Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Dossier : 2006-990(EI)

 

ENTRE :

 

WILFRID PAQUET ET FILS LTÉE,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 24 août 2006, à Québec (Québec)

 

Devant : L'honorable S.J. Savoie, Juge suppléant

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Jérôme Carrier

 

 

Avocate de l'intimé :

Me Stéphanie Côté

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel est admis et la décision rendue par le ministre est annulée selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 24e jour d'octobre 2006.

 

 

 

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie

 

 


 

 

 

Référence : 2006CCI546

Date : 20061024

Dossier : 2006-990(EI)

ENTRE :

 

WILFRID PAQUET ET FILS LTÉE,

 

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

 

intimé.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Savoie

 

[1]     Cet appel a été entendu à Québec (Québec) le 24 août 2006.

 

[2]     Il s’agit d’un appel de la décision du ministre du Revenu national (le « ministre ») portant sur l’assurabilité de l’emploi de Michel Paquet et de Steeve Paquet (les « travailleurs »), lorsqu’au service de l’appelante durant la période en litige, soit du 1er janvier 2004 au 23 juin 2005.

 

[3]     Le 16 décembre 2005, le ministre a informé l’appelante de sa décision selon laquelle les travailleurs occupaient un emploi assurable pendant la période en litige.

 

[4]     En rendant sa décision, le ministre s’est appuyé sur les faits présumés suivants :

 

5.a)      l’appelante a été constituée en société le 26 juillet 1968; (admis)

 

b)         l’appelante exploitait une entreprise de commerce, de transport et de sciage de bois de pin, d’épinette, de sapin; (admis)

 

c)         l’entreprise de l’appelante était en exploitation à l’année longue; (admis)

 

d)         les jours d’opération de l’appelante étaient du lundi au samedi midi, mais les séchoirs de bois fonctionnaient 7 jours par semaine; (admis)

 

e)         le principal fournisseur de bois de l’appelante (80%) était situé aux États‑Unis; (admis)

 

f)          l’appelante embauchait 110 employés par année; (admis)

 

g)         au 30 septembre 2004, l’appelante avait un chiffre d’affaires de plus de 38 millions de dollars pour l’année financière; (admis)

 

h)         les travailleurs travaillent pour l’appelante depuis plusieurs années et avec l’expérience acquise, ils occupent des postes de responsabilités; (admis)

 

i)          l’appelante était dirigée par trois gestionnaires, Roger Paquet et les deux travailleurs; (admis)

 

j)          Roger Paquet s’occupait des achats et de la finance; (admis)

 

k)         Michel Paquet s’occupait de la gestion des ressources humaines sauf les camionneurs, de la production, du contrôle dans l’usine et des projets d’équipement; (admis)

 

l)          Steeve Paquet s’occupait de la vente des résidus de copeaux de bois, du transport du bois, des 4 employés de l’expédition, des 2 vendeurs sur la route et du bureau des ventes à Québec; (admis)

 

m)        les travailleurs avaient des comptes à rendre à l’appelante de leurs décisions; (nié)

 

n)         les travailleurs avaient des horaires variables durant la semaine; (nié)

 

o)         les travailleurs travaillaient 55 heures minimum par semaine; (nié)

 

p)         les travailleurs avaient un salaire annuel de 48 100 $ soit un salaire hebdomadaire brut de 925 $; (admis)

 

q)         les travailleurs recevaient leur rémunération régulièrement par dépôt direct; (admis)

 

r)          Roger Paquet recevait un salaire annuel de 60 000 $; (admis)

 

s)         les travailleurs oeuvraient à la place d’affaires de l’appelante; (admis)

 

t)          les travailleurs travaillaient à l’année longue pour l’appelante; (admis)

 

u)         les travailleurs prenaient leurs vacances pendant la fermeture de l’usine durant les vacances de la construction; (admis)

 

v)         les travailleurs n’avaient aucune dépense à encourir dans l’exercice de leurs fonctions; (admis)

 

w)        tout le matériel et l’équipement dont se servaient les travailleurs appartenaient à l’appelante incluant un pick-up dont l’appelante assumait les frais; (amis)

 

x)         les tâches des travailleurs étaient intégrées aux activités de l’appelante; (admis)

 

[5]     L’appelante et le travailleur sont des personnes liées au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu car :

 

6.a)      l’actionnaire unique de l’appelante qui détenait des actions avec droit de vote était la société Placements G.R.W. Paquet Inc. (admis)

 

b)         les actionnaires de Placements G.R.W. Paquet Inc. étaient :

 

            9025-5829 Québec Inc. (Roger Paquet)                       68,4 % des actions

            9082-9839 Québec Inc. (Michel Paquet)                      15,8 % des actions

            9082-9656 Québec Inc. (Steeve Paquet)                      15,8 % des actions (admis)

 

c)         Roger Paquet est le père de Michel Paquet et Steeve Paquet; (admis)

 

d)         les travailleurs sont membres d’un groupe lié qui contrôle l’appelante. (admis)

 

[6]    Le ministre a déterminé aussi que l’appelante était réputée ne pas avoir de lien de dépendance avec les travailleurs dans le cadre de leur emploi car il a été convaincu qu’il était raisonnable de conclure que l’appelante et les travailleurs auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’il n’avait pas eu de lien de dépendance, compte tenu des circonstances suivantes :

 

7.a)      l’appelante avait une vie corporative active; (admis)

 

b)         le 8 décembre 2005 Roger Paquet déclarait à un représentant de l’intimé que l’appelante et les travailleurs n’ont jamais signé de contrat de travail écrit entre eux; (admis)

 

c)         le 8 décembre 2005 Roger Paquet déclarait à un représentant de l’intimé que les salaires des travailleurs avaient été déterminés par les actionnaires selon ce que l’appelante était en mesure de payer, selon le contexte économique et pour la capacité de faire vivre convenablement une famille; (nié)

 

d)         le salaire d’un travailleur non lié serait établi selon le même raisonnement; (nié)

 

e)         une rémunération brute de 925 $ par semaine était une rémunération raisonnable selon les actionnaires de l’appelante; (nié)

 

f)          compte tenu des fonctions, des responsabilités, de l’expérience des travailleurs et de la capacité de payer de l’appelante, la rémunération versée aux travailleurs était raisonnable; (nié)

 

g)         les travailleurs avaient des postes de gestionnaires; (nié)

 

h)         il est normal qu’un gestionnaire ait un horaire variable et régulier; (nié)

 

i)          les travailleurs avaient droit à des vacances annuelles; (admis)

 

j)          le 8 décembre 2005 Roger Paquet déclarait à un représentant de l’intimé que les trois actionnaires se rencontraient à tous les mois pour examiner les états financiers et discuter des achats importants; (nié)

 

k)         les décisions importantes de l’appelante étaient prises par les trois actionnaires et non par les travailleurs; (admis)

 

l)          les travailleurs n’ont jamais fait de prêt à l’appelante; (admis)

 

m)        les travailleurs n’étaient pas responsables personnellement des marges de crédit de l’appelante; (admis)

 

n)         les travailleurs n’avaient pas de risque financier en travaillant pour l’appelante; (nié)

 

o)         les travailleurs rendaient des services à l’année, ce qui correspondait aux besoins de l’appelante; (admis)

 

p)         les fonctions des travailleurs étaient nécessaires et essentielles à la bonne marche de l’entreprise de l’appelante; (admis)

 

q)         les modalités, la durée, la nature et l’importance du travail des travailleurs étaient raisonnables; (nié)

 

[7]     L’appelante a fait entendre Yves Paulin, C.G.A., son comptable, ainsi que Roger Paquet, actionnaire majoritaire de l’appelante et Steeve Paquet, l’un des travailleurs, fils de Roger Paquet et détenteur avec son frère Michel Paquet, l’autre travailleur, de 15,8 pour cent chacun des actions de l’appelante. Après discussion entre les parties, il a été convenu que Michel Paquet rendrait un témoignage semblable à celui de son frère et serait donc superflu.

 

[8]     La preuve a révélé qu’en 1956 monsieur Wilfrid Paquet a fait l’acquisition d’une usine de sciage située à ce moment sur la route 173 tout près des frontières américaines. À cette époque, monsieur Wilfrid Paquet employait quatre personnes et avait une production de bois scié de 500,000 pieds par année.

 

[9]     En 1962, monsieur Wilfrid Paquet, désirant agrandir son entreprise, a fait l’acquisition d’un petit moulin à bois situé au coin des routes 173 et 269 à Armstrong (qui allait devenir par la suite St-Théophile). C’est à ce même endroit que se situe l’entreprise aujourd’hui.

 

[10]    En 1968, Wilfrid Paquet a incorporé sa compagnie sous le nom de WILFRID PAQUET & FILS prenant comme associés ses trois fils Raymond, Roger et Gérard. À cette époque, l’entreprise se spécialisait dans la coupe de bois feuillu ou bois franc.

 

[11]    En 1984, monsieur Roger Paquet et ses fils Raymond et Gérard firent construire un deuxième moulin et procédèrent du même coup à l’ouverture des INDUSTRIES PAQUET, filiale de WILFRID PAQUET & FILS qui se spécialisera dans la coupe du sapin et de l’épinette, laissant à WILFRID PAQUET & FILS les opérations se reportant au pin.

 

[12]    L’entreprise opère maintenant sur 80 acres de superficie. Le site comprend deux usines de sciage, un planeur, une bouilloire à résidus, dix cellules de séchage, trois entrepôts pour le pin sec et cinq camions sur la route.

 

Historique

 

[13]    En 1997, un consultant avait suggéré des méthodes pour entrevoir la relève de l’entreprise. Précédemment, pendant trois ans, Roger Paquet a été préoccupé par ce problème de relève. Les deux fils de Roger Paquet ont grandi dans l’entreprise et ont manifesté un intérêt d’y faire carrière. Le dossier a été à l’étude pendant trois ans jusqu’en 1999. Dès lors, les travailleurs sont devenus actionnaires en achetant les actions de Gérard Paquet. Dès leur jeune âge, les travailleurs ont été initiés aux opérations de l’appelante. Steeve Paquet a commencé à y travailler en 1987 et son frère Michel en 1993. Ils ont touché à tout et sont devenus familiers avec les rouages de l’usine et les opérations en général.

 

[14]    Dans son témoignage, Roger Paquet a affirmé que sans l’arrivée des deux travailleurs et leur implication dans l’entreprise, il l’aurait déjà vendue.

 

[15]    Après que l’appelante eut mis sur pied le projet de la relève de l’entreprise au niveau des opérations, de la gestion et de la planification à long terme, elle a réalisé d’importantes acquisitions immobilisations. Celles-ci ont atteint un chiffre de 6 848 673,00 $ entre l’année 2000 et l’année 2005. Il a été établi que les deux travailleurs ont participé à part entière aux décisions qui ont abouti à cette importante expansion au cours de laquelle des investissements appréciables ont été faits pour acquérir, entres autres, des séchoirs à bois, des classeurs automatiques, des salles de classeurs et l’achat de plusieurs camions. La preuve a démontré que cette importante expansion est le résultat de l’initiative des travailleurs qui l’ont conçue et réalisée.

 

[16]    L’appelante a voulu démontrer de quelle façon les travailleurs ont été intégrés à la gestion de l’entreprise depuis 1999 mais aussi comment ceux-ci sont appelés à jouer un rôle encore plus déterminant, à court terme, c’est-à-dire, à partir du 1er octobre 2006, lorsque les travailleurs deviendront actionnaires à 33 1/3 pour cent chacun, au même titre que leur père Roger Paquet. Pour illustrer ce qui précède, l’appelante a produit à l’audition la pièce A-3, reproduite ci-dessous :

 

GROUPE PAQUET

VS

STEEVE PAQUET ET MICHEL PAQUET

 

1er octobre 1999           La société 9082-9839 Québec inc. contrôlée à 100 % par Michel Paquet a acheté 15,8 % des actions du Groupe Paquet pour un montant de 312 500 $.

 

                                    La société 9082-9656 Québec inc. contrôlée à 100 % par Steeve Paquet a acheté 15,8 % des actions du Groupe Paquet pour un montant de 312 500 $.

 

De 2002 à 2005           Investissement dans les immobilisations totalisant 6 848 673 $.

 

De 2003 à 2005           Projet de réorganisation corporative en vue de ramener la participation de Michel Paquet et de Steeve Paquet à 33 1/3 % chacun.

 

2006                            Réorganisation corporative en cours en vue d’augmenter la participation de Steeve et Michel Paquet le 1er octobre 2006. Après réorganisation, la répartition du capital-actions ordinaire au 1er octobre 2006 sera la suivante :

 

                                    9025-9829 Québec Inc. (Roger-père)  33 1/3 %

                                    9082-9656 Québec Inc. (Steeve-fils)    33 1/3 %

                                    9082-9839 Québec Inc. (Michel-fils)    33 1/3 %

 

                                                                                                    100 %

 

[17]    Il a été établi que les travailleurs n’avaient aucun compte à rendre à l’appelante. Par ailleurs, la preuve a révélé que les travailleurs n’avaient aucun horaire fixe et qu’ils travaillaient, en moyenne, à peu près 65 heures par semaine. En outre, les travailleurs étaient sur appel 24 heures par jour, 7 jours par semaine, pour les urgences. Celles-ci pouvaient exiger un travail supplémentaire allant d’une demi-heure à quatre heures par semaine en raison notamment des problèmes avec les séchoirs à bois qui étaient en marche 24 heures par jour, ceux associés aux camions ou, encore, des problèmes lors du passage aux douanes.

 

[18]    L’appelante a fait la preuve que le salaire des travailleurs a été établi par les actionnaires, dont les travailleurs qui, soucieux de la bonne santé financière de l’entreprise, se sont contentés d’un salaire moindre que celui qui prévaut dans l’industrie, compte tenu du nombre d’heures de travail consacrées à leurs tâches et leurs responsabilités dans l’entreprise. Par ailleurs, selon la preuve, il ne fait aucun doute que l’appelante aurait pu payer un salaire plus élevé aux travailleurs, celle-ci ayant enregistré en 2004, un bénéfice net de 832 967 $.

 

[19]    À l’appui de sa prétention selon laquelle les travailleurs reçoivent un salaire inférieur à celui qui prévaut dans l’industrie, l’appelante a produit un document portant sur les salaires moyens au Québec (pièce A-8) qui, basé sur une recherche à l’Université de Liverpool, stipule qu’un gérant des ventes oeuvrant à Montréal dans la province de Québec gagnait entre 66 056 $ et 115 335 $. À l’audition, Steeve Paquet a affirmé qu’un directeur des ventes, en Beauce, aurait eu un salaire dépassant les 100 000 $ par année.

 

[20]    Le ministre n’a présenté aucune preuve à l’audition, sauf les rapports des enquêteurs, mais il a exprimé de sérieux doutes quant à l’exactitude des données contenues dans la pièce A-8. Toutefois, l’appelante a fait la preuve que le salaire versé aux travailleurs est bien en dessous du seuil de ceux qui oeuvrent dans le même domaine qu’eux, dans des circonstances semblables. Cette Cour est d’avis, que les travailleurs ont prouvé qu’ils se sacrifiaient pour l’entreprise familiale en travaillant un très grand nombre d’heures pour un salaire bien en dessous de la moyenne dans l’industrie. Il a été prouvé, par ailleurs, qu’ils étaient destinés à prendre la direction de l’entreprise familiale et qu’à bien des égards c’était déjà chose faite.

 

[21]    La prépondérance de la preuve a démontré que Roger Paquet assure la gestion de l’entreprise avec les deux travailleurs qui, eux, participent à tous les projets d’achats et de ventes. Une seule signature de l’un des trois suffit pour lier l’entreprise. Il faut noter que le contrôleur de l’appelante qui, pourtant siège au conseil d’administration, n’est pas un signataire autorisé. La preuve révèle que les achats de l’appelante peuvent se chiffrer aux environs de 500 000 $ par semaine.

 

[22]    La marge de crédit de l’entreprise se situe au niveau des 6 000 000 $. Cette marge est garantie par la caution de Roger Paquet, par les actifs de l’entreprise, par les inventaires ainsi que par les comptes à recevoir. L’appelante a soutenu que la caution de Roger Paquet est plutôt symbolique puisqu’en cas de faillite, les actifs de l’entreprise mais surtout les inventaires, notamment le bois suffirait à couvrir la dette car tout ce matériel est en grande demande. Les travailleurs n’ont prêté aucun argent à l’entreprise ni cautionné la marge de crédit. Leur caution n’a pas été jugée nécessaire.

 

[23]    Roger Paquet est actionnaire majoritaire de l’entreprise mais il n’a jamais exercé son veto lors de réunions du conseil d’administration. Il a affirmé à l’audition que les décisions sont prises à trois lors des réunions du conseil d’administration qui se tiennent aux trois mois. Les décisions courantes et opérationnelles sont prises également à trois ou par les travailleurs uniquement.

 

[24]    Pour expliquer comment les travailleurs ont toute la latitude d’agir, Roger Paquet a affirmé qu’il ne fait jamais d’achat pour l’entreprise sans en parler aux travailleurs. Celui-ci a ajouté que l’entreprise de l’appelante n’occupait que 50 pour cent de son temps. Il s’absente de l’entreprise de plus en plus et ses revenus en provenance de l’appelante sont moins importants que les autres. Il a précisé que les décisions des travailleurs dans la gestion de l’entreprise sont plus importantes que les siennes.

 

[25]    La preuve a révélé que les travailleurs refuseraient de travailler pour le salaire annuel qu’ils gagnent présentement s’ils n’étaient pas actionnaires dans l’entreprise familiale et s’ils n’étaient pas destinés, à brève échéance, à prendre la relève de l’entreprise.

 

[26]    L’appelante a soutenu, de façon convaincante, qu’un étranger, sans lien de dépendance, ne travaillerait pas dans les même conditions que les travailleurs. Bien qu’ils bénéficient de deux semaines de vacances par année, ils doivent toujours avoir leur téléphone cellulaire sur eux si jamais il y a une urgence.

 

[27]    L’appelante reconnaît le statut d’actionnaire majoritaire de Roger Paquet ainsi que le pouvoir légal qu’il détient. Cependant, les témoins de l’appelante ont tous affirmé que ce pouvoir légal existe bien mais que la réalité est différente. Roger Paquet n’a jamais exercé son veto, ni au conseil d’administration, ni dans les opérations courantes de l’entreprise. Roger Paquet, a lui-même affirmé qu’il n’exerçait jamais son veto, mais qu’il en discuterait avec les travailleurs si une telle situation se présentait. Il a ajouté, en outre, que les travailleurs avaient déjà toute la latitude d’agir à tous les niveaux de l’entreprise. Il a aussi précisé qu’en dépit de son statut, il ne ferait aucun achat sans en parler aux travailleurs et que ceux-ci prenaient souvent des décisions plus importantes qui lui au niveau de l’entreprise.

 

[28]    Quel est donc l’objet du litige? D’abord, le ministre a déterminé que les travailleurs occupaient un emploi assurable selon l’alinéa 5(1)a) de la Loi. De plus, le ministre a déterminé qu’en dépit du lien de dépendance établi entre les travailleurs et l’appelante, leur emploi n’était pas exclu sous l’alinéa 5(2)i) de la Loi puisque, selon l’alinéa 5(3)b) de la Loi, l’appelante est réputée ne pas avoir de lien de dépendance avec les travailleurs et qu’il était convaincu qu’il était raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, qu’ils auraient conclu entre eux, un contrat de travail à peu près semblable s’il n’y avait pas eu de lien de dépendance.

 

[29]    Au soutien de sa prétention que cette Cour devrait conclure comme l’a fait le ministre à l’assurabilité des emplois des travailleurs, l’avocate de l’intimé a soutenu que même avec toute la latitude et la place accordée à ceux-ci dans l’exécution de leurs tâches et toute la place qu’ils occupaient dans l’entreprise, ils étaient quand même assujettis au pouvoir du conseil d’administration dont ils faisaient partie en leur qualité d’actionnaires minoritaires et d’administrateurs, sous le contrôle de jure du conseil d’administration dont était membre Roger Paquet, l’actionnaire majoritaire.

 

[30]    Pour sa part, l’avocat de l’appelante a fait valoir que l’absence totale du lien de subordination, élément essentiel selon la Loi d’un contrat de louage de services et le plus important dans la notion de contrat de travail en vertu du Code civil du Québec, a pour effet d’exclure, d’une part, les emplois des travailleurs des emplois assurables selon le paragraphe 5(1)a) de la Loi et, d’autre part, de les exclure de la notion de « contrat de travail » selon l’article 2085 du Code civil du Québec.

 

[31]    Puisqu’à mon avis la relation entre les parties telle que définie par la preuve présentée se situe davantage du côté de l’assurabilité des emplois, cette Cour doit maintenant, comme l’a fait le ministre, pousser son analyse et déterminer si, en raison du lien de dépendance, les emplois sont exclus, selon l’alinéa 5(2)i) de la Loi.

 

 

[32]    Je reproduis ci-dessous l’extrait pertinent de la Loi :

 

EMPLOI ASSURABLE

5(2) N’est pas un emploi assurable :

 

i) l’emploi dans le cadre duquel l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance.

 

5(3) Pour l’application de l’alinéa (2)i)

 

b) l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[33]    Il convient d’examiner ces circonstances décrites à l’alinéa 5(3)b) à lumière de la preuve présentée à l’audition.

 

Rétribution versée

 

[34]    Il a été établi que le salaire des travailleurs était fixé à 48 000,00 $ par année. La preuve de l’appelante vise à établir qu’en raison de leurs tâches, de leurs responsabilités et du nombre d’heures qu’ils travaillaient, le salaire se situait à un niveau nettement inférieur à celui qui prévaut dans l’industrie. L’appelante a produit le document A-8 appuyant sa prétention selon laquelle le salaire moyen dans l’entreprise pour un emploi semblable se situerait aux environs de 78 724,00 $. Le travailleur Steeve Paquet, pour sa part, soutient qu’un directeur des ventes dans la région de la Beauce, gagnerait un salaire au‑dessus de 100 000,00 $ par année. Par ailleurs, il a été établi que pendant la période en litige, l’appelante était en mesure de payer aux travailleurs un salaire beaucoup plus élevé en raison des bénéfices nets réalisés. En outre, le travailleur Steeve Paquet a fait valoir que s’il n’y avait pas eu de lien de dépendance et qu’il n’était pas destiné à prendre la relève de l’entreprise, il ne travaillerait pas dans de telles circonstances pour un salaire de 48 000,00 $ par année.

 

Modalités et durée de l'emploi

 

[35]    Les travailleurs sont au service de l’appelante depuis respectivement 1987  et 1993. Ils ne comptent pas leurs heures. Ils travaillent chacun un minimum de 65 heures par semaine. À cela il faut ajouter la couverture des urgences, ce qui peut représenter quatre ou cinq heures de plus par semaine. Ils bénéficient chacun de deux semaines de vacances annuelles payées mais ils doivent toujours avoir sur eux leurs téléphones cellulaires en cas d’urgences. Ils doivent être toujours accessibles pour répondre aux urgences, ce qui survient fréquemment. Ils bénéficient d’un véhicule fourni par l’entreprise sauf que ce véhicule est également pour eux un outil de travail. Ils travaillent tous les deux à temps plein.

 

Nature et importance du travail accompli

 

[36]    Michel Paquet s’occupait notamment de la gestion des ressources humaines dans l’entreprise sauf en ce qui a trait aux camionneurs, de la production, du contrôle dans l’usine et des projets d’équipement. Pour sa part, Steeve Paquet s’occupait de la vente des résidus de copeaux de bois, du transport du bois, des quatre employés de l’expédition, des deux vendeurs sur la route et du bureau des ventes à Québec. Ils jouissaient tous les deux d’une autonomie totale dans l’exécution de leurs tâches sans avoir à rendre de comptes à qui que ce soit. Les travailleurs représentent la relève de l’entreprise. Ils prennent toutes les décisions comme le ferait un directeur d’entreprise. Leur travail est essentiel à l’entreprise de l’appelante. Sans eux, selon l’actionnaire majoritaire, il aurait sans doute déjà vendu son entreprise.

 

[37]    La question qu’il faut se poser est la suivante : un étranger aurait-il travaillé comme les travailleurs pour un salaire très inférieur à la moyenne dans l’industrie? Cet étranger aurait-il travaillé autant d’heures supplémentaires sans rémunération et sans vacances adéquates? Pour ne pas répéter toutes les conditions et modalités de l’emploi des travailleurs, il convient d’examiner cette détermination du ministre et se demander s’il est raisonnable de conclure que l’appelante et les travailleurs auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’il n’y avait pas eu de lien de dépendance.

 

[38]    Après avoir examiné de près toutes les circonstances entourant l’emploi des travailleurs, tel que mandaté par l’alinéa 5(3)b) de la Loi, cette Cour est d’avis que les faits ne supportent pas cette conclusion.

 

[39]    La Cour d’appel fédérale a énoncé les principes d’application quant à la solution au problème présenté à cette Cour dans l’arrêt Légaré c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.), [1999] A.C.F. No. 878 dont voici un extrait :

 

La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L’expression utilisée introduit une sorte d’élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu’il s’agit sans doute d’un pouvoir dont l’exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n’est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l’impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n’est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c’est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et on été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

 

[40]    L’appelante avait le fardeau de la preuve, c’est-à-dire de prouver la fausseté des présomptions de fait du ministre. À bien des égards l’appelante s’est acquittée de cette tâche.

 

[41]    En raison de la preuve recueillie, cette Cour doit conclure que les faits supposés ou retenus par le ministre ne sont pas réels et n’ont pas été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus. La preuve présentée à l’audition porte à la détermination que la conclusion dont le ministre était « convaincu » ne paraît plus raisonnable.

 

[42]    En conséquence, l’appel est accueilli et la décision rendue par le ministre est annulée.

 

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 24e jour d'octobre 2006.

 

 

 

 

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2006CCI546

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2006-990(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              WILFRID PAQUET ET FILS LTÉE ET M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 24 août 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable S.J. Savoie, Juge suppléant

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 24 octobre 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Jérôme Carrier

 

 

Avocate de l'intimé :

Me Stéphanie Côté

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante:

 

                   Nom :                             Me Jérôme Carrier

 

                   Étude :                            Jérôme Carrier, avocat

                                                          Lévis (Québec)

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                         Ottawa, Canada

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.