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Référence : 2008CCI23

Date : 20080121

Dossiers : 2003-1581(IT)G

2003-1582(IT)G

ENTRE :

ROGER ST‑FORT,

ANTONINE ST‑FORT,

appelants,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

(Prononcés oralement à l'audience le 5 novembre 2007,

à Ottawa (Ontario), et modifiés pour plus de clarté et de précision.)

 

Le juge Archambault

 

[1]     Les appelants, monsieur et madame St‑Fort, interjettent appel de cotisations établies par le ministre du Revenu national (ministre) en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi). Le ministre les tient solidairement responsables des dettes fiscales de leur fils René St‑Fort, dont le montant s'élève à 365 238 $. Les appelants contestent les cotisations du ministre parce qu'ils croient que leur fils ne leur a transféré aucun immeuble.

 

[2]     Au début de l'audience, les appelants ont admis essentiellement tous les faits qui ont été tenus pour acquis par le ministre, sous réserve de ce que j’indique plus loin dans les présents motifs. Je reproduis ici le paragraphe 10 de la réponse à l'avis d'appel de monsieur Roger St‑Fort (réponse) :

 

a)         le 2 juin 1992, René St‑Fort et Fausta Delbeau font l’acquisition d’une propriété située au 48 Chemin du Roc est, Chelsea, Québec (« l’immeuble ») pour le prix de 250 000 $;

 

b)         l’achat de l’immeuble est financé par une mise de fonds initiale de 50 000 $, une hypothèque de premier rang de la Banque Nationale du Canada (la « Banque Nationale ») au montant de 150 000 $ et une hypothèque de second rang de la Banque de Hong Kong au montant de 50 000 $;

 

c)         le 20 décembre 1992, Fausta Delbeau cède à René St‑Fort sa part dans l’immeuble;

 

d)         l’appelant est le père de René St‑Fort et le beau‑père de Fausta Delbeau;

 

e)         à partir du mois d’avril 1996, René St‑Fort et Fausta Delbeau cessent de faire les versements mensuels de capital et intérêt de leur prêt hypothécaire auprès de la Banque Nationale;

 

f)          le 18 septembre 1996, la Banque Nationale exerce un préavis d’exercice d’une prise en paiement de la propriété, publié le 26 septembre 2003;

 

g)         le 13 décembre 1996, la Banque Nationale dépose une requête à la Cour Supérieure du Québec en délaissement forcé et pour prise de paiement contre René St‑Fort et Fausta Delbeau;

 

h)         le 10 janvier 1997, la Cour Supérieure du Québec accorde le droit de possession de l’immeuble à la Banque Nationale et ordonne à René St‑Fort et Fausta Delbeau de délaisser volontairement l’immeuble;

 

i)          le 31 janvier 1997, l’appelant et sa conjointe enregistrent une hypothèque au montant de 130 000 $ en faveur de la Caisse Populaire St‑Jean Bosco sur l’immeuble;

 

j)          le 13 février 1997, la Banque Nationale se désiste du jugement du 10 janvier 1997;

 

k)         par acte notarié en date du 1er avril 1997, en contrepartie du paiement de la somme de 142 016,52 $, la Banque Nationale subroge à l’appelant et sa conjointe tous ses droits et plus particulièrement, ceux relatifs aux recours hypothécaires contre l’immeuble;

 

l)          le 7 avril 1997, une copie de l’acte notarié du 1er avril 1997 est publié [sic] à la circonscription foncière de Gatineau;

 

m)        le 23 juin 1997, une requête en délaissement forcé et pour prise de paiement est présentée à la Cour Supérieure du Québec par la Banque Nationale en tant que partie requérante originale et par l’appelant et sa conjointe en tant que partie [sic] requérante [sic] en reprise d’instance;

 

n)         le 27 juin 1997, la Cour supérieure ordonne à René St‑Fort et Fausta Delbeau de délaisser l’immeuble en faveur de l’appelant et sa conjointe et déclare que ces derniers sont seuls et uniques propriétaires de celui‑ci et ce, rétroactivement à compter de l’inscription du préavis, soit le 26 septembre 1996;

 

o)         depuis juin 1992, René St‑Fort et Fausta Delbeau résident dans l’immeuble et ne l’ont jamais délaissé;

 

p)         au moment du transfert, soit le 7 avril 1997, la dette de René St‑Fort envers le Ministre du Revenu national était de 365 238,69 $;

 

q)         au moment du transfert, soit le 7 avril 1997, l’immeuble avait une juste valeur marchande de 220 000 $; et

 

r)          au moment du transfert, soit le 7 avril 1997, l’appelant et sa conjointe ont acquis l’immeuble pour une contrepartie de 142 016,52 $.

 

[3]     En ce qui a trait à l'alinéa o), les appelants l'admettent si on supprime la mention de madame Fausta Delbeau. En effet cette dame a cessé de résider dans l'immeuble à la suite de sa séparation de monsieur René St‑Fort et de la cession de sa part dans cet immeuble faite en faveur de monsieur René St‑Fort et enregistrée au registre foncier le 29 décembre 1992[1]. Les appelants n'étaient pas en mesure d'admettre le montant de la dette fiscale de leur fils, mentionné à l'alinéa 10 p) de la réponse, mais ils ne l'ont pas contesté non plus. 

 

[4]     La question à trancher se limite à décider s'il y a eu effectivement transfert de l’immeuble de René St‑Fort aux appelants. Plus précisément, le litige porte sur l'effet du désistement par la Banque Nationale (du jugement du 10 janvier 1997) daté du 13 février 1997 et produit à la même date. (Voir le désistement produit sous la cote A‑1, onglet 10.)

 

[5]     Par suite de la cession de sa créance hypothécaire qu’a faite en leur faveur la Banque Nationale par acte notarié du 1er avril 1997, tel qu'il est énoncé à l'alinéa 10 k) de la réponse (admis par les appelants), les appelants ont été subrogés dans tous les droits de la Banque Nationale relatifs aux recours hypothécaires découlant du défaut de monsieur René St‑Fort de s'acquitter de sa dette hypothécaire envers la banque.

 

[6]     À la suite de la reprise de l’instance par les appelants le 27 mai 1997, une décision a été rendue à nouveau, le 27 juin 1997, par la Cour supérieure du Québec. Le jugement est signé par Me Yves Daoust, greffier spécial, celui-là même qui avait signé le jugement du 10 janvier 1997. Par son jugement du 27 juin 1997, la Cour supérieure du Québec reconnaissait aux appelants le droit de propriété sur l'immeuble à titre de paiement de la créance hypothécaire qu'ils avaient obtenue de la Banque nationale aux termes de l'acte notarié du 1er avril 1997 et pour laquelle ils avaient versé une somme de 142 016,52 $. Dans la procédure de reprise d'instance, les défendeurs étaient monsieur René St‑Fort et madame Fausta Delbeau. Par conséquent, le jugement du 27 juin 1997 vise ces deux personnes, même si monsieur René St‑Fort était, au moment du jugement, le seul propriétaire de la résidence située au 48 chemin du Roc Est, à Chelsea, et cet immeuble est devenu la propriété des appelants en raison de ce jugement.

 

Position des parties

 

[7]     Essentiellement, la position défendue par les appelants était qu'au moment du jugement du 27 juin 1997, leur fils n'était plus le propriétaire de l’immeuble, soit sa résidence située à Chelsea; par conséquent, prétendaient‑ils, ils étaient devenus propriétaires de cette résidence au moyen d'un transfert effectué en leur faveur par la Banque Nationale.

 

[8]     Lors de sa plaidoirie, l'avocate de l'intimée a attiré l'attention du tribunal sur l'article 476 du Code de procédure civile du Québec, qui prévoit qu'une « partie peut renoncer aux droits qui lui résultent d'un jugement rendu en sa faveur, en produisant au greffe un désistement total ou partiel, signé d'elle‑même ou de son fondé de procuration spéciale. Le désistement total accepté par la partie adverse a pour effet de remettre la cause dans l'état où elle était immédiatement avant le jugement. »

 

[9]     Il est vrai qu'à la lecture du désistement lui-même, il est possible de croire que le désistement n'avait pas été signé à titre personnel par un représentant de la banque (ou par un fondé de procuration spéciale). Par contre, la procureure de l'intimée a évoqué la possibilité que le document produit sous la cote A‑1, à l'onglet 10, ne soit pas complet et qu'il puisse y avoir un autre document sur lequel apparaît la signature de la Banque Nationale (ou celle d’un  fondé de procuration spéciale).

 

[10]    Quoi qu’il en soit, la procureure s'est fondée sur l'article 2944 du Code civil du Québec qui édicte que « [l]'inscription d'un droit sur le registre des droits personnels et réels mobiliers ou dans le registre foncier emporte, à l'égard de tous, présomption simple de l'existence de ce droit. » La preuve produite par les appelants révèle que le premier jugement rendu par la Cour supérieure le 10 janvier 1997 n'a jamais été enregistré au registre foncier, tel qu'il appert de l'onglet 14 de la pièce A‑1. On n'y trouve que le jugement du 27 juin 1997, enregistré le 18 août 1997, qui a été rendu à la suite de la reprise de l’instance par les appelants le 27 mai 1997, tel qu'il appert de la pièce A‑1, aux onglets 12, 13 et 14.

 

Analyse

 

[11]    À mon avis, la position des appelants est mal fondée en droit compte tenu de ce que, le 13 février 1997, la Banque Nationale a renoncé à son droit de propriété sur l'immeuble, qu'elle avait obtenu à la suite du jugement de la Cour supérieure du 10 janvier 1997. En vertu de l'article 476 du Code de procédure civile, il était possible pour la banque de renoncer aux droits que lui avait conférés ce jugement, à savoir la propriété de l'immeuble, et le désistement de jugement a eu pour effet de remettre la cause dans l'état où elle était avant le jugement du 10 janvier 1997, c’est-à-dire que René St‑Fort redevenait le propriétaire de l'immeuble et la Banque Nationale redevenait la créancière hypothécaire de René St‑Fort.

 

[12]    Comme la banque a transféré aux appelants en avril 1997 la créance hypothécaire, avec droits de subrogation, en raison du paiement de 142 016,52 $ qu'ils avaient effectué en faveur de la banque, ce sont eux qui avaient le droit de reprendre l'instance contre René St‑Fort, instance qu'ils ont d'ailleurs reprise avec la collaboration de Me Louis Bertrand, à l'époque le procureur de la Banque Nationale, mais devenu par la suite celui des appelants.

 

[13]    Monsieur Roger St‑Fort a reconnu que c'est son fils, avocat pratiquant le droit de l'immigration dans la région de la capitale nationale, qui lui avait présenté Me Bertrand et que c'est à la suite des démarches entreprises par Me Bertrand qu'on a mis en oeuvre le désistement de jugement par la Banque Nationale. Cela a eu pour effet, comme je l'ai mentionné ci‑dessus, la rétrocession de la propriété de la résidence de Chelsea à René St‑Fort, et après, la subrogation des appelants dans les droits de la Banque Nationale, ce qui leur a permis de reprendre l'instance en ce qui concerne le recours en paiement de la créance hypothécaire et de se prévaloir de la clause de dation en paiement stipulée à l'acte d'hypothèque qu’ont signé la Banque Nationale et leur fils (pièce A‑1, onglet 5, clause 9).

 

[14]    Je retiens les arguments invoqués par la procureure de l'intimée à l’appui de la validité du désistement de jugement, même si la banque n'a pas signé personnellement l'acte de désistement. En outre, Serge Bastien, dûment autorisé par le conseil d'administration de la Banque Nationale, a signé pour celle‑ci l'acte de subrogation en faveur des appelants et la Banque Nationale est désignée comme la « partie demanderesse originale » dans la comparution en reprise d'instance (pièce A‑1, onglet 12).

 

[15]    Si la Banque Nationale avait eu intérêt à demander l'annulation du désistement, elle l'aurait fait. De toute façon, le seul jugement qui a été inscrit au registre foncier est celui du 27 juin 1997. Il s’agit en l’espèce d'une procédure de recouvrement d'une dette fiscale par le ministre en vertu de l'article 160. Dans le cadre d'une telle procédure, le ministre était fondé, je crois, à se fier au registre foncier, qui indiquait que les appelants étaient devenus les propriétaires de l'immeuble à la suite du jugement rendu par la Cour supérieure du Québec le 27 juin 1997. Par conséquent, comme tierce partie, le ministre a droit au bénéfice de l'article 2944 du Code civil.

 

[16]    Dans l'arrêt Roger Riverin et Les Placements R.I.O Inc. c. La Reine, 99 DTC 5356, la Cour d'appel fédérale a confirmé deux décisions de la Cour canadienne de l'impôt : Riverin c. R., 1995 CarswellNat 1728, (rendue par moi) et Les Placements R.I.O. Inc. c. Canada, [1996] A.C.I. no 695 (QL) (rendue par la juge Lamarre Proulx). La Cour d'appel fédérale a confirmé que, lorsqu'on se trouve dans une situation semblable à celle des appelants, c’est-à-dire lorsque la Cour supérieure ordonne la remise de la possession d'un immeuble aux créanciers hypothécaires bénéficiaires d'une clause de dation en paiement et les déclare « seul[s] et unique[s] propriétaire[s] » de l'immeuble, il y a là transfert « directement ou indirectement, au moyen d'une fiducie ou de toute autre façon » et cela « donne ouverture au processus par lequel [les] biens [du débiteur fiscal] se retrouvent ultimement dans le patrimoine de l'une ou l'autre de ces personnes avec lesquelles il a un lien de dépendance »[2].

 

[17]    Ici les appelants ont reconnu que René St‑Fort était leur fils; il existait donc entre eux et lui un lien de parenté. Ce lien de parenté faisait en sorte qu'ils étaient des personnes liées au sens du paragraphe 251(2) de la Loi et, par conséquent, ils étaient des personnes réputées avoir entre elles un lien de dépendance en vertu de l'alinéa 251(1)a) de la Loi.

 

[18]    Ainsi, la condition de l'application de l'article 160 de la Loi qui était contestée ici, à savoir celle relative au transfert d’un bien à des personnes (en l’occurrence les parents de René St‑Fort) avec lesquelles l’auteur du transfert (René St‑Fort) avait un lien de dépendance, est remplie. En raison du jugement rendu par la Cour supérieure du Québec[3], l'immeuble situé à Chelsea est sorti du patrimoine de René St‑Fort et est entré dans celui de ses parents.

 

[19]    Pour tous ces motifs, les appels des appelants sont rejetés, avec dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada,  ce 21e jour de janvier 2008.

 

 

 

« Pierre Archambault »

Juge Archambault


 

 

RÉFÉRENCE :                                  2008CCI23

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2003-1581(IT)G et 2003-1582(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :               ROGER ST‑FORT c.

SA MAJESTÉ LA REINE et

                                                          ANTONINE ST‑FORT c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 5 novembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       l'honorable juge Pierre Archambault

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 9 novembre 2007

 

DATE DES MOTIFS

DU JUGEMENT :                              le 21 janvier 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Pour les appelants :

Roger St-Fort

Avocate de l'intimé :

Me Justine Malone

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour les appelants :

 

                     Nom :                           

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           Voir l'index des immeubles à la pièce A‑1, onglet 14, et l'alinéa 10 c) de la réponse reproduit ci‑dessus.

[2]           Les mots du juge Marceau au par. 3 de l'arrêt Riverin (susmentionné).

[3]           Donnant effet à la dation en paiement stipulée par René St‑Fort dans l'acte d'hypothèque signé par lui et la Banque Nationale.

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