Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Dossier : 2004-433(IT)I

ENTRE :

CLÉMENT JODOIN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

et

 

MARIE-CLAUDE NOËL,

partie jointe.

 

 

Appel entendu le 2 septembre 2004, à Montréal (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Pierre Archambault

 

Comparutions :

 

Avocate de l'appelant :

MLysane Tougas

 

Avocate de l'intimée :

Me Stéphanie Côté

 

 

Pour la partie jointe :

la partie jointe elle-même

 

 

JUGEMENT

 

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard de l'année d'imposition 2001 est accueilli et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant pour acquis que monsieur Jodoin a droit, dans le calcul de son revenu, à la déduction de la pension alimentaire de 8 352 $ qu'il a payée. Monsieur Jodoin et madame Noël sont tous les deux liés par cette décision selon laquelle la pension alimentaire versée en vertu du jugement de divorce du 17 mars 1997 doit être incluse dans le revenu de madame Noël, c'est à dire 8 352 $ pour l'année d'imposition 2001 et 8 689 $ pour l'année 2002, et selon laquelle la pension alimentaire de 8 689 $ versée pour l'année 2002 peut être déduite par monsieur Jodoin. Monsieur Jodoin a droit à ses dépens, déterminés selon les règles de la Cour mais payables uniquement par l'intimée.

 

La Cour ordonne également que les articles 18.14, 18.15 et 18.23 à 18.27, ainsi que le paragraphe 18.22(3) de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt s'appliquent à la décision sur les questions formulées au paragraphe 3 de la demande, tel qu'il est prévu à l'article 18.33 de ladite loi.

 

          Le tout selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de novembre 2004.

 

 

« Pierre Archambault »

Juge Archambault


 

 

 

 

Référence : 2004CCI708

Date : 20041108

Dossier : 2004-433(IT)I

ENTRE :

CLÉMENT JODOIN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

et

 

MARIE-CLAUDE NOËL,

partie jointe.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Pierre Archambault

 

[1]     À la suite à la requête en renvoi présentée sous le régime de l'article 174 de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi), madame Marie‑Claude Noël a été jointe à l'appel de monsieur Clément Jodoin relatif à l'année d'imposition 2001. Ces deux contribuables seront liés par la décision de ce tribunal quant à leur cotisation d'impôt sur le revenu non seulement pour l'année d'imposition 2001, mais également pour 2002. La question que le tribunal doit décider ici est de savoir si monsieur Jodoin avait le droit de déduire de son revenu, et si madame Noël était tenue d'inclure dans son revenu, pour chacune de ces deux années d'imposition le montant de pension alimentaire versé par lui à elle au bénéfice de leur fils Yoan.

 

[2]     Au début de l'audience, les parties ont admis les faits suivants :

4.         De l'union de Clément Jodoin et Marie-Claude Noël est né un enfant se prénommant Yoan.

 

5.         Clément Jodoin et Marie-Claude Noël se sont divorcés le 17 mars 1997.

 

6.         Le 30 août 1996, suivant une convention sur mesures accessoires (ci-après « convention ») intervenue entre Clément Jodoin et Marie‑Claude Noël, Clément Jodoin a notamment été condamné à payer à Marie-Claude Noël les montant suivants :

 

a)         300,00$ à titre de pension alimentaire hebdomadaire pour elle-même et leur enfant Yoan à compter du 30 août 1996;

 

b)         150,00$ à titre de pension alimentaire hebdomadaire pour leur enfant Yoan seulement à compter du 1er août 1997.

 

7.         Le 17 mars 1997, dans le jugement de divorce intervenu entre Clément Jodoin et Marie-Claude Noël, le juge Robert Legris a entériné et donné force exécutoire à la convention intervenue le 30 août 1996 entre Clément Jodoin et Marie‑Claude Noël. Le juge Legris a de plus ordonné aux parties de se conformer à ladite convention.

 

8.         Clément Jodoin a réclamé une déduction dans ses déclarations de revenus produites pour les années d'imposition 2001 et 2002 au titre de la pension alimentaire qu'il a payée à Marie-Claude Noël pour le bénéfice de Yoan, au cours des années d'imposition 2001 et 2002.

 

9.         Marie-Claude Noël n'a inclus aucun montant dans ses déclarations de revenus produites pour les années d'imposition 2001 et 2002, à titre de la pension alimentaire qu'elle a reçue de Clément Jodoin pour le bénéfice de Yoan, au cours des années d'imposition 2001 et 2002.

10.       Par une nouvelle cotisation en date du 27 février 2003 établie à l'égard de Clément Jodoin pour l'année d'imposition 2001, le ministre du Revenu national (ci-après « le ministre ») lui a refusé une déduction au montant de 8 352,00$ à titre de pension alimentaire payée à Marie‑Claude Noël pour le bénéfice de Yoan.

 

11.       Le 13 mars 2003, Clément Jodoin a signifié un avis d'opposition au ministre à l'égard de l'année d'imposition 2001.

 

12.       Par une nouvelle cotisation en date du 5 juin 2003 établie à l'égard de Marie-Claude Noël pour l'année d'imposition 2002, le ministre a ajouté au revenu de Marie-Claude Noël la somme de 8 689,00$ reçue de Clément Jodoin à titre de pension alimentaire pour le bénéfice de Yoan au cours cette année d'imposition.

 

13.       Le 11 juin 2003, Marie-Claude Noël a signifié un avis d'opposition au ministre à l'égard de l'année d'opposition [sic] 2002.

 

14.       Par une nouvelle cotisation en date du 5 septembre 2003 établie à l'égard de Marie-Claude Noël pour l'année d'imposition 2001, le ministre a ajouté au revenu de Marie‑Claude Noël la somme de 8 352,00$ reçue de Clément Jodoin à titre de pension alimentaire pour le bénéfice de Yoan au cours de cette année d'imposition.

 

15.       Le 25 novembre 2003, Marie-Claude Noël a signifié un avis d'opposition au ministre à l'égard de l'année d'opposition [sic] 2001.

 

16.       Le 12 décembre 2003, le ministre a confirmé la nouvelle cotisation établie à l'égard de Clément Jodoin pour l'année d'imposition 2001.

 

17.       Le 3 février 2004, Clément Jodoin a déposé un avis d'appel au greffe de la Cour canadienne de l'impôt à l'égard de l'année d'imposition 2001.

 

[3]     Chacun des parents de Yoan a témoigné pour raconter les circonstances entourant la négociation de la convention intervenue le 30 août 1996. Selon monsieur Jodoin, madame Noël travaillait pour son entreprise au moment de la rupture de leurs relations matrimoniales. Pour laisser le temps à cette dernière de se trouver un nouvel emploi, monsieur Jodoin a convenu de lui verser une somme de 150 $ par semaine pendant une période d'un an. De plus, les 150 $ qui étaient payables pour Yoan à compter du 1er août 1997, soit 11 mois après la signature de la convention, devaient être déductibles dans le calcul du revenu de monsieur Jodoin.

 

[4]     Après avoir signé cette convention, les parties ont tenté, mais sans succès, de se réconcilier et de reprendre la vie commune. Sur les conseils de son avocat, monsieur Jodoin a fait entériner par la Cour supérieure la convention du 30 août 1996 avant l'entrée en vigueur des nouvelles règles (nouvelles règles) pour défiscaliser les pensions alimentaires versées au bénéfice des enfants. La Cour supérieure l'a entérinée dans son jugement de divorce en date du 17 mars 1997.

 

[5]     Selon monsieur Jodoin, jamais il n'aurait consenti à verser la somme de 150 $ si elle n'avait pas été déductible, car on l'avait déterminée en tenant compte de l'économie d'impôt qu'il pouvait réaliser en la déduisant. Toujours selon la version de monsieur Jodoin, madame Noël et lui ont convenu de défiscaliser cette somme le 21 juillet 2004, lorsque la Cour supérieure a homologué l'entente intervenue entre eux le 19 juillet 2004 fixant à 120 $ par semaine la pension alimentaire payable au bénéfice de Yoan. Avant cette date, la pension de 150 $ fixée en 1996 représentait une somme d'environ 190 $ par suite de l'indexation selon les dispositions du jugement de divorce.

 

[6]     Madame Noël a fait une présentation des faits tout à fait différente de celle de monsieur Jodoin. Quoiqu'elle ait reconnu que celui‑ci devait lui verser une pension de 150 $ pour lui permettre de se trouver un nouvel emploi, madame Noël a insisté pour dire que la somme de 150 $ payable au bénéfice de Yoan à compter du 1er août 1997 devait être défiscalisée, à preuve, le fait que cette date est manifestement subséquente à la date de l'entrée en vigueur des nouvelles règles. Selon elle, son fils serait pénalisé s'il fallait conclure que la pension de 150 $ versée en vertu du jugement de divorce du 17 mars 1997 devait être incluse dans son revenu.

 

[7]     À l'appui de ses prétentions, madame Noël a produit une lettre de l'avocat qui l'avait représentée au mois d'août 1996 dans la négociation de la pension alimentaire en question. Dans cette lettre, qui a été envoyée par télécopieur au ministère de la Justice et qui ne porte aucune date, l'avocat de madame Noël confirme qu'il a représenté celle‑ci pour son divorce. Il affirme à la page 2 :

 

La pension alimentaire payable pour l'enfant seul à compter du 1er août 1997 avait été fixée à dessein vu qu'auparavant la pension alimentaire était payable tant pour madame que pour l'enfant sans partage du montant pour l'un ou l'autre.

 

Dans le cours que nous avions suivi et dont vous trouverez la page frontispice et les pages 4 à 5, il y était indiqué qu'un cas tel que celui sous étude que le jugement du 17 mars 1997 entrait carrément dans le cadre des 3 cas assujettis à la nouvelle loi fixant la pension alimentaire.

 

Nous attirons votre attention plus particulièrement au 2ième cas prévu à la page 5 se lisant comme suit: « Si un accord intervenu ou une ordonnance rendue avant le 1er mai 1997 prévoit, de façon spécifique, que les nouvelles règles s'appliqueront aux paiements effectués après une date déterminée, qui ne pourra être antérieure au 30 avril 1997, alors, les nouvelles [règles], à partir du 1er mai 1997 ou de la date convenue s'appliqueront à ces ordonnances ou ententes ».

 

C'est la raison pour laquelle, nous avions prévu à l'époque que la pension alimentaire serait modifiée à compter du 1er août 1997.

 

Analyse

 

[8]     Les dispositions pertinentes de la Loi sont les alinéas 56(1)b)[1] et l'alinéa 60b), ainsi que le paragraphe 56.1(4) où se trouve les définitions de « date d'exécution », de « pension alimentaire » et de « pension alimentaire pour enfants » :

 

60 Autres déductions. Peuvent être déduites dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition les sommes suivantes qui sont appropriées :

 

[...]

 

bPension alimentairele total des montants représentant chacun le résultat du calcul suivant :

 

A – (B + C)

 

où :

 

A  représente le total des montants représentant chacun une pension alimentaire que le contribuable a payée après 1996 et avant la fin de l'année à une personne donnée dont il vivait séparé au moment du paiement,

 

 

B  le total des montants représentant chacun une pension alimentaire pour enfants qui est devenue payable par le contribuable à la personne donnée aux termes d'un accord ou d'une ordonnance à la date d'exécution ou postérieurement et avant la fin de l'année relativement à une période ayant commencé à cette date ou postérieurement,

 

[...]

 

60 Other deductions. There may be deducted in computing a taxpayer's income for a taxation year such of the following amounts as are applicable:

 

 

[...]

 

(b) Support — the total of all amounts each of which is an amount determined by the formula

 

A – (B + C)

 

where

 

A   is the total of all amounts each of which is a support amount paid after 1996 and before the end of the year by the taxpayer to a particular person, where the taxpayer and the particular person were living separate and apart at the time the amount was paid,

 

B   is the total of all amounts each of which is a child support amount that became payable by the taxpayer to the particular person under an agreement or order on or after its commencement day and before the end of the year in respect of a period that began on or after its commencement day, and

 

 

[...]

 

 

56.1(4) Définitions. Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article et à l'article 56.[2]

 

« date d'exécution » Quant à un accord ou une ordonnance :

 

asi l'accord ou l'ordonnance est établi après avril 1997, la date de son établissement;

 

bsi l'accord ou l'ordonnance est établi avant mai 1997, le premier en date des jours suivants, postérieur à avril 1997 :

 

(i)  le jour précisé par le payeur et le bénéficiaire aux termes de l'accord ou de l'ordonnance dans un choix conjoint présenté au ministre sur le formulaire et selon les modalités prescrits,

 

 

(ii) si l'accord ou l'ordonnance fait l'objet d'une modification après avril 1997 touchant le montant de la pension alimentaire pour enfants qui est payable au bénéficiaire, le jour où le montant modifié est à verser pour la première fois,

 

(iii)   si un accord ou une ordonnance subséquent est établi après avril 1997 et a pour effet de changer le total des montants de pension alimentaire pour enfants qui sont payables au bénéficiaire par le payeur, la date d'exécution du premier semblable accord ou de la première semblable ordonnance,

 

(iv)  le jour précisé dans l'accord ou l'ordonnance, ou dans toute modification s'y rapportant, pour l'application de la présente loi.

56.1(4) Definitions. The definitions in this subsection apply in this section and section 56.

 

"commencement day" at any time of an agreement or order means

 

(a) where the agreement or order is made after April 1997, the day it is made; and

 

(b) where the agreement or order is made before May 1997, the day, if any, that is after April 1997 and is the earliest of

 

(i)  the day specified as the commencement day of the agreement or order by the payer and recipient under the agreement or order in a joint election filed with the Minister in prescribed form and manner,

 

(ii) where the agreement or order is varied after April 1997 to change the child support amounts payable to the recipient, the day on which the first payment of the varied amount is required to be made,

 

 

(iii)   where a subsequent agreement or order is made after April 1997, the effect of which is to change the total child support amounts payable to the recipient by the payer, the commencement day of the first such subsequent agreement or order, and

 

 

 

 

(iv)  the day specified in the agreement or order, or any variation thereof, as the commencement day of the agreement or order for the purposes of this Act.

 

« pension alimentaire » Montant payable ou à recevoir à titre d'allocation périodique pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d'enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion et, selon le cas :

 

a)  le bénéficiaire est l'époux ou le conjoint de fait ou l'ex-époux ou l'ancien conjoint de fait du payeur et vit séparé de celui-ci pour cause d'échec de leur mariage ou union de fait et le montant est à recevoir aux termes de l'ordonnance d'un tribunal compétent ou d'un accord écrit;

 

 

 

b)  le payeur est le père naturel ou la mère naturelle d'un enfant du bénéficiaire et le montant est à recevoir aux termes de l'ordonnance d'un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d'une province.

 

"support amount" means an amount payable or receivable as an allowance on a periodic basis for the maintenance of the recipient, children of the recipient or both the recipient and children of the recipient, if the recipient has discretion as to the use of the amount, and

 

(a) the recipient is the spouse or common-law partner or former spouse or common-law partner of the payer, the recipient and payer are living separate and apart because of the breakdown of their marriage or common-law partnership and the amount is receivable under an order of a competent tribunal or under a written agreement; or

 

(b) the payer is a natural parent of a child of the recipient and the amount is receivable under an order made by a competent tribunal in accordance with the laws of a province.

« pension alimentaire pour enfants »

Pension alimentaire qui, d'après l'accord ou l'ordonnance aux termes duquel elle est à recevoir, n'est pas destinée uniquement à subvenir aux besoins d'un bénéficiaire qui est soit l'époux ou le conjoint de fait ou l'ex-époux ou l'ancien conjoint de fait du payeur, soit le père ou la mère d'un enfant dont le payeur est le père naturel ou la mère naturelle.

 

[Je souligne.]

"child support amount" means any support amount that is not identified in the agreement or order under which it is receivable as being solely for the support of a recipient who is a spouse or common-law partner or former spouse or common-law partner of the payer or who is a parent of a child of whom the payer is a natural parent.

 

[9]     Il ressort de la lecture de ces dispositions de la Loi que seules les pensions alimentaires pour enfants payables à la date d'exécution ou postérieurement sont défiscalisées. Or, pour qu'il y ait une date d'exécution à l'égard d'un accord ou d'une ordonnance, il faut que cet accord ou cette ordonnance ait été établi après avril 1997, ce qui n'est pas le cas ici. Également, les nouvelles règles peuvent s'appliquer si un accord ou une ordonnance a été établi avant mai 1997 et qu'une des quatre conditions décrites aux sous‑alinéas b)(i) à (iv) de la définition de « date d'exécution » est remplie. Or, parmi ces sous‑alinéas, seuls pourraient s'appliquer ici les sous‑alinéas b)(ii) et b)(iv). Comme l'a fait valoir la procureure de monsieur Jodoin, l'ordonnance du 17 mars 1997 n'a fait l'objet d'aucune modification après le mois d'avril 1997; seul a été modifié le montant de la pension à verser. Par conséquent, je ne crois pas que le sous‑alinéa b)(ii) puisse s'appliquer en l'espèce.

 

[10]    Malgré que la procureure de l'intimée n'ait invoqué que l'argument fondé sur le sous‑alinéa b)(ii) dans sa réponse à l'avis d'appel — comme l'a relevé la procureure de monsieur Jodoin — il est quand même approprié de déterminer si le sous‑alinéa b)(iv) est applicable ici.

 

[11]    À l'appui de son argument, la procureure de l'intimée a invoqué la décision rendue dans l'affaire Dangerfield c. Canada, [2003] A.C.F. no 1930 (Q.L.). Pour résoudre le litige dans cette affaire‑là, la Cour d'appel fédérale s'est fondée sur l'approche adoptée par la même cour dans l'affaire Veilleux c. Canada, [2002] A.C.F. no 737 (Q.L.), 2002 CAF 201.

 

[12]    Dans l'affaire Veilleux, la Cour d'appel fédérale devait décider si une entente qu'une ordonnance rendait exécutoire prévoyait que le paragraphe 60.1(2)[3] de la Loi s'appliquait, de manière qu'une somme versée soit réputée une allocation périodique que le bénéficiaire pouvait utiliser à sa discrétion. La Cour a conclu qu'il n'était pas nécessaire que les numéros des paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) soient expressément mentionnés dans l'entente écrite. Dans ses motifs, le juge Létourneau écrit : « [...] il suffit qu'il apparaisse de l'accord écrit que les parties ont compris les incidences fiscales de cet accord. [...] »

 

[13]    En adoptant cette conclusion, le juge Létourneau a mentionné qu'il préférait l'approche que j'avais suivie dans Pelchat c. La Reine, 97 DTC 945, et Ferron c. La Reine, 2001 DTC 230. Dans Pelchat, comme dans Ferron, il était clair que les parties avaient convenu que les sommes versées devaient constituer des sommes imposables entre les mains du bénéficiaire et pouvaient être déduites par la personne qui versait la pension alimentaire. Par conséquent, l'objectif visé par les paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) était manifestement atteint. Toutefois, comme le mentionne le juge Létourneau dans Veilleux, il est important « qu'il apparaisse de [l'ordonnance] que les parties ont compris les incidences fiscales de cette [ordonnance] ». Jamais je n'aurais pu conclure dans Pelchat et Ferron qu'une ordonnance ou un accord écrit prévoyait que les paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) s'appliquaient s'il n'était pas ressorti de la lecture de l'ordonnance ou de l'accord écrit que les sommes seraient déductibles par le payeur et imposables pour le bénéficiaire. En effet, un des buts importants visés par le législateur en édictant que l'accord écrit ou l'ordonnance doit prévoir qu'une disposition précise de la Loi s'applique est de s'assurer que les parties ont clairement compris que leur situation sera régie par cette disposition de la Loi.

 

[14]    Les intérêts de la justice et d'une saine application des lois fiscales seraient certainement mal servis si les contribuables ne pouvaient pas connaître d'avance les incidences fiscales des opérations dans lesquelles ils se sont engagés. Il m'apparaît tout à fait essentiel que les contribuables puissent arranger leurs affaires en sachant d'avance quelles seront les incidences fiscales de leurs opérations. Il faut éviter toute interprétation de la Loi qui oblige les contribuables à avoir recours systématiquement aux tribunaux pour décider des incidences fiscales de leurs opérations. Si la Loi édicte qu'une ordonnance ou un accord écrit doit prévoir qu'une certaine disposition de la Loi s'applique, il est essentiel que l'intention de faire appliquer cette disposition ressorte clairement de l'accord ou de l'ordonnance. Si le texte de l'ordonnance ou de l'accord écrit est tel qu'on ne peut déceler cette intention, je ne crois pas qu'on puisse conclure en pareil cas que la condition édictée par la Loi a été remplie.

 

[15]    Si on applique cette approche aux faits de cette affaire, une constatation s'impose. Malheureusement pour madame Noël, le texte de la convention du 30 août 1996 ne stipule pas que la somme de 150 $ à être versée à compter du 1er août 1997 sera défiscalisée. Différentes façons auraient pu être utilisées pour préciser que cette somme devait être assujettie aux nouvelles règles. Les parties auraient pu indiquer que la somme de 150 $ ne serait pas imposable entre les mains de madame Noël et ne serait pas déductible par monsieur Jodoin à compter du 1er août 1997. Elles auraient pu stipuler que le 1er août 1997 constituerait une date d'exécution aux fins de l'application de la Loi ou que l'alinéa b)(iv) de la définition de date d'exécution au paragraphe 56.1(4) de la Loi s'appliquerait à compter de cette date. Ils auraient pu mentionner que la somme de 150 $ serait défiscalisée à compter de cette date. L'une quelconque de ces mentions aurait permis à ce tribunal de conclure que les parties avaient convenu que la somme versée par monsieur Jodoin à compter du 1er août 1997 ne devait pas être incluse dans le revenu de madame Noël.

 

[16]    Or, rien dans le libellé de la convention du 30 août 1996 ni dans le jugement de divorce qui la rend exécutoire ne me permet de conclure que la pension devait être assujettie aux nouvelles règles. Le fait qu'il faille avoir recours au témoignage de l'un ou l'autre des parents de Yoan établit clairement que l'ordonnance rendant exécutoire la convention du 30 août 1996 ne satisfait pas aux conditions énoncées dans la Loi, notamment celle selon laquelle l'ordonnance doit préciser le jour qui constitue la date d'exécution « pour l'application de la présente loi ». En fait, l'interprétation contradictoire adoptée par madame Noël et monsieur Jodoin illustre de façon éloquente l'importance de respecter l'esprit et la lettre de la Loi, qui exige qu'il ressorte d'un accord ou d'une ordonnance établi avant le mois de mai 1997 (ou de toute modification s'y rapportant) une intention selon laquelle les nouvelles règles s'appliquent.

 

[17]    Ce qui est tout à fait surprenant ici, c'est que l'explication fournie par l'avocat de madame Noël dans sa lettre à l'appui de la position de madame Noël établit exactement le contraire de son argument. En effet, le cas qu'il invoque est tout à fait conforme à l'interprétation que j'ai adoptée plus haut. Pour que les nouvelles règles s'appliquent, il faut qu'un « accord intervenu ou une ordonnance rendue avant le 1er mai 1997 [prévoie], de façon spécifique, que les nouvelles règles fiscales s'appliqueront ». Pourquoi alors l'entente qu'il aurait rédigée pour madame Noël ne mentionne‑t‑elle pas expressément que les nouvelles règles devaient s'appliquer? Si cet avocat avait suivi la règle qu'il décrit dans sa lettre, nous n'en serions pas là. Évidemment, il est possible que les parties aient effectivement conclu que la pension de 150 $ ne serait pas défiscalisée.

 

[18]    Comme la lecture de l'entente du 30 août 1996 ainsi que le libellé de l'ordonnance ne permettent pas de déterminer quelle était l'intention des parties quant à l'application du nouveau régime fiscal, je n'ai pas d'autre choix que de conclure qu'il n'y a pas de « jour précisé dans [...] l'ordonnance [...] pour l'application de la [...] Loi »[4]. Par conséquent, aucune date d'exécution n'existait en 2001 et en 2002 à l'égard de l'ordonnance du 17 mars 1997 rendant exécutoire la convention du 30 août 1996.

 

[19]    Pour tous ces motifs, la Cour accueille l'appel de monsieur Jodoin quant à l'année d'imposition 2001 et défère la cotisation pour cette année au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant pour acquis que monsieur Jodoin a droit à la déduction, dans le calcul de son revenu, de la pension alimentaire de 8 352 $ qu'il a payée. Monsieur Jodoin et madame Noël sont tous les deux liés par cette décision selon laquelle la pension alimentaire versée en vertu du jugement de divorce du 17 mars 1997 doit être incluse dans le revenu de madame Noël, c'est‑à‑dire 8 352 $ pour l'année d'imposition 2001 et 8 689 $ pour l'année 2002, et selon laquelle la pension de 8 689 $ versée pour l'année 2002 peut être déduite par monsieur Jodoin. Monsieur Jodoin a droit à ses dépens, déterminés selon les règles de la Cour mais payables uniquement par l'intimée.

 

[20]    La Cour ordonne également que les articles 18.14, 18.15 et 18.23 à 18.27, ainsi que le paragraphe 18.22(3) de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt s'appliquent à la décision sur les questions formulées au paragraphe 3 de la demande, tel qu'il est prévu à l'article 18.33 de ladite loi.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de novembre 2004.

 

 

 « Pierre Archambault » 

Juge Archambault


 

 

RÉFÉRENCE :

2004CCI708

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2004-433(IT)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Clément Jodoin et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

le 2 septembre 2004

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'hon. juge Pierre Archambault

 

DATE DU JUGEMENT :

le 8 novembre 2004

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

Me Lysane Tougas

 

Pour l'intimée :

Me Stéphanie Côté

 

Pour la partie jointe :

la partie jointe elle-même

 

AVOCATE INSCRITE AU DOSSIER:

 

Pour l'appelant :

 

Nom :

Me Lysane Tougas

 

Étude :

Pouliot Mercure

Montréal (Québec)

 

Pour l'intimé(e) :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1]           Comme le libellé de cette disposition est semblable à celui de l'alinéa 60b) de la Loi, je ne le reproduis pas dans ces motifs.

[2]           Les définitions du paragraphe 56.1(4) s'appliquent à l'article 60 en vertu du paragraphe 60.1(4) de la Loi.

[3]           Le paragraphe 60.1(2) dispose comme suit :

Entente. — Pour l'application de l'article 60, du présent article et du paragraphe 118(5), le résultat du calcul suivant :

A – B

[...]

est réputé, lorsque l'ordonnance ou l'accord écrit prévoit que le présent paragraphe et le paragraphe 56.1(2) s'appliquent à un montant payé ou payable à leur titre, être un montant payable par le contribuable à cette personne et à recevoir par celle-ci à titre d'allocation périodique, que cette personne peut utiliser à sa discrétion.

 

[4]           Sous‑alinéa 56.1(4)b)(iv). Dans sa version anglaise : there is no "day specified in the  [...] order, [...], as the commencement day of the [...] order for the purposes of this Act."

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.