Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Dossier : 2006-3468(IT)I

ENTRE :

LOU A. SALVINO,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

et

 

MACRINA SALVINO,

mise en cause.

[traduction française officielle]

_______________________________________________________________

Appels entendus le 7 décembre 2007 à Toronto (Ontario)

 

Devant : L’honorable juge E.A. Bowie

Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Me Sharon Lee

Avocat de la mise en cause :

Me Gordon E. Watkin

_______________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels à l’égard des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2002, 2003, 2004 et 2005 sont rejetés.

 


Signé à Ottawa (Canada) ce 11e jour de février 2008

 

« E.A. Bowie »

Juge Bowie

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour d’avril 2008.

                                      

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


 

 

 

 

Référence : 2008CCI100

Date : 20080211

Dossier : 2006-3468(IT)I

ENTRE :

LOU A. SALVINO,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

et,

 

MACRINA SALVINO,

mise en cause.

 

[traduction française officielle]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Bowie

 

[1]     M. Salvino a interjeté appel des cotisations établies à son endroit, en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu[1] (la « Loi »), pour les années d’imposition 2002, 2003, 2004 et 2005. L’historique des cotisations portant sur ces quatre années est quelque peu alambiqué, puisque le ministre du Revenu national a changé d’avis plus d’une fois quant au droit qu’avait l’appelant de déduire des paiements de pension alimentaire pour enfants s’élevant à 12 000 $ pour chacune des années concernées. En l’espèce, il est suffisant de dire que la dernière cotisation ou nouvelle cotisation qui a été établie pour chacune des années en cause était fondée sur le fait que l’appelant n’avait pas droit à la déduction pour paiements de pension alimentaire pour enfants qu’il réclamait. La question en litige dans les présents appels est donc de savoir si l’appelant a le droit de déduire les paiements de pension alimentaire pour enfants qu’il a versés à son ancienne épouse durant ces années. Le fait qu’il a versé 1 000 $ par mois durant toutes ces années n’a pas été contesté.

 

[2]     En règle générale, les paiements de pension alimentaire pour enfants versés en application d’une ordonnance judiciaire ou d’un accord de séparation écrit établi avant mai 1997 sont imposables pour le bénéficiaire et déductibles pour le payeur. Dans le cas des ordonnances judiciaires et des accords de séparation établis après avril 1997, les paiements ne sont ni imposables ni déductibles. C’est là l’effet combiné des alinéas 56(1)b) et 60b) de la Loi. La date d’exécution de l’accord ou de l’ordonnance, et plus précisément le fait qu’elle soit antérieure ou postérieure à la fin du mois d’avril 1997, constitue le facteur déterminant. C’est le paragraphe 56.2(4) de la Loi qui définit l’expression « date d’exécution » pour l’application des articles 56 et 60 :

 

« date d’exécution » Quant à un accord ou une ordonnance :

a)         si l’accord ou l’ordonnance est établi après avril 1997, la date de son établissement;

b)         si l’accord ou l’ordonnance est établi avant mai 1997, le premier en date des jours suivants, postérieur à avril 1997 :

(i)         le jour précisé par le payeur et le bénéficiaire aux termes de l’accord ou de l’ordonnance dans un choix conjoint présenté au ministre sur le formulaire et selon les modalités prescrits,

(ii)        si l’accord ou l’ordonnance fait l’objet d’une modification après avril 1997 touchant le montant de la pension alimentaire pour enfants qui est payable au bénéficiaire, le jour où le montant modifié est à verser pour la première fois,

(iii)       si un accord ou une ordonnance subséquent est établi après avril 1997 et a pour effet de changer le total des montants de pension alimentaire pour enfants qui sont payables au bénéficiaire par le payeur, la date d’exécution du premier semblable accord ou de la première semblable ordonnance,

(iv)       le jour précisé dans l’accord ou l’ordonnance, ou dans toute modification s’y rapportant, pour l’application de la présente loi.

 

[3]     Macrina Salvino, l’ancienne épouse de l’appelant, était la bénéficiaire des paiements. Elle a été constituée partie aux présents appels par une ordonnance rendue par la juge Campbell en vertu de l’alinéa 174(3)b) de la Loi. Les dispositions se trouvant aux alinéas 56(1)b) et 60b) de la Loi se font contrepoids, ce qui fait que lorsque le payeur peut déduire les paiements dans le calcul de son revenu, leur bénéficiaire doit les inclure dans le calcul du sien.

 

[4]     L’appelant et Mme Salvino se sont mariés en 1982. Ils ont eu deux enfants, nés en 1985 et en 1989. M. et Mme Salvino ont tous deux témoigné. Leurs témoignages sont quelque peu contradictoires quant au moment de la rupture de leur mariage et quant à l’existence, à un moment donné, d’une réconciliation. Il est toutefois clair qu’ils ont conclu deux accords de séparation (l’« accord no 1 » et l’« accord no 2 »).

 

[5]     L’accord no 1 porte la mention suivante en haut de sa première page :  [TRADUCTION] « […] fait ce 29e jour d’octobre 1992 ». Cependant, l’accord n’a été signé que le 17 novembre 1995. Les deux parties étaient représentées par des avocats, et les certificats d’avis juridique indépendant fournis par ces derniers sont respectivement datés du 17 et du 20 novembre 1995. À la suite d’une requête en divorce introduite par l’appelant, le divorce a été accordé le 2 décembre 1999 et a pris effet le 2 janvier 2000. En 2000, Macrina Salvino a introduit une action devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario en vertu de la Loi sur le droit de la famille de l’Ontario. Le jugement final dans cette instance a été rendu le 6 novembre 2001, apparemment sur consentement des parties. L’ordonnance rendue le 6 novembre 2001 par le juge Nelson, déposée sous la cote A-3, révèle qu’une ordonnance provisoire avait été rendue, dans cette instance, le 28 mai 2001. La pièce A-3 est composée, entre autres, d’un accord manuscrit conclu par les parties et portant sur certaines questions relatives à des droits de sortie et à des biens, mais non à une pension alimentaire.  Il y est aussi question d’une conférence en vue d’un règlement à l’amiable qui devait avoir lieu le 21 août 2001. L’accord no 2 constitue la pièce A-4. Ce deuxième accord porte la mention suivante à la première page : [TRADUCTION] « […] fait ce 6e jour de novembre 2001 ». Les deux parties ont apposé leurs signatures à la 14e page de l’accord, mais aucune date n’y apparaît. Le 29 novembre 2001, l’avocat de l’appelant a souscrit sous serment un affidavit du témoin à la signature et certificat d’avis juridique indépendant. Le document est muet quant à la date de signature de l’accord. L’accord est également accompagné d’un certificat d’avis juridique indépendant et affidavit du témoin à la signature signé  par l’avocat de Mme Salvino, qui ne porte cependant aucune date et qui n’a pas été fait sous serment.

 

[6]     L’appelant, en application de chacun des deux accords, était tenu de verser des paiements mensuels de pension alimentaire pour enfants s’élevant à 500 $ par enfant, soit un total de 1 000 $ par mois. Autant dans l’accord no 2 que dans  l’ordonnance rendue par le juge Nelson en vertu de la Loi sur le droit de la famille, ce montant est ventilé de la façon suivante : 823 $ par mois conformément aux Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, et 177 $ par mois pour couvrir d’avance des dépenses extraordinaires. Je ne partage pas l’avis de M. Watkin, qui soutient qu’il s’agit là d’une modification du montant des paiements de pension alimentaire pour enfants que devait verser M. Salvino. Les montants mensuels que devait verser M. Salvino en application des deux accords étaient identiques, à savoir 1 000 $, et ce malgré le fait qu’ils n’étaient pas calculés de la même façon. Il existe toutefois certaines différences importantes entre les deux accords, et j’y reviendrai plus loin.

 

[7]     À l’audience que j’ai présidée, les parties ont présenté des positions opposées, qui ont été formulées de la façon suivante. L’appelant affirme que les paiements de pension alimentaire pour enfants qui ont été versés lors des années 2002 à 2005, inclusivement, l’ont été en application de l’accord no 1. Puisque cet accord a été établi en novembre 2005 et qu’il n’a jamais été modifié, l’appelant soutient que l’accord no 1 n’a pas pu avoir de date d’exécution aux termes du paragraphe 56.1(4) et de l’alinéa 60b) de la Loi, et que ces paiements devraient donc être régis, aux fins de l’impôt, par les dispositions de la Loi qui étaient en vigueur avant 1997. Ces modifications ont eu pour effet de faire en sorte que, pour la première fois, les paiements de pension alimentaire pour enfants étaient exclus du calcul du revenu de  leur bénéficiaire et ne pouvaient être déduits du revenu du payeur. L’intimée soutient, avec l’appui de Mme Salvino, que les paiements en cause ont été versés soit en application de l’accord no 2, soit en application de l’ordonnance finale rendue par la Cour supérieure de justice de l’Ontario suite à l’action intentée en vertu de la Loi sur le droit de la famille, ou encore en application de ces deux documents. Puisque l’accord no 2 et l’ordonnance finale ont tous deux été établis après avril 1997, ils ont une date d’exécution et sont assujettis aux dispositions applicables après avril 1997. Les paiements ne seraient donc ni déductibles pour l’appelant, ni imposables pour Mme Salvino.  

 

[8]     Les témoignages de l’appelant et de Mme Salvino sont contradictoires à certains égards. Selon celui de l’appelant, ils se sont séparés en 1995 et ne se sont jamais réconciliés. Il a aussi affirmé que c’est en application de l’accord signé en 1995 qu’il a versé des paiements de pension alimentaire pour enfants à partir de leur séparation jusqu’à l’été 2007. Il n’a pas su expliquer l’existence d’un second accord de séparation, établi en 2001, sauf en disant qu’on lui a demandé de le signer et que son avocat lui a suggéré de le faire pour mettre fin au litige. Lors de son contre‑interrogatoire, il a admis avoir continué à verser des paiements de pension alimentaire pour sa fille longtemps après son 22e anniversaire, soit jusqu’à ce qu’elle ait complété ses études universitaire à l’été 2007.

 

[9]     Lors de son témoignage, Mme Salvino a dit que la séparation ne s’est produite  qu’en 1997 et qu’il y avait alors environ un an que le couple et ses deux enfants vivaient avec les parents de Mme Salvino. L’appelant lui aurait donné de l’argent pour payer les dépenses du ménage entre 1995 et 1997, mais que ce n’est qu’en 1999 qu’il avait commencé à verser des paiements de pension alimentaire pour enfants, volontairement au départ, puis en application de l’ordonnance rendue par le juge Nelson. Elle a aussi affirmé qu’elle a signé l’accord no 2 parce qu’elle croyait que l’accord no 1 était nul en raison d’une clause qui entraînait son annulation après une réconciliation d’une durée supérieure à 90 jours.

 

[10]    Le passage du temps a tendance à chasser les souvenirs, surtout ceux qui ont trait aux dates où ont eu lieu des événements. Puisque les événements en cause ont eu lieu il y de cela entre huit à douze ans, les divergences entre le témoignage de l’appelant et celui de Mme Salvino quant à leur chronologie ne me surprennent pas. Il me semble que les parties n’auraient probablement pas signé l’accord no 1 en 1995 si elles n’étaient pas séparées à ce moment-là. L’appelant a choisi de ne pas contre‑interroger Mme Salvino, ce qui m’amène à croire le témoignage de celle‑ci là où il diffère de celui de l’appelant, sauf lorsque le  témoignage de ce dernier est appuyé par des documents, ce qui est le cas pour la date de leur première séparation. Il est probable qu’ils se sont séparés en 1995, quand l’accord no 1 a été signé, et qu’ils se sont ensuite réconciliés, rendant ainsi l’accord no 1 nul en raison de ses modalités. Mme Salvino avait donc raison de dire que l’accord no 2 a été signé parce que l’accord no 1 était frappé de nullité. Les paiements versés durant les années en cause dans les présents appels l’ont donc été en application de l’accord no 2, dont la date d’exécution est un jour de novembre 2001. Bien que la date exacte soit incertaine, on peut la situer bien après avril 1997.

 

[11]    Même si l’accord no 1 avait toujours été en vigueur au moment de la signature de l’accord no 2, il m’aurait fallu conclure que le deuxième accord a créé une nouvelle obligation, distincte de celle créée par le premier accord, et que les paiements versés à compter de novembre 2001 l’ont été en application de l’accord no 2. Deux raisons m’amènent à conclure ainsi. D’abord, l’accord no 1 contenait des clauses précises quant à la pension alimentaire pour enfants : l’appelant devait verser 500 $ par mois pour chaque enfant qui vivait avec la mère, jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de 18 ans et cesse d’étudier à temps plein, ou jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de 21 ans. Dans l’accord no 2, cette clause a été modifiée de façon à ce que l’appelant ait à payer une pension alimentaire pour chaque enfant qui étudiait à temps plein jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de 23 ans. L’appelant, selon son propre témoignage, a versé des paiements pour l’enfant le plus âgé pendant plus d’une année après son 21e anniversaire. Il cherche, dans le présent appel, à déduire ces paiements dans le calcul de son revenu; il faut donc que l’accord l’ait obligé à les verser. Cela ne se peut que si l’accord no 2 était celui qui était en vigueur.

 

[12]    Il existe une deuxième différence importante entre les deux accords. Au départ, l’accord no 1 obligeait l’appelant à verser 1 000 $ par mois, puis ce montant devait être indexé en fonction de l’augmentation de l’indice des prix à la consommation (l’« IPC ») de la ville de Toronto à partir de l’année de base 1995. L’accord no 2 prévoyait des paiements de 1 000 $ par mois, mais sans aucune indexation. La preuve révèle clairement que l’appelant n’a jamais versé plus de 1 000 $ de pension alimentaire pour enfants au cours d’un mois, et il affirme s’être toujours conformé à ses obligations légales. Il s’agit d’un fait notoire que l’IPC n’est pas resté fixe durant la dernière décennie. Il faut donc conclure que l’accord qui régissait la relation entre les parties était celui qui ne prévoyait pas l’indexation des paiements.

 

[13]    Pour toutes ces raisons, je conclus que l’obligation qu’avait l’appelant de verser des paiements de pension alimentaire pour enfants durant les années 2002, 2003, 2004 et 2005 lui était imposée par l’accord no 2. Puisque cet accord a été établi après le mois d’avril 1997, sa date d’exécution est la date de son établissement, à savoir un jour de novembre 2001. Par conséquent, les paiements de pension alimentaire pour enfants versés par l’appelant lors des années en cause ne sont pas déductibles. Les appels doivent donc être rejetés.

 

Signé à Ottawa (Canada) ce 11e jour de février 2008.

 

 

« E.A. Bowie »

Juge Bowie

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour d’avril 2008.

                                      

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.



RÉFÉRENCE :

2008CCI100

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2006-3468(IT)I

 

INTITULÉ :

Lou A. Salvino et Sa Majesté la Reine et Macrina Salvino

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 décembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge E.A. Bowie

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 11 février 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Me Sharon Lee

Avocat de la mise en cause

Me Gordon E. Watkin

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

 

Pour l’appelant :

 

Nom :

s/o

 

Cabinet :

s/o

 

Pour l’intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Canada)

 



[1]           L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), modifiée.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.