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Dossier : 98-1003(IT)I

ENTRE :

MARGARET MCKAY,

appelante,

Et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 2 août 2007, à Fort Smith (Territoires du Nord‑Ouest).

 

Devant : L’honorable juge L.M. Little

 

Comparutions :

 

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

 

 

Avocate de l’intimée :

Me Darcie Charlton

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

          L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard de l’année d’imposition 1995 est accueilli, sans dépens, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Vancouver (Colombie‑Britannique), ce 18e jour de décembre 2007.

 

 

« L.M. Little »

Juge Little

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de février 2008

 

D. Laberge, LL.L.


 

 

 

Référence : 2007CCI757

Date : 20071218

Dossier : 98-1003(IT)I    

ENTRE :

 

MARGARET MCKAY,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Little

 

A.      EXPOSÉ DES FAITS

 

[1]     L’appelante est une Indienne suivant la définition donnée dans la Loi sur les Indiens et elle fait partie de la Première nation Salt River no 195 de Fort Smith, dans les Territoires du Nord‑Ouest.

 

[2]     En 1995, l’appelante travaillait pour la Première nation Salt River no 195 à Fort Smith et elle travaillait aussi pour le gouvernement des Territoires du Nord‑Ouest.

 

[3]     L’appelante a tiré un revenu d’une charge ou d’un emploi d’un montant de 15 912,21 $ de la Première nation Salt River no 195 et un revenu de 1 715,56 $ du gouvernement des Territoires du Nord‑Ouest (ci‑après les « employeurs »).

 

[4]     Durant l’année d’imposition 1995, l’appelante habitait dans la ville de Fort Smith, dans les Territoires du Nord‑Ouest.

 

[5]     L’appelant remplissait les tâches relatives à sa charge ou son emploi pour le compte des deux employeurs dans la ville de Fort Smith.

 

[6]     Lorsque l’appelante a rempli sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 1995, elle a adopté la position voulant que le revenu d’emploi qu’elle avait touché était exempt d’impôt en vertu de l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

 

[7]     Dans un avis de cotisation daté du 13 août 1996, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a inclus les montants de 15 912,21 $ et de 1 715,56 $ dans le revenu de l’appelante pour l’année d’imposition 1995.

 

B.      QUESTION EN LITIGE

 

[8]     Le revenu d’emploi reçu par l’appelante pour l’année d’imposition 1995 est‑il exempt d’impôt en vertu de l’article 87 de la Loi sur les Indiens?

 

C.      ANALYSE ET DÉCISION

 

[9]     Lorsqu’il a établi la cotisation de l’appelante, le ministre a établi que le domicile fiscal (situs) des employeurs était dans la ville de Fort Smith.

 

[10]    Le ministre a également établi qu’aucune partie de la ville de Fort Smith n’était située dans une réserve.

 

[11]    Pour décider si un Indien a droit à une exonération d’impôt, il faut examiner les « facteurs de rattachement ». L’un des principaux facteurs de rattachement est le situs des employeurs.

 

[12]    Tel qu’il a été mentionné précédemment, le ministre était d’avis que les employeurs de l’appelante n’étaient pas établis dans une réserve.

 

[13]    L’avocate de l’intimée a fait comparaître M. Brian Kenneth Herbert comme témoin.

 

[14]    M. Herbert était employé à la section des services relatifs aux terres de la Direction des services aux Indiens et aux Inuits de la Région des Territoires du Nord‑Ouest. Pendant les vingt‑cinq années qu’il a passées au service de la section des services relatifs aux terres, M. Herbert a eu accès à de la documentation et il a acquis des connaissances historiques personnelles quant aux terres occupées par le bureau du conseil de bande de la Première nation Salt River no 195 (le « bureau du conseil de bande »)[1].

 

[15]    M. Herbert a témoigné que, en 1995, les terres sur lesquelles le bureau du conseil de bande était situé avaient à tort été traitées par la Direction comme une réserve de pêche temporaire jusqu’en 2000, soit jusqu’au moment où l’on s’est rendu compte que les terres auraient dû être traitées comme une réserve désignée sous le régime de la Loi sur les Indiens. M. Herbert a plus particulièrement affirmé ce qui suit :

 

          [traduction]

Q.     Maintenant, je note qu’il est indiqué sous « Réserve indienne Salt Plains no 195 » en caractères gras « Réserve de pêche indienne Salt River ».

R.      Oui, c’est exact.

Q.     Pouvez-vous me donner des explications à ce sujet?

R.      Cela est probablement à l’origine de la grande confusion entourant cette réserve. Pendant longtemps, le ministère a cru qu’il s’agissait d’une réserve de pêche, à savoir une parcelle de terrain annotée réservée à un usage particulier. Dans le présent cas, elle aurait été réservée comme zone de pêche saisonnière au bénéfice des membres des Premières nations à diverses périodes de pêche.

         Elle n’a donc jamais été traitée comme une réserve au sens de la Loi sur les Indiens probablement jusqu’en 2000 lorsque nous avons poussé les recherches à son sujet et découvert que, selon l’arpenteur en chef et le libellé du décret, elle était considérée par tous comme une réserve sous le régime de la Loi des Indiens[2]. [Non souligné dans l’original.]

 

[16]    La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Conseil de la bande dénée de Ross River[3] a établi les exigences juridiques à remplir pour l’établissement d’une réserve au sens de la Loi sur les Indiens. L’arrêt explique clairement qu’il doit y avoir une intention de créer une réserve de la part d’une personne ayant le pouvoir d’engager la Couronne. Le juge LeBel a affirmé ce qui suit :

 

La mise de côté d’une parcelle de terrain à titre de réserve en vertu de la Loi sur les Indiens suppose à la fois une action et une intention. En d’autres termes, la Couronne doit non seulement prendre certaines mesures pour mettre des terres de côté, mais elle doit également agir dans l’intention de créer une réserve. Dans certains cas, il est possible que certaines mesures politiques ou juridiques prises par la Couronne aient un caractère tellement définitif ou concluant qu’il devient inutile de prouver que cette dernière avait subjectivement l’intention de mettre de côté des terres pour créer une réserve. Par exemple, la signature d’un traité ou la prise d’un décret ont une telle autorité que l’élément moral – ou intention – serait implicite ou présumé[4].

 

[17]    Dans son témoignage, M. Herbert a affirmé qu’il existait un décret par lequel il était déclaré que les terres sur lesquelles était établi le bureau du conseil de bande constituaient une réserve au sens de la Loi sur les Indiens. Par conséquent, le document juridique attestant l’intention de la Couronne était disponible, mais il avait tout simplement été mal interprété. [Non souligné dans l’original.]

 

[18]    Même si, en 2000, des négociations ont été ténues en vue de faire profiter la Première nation Salt River no 195 de droits fonciers issus d’un nouveau traité[5], compte tenu des renseignements présentés à l’instruction et des critères établis dans l’arrêt Conseil de la bande dénée de Ross River[6], j’ai conclu que les terres sur lesquelles le bureau du conseil de bande est établi et l’endroit où l’appelante accomplissait ses tâches étaient situés dans une réserve, durant l’année d’imposition 1995.

 

Situs du revenu d’emploi

 

[19]    Dans la décision Shilling c. Canada[7], la Cour d’appel fédérale a exposé un cadre d’analyse à partir de la jurisprudence afin d’établir si le revenu d’un autochtone était tiré d’un emploi occupé dans une réserve. Le cadre d’analyse est le suivant :

 

1.     L’exemption prévue à l’article 87 s’étend à l’imposition du revenu d’emploi d’un Indien s’il est situé dans une réserve[8].

2.     La question de savoir si un bien incorporel est situé dans une réserve dépend de l’examen de facteurs créant un lien entre le bien et une réserve. Il y a trois facteurs importants à prendre en compte pour déterminer l’importance des facteurs de rattachement : l’objet de l’exemption[9], la nature du bien en question et l’incidence fiscale sur ce bien[10].

3.     L’article 87 devrait être interprété comme faisant partie des dispositions figurant aux articles 87 à 90 de la Loi sur les Indiens, lesquelles étaient destinées à protéger les Indiens de diverses façons contre l’érosion de leur base économique, à savoir les terres de réserve et les biens personnels appartenant à un Indien dans une réserve[11].

4.     Les articles 87 à 90 ne servent pas à remédier d’une façon générale à la situation défavorable, sur le plan économique, à laquelle font face de nombreux Indiens. Ces dispositions ne s’appliquent donc pas si un Indien décide d’acquérir et de posséder des biens personnels « sur le marché » plutôt que dans une réserve[12].

 

[20]    Puisque l’article 87 de la Loi sur les Indiens s’étend à un revenu d’emploi, les facteurs de rattachement seront analysés ci‑dessous.

 

[21]    L’arrêt Williams c. Canada[13] a établi ce qui est désigné comme le « critère des facteurs de rattachement ». Ce critère a été utilisé par de nombreux tribunaux pour déterminer si un revenu d’emploi pouvait être considéré comme étant situé dans une réserve.

 

[22]    L’affaire Williams[14] portait sur le situs des prestations d’assurance‑chômage touchées par M. Williams, un membre de la bande indienne de Penticton qui habitait dans la réserve no 1. La Cour a établi que la pertinence des facteurs de rattachement peut varier selon le type de prestation ou de revenu touché[15].

 

[23]    Dans l’arrêt Folster[16], la Cour d’appel fédérale a établi la façon selon laquelle l’analyse devait être faite pour déterminer si le revenu d’emploi était situé dans une réserve et quels facteurs de rattachement devaient être considérés et favorisés dans cette analyse. Le juge Linden a affirmé ce qui suit :

 

Il faut donc élargir le champ de l’enquête afin de tenir compte d’autres facteurs de rattachement. À mon avis, étant donné le but poursuivi par le législateur en créant l’exemption d’impôt et le genre de bien meuble en cause, l’analyse doit porter sur la nature de l’emploi de l’appelante et les circonstances qui s’y rapportent. Le genre de bien meuble en cause, c’est‑à‑dire le revenu d’emploi, est tel qu’on ne peut juger de sa nature sans se référer aux circonstances dans lesquelles il a été gagné. De même que le situs des prestations d’assurance‑chômage doit être déterminé par rapport à l’emploi ouvrant droit aux prestations, de même l’analyse de l’emplacement du revenu d’emploi est subordonnée à un examen de toutes les circonstances qui ont donné lieu à l’emploi. Ayant évalué ces facteurs dans le contexte de l’espèce, je suis d’avis que le revenu de l’appelante doit être exempté d’impôt pour éviter toute atteinte aux droits d’un Indien. Le bien meuble en cause est un revenu gagné par une Indienne qui réside sur une réserve et qui travaille dans un hôpital qui répond aux besoins de la collectivité de la réserve; cet hôpital était jadis situé sur la réserve, mais se trouve maintenant à proximité de la réserve qu’il dessert[17].

[…]

                  Vu les faits de l’espèce, la résidence de la contribuable, la nature du service fourni, l’historique de l’établissement en cause et les circonstances relatives à l’emploi sont tous des facteurs auxquels un poids considérable a été accordé dans le cadre de l’interprétation fondée sur l’objet de l’article 87. En revanche, la résidence de l’employeur, même si son emplacement pouvait être déterminé, et l’endroit précis où les fonctions étaient exercées, quoique certainement pertinent, se sont révélés moins importants en l’espèce que dans d’autres cas[18]. [Non souligné dans l’original.]

 

[24]    Dans l’arrêt Amos[19] de la Cour d’appel fédérale, le juge Strayer a autorisé l’exonération d’impôt sur le revenu tiré d’un emploi dans une usine de pâte à papier située hors réserve. La Cour a inféré que, puisque les terres de la réserve avaient été cédées en location à la société exploitant l’usine de pâte à papier à la condition que les membres de la bande y soient employés, les membres de la bande tiraient avantage de possibilités d’emploi offertes grâce à cette entente. Il a également été inféré que l’utilisation des terres de la réserve faisait intégralement partie de l’exploitation de l’usine de pâte à papier, sinon la société n’aurait pas loué les terres avant de commencer la production. S’appuyant sur cette analyse, la Cour a déclaré que l’emploi était directement lié aux droits fonciers des membres de la bande sur les terres de la réserve.

              

[25]    Dans Amos[20], la Cour d’appel fédérale a invoqué l’arrêt Recalma[21] qui aborde la question de l’exonération d’impôt sur le revenu de placement. L’arrêt résume bien les exigences auxquelles il doit être satisfait pour autoriser l’exonération d’impôt sur le revenu d’emploi gagné hors réserve. Le juge Linden a déclaré ce qui suit aux paragraphes 9 et 10 :

 

En évaluant les différents facteurs pertinents, la Cour doit décider de l’endroit où il est « le plus logique » de situer les biens meubles afin d’éviter de porter « atteinte à un bien détenu par un Indien en qu’Indien » dans le but de protéger le mode de vie traditionnel des autochtones. Dans l’évaluation des différents facteurs pertinents, il est également important de déterminer si l’activité qui a généré le revenu était « étroitement liée » à la réserve, c’est‑à‑dire si elle faisait « partie intégrante » de la vie dans la réserve, ou s’il est plus approprié de la considérer comme une activité accomplie sur « le marché ordinaire » […]. Il convient de préciser que le concept « du marché ordinaire » n’est pas un critère ayant pour but de déterminer si les biens sont situés dans une réserve; il s’agit simplement d’un élément qui aide à l’évaluation des divers facteurs à l’étude. Ce n’est absolument pas un critère déterminant. L’exercice de raisonnement primordial est de décider, en tenant compte de l’ensemble des facteurs de rattachement et en gardant à l’esprit l’objet de l’article, de l’endroit où sont situés les biens, c’est‑à‑dire si le revenu gagné fait « partie intégrante de la vie de la réserve », s’il est « étroitement lié » à cette vie, et s’il devrait être protégé pour empêcher de porter atteinte aux biens détenus par les Indiens en tant qu’Indiens.

Il est bien évident que les différents facteurs pourront avoir une importance différente dans chaque cas. Ce qui est extrêmement important, surtout en l’espèce, c’est le type de revenus que l’on veut assujettir à l’impôt. Lorsque le revenu est tiré d’un emploi ou qu’il s’agit d’un salaire, le lieu de résidence du contribuable, le type de travail effectué, l’endroit où le travail a été effectué et la nature de l’avantage qu’en tire la réserve ont une très grande importance. [Non souligné dans l’original.]

 

[26]    Compte tenu de l’arrêt Recalma[22], il faut accorder une très grande importance aux quatre facteurs de rattachement suivants pour déterminer si le revenu d’emploi de l’appelant est situé dans une réserve :

 

          1.       le lieu de résidence du contribuable;

          2.       le type de travail effectué;

          3.       l’endroit où le travail a été effectué;

          4.       la nature de l’avantage qu’en tire la réserve.

 

La question de savoir si le revenu gagné fait partie intégrante de la vie de la réserve et s’il devrait être protégé pour empêcher qu’il soit porté atteinte aux biens détenus par les Indiens en tant qu’Indiens est une autre considération importante.

 

Lieu de résidence de la contribuable

 

[27]    L’appelante habitait à Fort Smith, dans les Territoires du Nord‑Ouest, en 1995, et non dans la réserve Salt River Plains. Elle recevait ses chèques à Fort Smith et les déposait dans une banque située dans cette ville.

 

[28]    Même si l’appelante ne vivait pas dans la réserve, contrairement à l’affaire Monias[23], elle entretenait des liens réels avec la réserve, grâce à son travail et grâce aux membres de la bande qu’elle visitait régulièrement.

 

Type de travail effectué

 

[29]    La preuve présentée à l’instruction a révélé que l’appelante occupait un emploi d’agente des communications au bureau du conseil de bande de la Première nation Salt River no 195 situé à Fort Smith, dans les Territoires du Nord‑Ouest[24]. Dans ses observations écrites, l’appelante a décrit son rôle comme un rôle d’agente stagiaire chargée des tâches suivantes :

 

·    Assister à toutes les séances du conseil de bande, les enregistrer et en faire la transcription et le classement.

·    Enregistrer sur bande vidéo ou audio ou consigner par écrit les observations des aînés, des jeunes et des spécialistes de l’information historique, à savoir les territoires de piégeage et de chasse traditionnelle, la voix des jeunes.

·    Recevoir de la formation : radiodiffusion (émission diffusée sur les ondes de CKLB à Yellowknife, dans les Territoires du Nord‑Ouest), au collège Aurora (développement des aptitudes de communication).

·    Rédiger, distribuer, poster et classer les bulletins d’information mensuels destinés aux membres de la bande.

 

[30]    Les témoignages de Henry Beaver[25], qui était membre du conseil en 1995, et de Francois Frederick Paulette, qui était négociateur en chef en 1995, ont permis de corroborer la preuve de l’appelante relativement aux tâches qu’elle exécutait.

 

[31]    Dans son témoignage, M. Paulette a parlé de l’importance du rôle joué par l’agente des communications. Il a affirmé ce qui suit :

 

          [traduction]

R.   Mais je veux juste souligner qu’elle était effectivement l’agente des communications pour la bande. L’information actualisée que j’avais – en consultant le dossier, je suis tombé sur un bulletin d’information qui remontait à longtemps, j’aurais dû le prendre mais je ne l’ai pas fait. De toute manière, toutefois – parce que, en fin de compte, nous devons – les gens doivent ratifier le processus. Si les gens ne sont pas au courant du processus relatif au traité ou des négociations à la table, ou bien ils ne négocieront pas ou encore ils s’y opposeront. En notre ---

Le juge Little : Ce que vous voulez dire c’est que l’agent des communications joue un rôle très important?

 

R.   Oui. Et que, à la fin, ma Première nation, Smith Landing, le référendum nécessitait 70 p. 100; il devait y avoir 70 p. 100 en faveur du règlement[26].

 

[32]    Compte tenu de ce qui précède, il est évident que le travail effectué par l’appelante faisait partie intégrante de l’avancement du processus de règlement des revendications territoriales et permettait de faire en sorte que tous les membres de la bande soient informés au sujet des diverses activités exercées par la bande en leur nom.

 

L’endroit où le travail est effectué

 

[33]    L’appelante a témoigné qu’elle se rendait dans la réserve Salt River Plains environ dix fois par mois et qu’elle devait assister aux séances hebdomadaires du conseil[27]. M. Henry a témoigné que des routes primaires menaient à la réserve Salt River Plains et qu’il y avait environ 20 bâtiments dans la réserve[28].

 

[34]    Tel qu’il a été mentionné dans Shilling[29] le fait que le travail est effectué en dehors de la réserve indique que le revenu d’emploi n’est pas situé dans la réserve, mais ce facteur à lui seul n’est pas déterminant.

 

[35]    De plus, dans Amos[30] la Cour a affirmé qu’il serait « trop arbitraire » de priver des avantages prévus à l’article 87 les employés du secteur opérationnel de l’entreprise situé sur les terres de la réserve cédées en location pendant que les employés d’un autre secteur de l’entreprise situé sur des terres attenantes à la réserve y auraient droit.

 

[36]    L’appelante travaillait au bureau du conseil de bande à Fort Smith, mais elle devait aussi se rendre régulièrement dans la réserve pour recueillir des renseignements auprès des membres de la bande et leur remettre des exemplaires du bulletin d’information pour les tenir au courant des activités de la bande.

 

La nature de l’avantage qu’en tire la réserve

 

[37]    L’appelante devait fournir aux membres de la bande des renseignements à jour concernant les négociations relatives aux traités, s’occuper de la reconstitution des récits des aînés et assurer le lien des membres de la bande avec le chef et les membres désignés du conseil de bande[31].

 

[38]    Même si l’appelante ne vivait pas dans la réserve, les autres facteurs de rattachement donnent à penser que le revenu qu’elle touchait devrait être exonéré d’impôt. La fonction qu’elle occupait visait à établir un lien avec tous les membres de la bande, tant ceux vivant dans la réserve que ceux vivant en dehors de celle‑ci, pour les renseigner sur l’état des négociations relatives aux traités et pour recueillir et consigner des données sur les événements historiques d’importance. Le revenu gagné par l’appelante était étroitement lié à la vie des Indiens parce qu’elle était chargée de consigner les récits historiques et de diffuser des renseignements sur les négociations et l’état des revendications territoriales dans lesquelles la bande était engagée et il existait un lien bien évident entre le revenu d’emploi de l’appelante et la réserve puisque ses tâches étaient exécutées dans le prolongement de l’établissement du statut de la réserve.

 

[39]    De plus, les activités de l’appelante n’étaient pas liées au « marché ordinaire ». Tel qu’il a été exposé dans les observations écrites de l’appelante, le bureau du conseil de bande avait pour mandat de gouverner ses propres membres et d’assurer la direction en vue de régler les questions politiques et de voir à ce que les obligations issues des traités soient respectées par le gouvernement canadien.

 

Source du financement

 

[40]    Même si l’intimée a tenté d’établir que les fonds reçus par la bande de la Première nation Salt River no 195 n’étaient pas exclusivement liés aux négociations relatives aux traités, compte tenu de la décision Desnomie[32], ce facteur ne revêt que peu d’importance puisque l’accord doit seulement être accessoire à un traité. Il ne doit donc exister qu’un certain lien avec un traité[33].

 

[41]    L’appelante a soutenu que les fonds affectés à son poste provenaient d’un prêt accordé par le gouvernement pour les négociations portant sur les droits fonciers issus des traités (« DFIT »), lesquels ont un lien important avec l’établissement des traités et les droits de revendication territoriale. Au cours de son témoignage, M. Herbert a laissé entendre que le financement pouvait également avoir été obtenu des Affaires indiennes et du Nord Canada (« AINC »). Ni l’un ni l’autre n’a pu toutefois présenter de preuve pour établir quels étaient les montants accordés et en vertu de quel programme ils l’étaient.

 

[42]    Compte tenu du fait que le poste de l’appelante était temporaire, soit une durée d’un an, et du fait qu’elle portait le titre d’agente stagiaire des communications, il est probable que les fonds reçus pour payer son salaire ne provenaient pas d’un financement administratif général et ont été accordés en vertu d’un programme particulier comme celui relatif aux négociations portant sur les DFIT.

 

 

 

 

Distinction faite à l’égard de la décision Adams

 

[43]    La décision Adams[34] à première vue semble s’apparenter à la situation de fait de la présente affaire. Dans cette décision, la Cour n’a pas autorisé l’exonération d’impôt. Malgré les similarités, il existe des différences nettes qui font en sorte que cette décision ne peut s’appliquer en l’espèce.

 

[44]    Premièrement, l’appelante dans la décision Adams[35] travaillait comme secrétaire du bureau d’un conseil de bande et elle jouait donc un rôle dans les fonctions administratives quotidiennes de la bande. Dans la présente affaire, le travail de l’appelante n’avait rien à voir avec les fonctions administratives quotidiennes de la bande. Son poste a plutôt été créé pour renseigner les membres de la bande sur les activités de la bande.

 

[45]    Deuxièmement, les fonds accordés pour payer le salaire de l’appelante dans la décision Adams[36] n’étaient pas attribuables à un accord entre la bande et « Sa Majesté ». Le financement des négociations relatives aux DFIT est assuré par « Sa Majesté ». Les fonds accordés par l’AINC seraient considérés comme des fonds provenant de « Sa Majesté » parce qu’il s’agit de fonds du gouvernement fédéral. Comme il a été mentionné dans la décision Adams, l’expression « Sa Majesté » s’entend de la Couronne fédérale[37].

 

[46]    Troisièmement, la Cour a affirmé que les faits de l’affaire Adams étaient bien particuliers parce qu’il n’y avait aucune preuve que des membres de la bande vivaient réellement dans la réserve. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Il y avait des membres qui vivaient tant dans la réserve qu’en dehors de celle‑ci, mais l’appelante s’occupait de tous ces membres. Il s’ensuit donc que les gens qui bénéficiaient des services de l’appelante vivaient dans la réserve et hors réserve.

 

D.      CONCLUSION

 

[47]    Selon M. Herbert, il existait un décret par lequel il était déclaré que les terres sur lesquelles était établi le bureau du conseil de bande constituaient une réserve au sens de la Loi sur les Indiens. Par conséquent, le document juridique attestant l’intention de la Couronne était disponible et l’exclusion du statut de réserve était attribuable à une mauvaise interprétation de ce document.

 

[48]    En combinant le témoignage de M. Herbert et les critères établis dans l’affaire Conseil de la bande dénée de Ross River[38], on peut croire que les terres sur lesquelles le bureau du conseil de bande est établi et l’endroit où l’appelante exécutait les tâches de l’emploi qu’elle occupait étaient situés dans une réserve en 1995.

 

[49]    Même si l’appelante ne vivait pas dans la réserve, les autres facteurs de rattachement donnent à penser que le revenu qu’elle touchait devrait être exonéré d’impôt. La fonction qu’elle occupait visait à établir un lien avec tous les membres de la bande, tant ceux vivant dans la réserve que ceux vivant en dehors de celle‑ci, pour les renseigner sur l’état des négociations relatives aux traités et pour recueillir et consigner des données sur les événements historiques d’importance. Le revenu gagné par l’appelante était étroitement lié à la vie des Indiens parce qu’elle était chargée de consigner les récits historiques et de diffuser des renseignements sur les négociations et l’état des revendications territoriales dans lesquelles la bande était engagée et il existe un lien bien évident entre le revenu d’emploi de l’appelante et la réserve puisque ses tâches étaient exécutées dans le prolongement de l’établissement du statut de la réserve.

 

[50]    De plus, les activités de l’appelante n’étaient pas liées au « marché ordinaire ». Comme il a été exposé dans les observations écrites de l’appelante, le bureau du conseil de bande avait pour mandat de gouverner ses propres membres et d’assurer la direction en vue de régler les questions politiques et de voir à ce que les obligations issues des traités soient respectées par le gouvernement canadien.

 

[51]    Le thème principal de la jurisprudence intéressant le situs du revenu d’emploi dans une réserve veut qu’une affaire fondée sur l’article 87 de la Loi sur les Indiens dépende des faits qui lui sont propres; l’issue de celle‑ci sera déterminée par les faits particuliers de chaque cas d’espèce. Le juge Archambault de la Cour a d’ailleurs affirmé ce qui suit dans la décision Adams :

 

Je ne pense pas que le libellé de l’article 87 de la Loi concernant les biens meubles qui sont des biens immatériels soit clair et aisément compréhensible. À mon avis, il est contestable qu’une disposition d’exonération d’impôt sur le revenu soit libellée en termes aussi vagues. L’interprétation de cet article exige une évaluation tellement subjective de facteurs de rattachement pour la détermination du situs d’un revenu – d’abord par les fonctionnaires, puis par les tribunaux – que cela donnera sûrement lieu à une application inégale[39].

 

[52]    Compte tenu de ce qui précède, j’ai conclu, eu égard aux faits particuliers de la présente affaire, que le revenu d’emploi provenant de la Première nation Salt River no 195 et le revenu d’emploi provenant du gouvernement des Territoires du Nord‑Ouest seraient exonérés d’impôt en vertu de l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

 

[53]    L’appel est accueilli sans dépens.

 

 

Signé à Vancouver (Colombie‑Britannique), ce 18e jour de décembre 2007.

 

 

 

« L.M. Little »

Juge Little

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de février 2008

 

D. Laberge, LL.L.


 

RÉFÉRENCE :

2007CCI757

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

98-1003(IT)I

 

INTITULÉ :

Margaret McKay c.

Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Fort Smith (Territoires du Nord‑Ouest)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 août 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge L.M. Little

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 18 décembre 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

 

Avocate de l’intimée :

Me Darcie Charlton

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelante :

 

Nom 

 

 

Cabinet :

 

 

Pour l’intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] Transcription de l’audience, vol. 2, 2 août 2007, pages 145 et 146.

[2] Ibid. pages 157 et 158.

[3] Conseil de la bande dénée de Ross River c. Canada, [2002] A.C.S. no 54.

[4] Supra note 3, paragraphe 50.

[5] Supra note 1, pages 188 et 189.

[6] Supra note 3.

[7] [2001] A.C.F. no 951, paragraphe 24.

[8] Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29.

[9] Plus particulièrement, dans quelle mesure chaque facteur est pertinent pour décider si le fait d’imposer ce type de bien particulier d’une certaine manière porterait atteinte au droit d’un Indien à titre d’Indien de détenir des biens personnels dans la réserve.

[10] Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877.

[11] Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85.

[12] Ibid.

[13] Supra note 10.

[14] Ibid.

[15] Supra note 10, paragraphe 37.

[16] Folster c. Canada (s.n. Clarke c. M.R.N)., [1997] A.C.F. no 664.

[17] Supra note 16, au paragraphe 27.

[18] Ibid. paragraphe 32.

[19] Amos c. Canada, [1999] A.C.F. no 873.

[20] Supra note 19.

[21] Recalma et al. v. The Queen, 98 DTC 6238.

[22] Ibid.

[23] Monias c. Canada, [2001] A.C.F. no 1168.

[24] Transcription de l’audience, vol. 1, 6 octobre 2006, page 11.

[25] Supra note 1, page 120.

[26] Supra note 1, pages 96 et 97.

[27] Supra note 24, pages 24 et 25.

[28] Supra note 1, page 160.

[29] Supra note 7.

[30] Amos c. Canada, [1999] A.C.F. no 873 (C.A.).

[31] Supra note 1, pages 57 à 59.

[32] Desnomie c. Canada, [2000] A.C.F. no 528.

[33] Ibid. paragraphes 36 et 38.

[34] Adams c. Canada, [1999] A.C.I. no 793.

[35] Ibid.

[36] Supra note 34.

[37] Ibid. paragraphe 34.

[38] Supra note 3.

[39] Supra note 34, paragraphe 80.

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