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Dossier : 2003-4665(IT)G

ENTRE :

ALEXANDRE DUBÉ,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu les 14, 15 et 16 août 2006, à Roberval (Québec)

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

 

Me Martin Dallaire

Avocate de l'intimée :

Me Sophie-Lyne Lefebvre

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L'appel des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi ») à l'égard des années d'imposition 1997, 1998, 1999, 2000, 2001 et 2002 est rejeté avec dépens, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de décembre 2007.

 

 

 

"François Angers"

Juge Angers


 

 

 

Référence : 2007CCI393

Date : 20071206

Dossier : 2003-4665(IT)G

ENTRE :

ALEXANDRE DUBÉ,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Angers

 

[1]     L’appelant porte en appel les cotisations et nouvelles cotisations pour les années 1997 à 2002. Pour les années 1997 à 1999, l’appelant n’a pas inclus dans ses revenus imposables les revenus de placement qu’il a reçus de la Caisse populaire Desjardins de Pointe‑Bleue (la « Caisse »). Le ministre du Revenu national (le « Ministre ») a donc ajouté ces revenus aux revenus imposables de l’appelant. Or, selon l’appelant, ils seraient non imposables. Pour les années 2000, 2001 et 2002, l’appelant a inclus ses revenus de placement de la Caisse dans ses déclarations mais a demandé la déduction de ces mêmes montants. Le ministre a refusé la déduction demandée par l’appelant à l’égard de ses revenus de placement provenant de la Caisse.

 

[2]     Le ministre a de plus imposé une pénalité pour production tardive pour les années d’imposition 1997, 1998, 2000 et 2001. L’appelant a fait parvenir à l’Agence du Revenu du Canada (l'« Agence ») sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 1997 en juillet 1998, pour l’année d’imposition 1998 en août 1999, pour l’année 2000 en décembre 2001 et pour l’année d’imposition 2001 en juillet 2002. La pénalité pour production tardive est, respectivement, de 7 %, 8 %, 10 % et 6 % sur l’impôt payable pour chacune des années d’imposition.

 

[3]     Le revenu de placement de l’appelant pour chacune des années d’imposition en question est de 19 956 $ pour l’année 1997, de 12 115 $ pour l’année 1998, de 73 210 $ pour l’année 1999, de 82 303 $ pour l’année 2000, de 80 116 $ pour l’année 2001 et de 49 530 $ pour l’année 2002.

 

[4]     L’appelant est un Indien et il soutient que ses revenus de placement ne sont pas imposables en vertu de l’article 87 de la Loi sur les Indiens (L.R.C. 1985, chap. I-5) (« L.I. ») et de l’alinéa 81(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). Il s’agit donc de déterminer si ces revenus de placement reçus de la Caisse sont imposables ou non et si le ministre était justifié d’imposer à l’appelant une pénalité pour production tardive pour les années d’imposition 1997, 1998, 2000 et 2001.

 

[5]     Il est admis que l’appelant est un Indien. Selon ses déclarations de revenus, l’adresse de l’appelant est le 1, rue Wapol, dans la réserve autochtone d’Obedjiwan. Il n’y a aucune institution financière située dans cette réserve. L’appelant utilise les services d’une caisse populaire pour les fins de son entreprise et pour ses fins personnelles. Cette caisse est située dans la réserve de Mashteuiatsh, aussi connue sous le nom de Pointe‑Bleue, d’où le nom de la Caisse.

 

[6]     La réserve d’Obedjiwan est située à approximativement 300 kilomètres de celle de Pointe‑Bleue, et celle de Pointe‑Bleue est située à 6 kilomètres de Roberval. Selon le guide des collectivités indiennes et inuites du Québec pour l’année 2003, la réserve d’Obedjiwan compte 2 107 membres, dont 1 798 habitent la réserve et 309 vivent hors réserve. Elle est composée d’autochtones attikameks. Celle de Pointe‑Bleue compte 4 622 membres selon le même guide, dont 1 983 habitent la réserve et 2 635 vivent hors réserve. Elle est composée d’autochtones montagnais. Selon le même guide, pour l’année 1999, la réserve de Pointe‑Bleue avait 4 365 membres, dont 2 557 vivaient hors réserve et celle d’Obedjiwan comptait 1 879 membres, dont 319 vivaient hors réserve. Les chiffres correspondent aux données de l’année précédant la publication du guide.

 

[7]     L’appelant est membre de la réserve d’Obedjiwan depuis sa naissance. Il est marié et père de 4 enfants, le cadet ayant 16 ans et l’aîné 30 ans. Il se dit résident de la réserve même si, durant quelques années, il a été propriétaire d’une résidence à St‑Félicien et, par après, à Roberval. Il a fait l’acquisition de ces maisons afin de permettre à ses enfants de fréquenter les écoles de St-Félicien. Son épouse et deux de ses enfants ont donc habité ces maisons durant la période scolaire, soit pendant 10 mois de l’année, et l’appelant reconnaît y être demeuré aussi, tout en précisant qu’il retournait à Obedjiwan presque toutes les fins de semaine.

 

[8]     Au début des années 1980, l’appelant a décidé de se lancer en affaires à la suite des recommandations de son conseil de bande. Répondant à un appel d’offres, l’appelant a offert ses services pour effectuer le transport, de la réserve d’Obedjiwan à Roberval, des résidents ayant besoin de soins médicaux. Le soumissionnaire choisi devait obtenir l’approbation du conseil de bande. Un contrat d’un an lui fut offert avec clause de renouvellement d’année en année sous réserve de certaines conditions, dont une entente sur le tarif.

 

[9]     Selon le permis de transport de l’appelant délivré par la Commission des transports du Québec pour la période du 27 mars 1997 au 26 mars 2002, le parcours autorisé est une route forestière reliant la réserve d’Obedjiwan et Roberval et traversant le territoire de La Tuque. Un droit additionnel est accordé à l’appelant pour embarquements dans Roberval à destination de différentes localités, dont Alma et Chicoutimi, à la condition que ces déplacements soient effectués pour des fins médicales et qu’il y ait un contrat en vigueur entre l’appelant et le conseil de bande.

 

[10]    L’appelant détenait aussi un permis de la Commission des transports du Québec depuis le 11 mars 1998 lui permettant d’offrir un service de transport au grand public, de la réserve d’Obedjiwan à St-Félicien, selon un parcours pré‑établi.

 

[11]    Pour fournir ce service de transport, l’appelant exploitait de quatre à six véhicules, dont des minibus de 15 passagers, et embauchait des chauffeurs, dont trois à temps plein et deux à temps partiel. Pour les fins bancaires, il devait se rendre à l’extérieur de la réserve, car aucun service de cette nature n’était offert dans la réserve d’Obedjiwan. C’est pourquoi il a effectué ses opérations bancaires à la Caisse de la réserve de Pointe‑Bleue, près de Roberval. Selon l’appelant, il utilise cette Caisse parce qu’elle est située dans une réserve et qu’il connaît quelqu’un à la Caisse.

 

[12]    Pour préparer ses déclarations de revenus, l’appelant a fait appel aux services de madame Dominique Boily, associée déléguée chez Samson Bélair Deloitte & Touche. Selon l’appelant, madame Boily, ou son entreprise, prépare ses déclarations de revenus depuis 1997. Toutefois, selon les déclarations de revenus de l’appelant, Samson Bélair Deloitte & Touche n’est identifiée comme l’entreprise payée pour préparer ses déclarations de revenus que depuis l’année 2000. Les déclarations de revenus des années précédentes ont été préparées par une autre entreprise. Cependant, les services de madame Boily ont été retenus par l’appelant dès 1996 afin d’étudier son dossier et de lui fournir une opinion sur la question de savoir si ses revenus étaient imposables ou non. À cette fin, madame Boily s’est renseignée auprès de Revenu Canada afin d’obtenir des directives concernant le traitement fiscal du revenu d’emploi de l’appelant. Madame Boily a d’ailleurs demandé une nouvelle interprétation en mars 1999 lorsque la situation de l’appelant, dans l’exploitation de son entreprise et dans sa vie personnelle, a changé, plus particulièrement lorsqu’il a fait l’acquisition d’une résidence secondaire à St-Félicien pour ses besoins et ceux de sa famille. Dans les deux cas, l’Agence des douanes et du revenu du Canada (à l’époque) a exprimé l’avis que le revenu de l’appelant, selon l’information fournie, ne serait pas imposable. L’Agence a aussi souligné qu’elle n’était pas liée par ses commentaires et qu’une détermination finale pour une année donnée ne pourrait être établie qu’à la suite d’une vérification.

 

[13]    Selon madame Boily, le revenu qui figure aux déclarations de revenus de l’appelant est un revenu net. Aucun état financier n’est joint aux déclarations étant donné que le revenu n’était pas imposable. L’entreprise de madame Boily s’est fiée uniquement à l’information fournie par l’appelant, soit ses états financiers maison.

 

[14]    La maison de St-Félicien a été achetée vers 1996. L’appelant l’a conservé environ 5 ans avant d’en acheter une autre à Roberval. Celle de Roberval est sur le marché depuis environ un an. Ces maisons étaient occupées par sa conjointe et deux de ses enfants afin de leur permettre de fréquenter les écoles locales et de participer aux activités sportives, telles que le hockey pour son fils. Il reconnaît y être demeuré aussi.

 

[15]    L’appelant utilise les services de la Caisse pour les fins de son entreprise et pour ses fins personnelles et, pour ce, il utilise deux comptes distincts. Il utilise aussi des cartes de crédit offertes par la Caisse et il a obtenu des prêts hypothécaires pour l’achat des maisons de St-Félicien et de Roberval.

 

[16]    Les revenus d’intérêts générés par les placements de l’appelant sont substantiels et proviennent de placements de sommes importantes, particulièrement en 1998. Un tableau des détails des placements de l’appelant depuis 1997 a été déposé (pièce I‑11). On y constate que des dépôts de sommes substantielles ont été faits en 1997 et en 1998, de sorte que ses revenus d’intérêts des années en question proviennent des dépôts faits durant ces deux années. Questionné sur la provenance des fonds, l’appelant a d’abord déclaré qu’il s’agissait de revenus d’entreprise et a par la suite affirmé qu’il ne savait pas d’où provenait l’argent et qu’il faudrait, dans ses propres mots, qu’il regarde ses affaires.

 

[17]    La Caisse où l’appelant faisait ses affaires a été fondée en 1965. Entre 1996 et 2002, elle comptait environ 3 000 membres. En 2006, elle en comptait 4 600, dont environ 4 200 sont autochtones et demeurent dans la réserve et environ 400 ne sont ni autochtones, ni résidents de la réserve. Il n’y a aucune restriction à savoir qui peut devenir membre de la Caisse. Quoique la majorité des membres de la Caisse soient autochtones, le personnel de la Caisse ne demande pas aux clients qui veulent ouvrir un compte s’ils sont autochtones. Il ne leur demande pas non plus de divulguer leur numéro d’attestation du statut autochtone. Le registre des membres n’indique pas si les membres sont autochtones ou non. En fait, le pourcentage des membres autochtones est basé sur une estimation de la direction de la Caisse. Parmi ses membres, 30 % sont résidents de la réserve d’Obedjiwan. Le territoire primaire de la Caisse est Pointe‑Bleue, mais rien n’empêche un non-résident de devenir membre.

 

[18]    Il y a deux catégories de membres de la Caisse, les membres réguliers et auxiliaires. Le membre régulier réside sur le territoire de la Caisse et a droit de vote aux assemblées de la Caisse. Le membre auxiliaire ne réside pas sur le territoire et, bien qu’il ait le droit d’assister aux assemblées, il n’a pas le droit de voter. Il n’y a aucune autre restriction. Malgré cette distinction, l’appelant serait un membre régulier, même s’il ne réside pas dans la réserve de Pointe-Bleue. Il semblerait que le territoire de la Caisse soit plus vaste que celui de la réserve de Pointe‑Bleue.

 

[19]    Le conseil d’administration de la Caisse est composé de sept membres qui étaient, au moment de l’audience, tous des autochtones et des résidents de Pointe‑Bleue. La preuve n’a pas révélé si un règlement de la Caisse exige que le conseil d’administration soit composé de membres autochtones. Quant au poste de directeur, il n’y a pas d’obligation que ce poste soit comblé par une personne autochtone, ni que ses employés soient des autochtones. À compétence égale, un autochtone serait privilégié.

 

[20]    La Caisse a trois principales sources de revenus. Les revenus provenant des dépôts et placements qu’elle fait auprès de la Fédération des caisses populaires Desjardins (la « Fédération ») avec laquelle elle est affiliée, certains placements étant obligatoires pour toutes les caisses, soit le fonds d’investissement et le fonds de liquidité, les revenus générés par les prêts faits à ses membres et les produits accessoires, tels que des frais d’administration, la vente de chèques-voyage, les frais de courtiers et autres.

 

[21]    Le bilan de la Caisse déposé en preuve démontre qu’elle a autant de fonds placés auprès de la Fédération qu’elle a de prêts faits à ses membres. En 2004 et en 2005, la Caisse avait des liquidités et des placements s’élevant à 34,9 millions de dollars et à 39 millions de dollars pour chacune de ces années.

 

[22]    Les dépôts à terme placés auprès de la Fédération sont gérés uniquement par la Fédération et correspondent au surplus des économies que la Caisse ne peut prêter à ses membres. En l’espèce, la Caisse a des surplus depuis plusieurs années.

 

[23]    En ce qui concerne les placements et dépôts auprès de la Fédération, il s’agit de dépôts de participation, de dépôts obligatoires, de dépôts de liquidités et autres. Quant aux prêts faits aux membres, il s’agit de prêts à l’habitation dans la réserve et de prêts hypothécaires hors réserve, de prêts à la consommation, de prêts à l’investissement, tels que des marges de crédit, et de prêts aux entreprises, le tout dans la réserve et hors de la réserve.

 

[24]    La Caisse a reçu des dépôts de ses membres de l’ordre de 51 et 55 millions de dollars en 2002 et 2003 et a fait des prêts de l’ordre de 39 et 40 millions de dollars durant les mêmes années, de sorte qu’elle prête environ 75 % des dépôts qu’elle reçoit de ses membres ou 75 % de son chiffre d’affaires. L’excédent de cette liquidité est placé auprès de la Fédération, ce qui explique l’actif qui figure dans le bilan et auquel j’ai fait référence plus haut.

 

[25]    La Caisse n’a pas de statut d’entreprise d’autochtone et paie des primes d’assurance‑dépôt pour tous ses membres. À chaque année depuis 2003, elle remet la somme de 75 000 $ en dons et commandites aux communautés ou réserves de Pointe‑Bleue et d’Obedjiwan. La proportion des prêts accordés à ses membres autochtones est de 77%.

 

Analyse

 

[26]    La question en litige est donc de déterminer si les revenus de placement d’un Indien sont des biens situés dans une réserve indienne et s’ils doivent être exclus de ses revenus en vertu de l’alinéa 81(1)a) de la Loi qui prévoit ceci :

 

81(1) Sommes à exclure du revenu – Ne sont pas inclus dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition :

 

a) Exemptions prévues par une autre loi – une somme exonérée de l’impôt sur le revenu par toute autre loi fédérale, autre qu’un montant reçu ou à recevoir par un particulier qui est exonéré en vertu d’une disposition d’une convention ou d’un accord fiscal conclu avec un autre pays et qui a force de la loi au Canada.

 

[27]    L’article 87 de la L.I. prévoit également une exemption fiscale. Cet article se lit comme suit :

 

87(1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l’article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation :

 

a) le droit d’un Indien ou d’une bande sur une réserve ou des terres cédées;

b) les biens meubles d’un Indien ou d’une bande situés sur une réserve.

 

(2) Nul indien ou bande n’est assujetti à une taxation concernant la propriété, l’occupation, la possession ou l’usage d’un bien mentionné aux alinéas (1)a) ou b) ni autrement soumis à une taxation quant à l’un de ces biens.

 

[28]    L’application de l’alinéa 87(1)b) de la L.I. exige donc la présence de trois éléments, soit le fait d’être un Indien au sens de la L.I., le fait d’avoir en sa possession un bien meuble et le fait que ce bien meuble soit situé dans une réserve. Dans le présent cas, il est admis que l’appelant est un Indien et que le revenu de placement est un bien meuble. Le litige porte sur la question de savoir si le bien est bel et bien situé dans une réserve. Cette question a fait l’objet de plusieurs décisions, tant à la Cour canadienne de l’impôt qu’à la Cour fédérale et de nombreux principes juridiques ont été développés par la jurisprudence.

 

[29]    Il est donc possible aujourd’hui d’établir l’état du droit sur cette question qui vise principalement l’imposition des revenus de placement des Indiens. L’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Recalma c. la Reine, (1998) 98 D.T.C. 6238 est l’arrêt clé en ce qui concerne la question de savoir si un revenu de placement est exclu des revenus imposables. Cet arrêt reprend les principes énoncés dans l’arrêt Williams c. la Reine, [1992] 1 R.C.S. 877. Ces principes sont connus comme étant les facteurs de rattachement permettant de déterminer le situs d’un bien. L’arrêt Recalma a été appliqué et suivi dans des décisions de la Cour canadienne de l’impôt et de la Cour fédérale (Voir Lewin c. la Reine, [2001] A.C.I. 242 et [2002] A.C.F. 1625, Sero et Frazer, [2001] A.C.I. 345 et [2004] C.A.F. 6, et Large c. La Reine, [2006] CCI 509).

 

[30]    Il est important de se rappeler l’interprétation de l’exemption fiscale accordée aux Indiens au sens des deux dispositions législatives susmentionnées dans plusieurs jugements importants, plus précisément les limites à l’exemption fiscale établies par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Nowegijick c. la Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, au paragraphe 21.

 

Les Indiens possèdent la citoyenneté canadienne et, dans les affaires qui ne sont régies ni par des traités ni par la Loi sur les Indiens, ils ont les mêmes responsabilités, dont le paiement d’impôts, que les autres citoyens canadiens.

 

[31]    Cela étant dit, dans l’arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, le juge La Forest a élaboré sur l’obligation que la Couronne a envers les peuples autochtones et qui découle de la signature de la Proclamation royale de 1763. Il décrit cette obligation comme étant une obligation de ne pas déposséder les Indiens de leurs biens. Toutefois, dans son analyse sur l’interprétation de la L.I., il a énoncé ce qui suit aux paragraphes 88, 91, 92 et 112 :

 

Paragraphe 88 :

 

Il est également important de souligner la conséquence de la conclusion que je viens de tirer. Le fait que la loi contemporaine, comme sa contrepartie historique, prenne tant de soin pour souligner que les exemptions de taxe et de saisie ne s'appliquent que dans le cas des biens personnels situés sur des réserves démontre que l'objet de la Loi n'est pas de remédier à la situation économiquement défavorable des Indiens en leur assurant le pouvoir d'acquérir, de posséder et d'aliéner des biens sur le marché à des conditions différentes de celles applicables à leurs concitoyens. Un examen des décisions portant sur ces articles confirme que les Indiens qui acquièrent et aliènent des biens situés à l'extérieur des terres réservées à leur usage le font aux mêmes conditions que tous les autres Canadiens.

Paragraphes 91 et 92 :

 

[…] Mais je répéterais qu'en l'absence d'un lien discernable entre le bien en question et l'occupation des terres réservées par le propriétaire de ce bien, les protections et privilèges des art. 87 et 89 ne s'appliquent pas.

 

92. J'attire l'attention sur ces décisions pour souligner encore une fois qu'il faut éviter d'accorder une portée trop large aux art. 87 et 89. Ces dispositions n'ont pas pour but d'accorder des privilèges aux Indiens à l'égard de tous les biens qu'ils peuvent acquérir et posséder, peu importe l'endroit où ils sont situés. Leur but est plutôt simplement de protéger des ingérences et des entraves de la société en général les droits de propriété des Indiens sur leurs terres réservées pour veiller à ce que ceux-ci ne soient pas dépouillés de leurs droits. La Cour d'appel de l'Alberta dans l'arrêt Bank of Nova Scotia v. Blood, [1990] 1 C.N.L.R. 16, saisit l'essence du problème lorsqu'elle affirme, à la p. 18, au sujet de l'art. 87 que :

 

[TRADUCTION] D'après ses termes, l'article a pour objet d'empêcher qu'on porte atteinte aux biens des Indiens sur une réserve.

Paragraphe 112 :

 

La lecture de la Loi sur les Indiens indique que ce paragraphe n'est qu'une des nombreuses dispositions qui tentent de protéger les biens auxquels les Indiens peuvent prétendre avoir droit en vertu de leur droit d'occupation des terres réservées à leur usage. En plus des protections relatives aux terres indiennes auxquelles j'ai déjà fait allusion, l'éventail des biens protégés s'étend des cultures pratiquées sur les réserves aux dépôts de minéraux; voir les art. 32, 91, 92 et 93. En exigeant que le Ministre donne son consentement à toutes les opérations qui s'y rapportent, ces articles restreignent la capacité d'un non-Indien d'acquérir le bien particulier en question. Comme dans le cas des restrictions à l'aliénabilité auxquelles j'ai fait allusion plus tôt, le but de ces articles est d'éviter que les Indiens soient victimes d'opérations peu scrupuleuses de la part de non-Indiens et dépossédés de leurs droits.

[Je souligne.]

 

[32]    Au paragraphe 123, le juge La Forest entre plus dans les détails en ce qui concerne la notion de situs :

 

123. Je conclus qu'il est tout à fait raisonnable de s'attendre à ce que les Indiens, lorsqu'ils acquièrent des biens personnels conformément à un accord conclu avec cette « entité indivisible » qu'est la Couronne, reconnaissent que la réponse à la question de savoir si les exemptions des art. 87 et 89 devraient s'appliquer à l'égard de ces biens, sans égards à leur situs, doit dépendre de la nature des biens en question. S'il s'agit simplement de biens que les Indiens ont acquis de la même manière que tout autre Canadien aurait pu le faire, je suis incapable d'expliquer pourquoi les Indiens devraient s'attendre à ce que le situs fictif prévu à l'al. 90(1)b) s'applique à l'égard de ces biens. En d'autres termes, même si les Indiens perçoivent la Couronne comme étant « indivisible », je ne vois pas comment ils pourraient prétendre que l'al. 90(1)b) a pour but d'étendre les protections des art. 87 et 89 d'une manière « indivisible » à tous les biens qu'ils ont acquis conformément aux accords conclus avec cette entité, sans égard au lieu où ces biens sont possédés. Qu'en est‑il si les biens en question sont possédés à l'extérieur de la réserve et ont été acquis par la bande indienne en question en vue simplement d'effectuer d'autres opérations commerciales sur le marché?

 

[33]    Dans l’arrêt Williams, précité, le juge Gonthier a assujetti l’exemption prévue à l’article 87 au choix du contribuable indien quant à la manière d’organiser ses affaires, particulièrement en ce qui concerne le choix de situer ses biens dans une réserve ou hors de celle-ci. Aux paragraphes 18 et 19, il s’exprime ainsi :

 

18. En conséquence, en vertu de la Loi sur les Indiens, un Indien jouit d'un choix en ce qui concerne ses biens personnels. L'Indien peut situer ces biens sur la réserve, auquel cas les biens sont protégés contre la saisie et la taxation, ou il peut les situer hors de la réserve, auquel cas les biens sont situés à l'extérieur de la zone protégée et peuvent davantage être utilisés dans le cours des opérations commerciales ordinaires dans la société. Il appartient à l'Indien de décider s'il désire bénéficier du système de protection que constitue la réserve ou s'il veut s'intégrer davantage dans l'ensemble du monde des affaires.

 

19. Le critère du situs, à l'art. 87, a pour objet de déterminer si l'Indien détient les biens en question en vertu des droits qu'il possède à titre d'Indien sur la réserve [...]

 

[34]    Dans son jugement, le juge Gonthier énonce l’analyse juridique qui devrait être faite pour déterminer si l’imposition contrevient à l’article 87 de la L.I. Il aborde, au paragraphe 37, la question de la pondération des facteurs de rattachement :

 

[...] Il faut d'abord identifier les divers facteurs de rattachement qui peuvent être pertinents. On doit ensuite analyser ces facteurs pour déterminer le poids à leur accorder afin d'identifier l'emplacement du bien, en tenant compte de trois choses: (1) l'objet de l'exemption prévue dans la Loi sur les Indiens, (2) le genre de bien en cause et (3) la nature de l'imposition de ce bien. Il s'agit donc de déterminer, relativement à chaque facteur de rattachement, le poids qui devrait lui être accordé pour décider si l'imposition en cause de ce type de bien représenterait une atteinte aux droits de l'Indien à titre d'Indien sur une réserve.

 

[Je souligne.]

 

[35]    Le juge Gonthier explique finalement la détermination du situs des biens en question au paragraphe 61 :

 

61. Pour déterminer le situs d'un bien personnel incorporel, un tribunal doit évaluer divers facteurs de rattachement qui relient le bien à un endroit ou à l'autre. Dans le contexte de l'exemption fiscale prévue dans la Loi sur les Indiens, il y a trois facteurs importants : l'objet de l'exemption, la nature du bien en question et l'incidence fiscale sur ce bien. Compte tenu de l'objet de l'exemption, il s'agit, en fin de compte, de déterminer dans quelle mesure chaque facteur est pertinent pour décider si le fait d'imposer d'une certaine manière ce type de bien particulier porterait atteinte au droit d'un Indien à titre d'Indien de détenir des biens personnels sur la réserve.

 

[36]    Ce sont donc ces facteurs de rattachement qui ont été repris dans Recalma, Lewin et Sero et Frazer, et qui ont servi à déterminer si un revenu de placement devait être exclu du revenu imposable au motif qu’il est situé dans une réserve. Dans l’arrêt Recalma, la Cour d’appel fédérale a confirmé le jugement du juge Hamlyn de la présente Cour et a reconnu quatre facteurs à considérer dans la détermination du situs d’un revenu de placement.

 

11.       De même, lorsqu'un revenu de placement est en cause, ce revenu doit être considéré en fonction de son lien avec la réserve, de son effet bénéfique sur le mode de vie traditionnel des autochtones, du risque potentiel d'une atteinte aux biens des autochtones et de la mesure dans laquelle il peut être considéré comme provenant d'une activité du marché ordinaire. À notre avis, le juge de la Cour de l'impôt a à bon droit accordé beaucoup d'importance à la façon dont le revenu de placement a été produit, comme les tribunaux l'on fait dans les cas mettant en cause un emploi, des prestations d'assurance‑chômage et un revenu d'entreprise. Étant un revenu passif, le revenu de placement n'est pas produit par le travail individuel du contribuable. D'une certaine façon, le travail est accompli par l'argent qui est investi partout dans le pays. Le juge de la Cour de l'impôt a à bon droit accordé beaucoup d'importance à des facteurs comme la résidence de l'émetteur des titres, l'endroit où sont exercées les activités génératrices du revenu de l'émetteur, et l'endroit où se trouvent les biens de l'émetteur des titres. Le courtier de ces titres, la succursale locale de la Banque de Montréal, était situé sur la réserve, mais pas les émetteurs des titres; les sociétés qui offraient les acceptations bancaires et les gestionnaires des fonds communs de placement en cause n'avaient aucun lien avec la réserve. Ils se trouvaient dans les sièges sociaux des sociétés dans des villes bien éloignées des réserves. De même, l'activité principale qui génère le revenu des émetteurs est située dans les villes du Canada et partout dans le monde, et non pas dans les réserves. En outre, les biens des émetteurs des titres en question se trouvaient principalement en dehors des réserves ce qui, en cas de défaillance, serait un facteur des plus importants.

 

12. Le juge de la Cour de l'impôt a, encore une fois à bon droit, accordé moins d'importance, dans cette affaire de revenus de placement, à des facteurs comme le lieu de résidence du contribuable, la source du capital qui a permis l'achat des titres, le lieu où les titres ont été achetés et le revenu touché, l'endroit où le document attestant les titres était conservé et où le revenu a été dépensé. Nous ne trouvons aucune erreur dans le raisonnement du juge de la Cour de l'impôt dans la façon dont il a pondéré les différents facteurs de rattachement qui entrent en jeu à la lumière de l'objet de la loi.

 

13. À notre avis, en adoptant la méthode téléologique, le revenu de placement touché par ces contribuables ne peut être considéré comme un bien meuble « situé sur une réserve » et par conséquent, il n'est pas exempt d'impôt.

 

[Je souligne.]

 

[37]    Cette approche a été suivie dans la décision Lewin de la présente Cour et dans l’arrêt Sero et Frazer de la Cour d’appel fédérale, précités. La juge Sharlow, dans l’arrêt Sero et Frazer, a aussi pris en considération certaines critiques formulées à l’égard de l’arrêt Recalma, mais elle n’en a retenu aucune pouvant modifier sa conclusion voulant que des revenus de placement n’étaient pas situés dans une réserve. En fait, seuls le juge Linden, dans Recalma, et le juge Tardif, dans Lewin, ont reconnu la possibilité qu’un revenu de placement puisse provenir d’une réserve. Dans Recalma, le juge Linden a dit ceci au paragraphe 14 :

 

[. . .] Bien entendu, le résultat pourrait être différent dans des situations où les fonds investis directement ou par l'entremise de banques dans les réserves sont utilisés exclusivement ou principalement pour consentir des prêts aux autochtones vivant dans les réserves. Lorsque des autochtones, quels que soient leur engagement envers leurs traditions, choisissent d'investir leurs fonds sur le marché ordinaire, ils ne peuvent échapper à l'impôt simplement en utilisant une institution financière qui est située dans une réserve.

[Je souligne.]

 

[38]    Dans Lewin, en première instance, le juge Tardif disait, au paragraphe 36 :

 

S’il s’était agi d’une institution financière constituée pour les seules fins, préoccupations et besoins des Indiens vivant sur le territoire de la réserve et dont l’essentiel des revenus avait été principalement réinvesti sur le territoire de la réserve pour consolider, développer et améliorer le mieux-être social, culturel et économique des Indiens résidant sur la réserve, il aurait pu en être autrement.

 

[39]    Si je reviens donc aux quatre critères établis par le juge Linden dans Recalma pour déterminer le situs d’un revenu de placement, les trois premiers critères doivent être respectés, certes, mais le quatrième critère est le plus important, soit la mesure dans laquelle le revenu provient du marché ordinaire ou d’un marché uniquement ou principalement autochtone. Ces quatre critères sont donc :

 

1.  le lien du revenu de placement avec la réserve (résidence, source de revenus, etc.);

2.  l’effet bénéfique du revenu de placement sur le mode de vie traditionnel des autochtones;

3.  le risque potentiel d’une atteinte aux biens des autochtones;

4.  la mesure dans laquelle le revenu de placement peut être considéré comme provenant d’une activité du marché ordinaire.

 

[40]    En l’espèce, l’avocat de l’appelant a traité tous les facteurs retenus par le juge Hamlyn en première instance dans Recalma. Il a soutenu que le facteur de résidence de l’Indien revêt plus d’importance en l’espèce par rapport à ce qu’il en était dans l’affaire Sero et Frazer où les deux appelants ne vivaient pas dans une réserve. Il a soutenu aussi qu’en l’espèce la source de revenu de l’appelant était la réserve et que ce fait revêt de l’importance, car cela distingue la présente affaire des autres causes. Il a soutenu de plus que le véhicule de placement qui est la Caisse populaire de Pointe-Bleue est un facteur de rattachement qui distingue la présente affaire de l’affaire Recalma puisqu’en l’espèce, il ne s’agit pas d’une banque ni de placements spéculatifs. Même si, dans l’affaire Lewin, il s’agissait également d’une Caisse populaire, l’avocat de l’appelant a soulevé plusieurs éléments pouvant distinguer l’affaire Lewin de la cause en l’espèce. Il a soulevé le fait que, dans Lewin, la Caisse était contrôlée par des membres à l’extérieur de la réserve, sans compter les autres faits mentionnés ci-haut que cette affaire a en commun avec l’affaire Recalma et qui les distinguent de la présente affaire. L’avocat de l’appelant a beaucoup insisté sur le fait que 75% des fonds de la Caisse sont prêtés à ses membres et qu’il faudrait tenir compte de cette proportion au moment de déterminer la proportion des revenus de placement de l’appelant devant être assujettie à l’impôt.

 

[41]    De son côté, l’avocate de l’intimée signale qu’il ne s’agit pas d’établir le situs des certificats de dépôt mais plutôt des revenus de placement tirés de ces certificats de dépôt ou les revenus d’intérêt. Il faut démontrer l’existence d’un lien avec la réserve qui soit suffisamment important. Elle allègue que les activités génératrices doivent se rattacher de façon non équivoque à une réserve pour que le revenu de placement constitue un bien situé dans une réserve. Elle poursuit en faisant valoir qu’il ne faut pas donner une portée trop large aux articles 87 et 89, car le but de ces dispositions est simplement de protéger des ingérences et des entraves de la société en général les droits de propriété des Indiens. Elle rappelle à la Cour que les facteurs de rattachement analysés dans Recalma étaient importants mais que la Cour n’a pas accordé l’exemption demandée. Elle réitère que la Cour doit accorder beaucoup d’importance à la résidence de l’émetteur des titres, à l’endroit où sont exercées les activités génératrices de revenus de l’émetteur, à l’endroit où se trouvent les biens de l’émetteur et moins d’importance à des facteurs comme le lieu de résidence du contribuable, la source du capital, le lieu où les titres ont été achetés et le revenu touché. L’avocate de l’intimée a abordé chacun des facteurs en fonction de la preuve avancée et soutient qu’il n’y a pas suffisamment de facteurs en l’espèce qui puissent rattacher les revenus de placement de l’appelant à une réserve.

 

[42]    On se souviendra que, dans Recalma, le juge Hamlyn avait accordé beaucoup d’importance au lieu de résidence des appelants mais que la Cour d’appel fédérale avait jugé que le situs du revenu de placement et son lien à la réserve avaient plus d’importance. En l’espèce, le lieu de résidence de l’appelant a fait l’objet de plusieurs observations étant donné le fait que ce dernier a été propriétaire d’une résidence à St-Félicien et par la suite à Roberval durant les années en question. L’épouse de l’appelant et ses enfants avaient occupé les résidences hors réserve durant 10 mois de l’année, soit la période scolaire. L’appelant avait aussi occupé ces résidences à l’occasion étant donné les déplacements qu’il devait faire dans le cadre de son travail, les fins de semaine. Durant l’été, la famille résidait dans la réserve d’Obedjiwan. La thèse de l’appelant à l’effet que ses résidences de St‑Félicien et de Roberval étaient des résidences secondaires est difficile à accepter lorsqu’on considère qu’une résidence principale est le lieu où l’on vit habituellement et qu’en l’espèce la famille passait dix mois par année dans leur résidence hors réserve. Nous notons qu’aucun gain en capital n’a été déclaré par l’appelant lors de la disposition de la résidence de St‑Félicien.

 

[43]    Dans un deuxième temps, la nature du revenu de l’appelant est un facteur pouvant créer un lien avec la réserve. En l’espèce, les revenus générés par l’entreprise sont liés à une réserve puisqu’ils proviennent des activités de son entreprise qui consiste à fournir un service à des autochtones par des autochtones, à l’exception de quelques services rendus hors réserve. Ce qui crée une certaine difficulté en terme de lien avec la réserve, c’est le fait que la Cour n’est pas en mesure de conclure que l’entreprise de l’appelant est la source des revenus déposés qui, à leur tour, ont généré un revenu de placement. L’appelant a été incapable d’établir la provenance d’une somme d’argent assez considérable ayant servi à générer le revenu de placement, de sorte qu’il m’est impossible de créer un lien avec une réserve en ce qui concerne cette partie de ses placements.

 

[44]    L’endroit où le revenu de placement est utilisé soulève certaines questions lorsqu’on considère les faits de l’espèce. L’appelant utilisait un compte conjoint avec sa conjointe pour les besoins de la famille dans la réserve et hors de celle-ci. Étant donné que la famille de l’appelant vivait hors de la réserve pendant la majeure partie de l’année, il est donc possible de déduire qu’une bonne partie du revenu de placement était utilisée hors réserve. Même si la preuve indique que la plupart des revenus étaient ré-investis, la preuve ne nous permet pas de conclure que les revenus de placement ont été utilisés dans la réserve.

 

[45]    En dernier lieu, il faut se demander si les activités de la Caisse ont un lien avec la réserve. Il est évident que, selon la preuve soumise, la Caisse populaire de la réserve de Pointe‑Bleue est située dans la réserve, qu’elle sert des clients autochtones, qu’elle embauche du personnel autochtone et que des autochtones siègent à son conseil d’administration. Par contre, il faut aussi reconnaître que la Caisse n’est pas exclusivement autochtone en ce qui concerne sa structure ou sa vocation. Elle a les mêmes objets que toute autre caisse populaire et ses objets sont expressément prévus par la loi qui régit les Caisses. C’est une coopérative à laquelle toute personne peut adhérer et elle offre ses services à tous ses membres, qu’ils soient autochtones ou non. La Caisse est assujettie aux lois canadiennes et québécoises. La seule particularité de cette caisse est qu’elle est située dans une réserve et il s’agit là, à mon avis, d’un facteur qui, en l’espèce, a peu d’importance.

 

[46]    En l’espèce, il me paraît évident que les revenus de placement, soit les intérêts payés à l’appelant, ont eu un effet bénéfique sur le mode de vie traditionnel des autochtones qui vivaient dans la réserve d’Obedjiwan ou celle de Pointe-Bleue. Cependant, comme l’a d’ailleurs souligné le juge Tardif dans Lewin, les activités de la Caisse populaire qui a payé les intérêts à l’appelant n’ont pas servi exclusivement l’intérêt de la réserve et n’importe quelle institution bancaire hors réserve aurait pu rendre les mêmes services. Il a poursuivi en disant que les services rendus par la Caisse populaire dans la réserve étaient essentiellement d’ordre courant et propres aux choses économiques de la vie et n’avaient rien à voir avec la culture et le mode de vie traditionnel des autochtones.

 

[47]    Il n’y a ici, à mon avis, aucun risque potentiel d’une atteinte aux biens des autochtones. Les revenus de placement sont les fruits générés par le capital investi à la Caisse et ce capital n’est pas menacé. C’est l’accroissement de ce capital et les moyens pour y arriver qui font l’objet du dernier facteur, à savoir si l’activité génératrice du revenu provient du marché ordinaire et dans quelle mesure.

 

[48]    La question en litige porte sur ce dernier facteur, soit celui de déterminer d’où proviennent les revenus de placement. Dans le contexte qui nous intéresse, il incombe à l’appelant de démontrer que les revenus de placement ont été générés dans la réserve. Pour ce faire, l’appelant a voulu démontrer que la Caisse possède une certaine autonomie dans l’exercice de ses activités générales au-delà de ses obligations envers la Fédération. Il a beaucoup insisté sur le fait que les membres de la Caisse sont majoritairement autochtones et que ce sont leurs capitaux que la Caisse investit. À mon avis, l’appelant cherche ainsi à démontrer le lien qui existe entre la Caisse et la réserve et, possiblement, à situer la source des revenus de l’appelant, mais est-ce que ça répond adéquatement à la question de savoir comment la Caisse génère les revenus de placement?

 

[49]    Il est vrai que la Caisse prête de l’argent à ses membres et que plusieurs de ses membres sont autochtones. La Caisse a cependant trois principales sources de revenus, soit, premièrement, les dépôts et placements faits auprès de la Fédération. La Fédération a l’obligation, en vertu de la loi, de faire ces placements dans des fonds d’investissement et des fonds de liquidité qui, à leur tour, sont investis dans le marché ordinaire hors de la réserve. Ces placements auprès de la Fédération sont gérés uniquement par la Fédération et la preuve révèle que la Caisse populaire de Pointe-Bleue a des surplus depuis plusieurs années. La preuve révèle aussi qu’environ 25% des dépôts de ses membres sont placés auprès de la Fédération. Le 75% restant, quant à lui, constitue la deuxième source de revenus et il est prêté à ses membres résidant dans la réserve et hors réserve, notamment sous forme de marges de crédit et de prêts à la consommation. Ce genre de prêt de la Caisse est offert à tous les membres, autochtones ou non, vivant dans une réserve ou hors réserve. Les garanties ministérielles couvrant les prêts à l’habitation pour les autochtones sont offertes à toutes les institutions financières situées dans une réserve ou hors réserve et la Caisse populaire de Pointe-Bleue n’a donc pas le monopole des prêts à l’habitation dans la réserve de Pointe-Bleue ou d’Obedjiwan. Il faut aussi noter que, dans son actif, selon les états financiers, la Caisse a autant de fonds placés auprès de la Fédération qu’elle a de prêts faits à ses membres. Finalement, il y a les revenus engendrés par les produits accessoires, tels que les frais d’administration, les frais de courtier et autres.

 

[50]    Il est vrai qu’en l’espèce, les membres de la Caisse populaire de Pointe‑Bleue semblent être en majeure partie des autochtones. Je dis « semblent » parce que la question de savoir si une personne est un autochtone n’est pas posée aux membres au moment de l’ouverture d’un compte et le numéro d’attestation du statut d’autochtone n’est pas exigé. Le pourcentage des membres autochtones est basé sur une évaluation non officielle faite par la direction de la Caisse. Quoi qu’il en soit, il faut reconnaître que, même si la clientèle de la Caisse est majoritairement autochtone, ces épargnants autochtones ne contrôlent pas les surplus qui sont placés auprès de la Fédération et la Caisse ne peut échapper à son obligation de faire ces placements dans les marchés ordinaires. Les règlements administratifs de la Caisse ne peuvent prescrire que son conseil d’administration soit composé uniquement d’autochtones puisque la loi régissant la Caisse prévoit que les membres du conseil d’administration doivent être élus par les membres réguliers de la Caisse. Il est donc presque impossible de distinguer la présente affaire de l’affaire Lewin sur ce dernier point.

 

[51]    L’avocat de l’appelant suggère qu’en l’espèce, il serait possible de faire une ventilation des revenus d’intérêt entre ceux qui ont été générés par des investissements « autochtones » et ceux qui ont été générés par le marché ordinaire. Il faut se rappeler que c’est le revenu qui doit être lié à une réserve et non le bénéfice qu’il apporte aux autochtones. Même si la Caisse apporte un bénéfice à ces derniers, cela ne veut pas nécessairement dire que ce bénéfice crée un facteur qui rattache ce bien à la réserve, tel que l’exige la jurisprudence. L’idée de fractionner un revenu de façon à créer des portions exonérées n’a pas été retenue par la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Akiwenzie c. Canada, 2003 CAF 469 et Monias, 2001 CAF 239. D’ailleurs, si on devait se livrer à cet exercice, il faudrait notamment déterminer si les autochtones à qui la Caisse prête de l’argent vivent dans la réserve ou hors de celle-ci afin de déterminer s’il existe un lien avec la réserve. Pourrait t-on avec cette formule arriver à conclure qu’il y a suffisamment d’activités dans une réserve pour conclure que le revenu de placement provient de façon prépondérante de la réserve? À mon avis, l’exercice auquel il faudrait se livrer en vue de déterminer le revenu exonéré compte trop de facteurs impondérables et de complexités pour être mis en pratique.

 

[52]    Pour que les revenus de placement de l’appelant soient exonérés, il faudrait qu’il y ait des facteurs de rattachement créant et un lien prépondérant avec une réserve. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Par conséquent, les revenus de placement ne sont pas exonérés d’impôt. Les déclarations de revenu de l’appelant pour les années d’imposition 1997, 1998, 2000 et 2001 ont effectivement été produites en retard et le Ministre était justifié d’imposer une pénalité pour production tardive. L’appel est rejeté avec dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de décembre 2007.

 

 

 

"François Angers"

Juge Angers

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI393

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2003-4665(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Alexandre Dubé et Sa Majesté La Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Roberval (Québec)

 

DATES DE L’AUDIENCE :               les 14, 15 et 16 août 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 6 décembre 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat pour l’appelant :

Me Martin Dallaire

 

Avocate de l'intimée :

Me Sophie-Lyne Lefebvre

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant :

 

                     Nom :                            Me Martin Dallaire

 

                 Cabinet :                           Cain, Lamarre, Casgrain, Wells

                                                          Saint-Félicien (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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