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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Référence : 2004 CCI 460

20041104

Dossier : 2002-4718(IT)I

ENTRE :

WILLIAM S. CAMPBELL,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

MOTIFS MODIFIÉS DU JUGEMENT

(remplacent les motifs du jugement en date du 7 octobre 2004.

Correction au paragraphe 71.)

 

Le juge Hershfield

 

Introduction

 

[1]     Cette affaire se rapporte à l’allégation faite par un père, à savoir qu’il était le principal fournisseur de soins à l’égard de son fils pendant les périodes touchant ses années d’imposition 1995, 1996 et 1997 et qu’il répond donc aux conditions de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») aux fins de la réception de la prestation fiscale canadienne pour enfants (la « PFCE »). L’affaire se rapporte également au traitement des pères par rapport aux mères en vertu des dispositions de la PFCE dans le contexte des droits à l’égalité reconnus par la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »). Les dispositions contestées de la LIR et du Règlement de l’impôt sur le revenu (le « Règlement ») contiennent une présomption voulant que si un enfant réside avec les deux parents, la mère est le principal fournisseur de soins et qu’elle est donc la personne admissible à la PFCE. L’effet de cette présomption, à la lumière des articles 15 et 28 de la Charte et du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle, est examiné dans ces motifs ainsi que l’allégation de l’appelant selon laquelle il était en fait le principal fournisseur de soins à l’égard de son fils pendant la période en cause. L’intimée a reconnu que les avis prévus à l’article 19.2 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt (la « LCCI ») ont été envoyés à l’égard de la contestation fondée sur la Charte.

 

[2]     Le ministre a initialement accepté la demande de l’appelant en se fondant sur le fait que celui‑ci prenait soin de son fils et qu’il n’avait pas d’épouse pendant les périodes pertinentes. Le ministre a par la suite appris que l’appelant était en fait marié pendant les périodes pertinentes et qu’il résidait avec son épouse et leur fils dans la même habitation pendant les périodes en question. En se fondant sur la présomption selon laquelle, dans ces circonstances, la mère est le principal fournisseur de soins, le ministre a déterminé de nouveau que l’appelant n’avait pas droit aux prestations initialement accordées. L’appelant en appelle de la nouvelle détermination[1].

 

[3]     Il serait ici utile de noter que les périodes pertinentes dans cet appel ne correspondent pas aux années d’imposition visées par l’appel, et ce, compte tenu de la façon dont la PFCE est calculée. En fait, la PFCE est un montant non imposable versé mensuellement à un particulier admissible pour l’aider à élever un enfant. Le montant est calculé compte tenu de l’« année de base » du particulier admissible au sens de la LIR. En l’espèce, l’appelant a touché la PFCE du mois d’avril 1997 au mois d’avril 1999. Les années de base pour ces mois sont les suivantes :

 

Avril 1997 à juin 1997 : année de base 1995

Juillet 1997 à juin 1998 : année de base 1996

Juillet 1998 à avril 1999 : année de base 1997

 

[4]     Par conséquent, même si les années d’imposition visées par l’appel sont les années 1995, 1996 et 1997, le droit de l’appelant à la PFCE exige qu’il soit le « particulier admissible » (au sens de la LIR) pour les périodes pertinentes allant du mois d’avril 1997 au mois d’avril 1999. Sous réserve de l’examen de l’effet de la présomption en faveur de la mère, l’appelant sera considéré comme le particulier admissible si, pendant les périodes pertinentes, il était la personne qui assumait principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation de son fils[2].

 

[5]     La présomption en faveur de la mère est énoncée à l’alinéa f) de la définition du « particulier admissible », qui est ainsi libellée :

 

 

          122.6 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente sous‑section.

 

[...]

 

f) si la personne à charge réside avec sa mère, la personne qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation de la personne à charge est présumée être la mère; [...]

 

[6]     L’alinéa f) traite du cas, comme celui qui nous occupe, où il y a deux personnes, père ou mère de la personne à charge admissible, qui affirment être la personne qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation de la personne à charge admissible. Comme il en sera fait mention ci‑dessous dans ces motifs, la présomption ne s’applique pas si le père et la mère ont tous deux déposé un avis dans lequel la PFCE est demandée, à condition que les deux demandeurs vivent dans des endroits différents. Étant donné que ce n’est pas ici le cas, la présomption s’applique.

 

[7]     À l’audience, l’appelant a témoigné que c’était lui plutôt que sa femme qui était le principal fournisseur de soins pendant les périodes pertinentes. Si c’est le cas, il a été statué que la présomption énoncée à l’alinéa f) ne s’applique pas, c’est‑à‑dire qu’elle est réfutable[3] parce qu’il s’agit uniquement d’une « présomption » plutôt que d’un fait réputé. Abstraction faite de la question liée à la Charte, l’appelant peut donc avoir gain de cause lorsqu’il s’agit de recevoir la PFCE, s’il peut établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était le principal fournisseur de soins pendant les périodes pertinentes.

 

[8]     Pour contester le témoignage de l’appelant selon lequel il était le principal fournisseur de soins, l’intimée a cité la mère de l’enfant, qui s’est séparée de l’appelant à la fin du mois de mars 1999. La tante de l’enfant (la soeur de la mère) a été citée pour corroborer le témoignage de la mère.

 

L’appelant était‑il le principal fournisseur de soins?

 

[9]     Il existe dans ce cas‑ci énormément d’hostilité entre l’appelant et son ancienne femme. Chacun a raconté l’histoire qui dépeint d’une façon particulièrement flatteuse sa propre conduite à l’égard du fils et qui montre sous son plus mauvais jour la conduite de son conjoint à l’égard du fils. À mon avis, il n’est pas particulièrement utile d’examiner en détail le témoignage de l’appelant et de sa femme, mais il faut donner un aperçu de la preuve.

 

[10]    L’appelant ne travaillait pas lorsque son fils est né, au mois de mars 1997. Il avait perdu son emploi 12 jours plus tôt. Il a été en chômage pendant un certain temps après avoir achevé un programme de recyclage de quatre à six mois qui a pris fin au mois de juin 1998 ou vers le mois de juin 1998. L’appelant a témoigné avoir cherché du travail avec diligence et avoir pris soin de son fils pendant que sa femme s’absentait pour s’occuper de ses affaires. Sa femme était une mère négligente qui n’entretenait pas vraiment de relation avec le fils. L’appelant a soumis une preuve au sujet des activités habituelles de sa femme lorsqu’elle s’absentait de la maison et une preuve par ouï‑dire considérable a été présentée (des lettres et des affidavits); ces éléments de preuve, considérés dans leur ensemble, dépeignent l’appelant comme un père tendre, affectueux et attentif : il amenait et allait chercher son fils en voiture à la garderie; on l’avait vu donner à manger à son fils le midi; il promenait son fils dans sa poussette et il le surveillait. L’appelant a affirmé qu’il donnait à manger à son fils, qu’il le changeait et qu’il effectuait des achats pour son fils. Il a affirmé qu’il amenait son fils chez le médecin pour ses rendez‑vous et qu’il assumait par ailleurs le rôle de personne s’occupant principalement du soin et de l’éducation de son fils. Il a déclaré avoir retiré une somme de plus de 30 000 $ qu’il avait économisée pour subvenir aux besoins de la famille pendant qu’il était en chômage et avoir utilisé ses prestations d’emploi aux mêmes fins.

 

[11]    Toutefois, pendant le contre‑interrogatoire, l’appelant n’a pas été très convaincant pour ce qui est de son rôle de principal fournisseur de soins. Il a admis que sa femme avait allaité son fils pendant trois ou quatre mois. Il a hésité en parlant des horaires de repas et des produits pour bébés et il ne savait pas où se trouvait la carte d’assurance‑maladie de son fils. Il a reconnu que même si sa femme s’absentait souvent pour ses affaires, son fils et lui voyageaient régulièrement avec elle, du moins jusque pendant l’été 1998, sa femme ayant alors commencé à effectuer certains voyages sans être accompagnée de son fils. Au mois de février 1999, le fils allait à la garderie trois jours par semaine et, semble‑t‑il, il voyageait moins avec sa mère. Toutefois, même si le fils allait à la garderie, il pouvait néanmoins voyager avec sa mère pendant la fin de semaine; or, la mère effectuait un grand nombre de ses voyages pendant la fin de semaine.

 

[12]    Je suis convaincu que l’appelant a peut‑être été obligé de passer plus de temps avec son fils entre l’été 1998 et le moment où il s’est séparé de sa femme, au mois de mars 1999, mais je ne suis pas convaincu que, du fait qu’il avait un rôle plus important, il était le principal fournisseur de soins pendant cette période.

 

[13]    La femme de l’appelant s’occupait de dresser les chiens. Elle allait à des expositions canines. Avant une exposition, elle passait toute la nuit à toiletter ses chiens. Pour montrer ses chiens, elle devait voyager et, lorsqu’il y avait des expositions, elle passait chaque jour plusieurs heures à dresser ses chiens lorsqu’ils passaient devant les juges. Elle est retournée travailler neuf jours seulement après la naissance de son fils. Elle a témoigné que jusqu’à l’été 1998, son fils l’accompagnait toujours lorsqu’elle voyageait. Elle a décrit l’appelant comme un bon à rien, paresseux, tricheur, menteur, qui n’avait jamais changé une seule couche ou donné à manger à leur fils. Elle a déclaré qu’elle payait toutes les dépenses du ménage à l’exception d’une dizaine de versements hypothécaires que son mari avait effectués pendant la période pertinente, comme elle l’a reconnu. L’animosité qui règne entre l’appelant et son ancienne femme est bien démontrée par les propos qu’ils ont échangés lorsque l’appelant a contre‑interrogé son ancienne femme et qu’ils se sont mutuellement accusés de s’être soustraits aux impôts. Malgré cette hostilité, le témoignage que l’épouse a présenté au sujet des soins quotidiens prodigués à son fils montrait clairement qu’elle avait un rôle beaucoup plus important que l’appelant à cet égard.

 

[14]    En fin de compte, je dirai que ni l’appelant ni son ancienne femme ne sont aussi mauvais que chacun voudrait me le faire croire. L’appelant n’était pas aussi paresseux que l’a dit sa femme et je reconnais qu’il a de fait aidé aux soins et à l’éducation de leur fils. La belle‑soeur de l’appelant qui a témoigné a confirmé la chose, dans une certaine mesure du moins. Je ne dirais pas que ce témoin était tout à fait désintéressé, mais son témoignage était clairement plus pondéré et elle a reconnu que l’appelant avait de fait, du moins parfois, aidé à nourrir et à changer son fils et à s’en occuper.

 

[15]    Somme toute, le témoignage de l’appelant selon lequel il était le principal fournisseur de soins n’était tout simplement pas crédible, ce qui veut dire qu’il n’a pas soumis suffisamment d’éléments de preuve pour réfuter la présomption existant en faveur de la mère. Au contraire, la preuve soumise par l’intimée est suffisante pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que la mère était dans ce cas‑ci le principal fournisseur de soins de la personne à charge admissible pendant les périodes pertinentes.

 

[16]    Il importe de mettre l’accent sur cette conclusion dans le contexte de l’analyse de la question liée à la Charte que l’appelant a soulevée. La contestation fondée sur la Charte, comme je l’expliquerai ci‑dessous, est fondée sur l’effet discriminatoire de la présomption sur le plan de la procédure à laquelle l’appelant a été assujetti en raison uniquement de son sexe. L’appelant s’est trouvé dans la situation d’un appelant en sa simple qualité de père. Il a été obligé de déposer une opposition et un avis d’appel à la suite de l’établissement d’une nouvelle cotisation. Il a été assujetti à des délais de prescription, à des droits de dépôt et à d’autres frais. Il a été jugé d’avance et il lui incombe de réfuter la présomption qui existe en faveur de son ancienne femme – une présomption dont cette dernière bénéficie simplement en sa qualité de femme. Sur le plan de la procédure, l’appelant affirme que, dans son cas, la présomption s’applique ou s’est appliquée d’une façon discriminatoire. La réparation à accorder par suite d’une telle discrimination, si elle est établie, pourrait inclure ou exiger la radiation des dispositions contestées, mais une telle réparation ne serait pas en soi utile à l’appelant étant donné que, compte tenu des conclusions de fait que j’ai tirées au sujet de la personne qui était le principal fournisseur de soins, il n’aurait toujours pas droit à la PFCE. L’appelant cherche néanmoins à faire reconnaître les aspects discriminatoires et l’effet des dispositions contestées et à obtenir réparation à cet égard.

 

[17]    La chose soulève la question de savoir si la Cour a compétence pour faire plus que de déterminer le bien‑fondé d’une obligation établie au moyen d’une nouvelle cotisation. J’ai conclu au bien‑fondé de l’obligation. Puis‑je aller plus loin? La réponse à cette question exige une analyse de l’article 24 de la Charte, qui est ainsi libellé :

 

24.       (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

 

Compétence fondée sur l’article 24 de la Charte

 

[18]    Avant d’examiner la question de l’étendue de la compétence conférée à la Cour en vertu de l’article 24, il faut examiner le rapport qui existe entre l’article 24 de la Charte et l’article 171 de la LIR ainsi que le rapport qui existe entre l’article 24 de la Charte et le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle.

 

[19]    Le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle prévoit que la Constitution « [...] est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit ». L’invalidité d’une disposition qui viole les droits garantis par la Charte ne découle donc pas d’une déclaration judiciaire, mais de l’application du paragraphe 52(1). Comme l’a dit le juge Gonthier dans l’arrêt Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin[4], au paragraphe 28 : « [...] en principe, une telle disposition est invalide dès son adoption [...] »; or, aucun des paliers de gouvernement, y compris les organes administratifs de l’État, ne peut appliquer des lois invalides. Dans l’arrêt Schachter c. Canada[5], le juge en chef Lamer a dit, au paragraphe 87, page 719, que même lorsque l’application de l’article 52 de la Loi constitutionnelle n’est pas déclenchée, il peut y avoir une réparation en vertu de l’article 24 de la Charte : « Cela peut se produire quand la loi ou la disposition législative n’est pas inconstitutionnelle en soi, mais qu’elle a donné lieu à une mesure prise en contravention des droits garantis par la Charte. » Si ces principes sont considérés ensemble, il semble clair que même si les dispositions contestées en l’espèce ne violent pas nécessairement la Charte, il est loisible à l’appelant de chercher à faire reconnaître ses droits et à obtenir une réparation en vertu de l’article 24 si l’application de la disposition contestée dans son cas portait atteinte aux droits qui lui sont reconnus par la Charte.

 

[20]    L’intimée n’accepte pas cette position; elle invoque la décision Keyes v. Canada (M.N.R.)[6] comme faisant autorité lorsqu’il s’agit de limiter la compétence de la présente cour, celle‑ci ne devant pas faire plus que ce qu’elle est autorisée à faire en vertu de l’article 171 de la LIR. Le paragraphe 171(1) de la LIR prévoit ce qui suit :

 

 

171. (1) La Cour canadienne de l’impôt peut statuer sur un appel :

 

a)         en le rejetant;

 

b)         en l’admettant et en :

 

            (i)         annulant la cotisation,

 

            (ii)        modifiant la cotisation,

 

            (iii)       déférant la cotisation au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation.

 

D’une façon générale, cela limite la compétence de la Cour à une détermination du bien‑fondé de la cotisation.

 

[21]    L’affaire Keyes portait sur une demande d’allocations familiales présentée par un mari et sur la préférence accordée aux femmes en vertu de dispositions semblables à celles qui s’appliquent maintenant à la PFCE. Le juge Bonner, de la présente cour, s’est fondé sur l’arrêt Mills c. R.[7] comme faisant autorité pour dire que même si la présente cour a compétence pour entendre les contestations fondées sur la Charte, sa décision à l’égard de pareilles contestations est limitée par l’article 171 de la LIR. La tâche de la Cour consiste à mettre en harmonie la réparation prévue à l’article 24 et l’économie de la LIR. Autrement, comme il est dit dans l’arrêt Mills, il y aurait « bouleversement » du système judiciaire.

 

[22]    Quant à la position prise par l’intimée et au fait qu’elle se fonde sur l’arrêt Mills, tel qu’il a été appliqué dans la décision Keyes, je ne suis pas d’accord pour dire que la réparation accordée par la présente cour en vertu de l’article 24 est ainsi limitée. C’est ce que confirme d’une façon générale l’arrêt Canada c. O’Neill Motors Ltd.[8], où le juge Linden a confirmé, au paragraphe 10, la compétence conférée à la présente cour en vertu de l’article 24 lorsqu’il s’agit d’accorder une réparation convenable et juste.

 

[23]    Dans la décision O’Neill Motors, le juge en chef adjoint Bowman avait annulé une cotisation à l’égard de laquelle une perquisition illégale avait été effectuée. La perquisition illégale violait les droits reconnus à l’appelant par la Charte et même si la preuve ainsi obtenue pouvait, en vertu de la Charte, être exclue, le juge en chef adjoint Bowman a exercé son pouvoir pour invoquer le paragraphe 24(1) de la Charte, qui permet d’accorder une réparation convenable et juste. À vrai dire, le recours au paragraphe 24(1) pour annuler la cotisation n’offre aucun précédent permettant à la présente cour d’accorder une réparation en sus de celle qui est prévue à l’article 171 de la LIR étant donné que la réparation qui avait en fait été invoquée dans cette affaire‑là relevait de la portée de cette disposition. Toutefois, à mon avis, la confirmation par la Cour d’appel fédérale de la décision rendue par le juge en chef adjoint Bowman va plus loin. Elle reconnaît clairement à la Cour « le pouvoir général que lui confère le paragraphe 24(1) d’accorder la réparation qu’elle estime "convenable et juste". » (je souligne).

 

[24]    Je tiens en outre à faire remarquer que la compétence que possède un tribunal judiciaire d’origine législative lorsqu’il s’agit d’accorder une réparation en vertu de l’article 24 de la Charte a été examinée plus récemment dans l’arrêt R. v. 974649 Ontario Inc.[9] Dans cet arrêt, la juge en chef McLachlin a confirmé les trois attributs nécessaires pour qu’un tribunal judiciaire d’origine législative ait la compétence voulue pour accorder des réparations en vertu de l’article 24 de la Charte. Il s’agit des attributs ci‑après énoncés : (1) la compétence sur l’intéressé; (2) la compétence sur l’objet du litige; et (3) la compétence pour accorder la réparation[10]. Dans cette affaire‑là, comme en l’espèce, la question de la compétence se rapportait au troisième attribut, à savoir la compétence pour accorder la réparation demandée.

 

[25]    La juge en chef McLachlin a adopté une approche « fonctionnelle et structurelle » pour reconnaître implicitement la compétence législative voulue aux fins de l’octroi d’une réparation fondée sur l’article 24 de la Charte[11]. Selon cette approche, les facteurs pertinents et leur poids respectif varient en fonction des circonstances de l’espèce. Un facteur dont il faut tenir compte à l’égard de la fonction de la Cour se rapporte à l’expression de son mandat[12]. Un autre facteur, différent toutefois, à prendre en considération à l’égard de la fonction se rapporte au type de réparation que la cour est autorisée à accorder[13]. Le mandat de la présente cour est énoncé à l’article 12 de la LCCI. Cette disposition confère à la Cour une compétence exclusive pour entendre les renvois et les appels « sur les questions découlant de l’application [...] de la Loi de l’impôt sur le revenu ». Cet énoncé du mandat de la Cour est sans aucun doute plus large que celui qui est prévu à l’article 171. De fait, il étaye le pouvoir général que possède la présente cour lorsqu’il s’agit d’examiner les réparations qu’il convient d’accorder dans le cadre d’une contestation fondée sur la Charte. En outre, l’article 19.2 de la LCCI fait expressément mention de questions constitutionnelles lorsque la validité, l’applicabilité ou l’effet d’une loi fédérale ou de son texte d’application est en cause devant la Cour. Comme dans le cas d’autres cours supérieures chargées d’entendre des questions constitutionnelles, un avis doit être signifié aux procureurs généraux. Cette disposition de la LCCI souligne clairement l’intention du législateur fédéral de considérer la présente cour comme étant une cour dont la fonction est d’examiner les questions constitutionnelles qui se posent en vertu de la LIR, y compris les questions concernant l’effet d’une disposition de la LIR ou du Règlement.

 

[26]    La question suivante est donc de savoir si l’article 171 de la LIR, qui limite les réparations qui peuvent être accordées dans le cadre d’appels interjetés devant la présente cour, peut avec raison être considéré comme une expression du législateur fédéral limitant les réparations qui peuvent par ailleurs être accordées en vertu de l’article 24 de la Charte lorsque la Cour est saisie d’une contestation fondée sur la Charte. L’article 171 semble peut‑être indiquer d’une façon révélatrice la fonction restreinte de la présente cour, mais à mon avis, cette apparence est trompeuse, et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, elle ne tient pas compte du mandat plus général de la Cour. De plus, la Cour s’est vu conférer une compétence expresse de faire plus que ce qui est énoncé à l’article 171. L’article 173 confère à la présente cour la compétence voulue pour entendre, dans le cadre d’une demande commune, « une question de droit, de fait ou de droit et de fait, portant sur une cotisation ou une détermination, réelles ou projetées ». Le présent appel n’est pas un renvoi sur une question de droit, au sens de l’article 173, mais cela semble être à côté de la question. En fait, la présente cour possède, dans le cadre des renvois qui lui sont soumis, une compétence législative expresse lui permettant de tirer une conclusion de droit, ce qui comprendrait à coup sûr une violation de la Charte en vertu de la LIR à l’égard d’une détermination telle que celle qui a ici été portée en appel. Il serait en soi contradictoire de dire qu’une telle compétence existe sans qu’il y ait possibilité, dans le cadre du pouvoir général de la Cour, d’accorder une réparation en vertu de l’article 24 de la Charte. En outre, je ferais remarquer que le pouvoir prévu à l’article 171 vise à reconnaître un certain degré d’expertise et d’expérience sur une matière à l’égard de laquelle une compétence exclusive est conférée à la Cour. La chose a pour effet de limiter la compétence des autres tribunaux judiciaires. Toutefois, dire que les autres tribunaux judiciaires ne sont pas autorisés à envisager des réparations en vertu de l’article 171 de la LIR ne veut pas dire que les juges de la présente cour n’ont pas la formation ou l’expérience nécessaires pour envisager des réparations convenables et justes en vertu de l’article 24 de la Charte, lorsque la Cour estime qu’une contestation fondée sur la Charte est compatible avec son mandat. En outre, le pouvoir législatif d’accorder une réparation particulière ne constitue qu’un facteur à prendre en considération dans l’appréciation générale de la fonction et de la structure de la Cour. J’espère qu’il n’est pas contesté que, puisque la présente cour possède les outils, les installations, les ressources et le personnel d’une cour supérieure d’archives, elle est suffisamment bien dotée, sur le plan des fonctions et de la structure, pour qu’il soit reconnu qu’elle a compétence en vertu de l’article 24 de la Charte sans que l’article 171 de la LIR y fasse obstacle[14]. Il est tout à fait conforme à la fonction et aux procédures de la présente cour de reconnaître que celle‑ci possède la compétence voulue pour avoir recours à des réparations convenables et justes conformément à l’article 24 de la Charte lorsque, en appliquant les principes énoncés dans l’arrêt Schachter, qui ont ci‑dessus été décrits, elle conclut que pareilles réparations peuvent être accordées à l’appelant. Il est également important de noter les remarques que le juge Gonthier a faites dans l’arrêt Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin[15] : « [...] les Canadiens doivent pouvoir faire valoir les droits et libertés que leur garantit la Constitution devant le tribunal le plus accessible, sans devoir engager des procédures judiciaires parallèles » (c’est‑à‑dire dans le contexte de la présente espèce -- « sans devoir engager des procédures judiciaires parallèles devant un autre tribunal »). L’appelant, dans ce cas‑ci, ne devrait pas être tenu de mener cet appel devant deux tribunaux : devant la Cour canadienne de l’impôt (quant à son admissibilité) et devant la Cour fédérale du Canada (quant à son droit à une réparation fondée sur l’article 24).

 

[27]    À mon avis, il est clair que la présente cour a compétence pour entendre les questions liées à la Charte qui mettent en cause des dispositions contestées de la LIR ou du Règlement ou les modalités d’application d’une disposition contestée, et ce, même sous le régime de la procédure informelle; il est également clair que la réparation qui peut être accordée est celle qui est prévue par la Charte[16]. De fait, l’article 24 de la Charte et le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle l’emportent sur l’article 171 de la LIR; de plus, ils obligent la présente cour à examiner la validité constitutionnelle des dispositions appliquées et invoquées dans une cotisation, une nouvelle cotisation ou une détermination et à radier une disposition invalide ou à accorder une réparation convenable et juste en vertu de l’article 24 de la Charte lorsque les dispositions contestées ne sont pas en tant que telles inconstitutionnelles, mais qu’une mesure prise en vertu de ces dispositions a porté atteinte aux droits reconnus à une personne par la Charte[17].

 

[28]    J’accepte ma compétence, et je réitère que lorsqu’il s’agit d’examiner la contestation fondée sur la Charte dans le contexte qui nous occupe, il faut trancher deux questions : en premier lieu, si les dispositions contestées de la LIR et du Règlement sont invalides conformément au paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle, qui exige une décision au sujet de la question de savoir si pareilles dispositions en tant que telles violent les droits reconnus à l’appelant par la Charte; et en second lieu, dans le cas où les dispositions contestées ne violent pas en tant que telles les doits garantis à l’appelant par la Charte, si les dispositions de la LIR et du Règlement, telles qu’elles ont été appliquées, violaient, sur le plan administratif ou procédural, les droits reconnus à l’appelant par la Charte. La question liée à la Charte étant ainsi formulée acquiert une importance particulière et doit être examinée même s’il est possible que la réparation ne comprenne pas un jugement favorable à l’appelant en ce qui concerne la question de l’obligation fiscale dont la présente cour est saisie ou même s’il est inévitable qu’il en soit ainsi. Le fait que j’ai conclu que l’appelant ici en cause ne peut pas, compte tenu des faits propres à son appel, recevoir la PFCE demandée ne m’empêche pas d’examiner la question de la discrimination procédurale dont il se plaint. Autrement, la Cour ne tiendrait jamais compte d’une telle discrimination. Le fait qu’il a été jugé que la présomption contestée est conforme aux faits de l’affaire ne peut pas faire obstacle à l’examen de la plainte fondée sur la Charte.

 

[29]    Avant d’examiner les dispositions contestées de la LIR et du Règlement à la lumière des articles 15 et 28 de la Charte et d’aborder les deux questions qui ont ci‑dessus été soulevées, je tiens à faire remarquer comme autre point préliminaire que les conclusions tirées par la présente cour, à savoir que la présomption contestée est réfutable, n’empêchent pas de procéder à une enquête sur l’allégation de discrimination qui a été faite dans ce cas‑ci. Le fait que la présomption en faveur de la mère est réfutable n’est pas suffisant pour éliminer toute préoccupation concernant la violation d’un droit garanti par la Charte. Si l’on soutenait le contraire, il serait impossible de déterminer s’il existe en l’espèce, dans l’application des dispositions en cause, un problème procédural qui entraîne la violation de la Charte, comme l’allègue l’appelant, ou l’on se trouverait à reconnaître implicitement qu’en fin de compte, une telle violation apparente ne va pas à l’encontre de la Charte. Or, ni l’un ni l’autre de ces résultats ne saurait être défendu.

 

[30]    L’analyse de la décision rendue par le juge Cory au nom de la majorité de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Downey[18] étaye également cette position. Cette affaire portait sur une présomption figurant dans le Code criminel, laquelle avait été contestée pour le motif qu’elle violait l’alinéa 11d) de la Charte, mais l’analyse confirme que les présomptions qui influent sur la charge de la preuve peuvent violer un droit garanti par la Charte. À la page 29, en résumant sept principes applicables aux présomptions, le juge Cory a énoncé comme troisième principe : « Même s’il existait un lien rationnel entre le fait établi et le fait devant être présumé, cela ne suffirait pas à rendre valide une présomption obligeant l’accusé à établir l’absence d’un élément de l’infraction. »

 

[31]    À mon avis, ce principe s’applique aux dispositions contestées en l’espèce, lesquelles obligent l’appelant, du fait de son sexe, à établir l’absence d’un fait présumé ou à réfuter un tel fait même s’il existe un lien rationnel entre les faits établis et le fait présumé. À vrai dire, la charge de la preuve et la présomption d’innocence dans les affaires criminelles ont plus d’importance et justifient une meilleure protection, mais à coup sûr les présomptions fondées sur des stéréotypes influant sur les droits de la personne exigent une considération similaire, sous réserve d’un abaissement possible du seuil de justification en fonction des circonstances. Mais ce qui est encore plus important, c’est que les présomptions fondées sur des stéréotypes ne sont certes pas moins offensantes simplement parce que la personne touchée peut établir l’absence de la présomption. L’existence de la présomption est le mal auquel la Charte cherche à remédier si, compte tenu d’un stéréotype, cette présomption a donné lieu à un traitement discriminatoire. Il reste encore à déterminer si les droits reconnus à l’appelant par la Charte ont été violés en raison d’une discrimination fondée sur le sexe.

 

La contestation fondée sur la Charte – le contexte législatif

 

[32]    Par conséquent, indépendamment des questions préliminaires, il faut d’abord, en examinant la contestation fondée sur la Charte, citer deux autres dispositions de la LIR, à savoir les alinéas g) et h), de la définition du « particulier admissible » figurant à l’article 122.6 de la LIR ainsi que les articles 6301 et 6302 du Règlement :

 

« particulier admissible » S’agissant, à un moment donné, du particulier admissible à l’égard d’une personne à charge admissible, personne qui répond aux conditions suivantes à ce moment :

 

[...]

 

Pour l’application de la présente définition :

 

[...]

 

g)         la présomption visée à l’alinéa f) ne s’applique pas dans les circonstances prévues par règlement;

 

h)         les critères prévus par règlement serviront à déterminer en quoi consistent le soin et l’éducation d’une personne.

 

6301. (1) Pour l’application de l’alinéa g) de la définition de «particulier admissible» à l’article 122.6 de la Loi, la présomption mentionnée à l’alinéa f) de cette définition ne s’applique pas dans les circonstances suivantes:

 

a)         la mère de la personne à charge admissible déclare par écrit au ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social qu’elle réside avec le père de cette personne et qu’il est celui qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation de chacune des personnes à charge admissibles avec lesquelles les deux résident;

 

b)         la mère est une personne à charge admissible d’un particulier admissible et chacun d’eux présente un avis au ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social conformément au paragraphe 122.62(1) de la Loi à l’égard de la même personne à charge admissible;

 

c)         la personne à charge admissible a plus d’une mère avec qui elle réside et chacune des mères présente un avis au ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social conformément au paragraphe 122.62(1) de la Loi à l’égard de la personne à charge admissible;

 

d)         plus d’une personne présente un avis au ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social conformément au paragraphe 122.62(1) de la Loi à l’égard de la même personne à charge admissible qui réside avec chacune d’elles à des endroits différents.

 

 

6302. Pour l’application de l’alinéa h) de la définition de «particulier admissible» à l’article 122.6 de la Loi, les critères suivants servent à déterminer en quoi consistent le soin et l’éducation d’une personne à charge admissible:

 

a)         le fait de surveiller les activités quotidiennes de la personne à charge admissible et de voir à ses besoins quotidiens;

 

b)         le maintien d’un milieu sécuritaire là où elle réside;

 

c)         l’obtention de soins médicaux pour elle à intervalles réguliers et en cas de besoin, ainsi que son transport aux endroits où ces soins sont offerts;

 

d)         l’organisation pour elle d’activités éducatives, récréatives, athlétiques ou semblables, sa participation à de telles activités et son transport à cette fin;

 

e)         le fait de subvenir à ses besoins lorsqu’elle est malade ou a besoin de l’assistance d’une autre personne;

 

f)          le fait de veiller à son hygiène corporelle de façon régulière;

 

g)         de façon générale, le fait d’être présent auprès d’elle et de la guider;

 

h)         l’existence d’une ordonnance rendue à son égard par un tribunal qui est valide dans la juridiction où elle réside.

 

[33]    Les dispositions de la Charte sur lesquelles l’appelant se fonde sont ainsi libellées :

 

15. (1)  La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

 

    (2)    Le paragraphe (1) n’a pas pour effet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

 

[...]

 

28. Indépendamment des autres dispositions de la présente charte, les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis également aux personnes des deux sexes.

 

Nouvel énoncé de la question à la lumière de la contestation fondée sur la Charte

 

[34]    Il est ici utile d’examiner la procédure de cotisation, d’opposition et de ratification à laquelle l’appelant avait été assujetti avant le dépôt de son avis d’appel.

 

[35]    L’appelant a d’abord demandé la PFCE au mois d’avril 2000. Sur le formulaire de demande, son état civil est désigné comme étant celui de célibataire, ce qui était alors le cas. La demande ne montre pas clairement quelle période ou quelle année de base était visée, mais au mois d’août 2000, l’appelant a demandé par écrit que la demande de PFCE soit traitée rétroactivement au mois de mars 1997. Aucune précision n’a été donnée au sujet de l’état civil de l’appelant entre le mois de mars 1997 et le mois de mars 1999. À l’audience, l’intimée a soutenu que l’appelant l’avait induite en erreur du fait qu’il n’avait pas reconnu qu’il était marié et qu’il vivait avec sa femme pendant cette période, soit la période pertinente. L’appelant nie que les faits aient été intentionnellement présentés d’une façon erronée, mais je n’hésite pas à dire que l’appelant aurait su ou aurait dû savoir qu’en s’abstenant de faire clairement la distinction, il présentait d’une façon erronée des faits qui influaient sur son droit. Il savait que sa femme n’avait pas produit de déclarations de revenu ou présenté de demandes en vue d’obtenir la PFCE pour les périodes pertinentes lorsqu’ils se sont séparés au mois de mars 1999. Étant donné l’idée que je me suis faite au sujet de l’appelant et de son ancienne femme, je puis facilement voir comment l’hostilité qui régnait entre eux a pu contribuer à une attitude qui pouvait les amener à induire l’ADRC en erreur. Toutefois, même si je fais ces observations tout en respectant la position de l’intimée, elles sont selon moi non pertinentes. Elles n’influent pas sur la question de savoir quelle personne était en fait principal fournisseur de soins et en ce qui concerne la contestation fondée sur la Charte, elles n’influent pas sur la principale question que je devrai en fin de compte examiner, à savoir si l’ADRC s’est fondée sur des facteurs portant sur l’intérêt supérieur de la personne à charge admissible en invoquant la présomption en faveur de la mère dans ce cas‑ci.

 

[36]    Au mois de janvier 2001, probablement après avoir fait droit à la demande de l’appelant, l’ADRC a mis en question cette demande et a envoyé un questionnaire à l’appelant. En répondant au questionnaire, l’appelant a correctement décrit son état civil pendant les périodes pertinentes et il a déclaré qu’il vivait dans la même maison que son épouse et leur fils. Il semble que l’on puisse supposer en toute sécurité qu’après avoir initialement fait droit à la demande que l’appelant avait présentée en vue d’obtenir la PFCE pour les périodes pertinentes, l’ADRC a eu devant elle, au mois de janvier 2001, une demande concurrente faite par l’ancienne épouse de l’appelant, et ce, même si cette demande n’a pas été produite en preuve. De plus, l’ADRC savait que l’ancienne femme de l’appelant n’avait pas déclaré par écrit que le père (l’appelant) était la personne qui assumait principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation de leur fils comme l’exige l’alinéa 6301a) du Règlement pour que la présomption en faveur de la mère figurant à l’alinéa f) de la définition du « particulier admissible » puisse être niée. Par conséquent, l’intimée s’est fondée sur la présomption et a pris sa nouvelle détermination à l’encontre de l’appelant. L’appelant a admis qu’il n’avait pas tenté d’obtenir le consentement de son ancienne femme pour recevoir la PFCE, mais il affirme que le fait d’avoir à demander une déclaration à sa femme constitue un affront à sa dignité en sa qualité de personne à qui la Charte garantit le droit à l’égalité.

 

[37]    Je note que l’on pourrait supposer que l’ADRC a envoyé le questionnaire à l’appelant afin de faciliter l’appréciation, en vertu de l’article 6302 du Règlement, de l’allégation de l’appelant, à savoir qu’il était le principal fournisseur de soins pendant les périodes pertinentes. Toutefois, l’intimée ne s’est pas fondée sur le questionnaire. De fait, elle ne s’est pas fondée sur les conclusions factuelles qu’elle a pu tirer au sujet du fait que l’épouse de l’appelant était le principal fournisseur de soins du fils du couple. C’est ce que montrent fort clairement l’avis de ratification, dans lequel il était uniquement fait mention de la présomption en faveur de la mère, et non de l’article 6302 du Règlement[19], et la réponse, où il est à maintes reprises fait mention du fait que la détermination initiale était fondée sur des renseignements inexacts (à savoir que, pendant les périodes pertinentes, l’appelant n’était pas marié et qu’il ne vivait pas avec son épouse), omettant toute supposition ou assertion voulant que la mère ait de fait été le principal fournisseur de soins pendant les périodes pertinentes. À part le fait qu’un questionnaire a été envoyé et qu’on n’en a apparemment fait aucun cas, je puis uniquement constater que la nouvelle détermination, la ratification et la réponse sont simplement fondées sur la présomption en faveur de la mère. Dans la réponse, on cite de fait l’article 6302 du Règlement, mais on n’indique aucunement en quoi il est pertinent dans le contexte des procédures préalables à l’audience. À coup sûr, l’avocat de l’intimée était au courant de sa pertinence et a cité des témoins à l’appui de sa demande, mais cela ne règle pas le problème du recours à la présomption contestée avant l’audience par laquelle l’appelant a acquis cette qualité d’appelant. Il semble clair, compte tenu de l’avis de ratification et de la réponse, que la présomption en faveur de la mère à elle seule a entraîné le refus d’accorder la PFCE et a obligé l’appelant à interjeter le présent appel.

 

[38]    C’est dans ce contexte que j’examinerai maintenant la contestation fondée sur la Charte.

 

Analyse de la Charte

 

[39]    Selon l’arrêt Law c. Canada[20], trois questions générales doivent être examinées dans les affaires mettant en cause l’article 15 de la Charte. Il s’agit en résumé des questions ci‑après énoncées :

 

1.       Une distinction a‑t‑elle été établie entre l’appelant et d’autres personnes en raison d’une caractéristique personnelle (ou omet‑on de tenir compte d’une situation défavorisée existante, créant une différence de traitement réelle en raison d’une caractéristique personnelle) ?

 

2.       S’il y a un traitement différent ou distinctif, le motif de cette distinction est‑il un motif énuméré, ou un motif analogue à un motif énuméré, au paragraphe 15(1) de la Charte ?

 

3.       Dans l’affirmative, le traitement est‑il discriminatoire en ce qu’il impose un fardeau à l’appelant ou le prive d’un avantage d’une manière qui dénote une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou qui a pour effet de perpétuer ou de promouvoir l’opinion selon laquelle l’appelant est moins capable ou est moins digne d’être reconnu ou valorisé et ne mérite pas le même intérêt, le même respect et la même considération ?

 

[40]    Il est certain que l’appelant est traité différemment en vertu des dispositions contestées de la LIR et du Règlement. En outre, il est certain que la distinction est fondée sur une caractéristique personnelle : il est le père, plutôt que la mère, de la personne à charge admissible et il est traité différemment pour cette seule raison. L’avis de ratification et la réponse sont entièrement fondés sur la présomption ici en cause. Il existe un traitement différent du fait que l’on impose à l’appelant le fardeau d’un appel simplement en raison de son sexe. En outre, la mère est autorisée à déclarer que le père est le principal fournisseur de soins et à décider en fait initialement du droit du père à la PFCE.

 

[41]    Après avoir conclu que le traitement différent que l’appelant a subi ou auquel il a fait face est fondé uniquement sur son sexe, soit l’un des motifs énumérés au paragraphe 15(1) de la Charte, il faut aborder la troisième question.

 

[42]    Selon le critère énoncé dans l’arrêt Law, la troisième question est de savoir si le traitement différent était discriminatoire. En l’espèce, la question peut être énoncée comme suit :

 

Le traitement différent était‑il discriminatoire en ce qu’il imposait un fardeau à l’appelant ou le privait d’un avantage, d’une manière

 

a)       qui dénote une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles du père ou de la mère, ou

 

b)      qui a pour effet de perpétuer l’opinion selon laquelle l’appelant, en sa qualité de père, est moins capable d’être un parent ou est moins digne d’être reconnu ou valorisé comme parent, ou de promouvoir l’opinion selon laquelle l’appelant ne mérite pas le même respect et la même considération dans la détermination de son rôle de parent ?

 

[43]    Dans le cadre de l’analyse de cette question, il faut se demander si l’objet de la Charte est servi s’il est conclu que la différence de traitement, dans ce cas‑ci, constitue une violation des droits de l’appelant ou s’il existe une justification contextuelle de l’existence des dispositions contestées. « L’analyse relative à l’égalité au sens de la Charte doit être faite en fonction de l’objet visé et du contexte[21]. » « [O]n peut juger que [la différence de traitement] n’a pas de rapport avec l’objet de la garantie de la Charte » ou qu’elle « n’a pas pour effet d’imposer un désavantage réel dans le contexte social et politique de la demande. »[22]

 

[44]    Dans le contexte de la présente affaire, un exemple de traitement différent ne « déclenchant » pas l’application de la Charte se trouve dans l’affaire Weatherall c. Canada[23]. À la page 877, le juge La Forest a fait remarquer que « [c]ompte tenu des différences historiques, biologiques et sociologiques entre les hommes et les femmes, l’égalité n’exige pas » des pratiques identiques en ce qui concerne la fouille des hommes et des femmes qui sont détenus dans un établissement. Le juge a conclu qu’en réalité, la tendance historique à la violence des hommes envers les femmes n’est pas comparable à la tendance des femmes à agresser les hommes. Les fouilles effectuées par une personne du sexe opposé étaient plus menaçantes pour les femmes qui ont toujours été défavorisées, de sorte que la différence de traitement n’allait pas à l’encontre de la Charte et qu’elle était de toute façon justifiée par l’article premier.

 

[45]    Cet argument peut sembler valable dans ce cas‑ci. Il existe sans doute une concordance historique, fondée sur des modèles sociologiques, entre la présomption liée au rôle parental de la femme et le rôle que les femmes ont réellement. Toutefois, contrairement aux cas d’agression sexuelle tels que celui qui se présentait dans l’affaire Weatherall, il existe peu de fondement biologique ou il n’existe aucun fondement biologique en ce qui concerne la disposition qui est ici contestée. Ainsi, la présomption favorisant les femmes dans le rôle parental n’est pas fondée sur des traits biologiques attribuables aux mères naturelles. C’est ce qui ressort de l’alinéa c) de l’article 6301 du Règlement, qui prévoit le cas dans lequel deux femmes prennent soin d’un enfant. Même si l’une de ces femmes est peut‑être la mère naturelle, ce seront les faits plutôt que les présomptions qui détermineront le droit à la PFCE. La chose donne à entendre que la concordance entre la présomption relative au rôle parental de la femme et le rôle que les femmes ont réellement peut être fondée uniquement sur des modèles sociologiques passés ou sur la coutume[24]. Une telle concordance entre en ligne de compte lorsqu’il s’agit de déterminer si les dispositions contestées sont fondamentalement discriminatoires, bien qu’il puisse également s’agir du mal même que la Charte vise à combattre. Une analyse contextuelle fondée sur l’objet visé facilitera l’examen de cette question.

 

[46]    L’objet de la Charte a été défini dans plusieurs affaires de plusieurs façons différentes[25]. Toutefois, la protection de la dignité humaine semble être le thème qui devient le plus souvent dans les énoncés téléologiques. De fait, dans l’arrêt Miron, l’objectif général de l’article 15 est défini comme étant d’« empêcher la violation de la dignité et de la liberté de la personne par l’imposition de restrictions, de désavantages ou de fardeaux fondés sur une application stéréotypée de présumées caractéristiques de groupe plutôt que sur les mérites ou capacités d’une personne ou encore sur les circonstances qui lui sont propres ».[26] Dans l’arrêt Law, il a été souligné que la raison la plus courante permettant de conclure qu’une disposition législative donnée viole le paragraphe 15(1) est que, contrairement à l’objet de la Charte, cette disposition traduit et renforce des idées inexactes existantes quant au mérite, aux capacités et à la valeur d’une personne ou d’un groupe particulier dans la société canadienne, aggravant la stigmatisation de cette personne ou des membres du groupe ou entraînant un traitement injuste à leur égard[27].

 

[47]    L’appelant affirme que sa dignité humaine est bafouée du fait qu’il ne jouit pas d’une considération égale en tant que père en vertu des dispositions contestées et que ses capacités en tant que parent dans la société canadienne sont jugées d’avance sur la base de présumées caractéristiques plutôt que du mérite. Comme il a été dit dans l’arrêt Law :

 

La dignité humaine est bafouée lorsque des personnes et des groupes sont marginalisés, mis de côté et dévalorisés, et elle est rehaussée lorsque les lois reconnaissent le rôle à part entière joué par tous dans la société canadienne. Au sens de la garantie d’égalité, la dignité humaine n’a rien à voir avec le statut ou la position d’une personne dans la société en soi, mais elle a plutôt trait à la façon dont il est raisonnable qu’une personne se sente face à une loi donnée. La loi traite‑t‑elle la personne injustement, si on tient compte de l’ensemble des circonstances concernant les personnes touchées et exclues par la loi?[28]

 

[48]    Sur le plan tant subjectif qu’objectif, l’assertion selon laquelle l’appelant a été traité d’une façon inéquitable et qu’il a donc été marginalisé et dévalorisé est évidente en soi. En ce qui concerne la procédure d’appel, l’appelant s’est vu obligé d’en appeler d’une détermination de son admissibilité qui a été faite sans qu’il soit tenu compte de son mérite personnel. Sur le plan législatif, son rôle de parent a été marginalisé d’une façon stéréotypée.

 

[49]    Je tiens ici à faire remarquer que je suis d’accord avec l’appelant pour dire que sa dignité humaine a été bafouée, et ce, malgré les arguments contraires avancés par l’avocat de l’intimée. L’intimée soutient que, parce que la présomption concernant le principal fournisseur de soins est réfutable, elle n’exclut pas complètement les pères de l’avantage en question. Elle ne porte pas les marques d’attitude arbitraire et d’exclusion complète qui, dans l’arrêt Trociuk c. Colombie‑Britannique (Procureur général)[29], ont été considérées comme allant à l’encontre de la Charte. L’intimée affirme ensuite que le gouvernement peut donc soutenir que, contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire Trociuk, la mesure en question ne transmet pas le message que la relation qu’un père entretient avec ses enfants est moins digne de respect que celle qui existe entre une mère et ses enfants. De fait, l’intimée affirme que tel devrait être le principal message transmis par son argument.

 

[50]    Ce message ne me convainc pas. À mon avis, une personne raisonnable se trouvant dans la même situation que l’appelant considérerait que la présomption porte atteinte à sa dignité, et ce, même si elle est réfutable. Dans l’arrêt Trociuk, la cour examinait des dispositions législatives qui n’accordaient au père aucun recours si la mère refusait de le reconnaître comme père lorsqu’il s’agissait de nommer un enfant ; l’absence de recours a été l’un des facteurs pris en considération. Toutefois, je ne puis conclure ou accepter que la décision qui a été rendue dans l’affaire Trociuk fait autorité pour dire qu’un recours tel que celui qu’offre une présomption réfutable constitue toujours une réponse suffisante lorsque la discrimination est alléguée[30]. Ce qui est plus important, c’est que dans l’arrêt Trociuk, la cour a reconnu que les deux parents ont un intérêt personnel profond à favoriser la croissance de leurs enfants et que la relation parent‑enfant était au coeur de l’identité d’une personne[31]. Considérer la mère comme ayant un rôle plus important lorsqu’il s’agit de favoriser la croissance des enfants dénote une attitude stéréotypée au sujet des rôles parentaux du père et de la mère. Comme il en a déjà été fait mention dans ces motifs, une présomption fondée sur un stéréotype qui viole un droit reconnu par la Charte ne peut pas être justifiée compte tenu du fait qu’elle est réfutable. Le fait d’avoir à demander des instructions à la mère ou d’avoir à réfuter la présomption en faveur de la mère dénote une attitude selon laquelle les pères méritent une moins grande considération que les mères à l’égard de leur rôle parental. Cela est offensant pour les pères et, d’une façon détournée, cela étaye l’idée stéréotypée selon laquelle, par leur nature, les femmes sont mieux placées pour rester au foyer avec les enfants. Dans une société qui encourage les congés de paternité en vue de permettre aux mères de retourner travailler, les dispositions contestées vont à l’encontre du progrès et sont suffisamment éloignées de la réalité pour étayer la conclusion selon laquelle une personne raisonnable estimerait que ces dispositions sont offensantes même si celui qui se plaint peut réfuter la présomption. À mon avis, l’analyse téléologique ne justifie pas les dispositions contestées.

 

[51]    Cela m’amène à l’analyse contextuelle ou à l’analyse de la justification fondée sur les circonstances sur laquelle l’intimée s’appuie également pour défendre les dispositions contestées. Dans l’arrêt Law, on énonce quatre facteurs contextuels qui aident à déterminer si une disposition législative viole le paragraphe 15(1) quant au fond. Il s’agit des quatre facteurs suivants : a) si le groupe en question a fait face à un désavantage préexistant ; b) le rapport entre les motifs et les caractéristiques de l’intéressé ; c) l’objet ou les effets d’amélioration de la loi contestée sur un groupe défavorisé ; et d) la nature et l’étendue du droit touché par la loi contestée[32].

 

[52]    D’une façon générale, ces facteurs visent à permettre de déterminer si les dispositions contestées ont « [...]  pour effet d’imposer un désavantage réel dans le contexte social et politique de la demande »[33].

 

[53]    Le premier facteur est absent en l’espèce. Le fait que les personnes qui cherchent à protéger les droits qui leur sont reconnus par la Charte ne constituent pas un groupe défavorisé n’est pas un facteur pertinent. Le fait qu’une disposition peut être justifiée parce qu’une protection est accordée à un groupe défavorisé ne nie pas aux personnes favorisées une protection en vertu de la Charte. C’est ce qui a clairement été énoncé dans l’arrêt Trociuk[34].

 

[54]    Le deuxième facteur est la concordance entre les motifs et les caractéristiques de l’intéressé. Selon le point de vue de l’appelant, la présomption contestée n’est pas conforme à la réalité puisque notre société reconnaît et appuie de plus en plus les pères qui restent au foyer. Il est certain que les temps changent et qu’un plus grand nombre d’hommes assument la responsabilité du soin des enfants. Toutefois, les statistiques démontrent encore qu’en fait, une majorité écrasante de femmes sont fournisseurs de soins[35]. La présomption est donc probablement conforme aux réalités sociétales. Selon la façon de voir d’une personne raisonnable se trouvant dans la même situation que l’intéressé, la chose aurait‑elle pour effet de justifier une disposition par ailleurs discriminatoire ? Étant donné que cela encourage un stéréotype de femmes qui ne correspond pas à l’évolution des tendances sociétales, il y a clairement lieu de croire qu’il faut répondre à cette question par la négative. Toutefois, il faut encore tenir compte des aspects d’amélioration de la disposition contestée, lesquels considérés avec la concordance, peuvent donner à entendre que l’intérêt présenté par le programme social en cause (la PFCE) pour les enfants justifie une meilleure protection.

 

[55]    L’intimée, qui considère le facteur de concordance selon le point de vue de la mère, soutient que les dispositions contestées répondent aux besoins, aux capacités et à la situation des femmes, qui sont dans l’ensemble les principaux fournisseurs de soins dans la société. Comme il a été noté, les statistiques soumises à l’instruction étayent cette assertion quant aux « circonstances ». Quant aux « besoins » et aux « capacités » des femmes, aucun élément de preuve n’a été présenté au sujet de ces concepts élusifs[36]. Les capacités et les besoins sont clairement pertinents dans le contexte des personnes atteintes d’une déficience ou d’autres groupes ayant des incapacités ou des besoins physiques, émotionnels ou mentaux, mais dans le contexte du sexe, il faut à coup sûr tracer une ligne de démarcation entre la concordance comme justification de distinctions fondées sur le sexe et une répartition stéréotypée des rôles. La façon dont les réalités statistiques entrent en ligne de compte dans ce cas‑ci ne respecte ni la valeur d’un homme en tant qu’être humain ayant un rôle fondamental dans notre société ni la capacité d’une femme à l’extérieur du foyer. Le fait que l’on reconnaît la concordance entre les femmes et les personnes agissant à titre de principaux fournisseurs du soin des enfants dans les ménages canadiens n’atténue nullement ces affronts. Quoi qu’il en soit, dans la mesure où les capacités et les besoins sont pertinents dans une analyse contextuelle ou dans une analyse des circonstances, il est préférable de les examiner dans le cadre de l’analyse du troisième facteur portant sur l’objet d’amélioration.

 

[56]    Le troisième facteur se rapporte au cas où il y a un objet ou un effet d’amélioration à l’égard d’une personne ou d’un groupe plus défavorisé. Un objet ou un effet d’amélioration aura des répercussions sur la détermination de la question de savoir si les dispositions contestées sont discriminatoires dans le contexte social et politique de la Charte, c’est‑à‑dire qu’un objet d’amélioration risque moins de violer la dignité d’une personne ou d’un groupe plus favorisé. On met ici l’accent sur la protection des personnes vulnérables et, en particulier, des personnes qui ont par le passé été vulnérables, ce qui oblige la Cour à se demander si les dispositions contestées ont un objet général d’amélioration qui est conforme aux valeurs d’égalité enchâssées au paragraphe 15(1) de la Charte[37]. Le fait que l’objet d’amélioration doit être conforme aux valeurs d’égalité enchâssées donne à entendre qu’il y a une différence entre une loi qui tient compte de la situation et des besoins réels d’un groupe d’une façon qui respecte sa valeur, de façon à amoindrir l’effet discriminatoire sur un autre groupe, et une loi qui dénote et encourage simplement une conception stéréotypée. Il faut avoir à l’esprit une telle différence dans cette partie de l’analyse.

 

[57]    La PFCE vise à profiter à l’enfant, mais elle favorise la mère, de sorte qu’il semble nécessaire d’examiner l’objet d’amélioration des dispositions contestées selon le point de vue de la mère et selon le point de vue de l’enfant comme on l’a fait dans l’arrêt Trociuk. J’examinerai d’abord le cas où les mères ou les femmes sont considérées comme le groupe historiquement défavorisé que les dispositions contestées sont destinées à aider.

 

[58]    À l’audience, on a présenté peu d’éléments de preuve en faveur ou à l’encontre d’une conclusion relative à l’objet ou à l’effet d’amélioration pour ce groupe, mais je reconnais la possibilité de pareil objet et de pareil effet. Les femmes ont sans doute toujours fait face à des difficultés dans le milieu du travail et à des pressions sociétales visant à les faire rester au foyer; elles sont donc moins en mesure sur le plan financier de subvenir aux besoins de leurs enfants. Les femmes ont sans doute toujours fait face à des difficultés à titre de personnes à la charge de leurs partenaires de sexe masculin. Une allocation gouvernementale telle que la PFCE versée à la mère, dans les familles à faible revenu, peut être considérée comme remédiant à ces difficultés. L’idée selon laquelle, lorsque les parents et les enfants vivent sous un même toit en tant que famille (soit le cas restreint auquel s’appliquent les dispositions contestées), le fait de verser de l’argent à la mère améliorera dans bien des cas son sort et peut‑être, dans certaines circonstances regrettables, peut en fait constituer la seule façon d’assurer que les sommes versées seront utilisées au profit de l’enfant cadre probablement jusqu’à un certain point avec la réalité. Si les dispositions contestées visent à reconnaître une telle réalité dans les familles canadiennes et à y remédier, et ce, d’une façon non péjorative et non stigmatisante, ces dispositions ne devraient probablement pas être considérées comme portant atteinte à la dignité des hommes ou des femmes, c’est‑à‑dire qu’il n’est peut‑être pas raisonnable de conclure que les dispositions contestées sont fondamentalement discriminatoires.

 

[59]    Toutefois, il n’est pas facile de justifier les dispositions contestées en invoquant pareilles réalités, qui dénotent des stéréotypes préexistants à l’égard des rôles parentaux dans les familles à faible revenu. En outre, si le désavantage auquel on cherche à remédier est la dépendance économique des mères dans les familles à faible revenu, la présomption réfutable pourrait être que le principal fournisseur de soins est le parent qui gagne le revenu le moins élevé. De fait, c’est ce que l’on donne à entendre dans certains commentaires figurant dans l’une des pièces produites par l’intimée, une publication de Condition féminine Canada, intitulée La dynamique de la pauvreté chez les femmes au Canada, mars 2000, Clarence Lockhead et Katherine Scott. Dans la conclusion, sous le titre « Stratégies », les auteurs reconnaissent que les femmes sont pénalisées par les programmes d’examen des ressources dans lesquels on suppose que les ressources sont partagées au sein de la famille. Le fait de remettre la PFCE directement aux femmes lorsque ce sont elles qui gagnent le revenu le moins élevé résout ce problème. Une présomption favorisant la personne à faible revenu serait annulée eu égard aux faits de la présente affaire, mais elle semblerait être valable à l’égard des pères qui restent réellement au foyer, lesquels forment le groupe qui serait censément victime de discrimination par suite des dispositions contestées[38].

[60]    Je note ici qu’une analyse des aspects d’amélioration des dispositions contestées à l’égard des femmes défavorisées pourrait être envisagée en vertu du paragraphe 15(2) de la Charte. Un objet général d’amélioration, dans une analyse fondée sur le paragraphe 15(1), peut neutraliser une disposition apparemment discriminatoire, de façon qu’il soit possible de conclure qu’il n’existe aucune discrimination fondamentale ou réelle dans un contexte politique et social. D’autre part, le paragraphe 15(2) semble justifier une disposition fondamentalement discriminatoire si son objet exprès est d’améliorer la situation d’un groupe défavorisé[39]. Le cas qui nous occupe pourrait constituer un bon exemple de la distinction. Le fait que je pourrais conclure à l’existence d’une discrimination fondamentale dans ce cas‑ci, malgré l’objet général d’amélioration, ne veut pas pour autant dire que le paragraphe 15(2) ne peut pas justifier les dispositions contestées si un objet précis d’amélioration, comme un programme de promotion sociale, est clairement précisé dans la loi. Il est facile de faire des conjectures au sujet de l’objet d’amélioration selon des perspectives différentes, mais aucun objet clair précis d’amélioration ne ressort de la loi contestée ; l’intimée n’a pas non plus soutenu qu’il existe un objet exprès permettant de déclencher l’application du paragraphe 15(2). Cela m’amène à considérer les aspects d’amélioration des dispositions contestées du point de vue de l’enfant puisque l’objectif général le plus évident de la PFCE est de profiter à l’enfant.

[61]    L’intimée reconnaît qu’en fait, la PFCE existe au profit de l’enfant – et non au profit des parents. Dans la décision Cabot, le juge Rip, de la Cour de l’impôt, a fait l’énoncé utile suivant des objectifs sous‑tendant la PFCE, à la page 2900 :

 

La prestation fiscale pour enfants a été instituée en 1993 pour remplacer les allocations familiales, le crédit d’impôt pour personnes à charge de moins de 18 ans et le crédit d’impôt remboursable pour enfants par un paiement mensuel unique, non imposable, au parent qui a la garde de l’enfant. La prestation fiscale pour enfants doit profiter à l’enfant. Elle fournit au parent qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation de l’enfant une aide financière pour élever celui‑ci. [Je souligne.]

 

[62]    Si les dispositions relatives à la PFCE visent à profiter à l’enfant en accordant le crédit d’impôt remboursable à la personne qui dépense en fait de l’argent au profit de l’enfant, la présomption en faveur de la mère pourrait simplement servir à faciliter la remise des fonds à la personne qui, au point de vue statistique, joue le rôle de parent dans la grande majorité des familles canadiennes. Débattre la question de savoir quelle personne doit obtenir la PFCE voudrait peut‑être dire que ni le père ni la mère ne pourrait obtenir la prestation sans avoir à attendre longtemps – et ce, au détriment de l’enfant. Il serait possible de dire qu’une présomption qui a pour effet d’accélérer l’émission d’un chèque est justifiée plutôt qu’offensante, c’est‑à‑dire que le fait d’accélérer les paiements effectués au titre de la PFCE au profit de l’enfant est un objectif valable et, si les dispositions contestées visent à améliorer le sort des enfants défavorisés dans les familles à faible revenu, une présomption qui vise à accélérer le paiement et à assurer plus efficacement la remise des prestations accordées pour le soin des enfants ne devrait pas être considérée comme péjorative ou stigmatisante ou comme portant atteinte à la dignité humaine des pères.

 

[63]    Toutefois, ici encore, même si l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’un objet d’amélioration atténue l’aspect discriminatoire de la loi contestée, cela ne devrait pas servir de fondement ou de justification lorsque la loi encourage les idées stéréotypées, en particulier lorsqu’il pourrait exister des solutions non discriminatoires. De nouvelles dispositions concernant la PFCE pourraient laisser la détermination de la question de savoir qui a droit aux paiements à la discrétion des parties ou d’un tribunal de la famille ou, en l’absence d’une entente conclue ou d’une ordonnance judiciaire rendue en temps opportun, les sommes à verser aux parents qui vivent ensemble pourraient être remises, comme il en a ci‑dessus été fait mention, à la personne qui gagne le revenu le moins élevé, sur la base d’une présomption réfutable voulant que cette personne se consacre davantage à un « labeur affectueux ».

 

[64]    Il appartiendrait au législateur plutôt qu’à la magistrature de réviser le régime de la PFCE, mais la reconnaissance de solutions de rechange non discriminatoires entre en compte aux fins de l’examen de la justification d’une disposition discriminatoire.

 

[65]    Le quatrième facteur à prendre en considération se rapporte à la nature et à l’étendue du droit en cause. En général, plus les conséquences de la loi ressenties par le groupe touché sont graves et localisées, plus il est probable que les allégations de discrimination soient fondées[40].

 

[66]    À vrai dire, les aspects discriminatoires des dispositions contestées ont une portée restreinte. Les familles admissibles à la PFCE qui vivent sous le même toit et qui se disputeraient au sujet de la question de savoir si c’est la mère ou le père qui est admissible pourraient en pratique constituer un groupe fort restreint. En fait, même si la présente affaire comporte un élément qui donne à entendre que la discrimination fondamentale réelle imposée par les dispositions contestées est si minime quant à son étendue et à sa nature qu’elle ne justifie pas une intervention judiciaire, j’adopte un avis contraire. Les statistiques qui ont été soumises à l’instruction montrent que, dans la société canadienne, un grand nombre de pères restent au foyer et que la tendance pour les hommes à rester au foyer et à s’occuper des enfants va en augmentant. Dans ce contexte, l’appelant souligne à juste titre qu’un père qui reste au foyer, aussi raisonnable soit‑il, même si sa conjointe est fort raisonnable, pourrait à juste titre conclure au caractère offensant d’une présomption qui s’applique à son détriment, à moins que la mère n’accepte que la PFCE lui soit versée. Les conjoints ne sont pas sur un pied d’égalité pour ce qui est de l’application de la présomption.

 

CONCLUSIONS

 

[67]    Après avoir examiné les facteurs énumérés dans l’arrêt Law, je dois maintenant déterminer, comme il en a déjà été fait mention dans ces motifs sous le titre « Compétence fondée sur l’article 24 de la Charte », si les dispositions contestées de la LIR et du Règlement sont invalides conformément au paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle. Il faut donc déterminer si de telles dispositions violent en tant que telles les droits reconnus à l’appelant par la Charte.

 

[68]    Je ne suis pas convaincu que la disposition contestée de la LIR, à savoir l’alinéa f) de la définition du « particulier admissible » figurant à l’article 122.6, soit en soi inconstitutionnelle. Bref, je ne suis pas convaincu qu’il ne peut jamais y avoir de circonstances dans lesquelles l’intérêt supérieur d’un enfant exige qu’on invoque la présomption en faveur de la mère qui est énoncée dans cet alinéa. Je crains vraiment qu’en ne faisant aucun cas des réalités statistiques et de la nécessité possible, dans les familles à faible revenu, de reconnaître que la mère est la personne qui devrait recevoir la PFCE, on nuise dans certains cas à l’intérêt des enfants. En fait, même si j’hésite à reconnaître que la concordance et l’effet d’amélioration constituent à eux seuls des motifs impérieux permettant de tolérer l’effet discriminatoire des dispositions contestées, je me vois obligé de dire que, somme toute, il faut assurer un équilibre qui favorise l’intérêt supérieur des enfants. L’existence d’un léger risque que les enfants subissent un préjudice constitue une justification suffisante pour ne pas radier les dispositions contestées. Selon la doctrine de la proportionnalité, l’intérêt de l’enfant doit l’emporter. Par conséquent, bien que je ne change pas d’idée au sujet de la conclusion que j’ai tirée, à savoir qu’il y a eu une discrimination fondamentale par suite du recours aux dispositions contestées en l’espèce, ces dispositions ne sont pas selon moi inconstitutionnelles ou invalides en tant que telles en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle. Ce sont les mesures qui ont été prises en vertu de ces dispositions qui portent dans ce cas‑ci atteinte aux droits reconnus à l’appelant par la Charte, à savoir le recours à la présomption sans que l’on se soit demandé si cela était au mieux des intérêts de l’enfant.

 

[69]    Autrement dit, étant donné que je ne suis pas convaincu que la protection des besoins des enfants puisse dans certains cas obliger le ministre et l’ADRC à invoquer la présomption en faveur de la mère, je ne puis accepter que la radiation de la disposition contestée de la LRI permette d’arriver à un juste équilibre entre les intérêts opposés. Cela étant, je ne puis punir le ministre pour ne pas avoir satisfait à la charge de la preuve relative à la justification de cette disposition contestée de la LIR en invoquant le pouvoir judiciaire me permettant de la radier. Il suffit que je sois convaincu que le ministre et les fonctionnaires de l’ADRC peuvent dans certains cas veiller d’une façon raisonnable à ce que l’intérêt supérieur d’un enfant soit mieux servi par l’application de la présomption en faveur de la mère. Le problème en l’espèce est que l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été pris en compte lorsque l’on s’est fondé sur la présomption. De fait, je ne dispose d’aucun élément de preuve montrant qu’il a été tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant dans ce cas‑ci ; de plus, il ressort clairement du dossier que l’intérêt de l’enfant n’a pas été pris en compte lorsque l’on  s’est fondé sur la présomption. C’est le fait que l’on s’est fondé d’une façon aveugle et injustifiée sur la présomption qui a violé les droits reconnus à l’appelant à l’article 15 de la Charte. Cette violation ne déclenche pas l’application du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle, mais selon les principes énoncés dans l’arrêt Schachter, elle met en cause les réparations prévues à l’article 24 de la Charte -- des réparations compatibles avec le mandat de la présente cour, mais non assujetties aux restrictions rigoureuses de l’article 171 de la LIR.

 

[70]    Je tiens également à faire remarquer, bien qu’il ne semble pas nécessaire de le faire, qu’à mon avis, il convient peut‑être dans de tels cas de s’attacher directement aux réparations prévues à l’article 24 de la Charte sans radier la disposition contestée même si elle viole en soi les droits garantis à l’article 15 de la Charte. Cette déclaration est peut‑être hardie compte tenu des conclusions tirées par les tribunaux d’instance supérieure, à savoir que les dispositions qui violent les droits reconnus par la Charte sont invalides à compter du moment où elles sont édictées. Toutefois, il s’agit d’une déclaration juridique « de principe » formulée par le juge Gonthier dans l’arrêt Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board). Dans certaines circonstances, il serait peut‑être nécessaire de reconnaître qu’une question d’invalidité doit être traitée différemment. Il serait possible de suspendre une déclaration d’invalidité en vue d’éviter le chaos ou une intervention judiciaire excessive ou en vue de donner au législateur la possibilité de réexaminer la disposition contestée. La « suspension » en soi est une exception à la conclusion selon laquelle une loi invalide est invalide à compter du moment où elle est édictée. De même, des exceptions constitutionnelles ont été créées, selon lesquelles une disposition contestée serait invalide, mais uniquement pour ce qui est de son application à certains groupes, de sorte qu’elle ne serait pas déclarée inconstitutionnelle ou invalide à toutes les fins[41]. En l’espèce, j’aurais pu essayer de justifier une décision de ne pas radier la disposition contestée de la LIR en invoquant la doctrine de l’exception constitutionnelle tout en examinant la discrimination en vertu de l’article 24 de la Charte. J’aurais pu dire que j’interpréterai d’une façon plus restrictive la disposition contestée ou que j’y incorporerai une exigence, de façon qu’elle ne s’applique que dans des circonstances restreintes – des circonstances justifiables qui sont dans l’intérêt supérieur de l’enfant. L’omission d’appliquer la disposition contestée dans les circonstances appropriées pourrait alors être examinée en vertu de l’article 24 de la Charte. Toutefois, indépendamment de la façon dont je formule ma conclusion, il suffit de dire que la disposition contestée de la LIR n’est pas invalide si elle est appliquée d’une façon raisonnable dans l’intérêt supérieur d’un enfant.

 

[71]    Les droits reconnus à l’appelant en vertu de l’article 15 de la Charte ont été violés dans ce cas‑ci en ce sens que la présomption en faveur de la mère n’était pas manifestement ou de quelque autre façon invoquée compte tenu du fait qu’il était raisonnable d’y avoir recours dans l’intérêt supérieur de l’enfant. La réparation à accorder par suite d’une telle violation repose sur l’article 24 de la Charte.

 

[72]    Je tiens à faire observer que les remarques qui précèdent sont limitées à l’alinéa f) de la définition du « particulier admissible » figurant à l’article 122.6 de la LIR, soit la disposition qui établit la présomption en faveur de la mère. La nécessité de l’article 6301 du Règlement, qui, en vertu de l’alinéa g) de la définition du « particulier admissible », prescrit les circonstances dans lesquelles la présomption ne s’applique pas, semble douteuse s’il est uniquement possible de recourir d’une manière non offensante à la présomption lorsqu’il y a des motifs raisonnables de croire que la chose est dans l’intérêt supérieur de l’enfant, mais je ne radierai pas l’alinéa g) ou l’article 6301 du Règlement. On ne m’a soumis aucun argument sur ce point en ce qui concerne les lacunes législatives possibles et les problèmes connexes qu’entraînerait leur radiation. Je ne puis constater aucune lacune ou aucun autre problème de ce genre, mais il ne semble pas nécessaire de radier maintenant les dispositions contestées ou même de suspendre une déclaration portant invalidité en attendant la présentation d’arguments additionnels ou un examen par le législateur. Il est possible de régler plus simplement la plainte formulée par l’appelant en élaborant une réparation en vertu de l’article 24 de la Charte par suite de la violation des droits dont il a ci‑dessus été fait mention.

 

[73]    Les réparations prévues à l’article 24 de la Charte peuvent être élaborées de façon à répondre aux circonstances de l’espèce. En fait, le législateur a invité les tribunaux judiciaires à imposer les réparations convenables et justes qui, eu égard aux circonstances, sont indiquées. Dans l’arrêt Mills, le juge McIntyre a dit ce qui suit, aux pages 965 et 966 :

 

Il est difficile de concevoir comment on pourrait donner au tribunal un  pouvoir discrétionnaire plus large et plus absolu. [...] les circonstances varieront de façon infinie d’un cas à l’autre et la réparation accordée variera en conséquence.

 

[74]    Au paragraphe 47:02 de Jamal et Taylor « The Charter of Rights in Litigation », les auteurs disent qu’il y a encore d’autres réparations à envisager, comme l’octroi de dommages‑intérêts compensatoires fondés sur la violation d’un droit et des réparations rarement envisagées, comme les ordonnances de faire adressées à l’administration. La dignité humaine de l’appelant, qui a été brimée par les dispositions contestées telles qu’elles ont été appliquées en l’espèce, ne saurait être rétablie au moyen de dommages‑intérêts compensatoires, mais il semble convenable et juste d’accorder un redressement financier pour le préjudice subi étant donné qu’il est reconnu qu’il y a eu violation. De plus, la procédure à laquelle l’appelant a été assujetti par suite de la mesure discriminatoire qui a été prise à son encontre lui a causé un préjudice réel au point de vue du temps, de l’énergie et de l’argent qui ont été gaspillés. L’appelant a été obligé de s’opposer à une cotisation fondée uniquement sur son sexe et d’en appeler de cette cotisation. On lui a également imposé, en l’absence d’une réparation exigeant le contraire, la charge de la preuve lorsqu’il s’est agi de réfuter la présomption énoncée dans les dispositions contestées.

 

[75]    Par conséquent, d’une façon générale, la mesure réparatrice que j’adopterais maintenant, eu égard aux faits et aux arguments qui m’ont été soumis, est la suivante : dans le cadre d’un appel d’une détermination ou d’une nouvelle détermination de la question de savoir qui est un « particulier admissible », laquelle est uniquement fondée sur la présomption en faveur de la mère, sans qu’il y ait des motifs raisonnables de croire que le recours à cette présomption favorise l’intérêt supérieur de l’enfant, soit la personne à charge admissible, la Cour déterminera, selon la prépondérance des probabilités, quel parent a principalement assumé la responsabilité du soin et de l’éducation de la personne à charge admissible et il est loisible à la Cour en pareil cas d’accorder au père les dommages‑intérêts compensatoires appropriés eu égard aux circonstances. Lorsqu’on a eu recours à la présomption en faveur de la mère en se fondant sur des faits établis ou sur des faits avec raison présumés tendant à montrer que la mère est le parent qui a principalement assumé la responsabilité du soin et de l’éducation de la personne à charge admissible ou lorsqu’on a eu recours à la présomption pour le motif qu’il y a lieu de croire que son utilisation favorise l’intérêt supérieur de la personne à charge admissible, la présomption demeure réfutable.

 

[76]    Je souligne que je n’ai pas adopté une réparation qui imposerait la charge de la preuve au père ou à la mère si ce n’est lorsque la présomption demeure réfutable, comme il en a ci‑dessus été fait mention. Dans d’autres cas, comme celui qui nous occupe, l’instance dont la Cour est saisie doit être de la nature d’une demande de décision factuelle telle que celle qui est prévue à l’article 174 de la LIR. Cette disposition permet à la présente cour de trancher une question de fait d’une façon qui lie tous les contribuables concernés. L’instance ne devrait pas être encombrée de questions de charge de la preuve. Imposer à l’intimée la charge de la preuve peut avoir pour effet d’imposer en fait cette charge à la mère. De fait, l’intimée a soutenu qu’en l’absence de la présomption, les femmes, qui sont la plupart du temps les principaux fournisseurs de soins dans les familles à deux parents, feraient face à une charge disproportionnée si elles avaient à prouver, dans des cas où la preuve de ce fait peut être soit abondante soit minime, qu’elles assument ce rôle au sein de la famille afin de recevoir la PFCE. Je conviens que la réparation accordée à l’égard des dispositions contestées ne peut pas avoir pour effet de transférer des hommes aux femmes la discrimination procédurale reprochée en l’espèce. Telle n’est pas mon intention. Je tiens également à faire remarquer que même si je veux que la directive donnée dans ce paragraphe soit obligatoire à l’égard d’un appel dont la Cour est saisie, rien n’empêche l’ADRC de demander de son propre chef une ordonnance en vertu de l’article 174 de la LIR avant l’introduction d’un appel. Bien sûr, le problème disparaît si la détermination ou la nouvelle détermination de la question de savoir qui est un « particulier admissible » est fondée sur des faits découverts à la suite d’une enquête ou sur des faits avec raison présumés après que des facteurs pertinents tels que ceux qui sont énoncés à l’article 6302 du Règlement ont été examinés.

 

[77]    Je reconnais que si l’on se fondait sur l’article 6302 du Règlement ou si l’on s’en remettait à la Cour pour trancher la question de savoir qui est un « particulier admissible », cela pourrait dans certains cas ralentir le paiement de la PFCE. Cela pose un problème, mais il est peu probable que ce problème se pose fréquemment. Il semble préférable de mettre l’accent sur le fait qu’il n’arrivera pas souvent que l’ADRC ait à effectuer un travail rapidement plutôt que de mettre l’accent sur le fait que le problème ne se posera pas souvent afin de justifier l’application discriminatoire des dispositions en cause.

 

[78]    En outre, pour éviter des allégations de discrimination dans le cadre de la détermination de la question de l’admissibilité, il semble essentiel que l’ADRC adopte des pratiques qui sont plus neutres en ce qui concerne le sexe que celles qui sont envisagées par les dispositions existantes (tout en étant visées par la portée de ces dispositions). Ainsi, l’utilisation d’une demande de PFCE dans laquelle on exige de la personne qui reçoit la PFCE que les deux parents apposent leur signature serait visée par la portée du Règlement existant et éviterait les préoccupations liées au fait qu’il est offensant de demander des instructions à la mère. J’ai décidé de ne pas imposer une telle pratique administrative à l’ADRC en vertu de l’article 24 de la Charte, mais je ferai remarquer que si l’ADRC ne peut pas adopter de telles pratiques neutres quant au sexe, il semble inévitable que d’autres plaintes seront formulées. En l’absence d’une réforme législative ou d’une directive donnée par une cour d’appel, je tiens à dire que la présente cour pourra radier les dispositions contestées si elles ne peuvent pas être justifiées en vertu du paragraphe 15(2) ou de l’article premier de la Charte à la suite de la présentation d’arguments plus convaincants. Autrement, la réparation accordée en l’espèce s’appliquera probablement dans les cas futurs. Quant à la réforme législative, j’espère que le législateur réexaminera les dispositions contestées en vue d’éviter qu’il soit nécessaire pour les tribunaux de procéder à un autre examen de ces dispositions. Si la magistrature doit s’en remettre au législateur, comme je le fais ici, le législateur devrait donner à la magistrature toutes les indications possibles qu’il veillera à réagir aux préoccupations manifestées par cette dernière.

 

[79]    Je note ici qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la contestation que l’appelant a faite en vertu de l’article 28 de la Charte, qui est ainsi libellé :

 

28. Indépendamment des autres dispositions de la présente charte, les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis également aux personnes des deux sexes.

 

[80]    Toutefois, je ferai remarquer que je souscris aux prétentions que l’avocat de l’intimée a soumises au sujet de l’article 28. On n’entend pas créer un régime distinct de droits à l’égalité pour la discrimination fondée sur le sexe. On veut plutôt s’assurer que toutes les dispositions de la Charte sont appliquées sans discrimination entre les sexes conformément à l’article 15 de la Charte[42].

 

[81]    Enfin, j’ai conclu que, pendant les périodes pertinentes, l’appelant n’était pas un particulier admissible pour l’application des dispositions de la LIR relatives à la PFCE, mais que contrairement aux droits qui lui sont garantis par la Charte, l’appelant s’est vu obligé, uniquement en raison de son sexe, de consacrer du temps et de l’argent et de subir l’indignité d’un appel du fait que l’on a eu recours à la présomption en faveur de la mère figurant dans les dispositions de la LIR relatives à la PFCE sans qu’il soit tenu compte de l’intérêt supérieur de la personne à charge admissible. Par conséquent, l’appelant n’a pas droit à la PFCE pour les périodes pertinentes, mais le montant de 1 000 $ lui est adjugé au titre de dommages‑intérêts compensatoires, y compris les frais et dépens, à l’égard de la violation des droits qui lui sont reconnus par la Charte, ce montant devant être payé immédiatement par l’intimée. En adjugeant ce montant, j’ai pris en considération toutes les circonstances factuelles de l’affaire telles qu’elles sont généralement énoncées dans ces motifs.

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de novembre 2004.

 

 

 

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour de mars 2005.

 

Jacques Deschênes, traducteur


 

 

RÉFÉRENCE :

2004CCI460

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2002-4718(IT)I

 

INTITULÉ :

William S. Campbell et

Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 4 février et 17 mai 2004

 

MOTIFS MODIFIÉS DU JUGEMENT :

L’honorable J.E. Hershfield

 

DATE DU JUGEMENT MODIFIÉ :

Le 4 novembre 2004

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

 

Avocats de l’intimée :

Me Jocelyn Espejo Clarke

Me David W. Chodikoff

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelant :

 

Nom :

 

 

Cabinet :

 

 

Pour l’intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



1 En termes techniques, il s’agit d’un appel d’une cotisation corrélative établie conformément au paragraphe 152(4.3) de la Loi à la suite d’une nouvelle détermination par le ministre du montant réputé, selon le paragraphe 122.61(1), avoir été payé en trop. Par suite de la nouvelle détermination, il a été constaté qu’un montant excédentaire avait été versé ou crédité à l’appelant au titre d’une PFCE. Sous réserve du présent appel, cet excédent est remboursable par l’appelant aux conditions énoncées à l’article 160.1.

[2] Voir l’alinéa b) de la définition du « particulier admissible » figurant à l’article 122.6.

[3] Cabot v. M.N.R., [1998] 4 C.T.C. 2893 (C.C.I.); et Pollak v. R., [1999] 2 C.T.C. 2225.

[4] [2003] 2 R.C.S. 504.

[5] [1992] 2 R.C.S. 679.

[6] 89 DTC 91.

[7] [1986] 1 R.C.S. 863.

[8] [1998] 4 C.F. 180 (C.A.F.).

[9] (2001) 206 D.L.R. (4th) 444.

[10] Au par. 15.

[11] Au par. 42.

[12] Au par. 44.

[13] Au par. 66.

[14] Dans l’arrêt R. c. Gamble, la juge Wilson, rédigeant ses motifs au nom de la majorité, a statué que les cours supérieures ont compétence concurrente, permanente et complète à l’égard des réparations accordées en vertu de l’article 24. Toutefois, dans cet arrêt, il n’a pas expressément été question de la compétence de la présente cour étant donné qu’elle n’était pas alors une cour supérieure. Le cas d’une cour supérieure d’origine législative possédant expressément des pouvoirs législatifs restreints n’a donc pas été examiné.

[15] [2003] 2 R.C.S. 504, au par. 29.

[16] Dans les instances régies par la procédure informelle, on ne bénéficie pas de l’avantage que comportent les interrogatoires préalables et ces instances ne sont pas assujetties à l’application rigoureuse des règles de la preuve. Selon l’article 18.28 de la LCCI, les jugements rendus sous le régime de la procédure informelle ne constituent pas des précédents jurisprudentiels. Il arrive souvent que les appelants, dans le cadre d’une instance régie par la procédure informelle, agissent pour leur propre compte ou qu’ils soient représentés par des personnes qui n’ont pas qualité d’avocat, de tels représentants n’étant pas autorisés à agir dans une instance relevant de la procédure générale, en vertu de laquelle les appels sont régis par des règles à peu près identiques aux règles applicables aux autres cours supérieures d’archives. L’appelant a interjeté appel sous le régime de la procédure informelle à cause de la valeur pécuniaire restreinte de la PFCE en cause, mais l’intimée était prête à soumettre une preuve et à faire face à la contestation fondée sur la Charte sans affirmer que la compétence de la Cour sous le régime de la procédure informelle était plus restreinte qu’elle ne l’était sous le régime de la procédure générale. Et ce qui est encore plus important, j’ai conclu que le rôle de la Cour en sa qualité de tribunal ayant compétence pour exercer des pouvoirs généraux en vertu de l’article 24 de la Charte n’a pas en fait été vraiment compromis en l’espèce du fait que l’appel était fondé sur la procédure informelle.

[17] Un aspect de la compétence de la présente cour qui est reconnu est que la Cour n’a pas compétence pour accorder une réparation en cas d’abus de procédure. Les mesures prises par le ministre sont assujetties au contrôle judiciaire de la Cour fédérale. À mon avis, la reconnaissance de la compétence de la Cour aux fins de l’octroi de réparations convenables et justes en vertu de l’article 24 en l’espèce ne constitue pas une invitation faite à la Cour d’étendre sa compétence aux cas d’abus de procédure. Je ne suis pas ici saisi d’une affaire d’abus de procédure, mais de l’application et de l’effet d’une disposition précise de la LIR et du Règlement. Il s’agit de savoir si la distinction qui a été faite dans l’arrêt Schachter s’applique. Dans l’affirmative, l’application du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle ou de l’article 24 de la Charte est nécessairement déclenchée. Dans ce dernier cas, il convient d’examiner les mesures prises par le ministre même si la chose peut être considérée comme équivalant à un contrôle judiciaire de ces mesures.

[18] [1992] 2 R.C.S. 10.

[19] Pièce A‑10. [TRADUCTION] « Il est par les présentes confirmé que les cotisations ont été établies conformément aux dispositions de l’article 122.6 de la Loi de l’impôt sur le revenu et de l’article 6301 du Règlement pour le motif que [l’appelant] n’[est] pas le particulier admissible à la prestation fiscale canadienne pour enfants pour la période allant du mois d’avril 1997 au mois d’avril 1999. » Il n’est pas fait mention de l’article 6302 du Règlement.

[20] [1999] 1 R.C.S. 497, aux pages 548 et 549.

[21] Law, à la page 509, par. 6.

[22] Madame la juge McLachlin dans Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418, au par. 132, tel qu’il est cité dans l’arrêt Law, au par. 38.

[23] [1993] 2 R.C.S.872.

[24] Dans l’arrêt Symes c. La Reine, [1993] 4 R.C.S. 695, à la page 828, le rapport de la Commission sur l’égalité en matière d’emploi, de Rosalie Abella (maintenant juge à la Cour suprême du Canada), est cité dans l’avis exprimé en dissidence par la juge L’Heureux‑Dubé, auquel a souscrit la juge McLachlin (tel était alors son titre) : « Selon le droit canadien, il incombe aux deux parents de prendre soin des enfants. Toutefois, selon la coutume, c’est la mère qui s’est toujours vu attribuer cette responsabilité. » Je reconnais que c’est la « coutume » et non des éléments émotionnels ou d’autres influences sur la « nature » d’une personne qui constitue le fondement de la concordance entre la présomption se rapportant au rôle parental de la femme et le rôle que les femmes ont réellement dans les familles canadiennes.

[25] Un examen des énoncés téléologiques est effectué dans l’arrêt Law, aux pages 524 à 531.

[26] Voir Law, à la page 528, par. 48.

[27] Voir Law, à la page 535, par. 64.

[28] Voir Law, à la page 530, par. 53.

[29] [2003] 1 R.C.S. 835.

[30] Dans l’arrêt Trociuk, en concluant que la disposition contestée violait la Charte, la cour a tenu compte de dispositions législatives modificatives accordant un recours aux pères non reconnus. Une mère ou un père pouvait demander une ordonnance de déclaration de paternité et demander à être reconnu comme parent dans le cadre des procédures visant à donner un nom à l’enfant. En pratique, une telle disposition modifiée pourrait avoir pour effet d’obliger le père à prendre des mesures procédurales additionnelles importantes pour venir à bout du refus de la mère de le reconnaître, mais la Cour n’a pas examiné la question étant donné que la nouvelle législation n’était pas en cause dans cette affaire.

[31] Aux par. 15 et 21.

[32] Voir Law, au par. 88.

[33] Voir le renvoi 16.

[34] Au par. 20.

[35] L’appelant a soumis un article intitulé « Les pères au foyer » de Katherine Marshall publié dans le Catalogue no 75‑0001-XPE de Statistique Canada, printemps 1998, Perspective, page 9. À la suite d’un sondage sur la main‑d’oeuvre, il a été constaté que dans les familles composées d’un mari et de sa femme où il n’y avait qu’un seul soutien économique, un pour cent seulement des familles avaient un père qui restait au foyer en 1976, comparativement à 6 p. 100 en 1997. Les statistiques de 1997 montraient que, lorsque les pères restaient au foyer, la possibilité qu’il y ait des enfants d’âge préscolaire (40 p. 100) était moindre que dans le cas des mères restant au foyer (59 p. 100). Les données régionales et professionnelles fournissaient des précisions. D’autres rapports soumis par l’appelant tendaient également à montrer que les pères avaient de plus en plus tendance à assumer de plus grandes responsabilités à l’égard du soin des enfants. Ainsi, dans un article du Daily du 21 mars 2003, publié en direct par Statistique Canada, on notait qu’en l’an 2000, 3 p. 100 seulement des pères demandaient des congés parentaux payés. En 2001, cette proportion avait plus que triplé pour passer à 10 p. 100. Les pièces produites par l’intimée comprenaient également un certain nombre de rapports de Statistique Canada. Contrairement aux pièces produites par l’appelant, aucun de ces rapports ne portait strictement sur les pères restant au foyer, mais ces rapports étayaient clairement l’idée selon laquelle ce sont en réalité les femmes qui sont les principaux fournisseurs de soins. Ainsi, dans le Projet des groupes cibles de Femmes au Canada : chapitre sur le travail, mise à jour, catalogue no 89 F0133XIE du mois d’août 2001, il était signalé qu’en l’an 2000, 15 p. 100 des femmes qui travaillaient à temps partiel affirmaient ne pas travailler à plein temps parce qu’elles s’occupaient de leurs enfants, alors que 2 p. 100 seulement des hommes qui travaillaient à temps partiel donnaient une raison similaire. Il y avait sept fois plus de femmes âgées de plus de 45 ans qui travaillaient à temps partiel. Toutefois, les variables sont ici trop nombreuses pour qu’il soit possible de faire des inférences fiables : mentionnons notamment l’âge, l’état civil, le revenu. Par conséquent, même si j’accepte le tableau général qui est dépeint dans les pièces de l’appelant, je ne dispose d’aucun élément de preuve digne de foi me permettant d’apprécier la concordance entre la présomption contestée et la réalité à laquelle font face les familles à faible revenu et, fait plus important, les répercussions que la radiation de la présomption aurait pour les mères ou leurs enfants. Les effets discriminatoires peuvent être appréciés par la magistrature même en l’absence de statistiques rigoureuses ou d’une preuve d’expert, mais dans ce cas‑ci, il aurait été utile de disposer d’un plus grand nombre d’éléments de preuve en vue de remédier à la discrimination reprochée et de décider de la réparation à accorder à l’appelant.

[36] Comme il en a été fait mention, j’ai reconnu que la concordance entre la présomption contestée et les femmes en tant que fournisseurs de soins est attribuable à la coutume plutôt qu’à la capacité.

[37] Canada (P.G.) c. Lesiuk, [2003] A.C.J. no 1 (C.A.F.), au par. 49; Gosselin, précité, au par. 62.

[38] Ce qui est ironique, c’est que bien que les pères qui restent au foyer, en tant que groupe, puissent contribuer à remédier aux désavantages que les femmes ont toujours connus, il est soutenu que ces pères peuvent être victimes de discrimination, de façon à remédier aux désavantages que connaissent les femmes dont les partenaires sont moins « libérés ». À cette ironie vient s’ajouter une autre ironie : l’argument voulant que la situation défavorisée préexistante d’une femme dans notre société devrait servir de justification lorsqu’il s’agit de perpétuer des stéréotypes au sujet du rôle parental des femmes.

[39] Il existe peu d’arrêts faisant autorité à l’appui de cet énoncé et il n’en existe peut‑être même pas. Les dispositions typiquement discriminatoires pour lesquelles il existe une « justification » sont justifiées en vertu de l’article premier de la Charte, qui prévoit que les droits garantis par la Charte « ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ». Ainsi, dans l’arrêt R. c. Nguyen, [1990] 2 R.C.S. 906, où le paragraphe 15(2) a été invoqué, la cour s’est fondée sur l’article premier. Selon l’opinion exprimée en dissidence par la juge McLachlin, le paragraphe 15(2) vise à mettre fin au débat sur les programmes de promotion sociale. La présomption en faveur des mères, qui vise à assurer le paiement rapide de sommes destinées au soin des enfants, ne peut pas être considérée comme étant fondée sur un programme de promotion sociale. Quoi qu’il en soit, aucun élément de preuve n’a été présenté et aucun argument n’a été soumis au sujet de l’article premier ou du paragraphe 15(2) de la Charte en vertu desquels la charge de la preuve incombe à la Couronne. Dans la réponse, l’article premier de la Charte est invoqué, mais cela n’est pas suffisant. Je pourrais inviter l’intimée à mieux défendre l’intégrité du programme de PFCE tel qu’il a été formulé et à présenter des arguments au sujet de l’effet et de l’application du paragraphe 15(2) et de l’article premier de la Charte, ou lui demander de le faire. Toutefois, il n’est ni nécessaire ni approprié de le faire. L’élaboration d’une réparation convenable par suite de la violation des droits reconnus à l’appelant par la Charte en l’espèce semble possible sans chercher, en vertu de ces dispositions, une justification à l’égard des dispositions contestées.

[40] Law c. Canada, précité, au par. 74.

[41] Un examen des exceptions constitutionnelles figure dans l’ouvrage intitulé « The Charter of Rights in Litigation », Jamal et Taylor, Canada Law Book, au par. 47:15 (5).

[42] Re Blainey and Ontario Hockey Association (1985), 21 D.L.R. (4th) 599 (H.C.J.O.) aux pages 610 et 611, inf. par (non expressément au sujet de l’article 28) (1986), 26 D.L.R. (4th) 728 (C.A.), autorisation de pourvoi refusée, [1996] 1 R.C.S. xii. Lovelace c. Ontario, [2000] 1 R.C.S. 950.

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