacer ou aider par une personne responsable et compétente. Il n'aurait pas accepté qu’un remplaçant fume ou se drogue.

 

[21]    Il a répété que, lors de l'entente initiale, monsieur Bonsant avait librement choisi la formule du travailleur autonome puisque le tarif horaire était plus élevé puisqu’il n'y avait aucune retenue sur le salaire pour le travail rémunéré à forfait pour la traite des vaches et, à l'heure, pour les autres travaux.

 

[22]    Les heures travaillées étaient calculées au moyen d'une horloge poinçon indiquant l'heure du début et de la fin de la période de travail.

 

[23]    En résumé, le représentant de l’appelante a soutenu avec énergie que le travail qu’il avait fait exécuter par le jeune Bonsant l’avait été à titre de travailleur autonome. 

 

[24]    À cet effet, même si la preuve est déterminante quant à la volonté des parties, la Cour doit-elle conclure dès lors que le contrat liant les parties était un contrat d'entreprise?

 

[25]    Monsieur Bonsant n'était manifestement pas en mesure, vu son inexpérience et son jeune âge, de faire les distinctions ou les nuances nécessaires; son consentement ne pouvait à lui seul suffire pour faire du contrat de travail un contrat d'entreprise.

 

[26]    À plusieurs reprises, la Cour d'appel fédérale a indiqué que la volonté des parties était un élément certes important, mais non nécessairement déterminant. Pour être pertinente, il est cependant essentiel que la volonté des parties soit cohérente avec la façon dont est exécuté le travail. Cette qualification a d’ailleurs été reconnue par monsieur Bonsant lui-même lors des procédures initiées auprès de la Commission des normes du travail.

 

[27]    Vouloir qu'un travail soit exécuté en vertu d'un contrat d'entreprise est un choix que les parties contractantes peuvent faire.

 

[28]    Très souvent, le choix est fait non pas en fonction de la façon d’exécuter le travail, mais en fonction d’éléments qui n’ont rien à voir avec la façon d’exécuter le travail; je fais notamment référence aux éléments suivants :

 

·        absence de retenue

·        absence de déduction pour les cotisations, permis d’assurances, etc.

·        possibilité de réclamer des dépenses

·        faciliter de mettre fin au contrat

·        diminution importante de certaines contraintes

·        responsabilité

 

[29]    En matière d'assurance‑emploi, un tel choix est sans effet si les modalités du travail en question correspondent à un contrat de louage de services.

 

[30]    En l'espèce, la seule indication à l'effet qu'il s'agissait d'un contrat d'entreprise était la perception qu'en avait l'appelante et l’acceptation de la formule par monsieur Bonsant. Or, ce contrat n'était pas conforme aux dispositions du Code civil du Québec, en matière de contrat d'entreprise.

 

[31]    En effet, l'appelante a elle‑même admis que le travail leur était encadré, qu'il avait fait l'objet d'une formation et qu'il faisait l'objet d'une surveillance et d'un contrôle continus.

 

[32]    En fait, le travail exécuté par Samuel Bonsant répondait à toutes les conditions d'un véritable contrat de louage de services, notamment au niveau des tâches, de la rémunération et de la présence incontestable du lien de subordination entre le payeur et le salarié.

 

[33]    À cet effet, les admissions de l'appelante sont révélatrices et fort utiles pour conclure au bien‑fondé de la détermination; je fais notamment référence aux admissions suivantes :

 

f)          le travailleur complétait en même temps un cours de formation aux adultes à l'école secondaire et M. Stirniman lui enseignait comment s'occuper des travaux reliés à l'exploitation de sa ferme; (admis)

 

[...]

 

h)         les principales tâches du travailleur consistaient à :

 

- traire les vaches 2 fois par jour,

- s'occuper des travaux de semences,

- nourrir les animaux,

- nettoyer la grange

- s'occuper d'autres tâches déterminées par M. Stirniman; (admis)

 

[...]

m)        les heures de travail du travailleur étaient contrôlées par l'appelante car il devait poinçonner ses heures sur une carte au début et à la fin de sa journée; (admis)

 

n)         le travailleur était rémunéré par chèque de l'appelante à chaque 2 semaines; (admis)

 

o)         le travailleur devait effectuer lui‑même le travail; il ne pouvait se faire remplacer ou embaucher un aide sans en obtenir l'autorisation de l'appelante; (admis)

 

p)         dans le cadre de son travail, le travailleur était couvert par la C.S.S.T. dont les primes étaient payées par l'appelante; (admis)

 

[...]

 

s)         le travail du travailleur était supervisé sous tous les aspects par l'appelante. (admis)

 

[34]    L'appelante n'a manifestement pas compris les exigences de la Loi en matière d'assurance‑emploi et les conseils obtenus de son comptable manquaient de rigueur. Les dispositions de la Loi ne sont pas facultatives, elles sont impératives. L'assurance‑emploi n'est pas une assurance qu’on décide de prendre ou pas prendre; il s’agit d’un programme de soutien qui couvre et protège les travailleurs qui exécutent un travail comme salarié durant une certaine période de temps.

 

[35]    Si un contrat de travail remplit les conditions requises pour être qualifié de contrat de louage de services, l'employeur ne peut pas, même avec la complicité ou l'acceptation du travailleur, faire fi de la Loi et décider qu'il s'agit d'un contrat d'entreprise.

 

[36]    Un contrat se définit par la façon dont est exécuté le travail et non par le vocabulaire utilisé par les parties contractantes. En d'autres termes, un contrat de louage de services ne peut être qualifié de contrat d'entreprise par les parties si l'exécution du travail répond aux caractéristiques d'un contrat de louage de services.

 

[37]    Si la décision que je dois rendre dépendait essentiellement ou exclusivement de la volonté des parties, il n'y a aucun doute que la prépondérance de la preuve commanderait que je conclue qu'il s'agissait d'un contrat d'entreprise.

 

[38]    Je ne crois cependant pas que je puisse arriver à cette conclusion sans aller plus loin, d'autant plus qu'une telle entente n'est pas opposable à l'intimée au seul motif qu'il s'agissait d'une entente valable entre les parties.

 

[39]    Il n'y a pas de doute que la volonté des parties est un élément dont il faut tenir compte, mais je ne crois pas qu'il s'agisse là d'un élément déterminant en soi.

 

[40]    D'autres aspects doivent être pris en compte. Je fais notamment référence à la façon dont le travail était exécuté, à la nature du travail, à tous les faits, gestes et circonstances permettant à la Cour de déterminer s'il y a eu ou non un lien de subordination, auquel cas il y a lieu de décider que le travail a été exécuté dans le cadre d'un contrat de louage de services.

 

[41]    Pour justifier sa décision à l'effet que le travail de Samuel Bonsant avait été exécuté dans le cadre un contrat de louage de services, l'intimé a tenu pour acquis les faits suivants :

 

a)         l'appelante, constituée en société le 31 août 1998, exploite une ferme laitière; (admis)

 

b)         M. Hans Stirniman Jr. était le seul actionnaire de l'appelante; (admis)

 

c)         l'appelante possédait un troupeau d'environ 75 vaches laitières et quelques veaux; (admis)

 

d)         les activités de l'appelante étaient axées sur la production de lait et sur la culture de foin servant à nourrir les bêtes; (admis)

 

e)         en 2004, l'appelante a embauché le travailleur sur une base temporaire pour s'occuper de la traite des vaches et de quelques travaux reliés à la ferme; (nié)

 

f)          le travailleur complétait en même temps un cours de formation aux adultes à l'école secondaire et M. Stirniman lui enseignait comment s'occuper des travaux reliés à l'exploitation de sa ferme; (admis)

 

g)         le 1er janvier 2005, l'appelante embauchait le travailleur, qui avait complété son cours, sur une base régulière; (nié)

 

h)         les principales tâches du travailleur consistaient à :

 

- traire les vaches 2 fois par jour,

- s'occuper des travaux de semences,

- nourrir les animaux,

- nettoyer la grange

- s'occuper d'autres tâches déterminées par M. Stirniman; (admis)

 

i)          le travailleur rendait tous ses services sur la ferme de l'appelante; (admis)

 

j)          durant la saison estivale, le travailleur travaillait entre 70 et 80 heures par semaine; (admis)

 

k)         durant la saison hivernale (d'octobre à décembre), le travailleur travaillait, en moyenne, 20 heures par semaine; (admis)

 

l)          en janvier 2005, le travailleur recevait une rémunération de 8,00 $ de l'heure et, durant le reste de la période en litige, il recevait une rémunération de 10,00 $ de l'heure; (admis)

 

m)        les heures de travail du travailleur étaient contrôlées par l'appelante car il devait poinçonner ses heures sur une carte au début et à la fin de sa journée; (admis)

 

n)         le travailleur était rémunéré par chèque de l'appelante à chaque 2 semaines; (admis)

 

o)         le travailleur devait effectuer lui‑même le travail; il ne pouvait se faire remplacer ou embaucher un aide sans en obtenir l'autorisation de l'appelante; (admis)

 

p)         dans le cadre de son travail, le travailleur était couvert par la C.S.S.T. dont les primes étaient payées par l'appelante; (admis)

 

q)         le travailleur ne bénéficiait d'aucune journée de vacances ou de maladie payée et n'était pas rémunéré à un taux horaire supérieur pour ses heures supplémentaires; (admis)

 

r)          l'appelante considère le travailleur comme travailleur autonome alors que le travailleur se considère comme employé de l'appelante; (admis)

 

s)         le travail du travailleur était supervisé sous tous les aspects par l'appelante. (admis)

 

[42]    La preuve a également fait ressortir un certain nombre d'éléments pertinents; tout d'abord, les connaissances et l'expérience des parties au contrat étaient considérablement différentes. L'une étant un agriculteur important ayant des années d'expérience, l'autre était un jeune homme à peine sorti de l'école, sans expérience du marché du travail et sans connaissance de ses aléas. D'ailleurs, il a été établi qu'il avait suivi une formation et fait un ou plusieurs stages.

 

[43]    Ces facteurs ont eu une importance considérable sur la façon dont l'entente est survenue. En effet, il n'y a aucun doute possible qu'un jeune homme sans expérience qui se fait offrir le choix entre toucher un salaire horaire sans prélèvements auquel s'ajoute le droit de déduire ses dépenses et un salaire amputé de diverses retenues et ne lui donnant droit à aucune déduction de ses dépenses choisira le type de contrat s'avérant le plus avantageux à court terme pour lui.

 

[44]    Bien que la possibilité de gagner un ou deux dollars de plus l'heure en vertu d'un contrat d'entreprise s'avère intéressante à court terme, le travailleur ne doit pas perdre de vue que le travail agricole est habituellement saisonnier et que, dans ces conditions, il est nettement plus avantageux de participer au régime d'assurance‑emploi en vertu d'un contrat de louage de services pour être admissible à des prestations pendant la période de chômage hivernale.

 

[45]    D'autre part, un calcul très rapide produit un résultat fort convaincant pour ce qui est du payeur en ce qu'un contrat d'entreprise a pour effet de simplifier beaucoup la gestion administrative de ses activités et lui permet de mettre un terme rapidement à une entente sans être assujetti à aucune restriction quant aux avis de licenciement notamment.

 

[46]    Or, à la lumière de l'ensemble des faits et des circonstances révélés par la preuve, il m'apparaît évident que l'appelante avait en tout temps le pouvoir de contrôle sur les faits et gestes de monsieur Bonsant. En effet, il existait un véritable lien de subordination et, en tout temps, l'appelante avait un droit de regard sur le travail effectué.

 

[47]    Le travail lié à la traite des vaches, rémunéré d'une manière forfaitaire, a été exécuté dans les faits à plusieurs reprises par Samuel Bonsant et son frère qui partageaient le montant forfaitaire obtenu. Évidemment, il s'agit là d'une caractéristique propre à un contrat d'entreprise.

 

[48]    L'appelante était au courant de cette pratique et y consentait. Il s'agissait là d'un volet particulier.

 

[49]    Il faut savoir que la traite des vaches est une activité qui idéalement, se déroule à des moments précis de la journée et qui doit être exécutée sur une très courte période de temps.

 

[50]    Le fait que l'appelante faisait confiance aux deux frères Bonsant et que ceux‑ci avaient les compétences nécessaires pour l'exécution de ce travail ne m'apparaît pas suffisant pour conclure à l'existence d'un contrat d'entreprise.

 

[51]    Il aurait pu en être autrement si tout le travail de Samuel Bonsant avait consisté à ne faire que le train ou la traite des vaches.

 

[52]    En l'espèce, il s'agissait là d'un volet certes important, mais non exclusif du travail de Samuel Bonsant. La façon de rémunérer est un élément ayant une certaine pertinence pour déterminer si on est en présence d’un contrat de louage, de services ou un contrat d’entreprise. Toutefois, il ne s’agit pas là d’un élément déterminant. En effet, il est fréquent que des salariés soient rémunérés à forfait, ou à la pièce ou en fonction de la quantité de travail effectué.

 

[53]    Malgré l'entente à forfait et la participation du frère de Samuel, je suis convaincu qu'il y avait un lien de subordination car je ne doute aucunement que l'appelante aurait manifestement réagi dans l'hypothèse où le frère aurait commis une faute ou aurait fait preuve de négligence ou d'insouciance lors de l’exécution de son travail.

 

[54]    L'appelante ne se serait certainement pas adressée à Samuel Bonsant pour un geste répréhensible de son frère. Elle aurait communiqué avec le travailleur fautif lui‑même.

 

[55]    D'ailleurs, monsieur Stirniman a insisté sur le fait qu'il n'aurait pas accepté n'importe qui pour ce travail. Le frère de monsieur Bonsant ne pouvait fournir son aide sans que monsieur Stirniman donne son approbation.

 

[56]    Compte tenu de la prépondérance de la preuve, principalement quant aux éléments qui soutiennent l'existence d'un lien de subordination entre l'appelante et le travailleur Samuel Bonsant, je conclus que, malgré l'entente intervenue entre les parties, le travail a été exécuté dans le cadre d'un contrat de louage de services.

 

[57]    Pour toutes ces raisons, l'appel est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour d'août 2007.

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI391

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2006-2761(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              FERME YOANIE INC. ET LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Sherbrooke (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 8 mars 2007 et le 26 juin 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Alain Tardif

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 9 août 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l'appelante :

Avocat de l'appelante :

Hans Stirniman Jr. (le 8 mars 2007)

Me François Bouchard (le 26 juin 2007)

Avocat de l'intimé :

Me Simon-Nicolas Crépin

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante :                         Me François Bouchard

                                                          Sherbrooke (Québec)

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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