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Dossier : 2003-3760(EI)

ENTRE :

PIERRE CAREY,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 7 septembre 2007, à Bathurst (Nouveau-Brunswick)

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

 

 

Avocate de l'intimé :

Me Stéphanie Côté

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel de la décision du ministre du Revenu national au sens de l’alinéa 51)a) de la Loi sur l'assurance-emploi est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour d’octobre 2007.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

 


 

 

 

Référence : 2007CCI596

Date : 20071026

Dossier : 2003-3760(EI)

ENTRE :

PIERRE CAREY,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Angers

 

[1]     M. Pierre Carey en appelle d’une décision du ministre du Revenu national (le « ministre ») voulant que son emploi avec Théresa Jean s/n Nipugt Eco Tech (la « payeuse ») au cours de la période du 27 mai au 9 novembre 2002 n’était pas un emploi assurable au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi »).

 

[2]     En prenant sa décision, le ministre s’est basé sur les hypothèses de faits suivantes :

 

a)   la payeuse est propriétaire unique d’une entreprise qui fournissait à des entreprises pharmaceutiques des États-Unis, des branches de Taxus Canadensis (« l’arbuste »), connu sous le nom d’if du Canada (en anglais, ground hemlock ou Canada yew); le produit obtenu des jeunes branches de cet arbuste sert au traitement du cancer; (admis)

 

b)   l’appelant récoltait les jeunes branches de l’arbuste (la « récolte ») pour les vendre à la payeuse; (admis)

 

c)   l’appelant recevait 0,60 $ la livre pour sa récolte; (admis)

 

d)   la payeuse ne connaissait pas le nombre d’heures de travail de l’appelant; (nié)

 

e)   l’appelant était responsable de trouver les sites de récolte; (admis)

 

f)    l’appelant était responsable de demander la permission des propriétaires des terrains boisés où il pouvait trouver l’arbuste; (admis)

 

g)   l’appelant pouvait avoir de l’aide pour faire la récolte et vendre le tout à son nom; (nié)

 

h)   l’appelant devait entreposer sa récolte et la transporter à ses frais au poste de collection de la payeuse à chaque semaine; (nié)

 

i)    l’appelant devait acheter ses propres sécateurs pour faire la récolte; (admis)

 

j)    la payeuse fournissait les sacs pour l’entreposage de la récolte; et (admis)

 

k)   l’appelant décidait de son volume de récolte et de ses heures de travail. (nié)

 

[3]     L’appelant a admis les hypothèses a), b), c), e), f), i) et j) et a nié les autres. L’appelant et un collègue de travail, Pierre Lapointe, ont témoigné au procès. C’est M. Lapointe qui a fait des démarches auprès de l’appelant et qui l’a renseigné au sujet de ce travail. L’appelant aurait rempli un formulaire et rencontré Théresa Jean et son ami Ryan Smith. On lui aurait alors présenté la pièce A-1, soit un guide des salaires pour la récolte calculés en tenant compte des prestations d’assurance-emploi et versés en fonction du nombre de livres de branches d’arbuste coupées.

 

[4]     Comme le lui recommandait la payeuse, l’appelant aurait choisi le premier scénario présent dans le guide, soit celui où il devait faire la récolte de 763 livres de branches au taux de 0,60 ¢ la livre pour un revenu brut de 458 $ par semaine. De ce montant, on devait soustraire les déductions à la source de l’employé pour l’assurance-emploi, le régime de pension du Canada, les impôts, la paye de vacances et un montant pour frais d’administration. Le revenu net de l’appelant était de 303 $. L’appelant a toutefois témoigné que son revenu brut hebdomadaire était de 416 $ et son revenu net de 303 $. À mon avis, la payeuse déduisait des sommes versées à l’appelant, sa partie des cotisations à l’assurance-emploi, de sa contribution au régime de pension du Canada et ses frais d’administration.

 

[5]     La payeuse a donné une formation de quatre heures à l’appelant. On l’a informé sur les différentes générations de branches, leur longueur, la coupe sélective et les conséquences advenant le non-respect des instructions, à savoir que la récolte pourrait être rejetée ou le prix par livre réduit. Il s’agit d’un travail très difficile, qui prenait 10 heures de travail par jour à l’appelant pour atteindre le quota requis.

 

[6]     La récolte se faisait sur des terres privées et l’appelant demandait lui-même la permission aux propriétaires. Il devait identifier le numéro du lot et l’indiquer sur les sacs. Lorsque la cueillette se faisait au Québec, un inspecteur du gouvernement du Québec visitait les lieux de la récolte environ trois à quatre fois durant l’été afin d’assurer une saine gestion de cette ressource. La payeuse communiquait avec M. Lapointe par téléphone mais ne se rendait pas aux endroits où se faisait la cueillette.

 

[7]     À ses propres frais, l’appelant se rendait sur les lieux de son travail en forêt avec son véhicule à moteur et, par la suite, transportait sa récolte au poste de pesée. L’appelant devait aussi entreposer sa récolte sur semaine puisque, initialement, le poste de pesée n’était ouvert que le samedi et le dimanche. Par la suite, le poste était ouvert du mardi au samedi. L’appelant utilisait ses propres sécateurs et établissait lui-même son horaire de travail.

 

[8]     Louise Gauthier-Boudreau est l’agente des appels qui a statué que l’emploi de l’appelant n’est pas assurable. Elle a témoigné qu’elle a eu une conversation téléphonique avec l’appelant et M. Eric Smith le 27 mai 2003. Lors de cette conversation, les renseignements suivants ont été communiqués à l’agente des appels. L’entreprise a été lancée en 2001. M. Eric Smith a commencé à diriger l’entreprise de Théresa Jean en 2002. En 2002, il est devenu le propriétaire de l’entreprise. Il est le père de Ryan Smith. Une annonce a été publiée dans les journaux afin de recruter des travailleurs pour faire la récolte. Le prix payé était de 0,60 ¢ la livre et le travailleur choisissait le nombre de semaines qu’il voulait travailler. Le travailleur avait aussi le choix de « participer aux retenues à la source ou non » selon les termes utilisés par l’entreprise. Le travailleur était donc à son compte ou à salaire avec retenues à la source.

 

[9]     Toujours au cours de cette conversation, l’agente des appels a appris que le travailleur décidait où faire la cueillette et faisait les arrangements qui s’imposaient avec les propriétaires des lieux. La payeuse n’assumait aucune responsabilité pour les dommages causés aux propriétés privées. Le travailleur décidait de la durée de son travail. La rémunération était basée sur le volume de production et était effectuée par dépôt direct. La cueillette était remise au poste de pesée. On y indiquait le poids en livres et l’endroit où le produit avait été cueilli. Les gens travaillaient habituellement en équipes de deux et ils pouvaient obtenir de l’aide. Chaque travailleur assumait ses dépenses de transport et d’achat de sécateurs.

 

[10]    Il s’agit donc de déterminer si l’appelant et la payeuse sont liés par un contrat de louage de services au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi de sorte qu’il s’agisse en l’espèce d’un emploi assurable.

 

[11]    La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd c. Ministre du Revenu national [1986] 3 C.F. 553, a fourni des critères utiles pour répondre à cette question. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. C. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 RCS 983, a donné son aval à ces critères en résumant l’état du droit comme suit aux paragraphes 47 et 48 :

 

47 Bien qu'aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l'employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses assistants, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu'à quel point il peut tirer profit de l'exécution de ses tâches.

 

48 Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n'y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l'affaire.

 

[12]    Le juge Marceau de la Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Charbonneau c. Canada, [1996] A.C.F. no 1337 (Q.L.), nous rappelle que les facteurs en question sont des points de repère qu'il est généralement utile de considérer, mais pas au point de mettre en péril l'objectif ultime de l'exercice, qui est de rechercher la relation globale que les parties entretiennent entre elles.

 

[13]    Dans une décision récente, la Cour d'appel fédérale a exposé à nouveau les principes juridiques qui gouvernent la question de l'assurabilité d'un emploi. Dans Livreur Plus Inc. c. Canada, [2004] A.C.F. no 267, le juge Létourneau a résumé ces principes en ces termes aux paragraphes 18 et 19 de son jugement :

 

Dans ce contexte, les éléments du critère énoncé dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., 87 D.T.C. 5025, à savoir le degré de contrôle, la propriété des instruments de travail, les chances de bénéfices et les risques de pertes et enfin l'intégration, ne sont que des points de repère : Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.) (1996), 207 N.R. 299, paragraphe 3. En présence d'un véritable contrat, il s'agit de déterminer si, entre les parties, existe un lien de subordination, caractéristique du contrat de travail, ou s'il n'y a pas, plutôt, un degré d'autonomie révélateur d'un contrat d'entreprise : ibidem.

 

Ceci dit, il ne faut pas, au plan du contrôle, confondre le contrôle du résultat ou de la qualité des travaux avec le contrôle de leur exécution par l'ouvrier chargé de les réaliser : Vulcain Alarme Inc. c. Le ministre du Revenu national, [1999] A.C.F. no 749, A-376-98, 11 mai 1999, paragraphe 10, (C.A.F.); D&J Driveway Inc. c. Le ministre du Revenu national, précité, au paragraphe 9. Comme le disait notre collègue le juge Décary dans l'affaire Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), précitée, suivie dans l'arrêt Jaillet c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [2002] A.C.F. no 1454, 2002 FCA 394, « rares sont les donneurs d'ouvrage qui ne s'assurent pas que le travail est exécuté en conformité avec leurs exigences et aux lieux convenus. Le contrôle du résultat ne doit pas être confondu avec le contrôle du travailleur».

 

[14]    La preuve nous apprend qu’il y avait chez la payeuse deux catégories de travailleurs : ceux qui travaillaient à leur compte, ce qui semble être une bonne majorité d’entre eux, et ceux qui, comme l’appelant, étaient payés à salaire avec tout ce que cela comporte, y compris des frais d’administration. Le commun dénominateur dans tout cela est que, peu importe la relation qui existait, la rémunération était fondée sur un prix de 0,60 ¢ la livre multiplié par le nombre de livres cueillies, qu’il s’agisse d’un salarié ou d’un travailleur à son propre compte. La seule différence reposait sur le fait que l’appelant et son collègue devaient cueillir au moins 763 livres par semaine pour obtenir leur salaire, sinon, selon ce qu’ils ont compris, ils perdraient leur emploi.

 

[15]    À toutes fins pratique, tout ce qui intéressait la payeuse, c’était la quantité du produit cueillie, qu’il ait été coupé selon ses directives et que le numéro du lot permette d’identifier l’endroit où il a été cueilli. De son côté, l’appelant devait trouver les sites de récolte, obtenir la permission du propriétaire de cueillir les branches, entreposer et transporter sa récolte et assumer seul ses frais de déplacement. Il était libre de déterminer ses heures de travail. Le fait que l’appelant devait obtenir une permission du propriétaire pour couper les branches nous amène à conclure que la payeuse n’avait aucun droit de propriété sur la récolte avant le paiement du prix à la livre. Il est donc raisonnable de conclure que c’est la récolte de l’appelant qui était vendue à la payeuse, de sorte que le paiement constituait un prix d’achat, plutôt que le paiement pour services rendus par l’appelant en tant qu’employé de la payeuse.

 

[16]    Devant cet état de choses, il devient difficile de conclure que la payeuse exerçait un contrôle sur l’appelant. Ce dernier était libre de travailler à des heures irrégulières et aux endroits qu’il choisissait. Ses heures de travail n’étaient pas comptabilisées par la payeuse et les seules directives qui aient été données à l’appelant étaient les instructions qui lui ont été données au début sur le processus de cueillette des branches. Des inspections régulières étaient effectuées dans le but de préserver la ressource. Étant donné le peu de contrôle exercé par la payeuse, la situation de l’appelant est plus assimilable à celle d’un travailleur autonome que d’un employé.

 

[17]    Le fait que l’appelant utilisait ses sécateurs et qu’il transportait à ses frais sa récolte au poste de pesée sont aussi des indices que nous sommes en présence d’un contrat de services et d’un travailleur autonome. En l’espèce, l’appelant se rendait aux différents sites de cueillette à ses propres frais, il utilisait son véhicule tout-terrain et payait les frais d’utilisation du véhicule lui-même. Le seul fait que la payeuse fournissait les sacs ne suffit pas à privilégier la thèse d’un contrat de louage de services.

 

[18]    Même si l’appelant était rémunéré à un taux prédéterminé, ce calcul était fait en fonction du prix à la livre et d’un poids minimal pour justifier le salaire. Il est évident en l’espèce que l’appelant est celui qui a choisi d’être un salarié plutôt qu’un travailleur autonome. Il semble que ce choix importait peu à la payeuse puisque, dans les deux cas, il ne lui en coûtait que 0,60 ¢ la livre. Même si l’intention des parties en l’espèce était de traiter l’appelant comme un employé plutôt que comme un travailleur autonome, je ne suis pas lié par ce que les parties ont convenu si la preuve soumise m’amène à conclure qu’il en est autrement. À mon avis, c’est le cas en l’espèce.

 

[19]    En outre, il est difficile, selon la preuve soumise, de conclure que le travail de l’appelant était intégré de façon substantielle aux activités de la payeuse. Il était nécessaire pour la payeuse d’obtenir la ressource mais, en l’espèce, elle n’était pas propriétaire des terrains où l’on cueillait le produit et elle ne faisait aucune démarche pour obtenir la permission de se rendre sur ces terrains.

 

[20]    À mon avis, et selon l’analyse des faits qui m’ont été soumis, la relation qui existait entre les parties ne favorise pas la thèse du contrat de louage de services. L’emploi n’était donc pas assurable. Par conséquent, l’appel est rejeté.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour d’octobre 2007.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI596

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2003-3760(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Pierre Carey et M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Bathurst (Nouveau-Brunswick)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 7 septembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 26 octobre 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

 

 

Avocate de l'intimé :

Me Stéphanie Côté

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                           

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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