Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Référence : 2004CCI194

Date : 20040330

Dossier : 2003-3521(IT)APP

ENTRE :

RICK GREENSTREET,

requérant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Pour le requérant : Le requérant lui‑même

Avocate de l’intimée : Me Marlyse Dumel

____________________________________________________________________

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

(Rendus oralement à l’audience

à Kingston (Ontario), le 7 janvier 2004.)

 

Le juge McArthur

 

[1]  M. Greenstreet a demandé que soit rendue une ordonnance de prorogation du délai imparti pour signifier un avis d’appel relativement à la cotisation qui a été établie à son égard pour l’année d’imposition 1995. Cette demande découle de circonstances particulières, pour ne pas dire exceptionnelles. C’est la seconde fois que le requérant introduit un appel relativement à la même année d’imposition. Le juge Sarchuk de la Cour a entendu son premier appel à l’encontre de la cotisation pour l’année d’imposition 1995; il l’a rejeté dans le jugement qu’il a rendu le 24 mars 1999.

 

[2]  Par la suite, le 4 juillet 1999, le requérant a produit une déclaration de revenu modifiée pour cette même année d’imposition 1995. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a examiné cette déclaration modifiée en usant du pouvoir que lui confère le paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). Il y a eu confusion au bureau du ministre. Quand il a reçu la déclaration modifiée, le représentant du ministre qui l’a examinée ne s’est apparemment pas rendu compte que la cotisation établie à l’égard de l’appelant pour l’année 1995 avait déjà fait l’objet d’un appel, et qu’un jugement avait été rendu par la Cour de l’impôt (par le juge Sarchuk, le 24 mars 1999). Dans une lettre datée du 5 mars 2002 [1] , le ministre a informé le requérant que sa déclaration modifiée était exacte. Le requérant affirme qu’il a alors cru qu’il était inutile de s’opposer à la cotisation, et qu’il a attendu de recevoir un chèque de remboursement du ministre. Cependant, dans une lettre datée du 15 mars 2002 [2] , le ministre s’est ainsi adressé au requérant :

 

[traduction]

 

La confusion vient du fait que, la première fois que nous avons traité la présente affaire, nous avons été amenés à croire que vous aviez présenté une demande de modification de votre déclaration de revenu pour 1995, et que l’Agence ne s’en était pas occupée. Nous ne savions pas alors que l’affaire avait bel et bien été réglée par la signification d’un avis d’opposition, et ensuite par un jugement rendu par la Cour canadienne de l’impôt. Comme nous le savons maintenant, la Cour canadienne de l’impôt a rejeté votre appel concernant la perte déductible au titre d’un placement d’entreprise, et elle a souligné que vous ne pouviez pas déduire les pertes en cause de votre revenu d’emploi dans votre déclaration, mais que vous pouviez seulement les déduire de vos gains en capital. Vous avez demandé que votre déclaration soit modifiée de manière à ce que les « autres revenus d’emploi » de 18 000 $ qui apparaissaient dans votre toute première déclaration soient éliminés.

 

L’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’« ADRC ») évoque une confusion, et confusion il y a eu. J’accepte la position adoptée par le ministre dans sa lettre datée du 27 mai 2002 (pièce  R-4), où il a déclaré :

 

[traduction]

 

Par conséquent, nous fermerons votre dossier sans apporter quelque modification que ce soit à votre déclaration T1 pour 1995.

 

Il faisait là référence à la toute première déclaration, et non à la version modifiée produite en 1999.

[3]  Le ministre est d’avis que la question de l’année d’imposition 1995 a été réglée de façon définitive par le juge Sarchuk, et que la décision de ce dernier a force de chose jugée à l’égard des questions soulevées par le requérant le 4 juillet 1999. En outre, en ce qui concerne le requérant, l’année d’imposition 1995 est frappée de prescription. La cotisation était datée du 20 juin 1996, et le délai de prescription de trois ans prévu par la Loi expirait le 20 juin 1999. La déclaration modifiée du requérant était datée du 4 juillet 1999, soit 14 jours après l’expiration du délai imparti. Le ministre a ajouté que c’est seulement en usant du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 152(4.2) qu’il a pu examiner la déclaration modifiée.

 

[4]  Je me penche maintenant sur les principales allégations du ministre : tout d’abord, la question de la chose jugée, c’est‑à‑dire celle de savoir si les questions soulevées par le requérant ont déjà été tranchées par la Cour. Dans la deuxième déclaration qu’il a produite, l’appelant a éliminé le montant de 18 000 $ qui figurait dans sa première déclaration. Cette somme semble correspondre à la part du requérant dans les actifs d’une société de personnes, qui comprenaient le contenu d’un compte en banque, qu’il s’est vu attribuer après la dissolution de celle‑ci. L’avis d’appel proposé du requérant n’aide pas vraiment à comprendre pourquoi celui‑ci a d’abord inclus la somme de 18 000 $ dans sa première déclaration pour ensuite l’éliminer dans la seconde. Je pense qu’il a déclaré que c’était conforme au jugement de la Cour; ainsi, si les 32 000 $ étaient des pertes en capital, alors les 18 000 $ étaient un gain en capital, et ils n’auraient pas dû être inclus dans son revenu. Cela est inexact, et ce, pour les motifs suivants.

 

[5]  Quand il a rejeté l’appel du requérant, le juge Sarchuk s’est ainsi exprimé, aux paragraphes 11 et 12 de sa décision :

 

[11]  Les pertes déductibles au titre d'un placement d'entreprise sont des types de pertes en capital qui jouissent d'un traitement préférentiel en vertu de la Loi. […]

 

[12]  […] Il en résulte que l'appelant a une perte en capital nette qu'il peut porter en réduction des gains en capital d'autres années. […]

 

[6]  Le requérant ne s’est pas attardé au fait que son appel précédent relatif à l’année d’imposition 1995 avait été rejeté sans réserve. L’avocate de l’intimée a évoqué  l’arrêt Canada v. Chevron Canada Resources, [1999] 3 C.T.C. 140, dans lequel le juge Noël a clairement affirmé, aux paragraphes 36 et 37 :

 

[36]  […] la position de l'intimée selon laquelle les seules questions ayant été « tranchées définitivement » sont celles qui ont été expressément décidées n'a aucun fondement si s'applique le principe de la chose jugée, qui empêche la poursuite d'un litige relativement aux questions qui n'ont pas été tranchées mais qui sont liées. […]

 

[37]  […] Ce principe prévoit que lorsqu'une partie se trouvant dans une telle situation omet de soulever une question, elle ne peut plus la soulever par la suite. Dans la mesure où ce principe s'applique, il faut conclure que la question du calcul de la déduction de l'intimée relativement à des ressources a été tranchée définitivement par le jugement sur consentement.

 

Le juge a également cité avec approbation l’extrait suivant de l’arrêt rendu par le Conseil privé dans Thomas v. Trinidad & Tobago (Attorney General), (1990), 115 N.R. 313 :

 

[traduction] […] L'intérêt public exige qu'il y ait un terme aux litiges et que personne ne doive faire l'objet d'une action intentée par la même personne plus d'une fois sur la même question. Ce principe ne s'applique pas seulement lorsque le redressement recherché et les motifs invoqués sont les mêmes dans la deuxième action que dans la première, mais aussi lorsque l'objet des deux actions est le même, et que l'on cherche à invoquer dans le cadre de la deuxième action des questions de fait ou de droit directement liées qui auraient pu être soulevées dans le cadre de la première action mais qui ne l'ont pas été. […]

 

[…] la cour exige des parties à ce litige qu'elles fassent valoir l'ensemble des éléments de leur affaire […]

 

Il est évident que les commentaires susmentionnés s’appliquent également en l’espèce. Le jugement daté du 24 mars 1999 représentait la décision finale rendue à l’égard du requérant relativement à l’année d’imposition 1995, et ce, à moins qu’il n’en appelle devant la Cour d’appel fédérale, ce qu’il n’a pas fait.

 

[7]  En l’espèce, le requérant s’efforce de soulever des questions qui ont déjà été, ou auraient dû être, soulevées dans l’instance antérieure, et il n’existe aucune circonstance particulière me permettant de rouvrir l’audience. Je conclus que la doctrine de l’autorité de la chose jugée s’applique. Rien que pour cette raison, je rejetterais la présente requête.

 

[8]  Même s’il n’est pas nécessaire que je m’attarde sur le sujet, je crois que le second argument avancé par le ministre, et habilement présenté par son avocate, est également valable. Je conviens que la cotisation établie pour l’année 1995 était frappée de prescription en juillet 1999, quand le requérant a produit la déclaration de revenu modifiée dans laquelle il a éliminé la somme de 18 000 $ qui apparaissait dans sa première déclaration à titre de revenu. Le paragraphe 152(4.2) prévoit que le ministre peut user de son pouvoir discrétionnaire afin d’établir de nouvelles cotisations en dehors de la période normale de nouvelle cotisation, mais que s’il n’exerce pas ce pouvoir à la satisfaction du contribuable, celui‑ci ne peut exercer de recours devant la Cour. Le requérant avait la possibilité d’interjeter appel de la décision de la Cour devant la Cour d’appel fédérale. Il a d’abord considéré une telle approche, mais il a ensuite décidé qu’elle n’était pas envisageable d’un point de vue financier, et il s’efforce donc de faire en sorte que la Cour entende de nouveau son appel, qui vise la même année. En outre, le requérant n’a pas signifié d’avis d’opposition dans le délai prescrit par l’article 165 de la Loi.

 

[9]  Le requérant a soulevé plusieurs arguments qui ne font pas avancer sa cause, je les mentionnerai succinctement. Il affirme que l’ADRC a rendu une décision confirmant les calculs qu’il a effectués, et qu’il a attendu un remboursement. Il a ajouté que l’ADRC avait pris des mesures de recouvrement à son endroit, et que c’est pour cette raison qu’il avait signifié un avis d’opposition, mais que l’ADRC avait néanmoins saisi son salaire bien que la Loi l’interdise, et que le ministre avait continué de lui [traduction] « voler » son salaire. Il a également évoqué d’autres erreurs commises par des fonctionnaires de l’ADRC, y compris, apparemment, le fait de revenir sur la décision rendue le 5 mars 2002. Il est bien établi en droit que le principe de la préclusion ne l’emporte pas sur la loi. Une erreur commise par un représentant de l’ADRC ne peut l’emporter sur la loi, et l’état de celle‑ci a été décrit dans les présents motifs.


 

[10]  Pour l’ensemble de ces motifs, la demande de prorogation du délai imparti pour signifier un avis d’appel relativement à la cotisation établie à l’égard du requérant pour l’année d’imposition 1995 est rejetée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de mars 2004.

 

 

 

« C. H. McArthur »

Juge McArthur

 

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour de mars 2009.

 

 

Alya Kaddour‑Lord, traductrice


 

RÉFÉRENCE :

 

2004CCI194

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-3521(IT)APP

 

INTITULÉ :

Rick Greenstreet et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Kingston (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 janvier 2004

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

L’honorable juge C. H. McArthur

 

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 14 janvier 2004

 

COMPARUTIONS :

 

Pour le requérant :

Le requérant lui‑même

 

Avocate de l’intimée :

Me Marlyse Dumel

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour le requérant :

 

  Nom :

s.o.

 

 Cabinet :

s.o.

 

  Pour l’intimée :

Morris Rosenberg

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1]   La lettre datée du 5 mars 2002 a été égarée ou mal rangée.

[2]   Qui est également désignée comme la lettre datée du 17 mars 2002 (pièce R-3).

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