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Dossier : 2003-4087(EI)

ENTRE :

MARTHA V. GWYNN,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

ROBERT GWYNN s/n GWYNN'S TRUCKING & BACKHOE,

intervenant.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de Martha V. Gwynn

(2003-4088(CPP)) à Sydney (Nouvelle-Écosse), le 28 juillet 2004.

 

Devant : L’honorable G. Sheridan

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

 

Avocat de l’intimé :

Me Ronald MacPhee

 

 

Pour l’intervenant :

L’intervenant lui-même

 

 

 

JUGEMENT

 

Cet appel, qui a été interjeté conformément au paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance‑emploi, est accueilli et la décision que le ministre du Revenu national a rendue à la suite de l’appel qui avait été porté devant lui en vertu de l’article 91 de la Loi est annulée pour le motif que l’appelante exerçait un emploi assurable conformément à l’alinéa 5(1)a) de la Loi pendant la période allant du 30 décembre 2002 au 9 mai 2003, selon les motifs de jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de novembre 2004.

 

 

 

« G. Sheridan »

Juge Sheridan

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de juillet 2005.

 

 

 

Sara Tasset


 

 

 

 

Dossier : 2003-4088(CPP)

ENTRE :

MARTHA V. GWYNN,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

ROBERT GWYNN s/n GWYNN'S TRUCKING & BACKHOE,

intervenant.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de Martha V. Gwynn

(2003-4087(EI)) à Sydney (Nouvelle-Écosse), le 28 juillet 2004.

 

Devant : L’honorable G. Sheridan

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

 

Avocat de l’intimé :

Me Ronald MacPhee

 

 

Pour l’intervenant :

L’intervenant lui-même

 

 

JUGEMENT

 

L’appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée selon les motifs de jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de novembre 2004.

 

« G. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de juillet 2005.

 

 

 

Sara Tasset


 

 

 

 

Référence : 2004CCI579

Date : 2004-11-25

Dossiers : 2003-4087(EI)

2003-4088(CPP)

ENTRE :

MARTHA V. GWYNN,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

ROBERT GWYNN s/n GWYNN'S TRUCKING & BACKHOE,

intervenant.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Sheridan

 

[1]     L’appelante, Martha Gwynn, interjette appel des décisions rendues par le ministre du Revenu national en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi et du Régime de pensions du Canada. Les appels ont été entendus ensemble sur preuve commune. Il n’est pas contesté que l’emploi de Mme Gwynn ouvrait droit à pension en vertu de l’alinéa 6(1)a) du Régime de pensions du Canada (le « Régime »); par conséquent, l’appel interjeté par l’appelante en vertu du Régime est rejeté.

 

[2]     Quant à l’appel interjeté en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi, même s’il admet que Mme Gwynn exerçait, du 30 décembre 2002 au 9 mai 2003, en vertu d’un contrat de louage de services, un emploi auprès de son mari, Robert Gwynn, l’intervenant, qui exploitait une entreprise sous le nom de Gwynn’s Trucking & Backhoe, le ministre prend la position selon laquelle le travail effectué par l’appelante n’était pas assurable : en sa qualité d’épouse de l’employeur, Mme Gwynn est réputée, en vertu de la Loi, avoir exercé un emploi « exclu » à moins que le ministre ne soit convaincu qu’un employé sans lien de dépendance n’aurait pas travaillé en vertu d’un contrat de travail « à peu près semblable »[1]. Le ministre n’était pas convaincu de la chose et Mme Gwynn interjette appel de cette décision.

 

[3]     En 1991, Robert Gwynn s’est lancé dans les affaires; l’entreprise était exploitée sous le nom de Gwynn’s Trucking & Backhoe. À ce moment‑là, Mme Gwynn travaillait 60 heures par semaine au ministère provincial de la Voirie, comme préposée chargée de diriger la circulation, moyennant une rémunération horaire de huit dollars. Étant donné qu’il avait besoin de quelqu’un pour l’aider dans sa nouvelle entreprise, M. Gwynn a offert à sa femme un salaire de 1 045 $, payable tous les quinze jours, ce montant étant basé sur une semaine de travail de 55 heures, au taux de neuf dollars l’heure. Mme Gwynn a accepté l’offre et a quitté son emploi. Dans le cadre de son nouveau travail, elle était chargée des travaux de secrétariat (elle répondait aux appels des clients et elle s’occupait de la paie et de la tenue de livres ainsi que des opérations bancaires) et elle conduisait le camion de service (elle allait chercher les pièces et, au besoin, elle s’occupait de l’enlèvement de la neige). Elle travaillait depuis un bureau, dans la résidence des Gwynn, à Dingwall (Nouvelle‑Écosse). Le bureau à domicile était muni d’un téléphone, d’un télécopieur, d’une imprimante et d’un ordinateur et de fournitures de bureau.

 

[4]     L’entreprise est exploitée toute l’année, mais elle est de nature saisonnière, et la plupart des recettes sont générées pendant l’hiver, à l’aide de contrats d’enlèvement de la neige conclus avec des entreprises et des organisations locales, ainsi qu’avec des particuliers « en fonction de leurs besoins ». Pendant l’été, Gwynn’s Trucking & Backhoe n’a essentiellement qu’un seul client, le ministère provincial de la Voirie, pour lequel M. Gwynn transporte des matériaux servant à la construction des routes. Pendant cette période, Mme Gwynn a beaucoup moins de tâches à accomplir. L’entreprise avait l’habitude d’accumuler le peu de travail de bureau qu’il y avait à faire pendant l’été pour que Mme Gwynn [TRADUCTION] « se rattrape » lorsque les activités reprenaient pendant l’hiver.

 

[5]     La municipalité de Dingwall, où l’entreprise est située, est une petite ville de la Nouvelle‑Écosse qui n’est pas en mesure de répondre complètement aux besoins d’affaires de Gwynn’s Trucking & Backhoe : pour aller à la banque, Mme Gwynn devait se rendre en voiture jusqu’à la communauté suivante, située à une quarantaine de kilomètres; pour acheter des pièces, elle devait aller à Sydney, à près de 300 kilomètres de Dingwall. Pour ces voyages, Mme Gwynn utilisait le camion de service, un véhicule qui était muni d’un chasse‑neige.

 

[6]     Il s’agit ici de savoir si Mme Gwynn a exercé un emploi assurable entre le 30 décembre 2002 et le 9 mai 2003. Le ministre reconnaît que Mme Gwynn était une employée régie par un contrat de louage de services conclu avec Gwynn’s Trucking & Backhoe, mais il soutient que le travail de Mme Gwynn était exclu de la définition de l’emploi assurable parce que Mme Gwynn et M. Gwynn avaient entre eux un lien de dépendance et que Mme Gwynn n’aurait pas conclu un contrat « à peu près semblable » avec une personne sans lien de dépendance. En tirant cette conclusion, le ministre a émis certaines hypothèses; seuls les alinéas d), g), i), j), k) et l) sont contestés par l’appelante. En se fondant sur ces hypothèses, l’intimé a soutenu ce qui suit dans sa réponse à l’avis d’appel :

 

1.       Les tâches de Mme Gwynn n’étaient pas suffisamment lourdes pour justifier une semaine de travail de 55 heures;

 

2.       Mme Gwynn accomplissait parfois ses tâches, et en particulier les opérations bancaires, sans être rémunérée;

 

3.       Mme Gwynn ne touchait pas de paie de vacances.

 

Tout cela était suffisant pour convaincre le ministre que le contrat de travail de Mme Gwynn n’était pas un contrat que M. Gwynn aurait conclu avec une personne sans lien de dépendance.

 

[7]     Il incombe à Mme Gwynn de réfuter la position prise par le ministre. Mme Gwynn et M. Gwynn ont tous deux témoigné à l’audience. Leurs dépositions étaient crédibles et montraient qu’un grand nombre des hypothèses contestées étaient inexactes ou incomplètes. Toutefois, avant d’examiner l’effet de cette conclusion, il faut examiner l’approche que la Cour doit adopter en décidant si le ministre a exercé de la façon appropriée le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré à l’alinéa 5(3)b) de la Loi. L’avocat de l’intimé a référé la Cour aux arrêts Tignish Auto Parts Inc. c. M.R.N.[2] et Canada (P.G.). c. Jencan Ltd.[3], dans lesquels la Cour d’appel fédérale a statué qu’un appel interjeté en vertu de l’alinéa 5(3)b) comporte une analyse à deux étapes : en premier lieu, il faut décider si le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d’une façon appropriée; et ce n’est que lorsque la Cour conclut que le ministre n’a pas exercé son pouvoir d’une façon appropriée qu’elle décide ensuite si, compte tenu de toutes les circonstances énoncées dans la Loi, il était raisonnable de conclure que le contrat de travail conclu entre l’employeur et l’employé liés était à peu près semblable à un contrat que des personnes sans lien de dépendance auraient conclu. Toutefois, dans un arrêt plus récent[4], la juge Sharlow a signalé qu’il faut adopter une nouvelle approche en décidant si un pouvoir discrétionnaire ministériel est exercé de la façon appropriée :

 

[6]        Ayant étudié attentivement les allégations des avocats et les motifs au soutien de la décision du juge de la Cour de l'impôt, nous sommes tous de l'avis que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur de droit en tirant sa conclusion. En particulier, il n'a pas tenu compte des directives de cette Cour dans les arrêts Légaré c. Le ministre du Revenu National (1999), 246 N.R. 176, [1999] A.C.F. no 878 (QL) (C.A.F.), et Pérusse c. Canada (Le ministre du Revenu National) (2000), 261 N.R. 150, [2000] A.C.F. no 310 (QL) (C.A.F.). Ces arrêts se démarquent de décisions plus anciennes en ce qui a trait à la définition du rôle de la Cour de l'impôt en matière d'appels de décisions ministérielles aux termes de l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23.

 

[8]     Dans l’arrêt Pérusse c. M.R.N.[5], la Cour d’appel fédérale a mentionné la procédure énoncée dans l’arrêt Légaré :

 

[14]      En fait, le juge agissait dans le sens que plusieurs décisions antérieures pouvaient paraître prescrire. Mais cette Cour, dans une décision récente [Légaré], s'est employée à rejeter cette approche, et je me permets de citer ce que j'écrivais alors à cet égard dans les motifs soumis au nom de la Cour :

 

 

La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire.  L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés.  Et la détermination du ministre n'est pas sans appel.  La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés.  La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre:  c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre.  Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était "convaincu" paraît toujours raisonnable.

 

[15]     Le rôle du juge d'appel n'est donc pas simplement de se demander si le ministre était fondé de conclure comme il l'a fait face aux données factuelles que les inspecteurs de la commission avaient pu recueillir et à l'interprétation que lui ou ses officiers pouvaient leur donner.  Le rôle du juge est de s'enquérir de tous les faits auprès des parties et des témoins appelés pour la première fois à s'expliquer sous serment et de se demander si la conclusion du ministre, sous l'éclairage nouveau, paraît toujours "raisonnable" (le mot du législateur).  La Loi prescrit au juge une certaine déférence à l'égard de l'appréciation initiale du ministre et lui prescrit, comme je disais, de ne pas purement et simplement substituer sa propre opinion à celle du ministre lorsqu'il n'y a pas de faits nouveaux et que rien ne permet de penser que les faits connus ont été mal perçus.  Mais parler de discrétion du ministre sans plus porte à faux.                                                                                                                                       [Je souligne.]

 

[9]     J’ai exercé ma fonction judiciaire de la façon préconisée ci‑dessus et, en ce qui concerne les faits de l’espèce, je suis convaincue que des [TRADUCTION] « faits nouveaux » et des [TRADUCTION] « faits qui avaient été mal perçus » par le ministre ont été révélés à l’audience. L’agent d’enquête était un certain « D. Williams » dont le rapport était apparemment fondé, parmi d’autres sources non divulguées, sur des conversations téléphoniques avec les Gwynn et sur les réponses données dans le questionnaire type du ministère. « D. Williams » n’a pas été cité pour témoigner à l’audience. Je retiens les témoignages non contredits des Gwynn selon lesquels ils ne savaient pas trop ce que l’on exigeait d’eux et qu’ils ont été frustrés, dans les efforts qu’ils avaient faits en vue d’expliquer leur cas, par la nature rigide et impersonnelle du questionnaire et des conversations téléphoniques. Les renseignements fournis au ministre étaient donc incomplets.

 

[10]    À l’audience, il est devenu évident à mes yeux que M. et Mme Gwynn travaillent tous deux avec acharnement en vue de gagner leur vie dans une région du pays où il peut être difficile de le faire. Le ministre lui‑même admet que Mme Gwynn effectuait le travail pour lequel elle était rémunérée. Cependant, compte tenu des renseignements restreints et peu dignes de foi dont il disposait, il a conclu que Mme Gwynn n’effectuait pas vraiment les heures alléguées; en d’autres termes, Mme Gwynn occupait auprès de Gwynn’s Trucking & Backhoe un poste théorique comme réceptionniste, préposée à la tenue de livres et chauffeur de camion, ce qui permettait à M. Gwynn, par l’entremise de Gwynn’s Trucking & Backhoe, d’avoir recours à un genre de stratagème en vue de partager le revenu.

 

[11]    Compte tenu de la preuve mise à ma disposition, je ne crois pas que la décision du ministre soit justifiée. Je retiens le témoignage de Mme Gwynn, à savoir que la rémunération de 1 045 $ qu’elle touchait tous les quinze jours était basée sur une semaine de travail de 55 heures, au taux horaire de 9,50 $, et ce, peu importe le nombre d’heures réellement effectuées. Ce montant était en fait un « salaire » plutôt qu’un taux horaire calculé chaque mois en fonction des heures consignées. M. Gwynn a témoigné être arrivé à ce salaire en tenant compte de la rémunération que sa femme touchait antérieurement comme préposée chargée de diriger la circulation (60 heures par semaine à huit dollars l’heure). En exprimant le revenu proposé en des termes comparables, M. Gwynn permettait à sa femme de comparer les deux revenus en vue d’être en mesure de décider si elle devait quitter son emploi de préposée chargée de diriger la circulation afin de travailler chez Gwynn’s Trucking & Backhoe. M. Gwynn a admis que, tant que la demande de prestations d’emploi de sa femme n’a pas été contestée, il ne s’était jamais arrêté à la distinction juridique subtile qui existe entre un « salaire » et un « traitement ». Or, le ministre ne disposait pas des renseignements voulus.

 

[12]    Le ministre n’avait pas non plus une idée complète de la nature des tâches de Mme Gwynn. En sa qualité de réceptionniste, Mme Gwynn devait être disponible pour répondre aux demandes d’enlèvement de la neige qui lui étaient faites après chaque tempête; normalement, cela voulait dire qu’elle devait accomplir cette tâche tôt le matin; en effet, la plupart des clients voulaient que la neige soit enlevée en temps voulu pour qu’ils puissent se rendre au travail ou à l’école ce jour‑là. Toutefois, compte tenu des caprices du temps et des besoins individuels des gens, le moment où de telles demandes étaient faites et le nombre de demandes variaient. Le seul élément constant était qu’il fallait répondre aux appels lorsqu’ils étaient faits et aussi souvent qu’ils étaient faits, et ce, peu importe le nombre d’heures déjà effectuées par Mme Gwynn ce jour‑là. Lorsque le temps se mettait au beau, les affaires tournaient au ralenti et l’horaire de Mme Gwynn était moins chargé.

 

[13]    Un autre facteur imprévisible et tout aussi contraignant se rapportait à la nécessité d’assurer le bon fonctionnement du matériel d’enlèvement de la neige. Ainsi, M. Gwynn a expliqué que le contrat qu’il avait conclu avec les autorités scolaires exigeait que la neige soit enlevée dans un délai donné, à défaut de quoi il était responsable de ce qu’il en coûtait à celles‑ci pour trouver un remplaçant. En cas de panne, il incombait à Mme Gwynn d’obtenir des pièces de rechange en temps opportun. Cela voulait souvent dire que Mme Gwynn devait se rendre avant l’aube, dans le camion de service, à Sydney, soit l’endroit le plus proche où les réparations pouvaient être effectuées; or, cette ville était située à trois heures de Dingwall.

 

[14]    Les tâches de Mme Gwynn, pour ce qui est du camion de service (muni d’un chasse‑neige), ne s’arrêtaient pas là. En plus d’aller chercher des pièces, Mme Gwynn utilisait le camion pour enlever la neige, selon la demande. En fin de compte, Mme Gwynn a consacré plus de temps que d’habitude à cette tâche pendant la période en question parce que, pendant une bonne partie du temps, son mari était hospitalisé à cause de complications liées au diabète. Les renseignements dont disposait le ministre ne comprenaient pas tous les détails se rapportant à cet aspect des tâches de Mme Gwynn.

 

[15]    Le temps que Mme Gwynn consacrait aux opérations bancaires était également contesté. Selon son témoignage, que je retiens, Mme Gwynn devait se rendre en voiture à la banque, habituellement toutes les deux semaines; or la banque était située à une quarantaine de kilomètres de Dingwall. Je rejette la position prise par l’intimé, lorsque celui affirme que le fait que Mme Gwynn avait déposé, sans être rémunérée, certaines sommes au nom de Gwynn’s Trucking & Backhoe l’été suivant avait des incidences négatives sur la validité de cette tâche pendant la période en question. Selon la preuve soumise par les Gwynn, il fallait beaucoup moins souvent aller à la banque pendant l’été lorsque les affaires tournaient au ralenti. En outre, Mme Gwynn a témoigné qu’elle devait vaquer à ses propres affaires à la banque même (à une distance d’environ 40 kilomètres) où l’entreprise avait son compte. Quant à M. Gwynn, il ne pouvait pas aller à la banque en été parce qu’il travaillait toute la journée sur les routes. Dans ces conditions, et dans le contexte d’une entreprise familiale, il serait absurde de s’attendre à ce que Mme Gwynn refuse de déposer à l’occasion un chèque pour son mari, en sa qualité d’exploitant de Gwynn’s Trucking & Backhoe. Il me semble qu’en tentant d’appliquer les critères prévus par la loi en pareil cas, les fonctionnaires oublient parfois les réalités des petites entreprises familiales. Les entreprises de ce genre sont à la base même de l’économie canadienne. La Cour doit toujours faire preuve de vigilance lorsqu’il s’agit d’assurer le respect des exigences de la loi, mais elle ne doit pas interpréter les dispositions législatives de façon à nuire à l’efficacité de l'entreprise ou à l’harmonie familiale.

 

[16]    Le dernier aspect des tâches de Mme Gwynn se rapporte à la tenue de livres et à la paie. Mme Gwynn se consacrait à ces tâches après être allée chercher les pièces ou après avoir enlevé la neige et lorsqu’elle n’avait pas à répondre au téléphone. Je ne tire aucune conclusion défavorable au sujet du fait que, pendant le contre‑interrogatoire, Mme Gwynn a avoué qu’il lui arrivait parfois de [TRADUCTION] « faire une brassée de lavage » pendant qu’elle s’occupait de la tenue de livres dans le bureau à domicile. Mme Gwynn s’occupait de la paie deux fois par mois et elle s’occupait des factures chaque mois. M. Gwynn a témoigné qu’il avait besoin de quelqu’un pour l’aider à effectuer le travail de bureau parce qu’il n’avait pas l’expertise voulue. Et même s’il avait pu exécuter ce travail, il n’avait pas le temps de le faire parce que l’enlèvement de la neige prenait tout son temps. M. Gwynn a déclaré croire que son épouse faisait [TRADUCTION] « un travail exceptionnel pour une femme qui avait elle‑même assuré sa formation » en matière de comptabilité et d’informatique. Je souscris à cet avis.

 

[17]    Je suis convaincue que, selon la prépondérance des probabilités, pendant la période allant du 30 décembre 2002 au 9 mai 2003, Mme Gwynn s’acquittait comme il se doit de ses tâches de réceptionniste, de préposée à la tenue de livres et de chauffeur de camion, de la même façon et dans la même mesure qu’un employé sans lien de dépendance l’aurait fait. Le ministre, qui ne connaissait pas tous les faits lorsqu’il est arrivé à sa décision, a exercé son pouvoir discrétionnaire d’une façon inappropriée. Compte tenu de la preuve présentée à l’audience, Mme Gwynn a réussi à établir que le ministre avait conclu à tort que M. Gwynn et une personne sans lien de dépendance n’auraient pas conclu entre eux un contrat « à peu près semblable ».

 

[18]    Avant de terminer, je tiens à ajouter qu’à l’audience l’avocat de l’intimé a semblé laisser entendre que la demande de prestations d’assurance-emploi devait être rejetée parce que les tâches que Mme Gwynn accomplissait en vertu du contrat de travail qu’elle avait conclu avec Gwynn’s Trucking & Backhoe étaient trop lourdes pour un contrat « sans lien de dépendance » au sens de la Loi. Or, ce n’est pas ce sur quoi le ministre a fondé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, tel que ce fondement est énoncé dans la réponse à l’avis d’appel; de fait, cette prétention va tout à fait à l’encontre de l’argument invoqué dans cette réponse, à savoir que les tâches de Mme Gwynn n’étaient pas suffisamment lourdes. Je ne suis pas du tout convaincue qu’il était loisible à l’intimé d’invoquer un tel argument, mais s’il pouvait le faire, il n’existe aucun élément de preuve sur lequel cette position (apparemment) subsidiaire peut être avec raison fondée. Dans le contexte d’une petite entreprise familiale exploitée dans une région rurale du pays, où il est souvent difficile de trouver un emploi, quel qu’il soit, je suis convaincue que les tâches de Mme Gwynn se situaient bien dans les limites de ce à quoi on peut avec raison s'attendre d'un employé sans lien de dépendance et dans les limites des tâches que pareil employé accepterait d'effectuer.

 

[19]    Pour les motifs susmentionnés, la Cour conclut que Mme Gwynn exerçait un emploi assurable pour la période allant du 30 décembre 2002 au 9 mai 2003. L’appel interjeté en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi est accueilli et la décision du ministre est annulée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de novembre 2004.

 

 

« G. Sheridan »

Juge Sheridan

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de juillet 2005.

 

 

 

Sara Tasset


 

ANNEXE

 

Le paragraphe 5(1) de la Loi sur l’assurance‑emploi est rédigé comme suit :

 

Sens de « emploi assurable »

5. (1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

 

a) l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

 

[...]

 

Restriction

 

(2) N’est pas un emploi assurable :

 

[...]

 

i) l’emploi dans le cadre duquel l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance.

 

[...]

 

Personnes liées

 

(3) Pour l’application de l’alinéa (2)i) :

 

[...]

 

b) l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

Les passages pertinents de l’article 251 de la Loi de l’impôt sur le revenu sont rédigés comme suit :

 

251 (1) Lien de dépendance – Pour l’application de la présente loi :

 

a) des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

 

[...]

 

(2) Définition de « personnes liées » -- Pour l’application de la présente loi, sont des « personnes liées » ou des personnes liées entre elles:

 

a) des particuliers unis par les liens du sang, du mariage, de l’union de fait [...]


 

 

RÉFÉRENCE :

2004CCI579

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :

2003-4087(EI)

2003-4088(CPP)

 

INTITULÉ :

Martha V. Gwynn c. M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Sydney (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 juillet 2004

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable G. Sheridan

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 25 novembre 2004

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

 

Avocat de l’intimé :

 

Pour l’intervenant :

Me Ronald MacPhee

 

L’intervenant lui-même

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelante :

 

Nom :

 

 

Cabinet :

 

 

Pour l’intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] Voir l’appendice joint à ces motifs de jugement en ce qui concerne les dispositions législatives pertinentes.

[2] [1994] A.C.F. no 1130 (C.A.F.)

[3] [1998] 1 C.F. 187 (C.A.F.)

[4] Valente c. M.R.N. [2003] A.C.F. no 418 (C.A.F.)

[5] [2000] A.C.F. no 310 (C.A.F.)

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