Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossier : 2005‑3616(IT)I

ENTRE :

LISE C. COUTURE,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 11 octobre 2007 à London (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

 

L’appelante elle‑même

Avocat de l’intimée :

Me Andrew Miller

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2003 et 2004 est accueilli avec dépens. Les nouvelles cotisations sont renvoyées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que les services de médecine chinoise traditionnelle et les traitements d’acupuncture que l’appelante a reçus étaient des services médicaux fournis par un médecin.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de mars 2008.

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de juin 2008.

Aleksandra Koziorowska


 

 

 

Référence : 2008CCI171

Date : 20080327

Dossier : 2005‑3616(IT)I

ENTRE :

LISE C. COUTURE,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Boyle

 

[1]     L’appelante interjette appel de nouvelles cotisations concernant ses années d’imposition 2003 et 2004, par lesquelles le crédit d’impôt pour frais médicaux prévu à l’article 118.2 (le « CIFM ») lui a été refusé à l’égard de services d’acupuncture qu’elle avait reçus en Ontario au cours des années en question.

 

I. Les faits

 

[2]     Les faits ne sont pas contestés. À la fin de l’année 2001, Mme Couture a fait l’objet d’un diagnostic d’hyperthyroïdie, c’est‑à‑dire, en termes simples, qu’il y avait activité excessive de la glande thyroïde. Le diagnostic a été posé par un endocrinologue à qui son médecin de famille l’avait renvoyée. Mme Couture avait consulté son médecin de famille lorsqu’un chiropraticien qu’elle voyait pour un problème au dos avait remarqué une tuméfaction apparente de la glande thyroïde.

 

[3]     Le médecin de famille avait entre autres choses fait subir des tests sanguins à Mme Couture. Les résultats de ces tests indiquaient un problème lié à a thyroïde, de sorte que le médecin a renvoyé Mme Couture à l’endocrinologue, qui a posé le diagnostic et a recommandé trois types de traitement possibles, chacun étant fondé, selon la description donnée par Mme Couture, sur la médecine occidentale conventionnelle. Il s’agissait (i) de l’administration de médicaments visant à remédier au problème, (ii) de traitements de radiothérapie visant à inhiber ou à détruire certaines cellules de la thyroïde, ou (iii) de l’ablation totale ou partielle de la glande. Comme on peut s’y attendre, chacun de ces traitements comportait des effets secondaires et des risques pour la santé. Mme Couture redoutait les effets secondaires et les risques associés aux trois interventions proposées par l’endocrinologue. Elle n’a suivi aucun de ces traitements, sauf pour un test préliminaire d’ingestion d’iode qu’il fallait subir avant de suivre le traitement de radiothérapie.

 

[4]     Mme Couture a parlé à son endocrinologue de la possibilité d’avoir recours à la médecine chinoise traditionnelle ou à d’autres approches non conventionnelles à l’égard du traitement de son hyperthyroïdie. L’endocrinologue ne croyait pas qu’une telle approche fonctionnerait dans son cas et ne l’encourageait pas. Mme Couture a étudié d’elle‑même d’autres méthodes de traitement et elle a opté pour la médecine chinoise traditionnelle et l’acupuncture (la « MCTA »). Elle savait que les traitements fondés sur la MCTA ne seraient pas couverts par le régime d’assurance‑maladie de l’Ontario. Les traitements fondés sur la MCTA consistaient principalement à suivre des traitements d’acupuncture deux ou trois fois par semaine ainsi qu’à prendre chaque jour des suppléments à base d’herbes médicinales. La thérapie fondée sur la MCTA comportait également des séances de counselling, des précautions alimentaires, des examens de la langue, des examens du pouls chinois et la mesure occasionnelle de la tension artérielle.

 

[5]     Mme Couture a été traitée par un acupuncteur et praticien canadien bien connu de la médecine chinoise traditionnelle. Le professeur Cedric Cheung a témoigné à l’instruction. Il s’agit d’un professeur agréé qualifié; il pratique la médecine chinoise et l’acupuncture dans plusieurs territoires sous juridiction chinoise. Il compte 40 années d’expérience clinique dans le domaine de la médecine chinoise traditionnelle et de l’acupuncture. Il est vice‑président de la Fédération mondiale des sociétés d’acupuncture, organisation reconnue par l’Organisation mondiale de la santé, qui compte des membres dans 72 pays, dont le Canada. Le professeur Cheung est président national de la Chinese Medicine and Acupuncture Association of Canada qui comporte des sections dans huit provinces, dont l’Ontario. Cette association, entre autres choses, favorise la réglementation de la médecine chinoise traditionnelle et de l’acupuncture en tant que services de santé au Canada et exerce des pressions à cet égard. Elle a réussi à convaincre l’Alberta, la Colombie‑Britannique et le Québec de joindre la Saskatchewan dans la réglementation de la MCTA. Plus récemment, elle a réussi à convaincre l’Ontario d’ajouter la MCTA à titre de profession de la santé réglementée. En vertu des nouvelles lois de l’Ontario, le College of Traditional Chinese Medicine Practitioners and Acupuncturists of Ontario a été créé. Le professeur Cheung est membre du conseil de cette organisation et l’on envisage de le nommer vice‑président.

 

[6]     Le professeur Cheung exploitait l’Institute of Chinese Medicine & Acupuncture, à London (Ontario). C’est à cet endroit qu’il a fourni les services d’acupuncture à Mme Couture.

 

[7]     Mme Couture a commencé ses traitements au mois de janvier 2002 et ceux‑ci ont pris fin au début de l’année 2004. Au moment où les traitements ont pris fin, les analyses du sang indiquaient invariablement des résultats normaux en ce qui concerne la thyroïde. Heureusement pour l’appelante, ces résultats ont continué à être normaux et il semble que le traitement fondé sur la MCTA et les traitements connexes aient réussi en bonne partie à venir à bout du trouble thyroïdien dont Mme Couture était affectée. Lors de l’audience, plus de trois ans après la fin des traitements, Mme Couture estime être guérie et signale que les analyses du sang ont continué à indiquer des résultats normaux satisfaisants pour ce qui est de la thyroïde.

 

[8]     Dans sa déclaration de revenus pour 2002, Mme Couture a demandé la déduction du coût des traitements d’acupuncture, des frais de transport connexes ainsi que du coût des suppléments à base d’herbes médicinales. En 2002, l’Agence du revenu du Canada a rejeté la demande relative aux suppléments à base d’herbes médicinales pour ce qui est de la MCTA. Quant aux années 2003 et 2004, soit les années visées par l’appel, Mme Couture a demandé la déduction du coût des services d’acupuncture et des frais de transport connexes, mais elle n’a pas demandé la déduction du coût des suppléments à base d’herbes médicinales aux fins du calcul du crédit lié à la MCTA. Les montants demandés par Mme Couture pour 2003 s’élevaient à 7 760 $, et pour 2004, ils s’élevaient à 3 906 $. L’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a rejeté les demandes relatives aux années 2003 et 2004.

 

II. Position des parties

 

[9]     Bien entendu, Mme Couture est ravie d’être guérie de son hyperthyroïdie, et le fait qu’au bout de deux années de traitements non effractifs fondés sur la médecine chinoise traditionnelle et de traitements d’acupuncture, la glande thyroïde semble fonctionner normalement l’enchante. Ces deux années de traitement ont coûté à Mme Couture environ 12 000 $. Mme Couture savait qu’en choisissant ces traitements, les coûts y afférents ne seraient pas couverts par le Régime d’assurance‑maladie de l’Ontario. Elle ne savait pas qu’ils ne seraient pas admissibles en tant que traitements fondés sur la MCTA en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu; devant la Cour, elle a soutenu que ces dépenses devraient être admissibles et qu’elles sont de fait admissibles. Entre autres choses, elle signale (i) qu’au cours des années en question, les services d’acupuncture étaient admissibles en tant que traitements fondés sur la MCTA dans plusieurs autres provinces canadiennes qui, à ce moment‑là, réglementaient les acupuncteurs, et (ii) que depuis la fin de l’année 2006, l’Ontario a ajouté les acupuncteurs et les personnes qui pratiquent la médecine chinoise traditionnelle dans les annexes de la Loi sur les professions de la santé réglementées, de sorte que l’ARC reconnaît maintenant que les services d’acupuncture reçus en Ontario après l’année 2006 peuvent être admis en tant que traitements fondés sur la MCTA.

 

[10]    Mme Couture signale également que, pour son année d’imposition 2002, l’ARC a reconnu qu’il s’agit de frais médicaux. Ceci semble plutôt étrange étant donné que, de toute évidence, l’ARC a examiné sa demande puisqu’elle a rejeté la déduction demandée pour 2002 à l’égard des frais associés aux suppléments à base d’herbes médicinales aux fins de la MCTA, et semble avoir expressément autorisé les frais d’acupuncture. La Couronne n’a avancé aucun motif à ce sujet. Malheureusement, la cotisation établie par l’ARC à l’égard d’un particulier pour une année d’imposition n’empêche aucunement l’ARC de revenir sur la question et de prendre une position différente pour d’autres années d’imposition.

 

[11]    Mme Couture signale en outre qu’aux fins de la MCTA, l’ARC traite d’une façon différente et plus favorable, en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, les contribuables canadiens qui reçoivent des traitements fondés sur la médecine chinoise traditionnelle ou l’acupuncture dans les provinces où l’Agence reconnaît que ces traitements sont fournis par des « médecins », par exemple en Colombie‑Britannique, en Saskatchewan, au Québec et en Alberta, par opposition à ceux qui, comme elle, reçoivent en Ontario les mêmes traitements de médecins et d’acupuncteurs dont les qualifications sont similaires. Plus précisément, Mme Couture signale que, si elle était allée suivre ses traitements en Colombie‑Britannique, l’ARC aurait admis ses dépenses. Il importe également de noter que, dans son témoignage, le professeur Cheung a indiqué qu’il satisfaisait à toutes les exigences en matière d’agrément dans ces autres provinces et qu’il aurait facilement pu être admis à titre de membre auprès de leurs organisations provinciales.

 

[12]    Selon la position prise par la Couronne, les frais d’acupuncture de Mme Couture n’étaient pas admissibles aux fins de la MCTA parce qu’en 2003 et en 2004, l’Ontario ne réglementait pas les acupuncteurs, et que le professeur Cheung n’était donc pas un « médecin » selon la définition figurant au paragraphe 118.4(2). Dans sa réponse, la Couronne prend également la position selon laquelle les services en question n’étaient pas des « services médicaux » pour l’application du paragraphe 118.2(2).

 

III. Dispositions législatives applicables

 

118.2(2) Pour l’application du paragraphe (1), les frais médicaux d’un particulier sont les frais payés :

 

118.2(2) For the purposes of subsection 118.2(1), a medical expense of an individual is an amount paid

 

a) à un médecin, à un dentiste, à une infirmière ou un infirmier, à un hôpital public ou à un hôpital privé agréé, pour les services médicaux ou dentaires fournis au particulier, à son époux ou conjoint de fait ou à une personne à la charge du particulier (au sens du paragraphe 118(6)) au cours de l’année d’imposition où les frais ont été engagés;

 

(a) to a medical practitioner, dentist or nurse or a public or licensed private hospital in respect of medical or dental services provided to a person (in this subsection referred to as the “patient”) who is the individual, the individual’s spouse or common-law partner or a dependant of the individual (within the meaning assigned by subsection 118(6)) in the taxation year in which the expense was incurred;

 

118.4(2) Tout audiologiste, dentiste, ergothérapeute, infirmier, infirmière, médecin, médecin en titre, optométriste, orthophoniste, pharmacien, physiothérapeute ou psychologue visé aux articles 63, 64, 118.2, 118.3 et 118.6 doit être autorisé à exercer sa profession :

 

118.4(2) For the purposes of sections 63, 64, 118.2, 118.3 and 118.6, a reference to an audiologist, dentist, medical doctor, medical practitioner, nurse, occupational therapist, optometrist, pharmacist, physiotherapist, psychologist, or speech-language pathologist is a reference to a person authorized to practise as such,

 

a) par la législation applicable là où il rend ses services, s’il est question de services;

 

(a) where the reference is used in respect of a service rendered to a taxpayer, pursuant to the laws of the jurisdiction in which the service is rendered;

 

 

IV. Analyse

 

A. Paragraphe 118.4(2) : « médecin »

 

[13]    Pour que les dépenses que Mme Couture a engagées à l’égard des traitements d’acupuncture fondés sur la médecine chinoise traditionnelle soient admissibles à titre de « frais médicaux » donnant droit à un « crédit d’impôt pour frais médicaux », les montants versés au professeur Cheung doivent pouvoir être considérés comme des paiements effectués en faveur d’un « médecin ».

 

[14]    Le mot « médecin » n’est pas défini dans la Loi de l’impôt sur le revenu, mais le paragraphe 118.4(2) impose des restrictions en ce qui concerne la question de savoir quels sont les médecins admissibles. Au cours de l’argumentation, la Couronne a dit, comme on l’affirme souvent, qu’un praticien de médecine douce ne sera considéré comme un médecin qualifié que si la profession particulière qu’il exerce est réglementée en tant que profession de la santé dans la province où il fournit ses services. Cela n’est pas tout à fait exact. Le paragraphe 118.4(2) prévoit clairement tout autre chose.

 

[15]    Le paragraphe 118.4(2) exige une analyse en deux étapes. En premier lieu, un acupuncteur ou un praticien qui a reçu une formation dans le domaine de la médecine chinoise traditionnelle est‑il un « médecin » au sens attribué à ce terme dans un contexte autre que la Loi de l’impôt sur le revenu? Cela est nécessaire parce que les acupuncteurs et les praticiens de la médecine chinoise traditionnelle ne sont pas expressément désignés, contrairement à ce qui est le cas pour les dentistes, les infirmiers et infirmières, les audiologistes et ainsi de suite. En second lieu, si un acupuncteur est un médecin, la province dans laquelle il fournit des services autorise‑t‑elle celui‑ci à exercer sa profession en tant que « médecin »? Tel est le sens clair des mots « autorisé à exercer sa profession ». Il importe de noter que cette distinction veut dire que les médecins putatifs doivent être autorisés à exercer leur profession à titre de « médecins ». Il n’existe aucune exigence voulant que le domaine particulier dans lequel ils exercent leur profession soit réglementé par la province, quoique la réglementation puisse constituer une forme commune d’autorisation.

 

[16]    L’emploi du mot « médecin » dans la Loi de l’impôt sur le revenu est plutôt mal venu. L’emploi de l’expression « as such » dans la version anglaise veut dire que ce mot est défini par rapport à lui‑même. À défaut de procéder à une analyse en deux étapes minutieuse, la définition risque de devenir un cercle vicieux. Il en est également de même pour la version française, qui définit le mot « médecin » par rapport à « sa profession ».

 

(1) Première étape : le médecin

 

[17]    En me penchant en premier lieu sur la question de savoir si le professeur Cheung était un médecin au sens attribué à ce terme dans un contexte autre que la Loi de l’impôt sur le revenu, je note que la Loi canadienne sur la santé définit le mot « médecin » pour l’application de cette loi comme étant une « personne légalement autorisée à exercer la médecine au lieu où elle se livre à cet exercice ». La Loi canadienne sur la santé ne définit pas ce en quoi consiste la pratique de la médecine. L’objet de cette loi est d’assurer un financement fédéral aux régimes de soins de santé provinciaux. Cette définition n’est pas utile.

 

[18]    La Loi d’interprétation de l’Ontario définit les termes « médecin dûment qualifié » et « médecin dûment qualifié pour exercer sa profession » pour l’application de la législation provinciale de l’Ontario comme étant un membre de l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario. En fait, cette définition assimile les médecins aux médecins en titre. Cette définition ne s’applique pas à la Loi de l’impôt sur le revenu fédérale. Une définition du mot « médecin » qui est limitée aux médecins en titre ne peut pas convenir pour les besoins de l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu étant donné que, comme il en sera ci‑dessous question, la Loi de l’impôt sur le revenu emploie chacun de ces termes d’une façon différente et non interchangeable.

 

[19]    La Loi de 1991 sur les médecins de l’Ontario définit l’exercice de la médecine pour l’application de cette loi comme consistant « dans l’évaluation de l’état physique ou mental de particuliers et dans le diagnostic, le traitement et la prévention des maladies, troubles ou dysfonctions ». Ce libellé semble pouvoir recevoir une interprétation large, mais étant donné qu’il s’agit de la loi habilitante de l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario, je soupçonne qu’il se rapporte uniquement aux médecins en titre. Quoi qu’il en soit, cette loi de l’Ontario ne s’applique pas dans le contexte de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[20]    Il ressort clairement du libellé employé dans la Loi de l’impôt sur le revenu que toute définition du médecin ou de la pratique de la médecine qui assimile le médecin au médecin en titre ou qui limite la pratique de la médecine aux médecins en titre ne peut pas être utile aux fins de notre analyse. L’argument de la Couronne selon lequel le « médecin » (medical practioner) est assimilé au « médecin en titre » (medical doctor) ne peut pas non plus être retenu.

 

[21]    Cela s’explique en premier lieu par le fait que les mots « médecin » et « médecin en titre » sont utilisés dans la liste des services professionnels de la santé, au paragraphe 118.4(2). Si ces mots veulent dire la même chose, on peut se demander pourquoi ils sont mentionnés séparément. Il est logique de supposer que le législateur a utilisé deux expressions distinctes pour une raison donnée et qu’il ne voulait pas que ces expressions soient interchangeables.

 

[22]    En second lieu, il ressort clairement de l’examen du libellé utilisé dans les dispositions relatives aux frais médicaux de la Loi de l’impôt sur le revenu que les deux expressions doivent être interprétées différemment. Plus précisément, la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit clairement que les médecins en titre constituent un sous‑ensemble de médecins. Ainsi, dans la version anglaise de l’alinéa 118.3(1)a.2), on emploie l’expression « where the medical practitioner is a medical doctor ». Cette distinction figure également à l’alinéa 118.3(1)a.3) de la version anglaise.

 

[23]    Troisièmement, la chose est confirmée par l’historique législatif du paragraphe 118.4(2) lui‑même. Lorsque les Lois du Canada ont été refondues en 1985, on a supprimé les mots « médecin en titre » au paragraphe 118.4(2) lorsqu’il s’est agi de définir le mot « médecin ». L’expression « médecin en titre » a été rétablie rétroactivement, cette expression ayant été omise par erreur selon les notes techniques du ministère des Finances qui étaient jointes à la législation modificative.

 

[24]    De toute évidence, un médecin peut être une personne qui exerce une profession autre que celle du médecin en titre pour l’application de la première étape de l’analyse du mot « médecin » employé dans la Loi de l’impôt sur le revenu ainsi que pour l’application du paragraphe 118.4(2) dans son ensemble.

 

[25]    En bonne justice, l’ARC n’a pas appliqué la Loi de l’impôt sur le revenu de façon à limiter restrictivement les « médecins » aux « médecins en titre » et aux autres personnes expressément désignées par profession au paragraphe 118.4(2). L’ARC n’a pas considéré les médecins désignés séparément, tels que les audiologistes et les infirmiers et infirmières, comme faisant partie d’une liste exhaustive de médecins. Ainsi, l’ARC reconnaît un certain nombre de thérapeutes autres que les « ergothérapeutes » désignés. Voir, par exemple, l’interprétation technique 2004‑0091401E5 de l’ARC jointe aux présents motifs à titre d’annexe. Il semble plutôt, comme il a été soutenu, que l’ARC reconnaisse les médecins de l’Ontario s’ils sont régis par la Loi sur les professions de la santé réglementées de l’Ontario. Cette loi sera examinée ci‑dessous dans le cadre de la seconde étape de mon analyse, portant sur les personnes autorisées à exercer leur profession.

 

[26]    On ne peut pas non plus dire que le mot « médecin » figurant au paragraphe 118.4(2) est limité aux professions désignées. Autrement, il faudrait modifier le sens de ce mot chaque fois qu’une province autorise ou, de l’avis de la Couronne, réglemente une profession de la santé. Cela n’a pas été fait lorsque d’autres provinces ont commencé à réglementer expressément les acupuncteurs et cela n’a pas non plus été fait depuis 2006, lorsque l’Ontario a commencé à réglementer les acupuncteurs.

 

[27]    Je suis convaincu que, pour les besoins de la première étape de la présente analyse, un acupuncteur de l’Ontario tel que le professeur Cheung pouvait être considéré comme un médecin en 2003 et en 2004. Je ne puis voir comment il peut en être autrement puisque, au cours de ces années‑là, les acupuncteurs de provinces autres que l’Ontario étaient réglementés au palier provincial à titre de professionnels de la santé et étaient reconnus par l’ARC à titre de médecins visés au paragraphe 118.4(2). Le fait que les acupuncteurs sont désignés dans le bulletin d’interprétation IT‑519 de l’ARC pour les années en question confirme la chose. La première étape de l’analyse, contrairement à la seconde, ne dépend pas des subtilités existant au palier provincial.

 

(2) Seconde étape : « autorisé à exercer sa profession »

 

[28]    La Couronne invoque la Loi sur les professions de la santé réglementées de l’Ontario et signale qu’au cours des années en cause et avant l’adoption de la Loi de 2006 sur les praticiens en médecine traditionnelle chinoise (Ontario), les praticiens se livrant à la médecine chinoise traditionnelle et les acupuncteurs n’étaient pas réglementés en vertu de cette loi. Toutefois, la Couronne n’a pas pu m’indiquer, dans cette loi, quoi que ce soit qui interdise la pratique de la médecine chinoise traditionnelle ou de l’acupuncture en Ontario en 2003 et en 2004, et je n’ai rien pu trouver à ce sujet dans cette loi. De fait, en 2003 et en 2004, l’établissement du professeur Cheung semble avoir été une entreprise légitime tout à fait en règle exploitée légalement en Ontario. Quant à cet argument, je ne puis rien voir, dans la Loi sur les professions de la santé réglementées de l’Ontario, qui donne à entendre que l’établissement du professeur Cheung n’était pas autorisé à pratiquer la médecine chinoise traditionnelle et l’acupuncture en 2003 et en 2004.

 

[29]    Je remarque en particulier que, dans la note explicative accompagnant le texte de la Loi de 2006 sur les praticiens en médecine traditionnelle chinoise de l’Ontario, on dit ce qui suit : « Le projet de loi modifie le Règlement de l’Ontario 107/96 (Controlled Acts) pris en application de la Loi de 1991 sur les professions de la santé réglementées en abrogeant les dispositions conférant à une personne le droit de pratiquer l’acupuncture » (je souligne). Il s’agit du paragraphe 8(1) du Règlement de l’Ontario 107/96 intitulé « Controlled Acts ».

 

[30]    La Loi sur les professions de la santé réglementées de l’Ontario s’applique aux professions de la santé autonomes de l’Ontario. De fait, l’annexe I de cette loi est intitulée : « Professions de la santé autonomes », et l’expression « profession de la santé » est limitée aux professions mentionnées à l’annexe I. Il n’y a pas lieu de conclure que tous les professionnels de la santé doivent faire partie d’une profession autonome afin d’être des médecins pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu. Cette loi de l’Ontario réglemente les organismes autonomes. Elle restreint en outre l’emploi du titre de « docteur », mais non celui du titre de « médecin » ou de quelque autre terme. Elle restreint la possibilité de se présenter comme un organisme de réglementation ou comme une société professionnelle de la santé.

 

[31]    Le paragraphe 27(1) de la Loi sur les professions de la santé réglementées de l’Ontario prévoit que seuls les membres d’une profession de la santé réglementée par cette loi peuvent accomplir des actes autorisés. Le paragraphe 27(2) définit les actes autorisés comme comprenant la pratique d’interventions sur le tissu situé sous le derme. Toutefois, l’acupuncture a expressément été exclue par règlement de la définition des actes autorisés pour les années en question. Par conséquent, comme il a été dit dans la note explicative de 2006 de l’Ontario, jusqu’à ce moment‑là, toute personne était autorisée à pratiquer l’acupuncture en Ontario. Une loi provinciale précise qui permet à une personne de faire quelque chose autorise cette personne à accomplir cette chose. Il n’y a pas lieu de ne pas considérer le mot « autorise » come équivalent à « permet ».

 

[32]    Je conclus qu’en 2003 et en 2004, les acupuncteurs de l’Ontario tels que le professeur Cheung étaient visés par l’expression « médecin » figurant au paragraphe 118.4(2).

 

B. Paragraphe 118.2(2) : « services médicaux »

 

[33]    Puisqu’il a été décidé que les acupuncteurs sont des médecins, il s’ensuit que les services d’acupuncture sont des services médicaux. Selon les définitions du mot « acupuncture » figurant dans les dictionnaires, il s’agit d’une branche de la médecine. Même dans sa réponse, la Couronne décrit cette activité comme un [traduction] « traitement médical chinois traditionnel ». Si tel n’était pas le cas, les services de l’acupuncteur ne pourraient jamais être admissibles en tant que MCTA, même dans les provinces ou pour des années d’imposition à l’égard desquelles la question de savoir si les acupuncteurs sont des médecins ne se pose pas.

 

[34]    L’appel interjeté par Mme Couture sera accueilli avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de mars 2008.

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de juin 2008.

 

Aleksandra Koziorowska

 


ANNEXE

 

Tax Window Files

 

Interrogation=2004‑0091401e5

 

[traduction]

 

Frais médicaux – Shiatsu

_________________________________________________

      Le 8 décembre 2004

      Document no 2004‑0091401E5

      Loi de l’impôt sur le revenu : 118.2, 118.4(2)

      Bulletins d’interprétation : IT‑519R2, Crédit d’impôt pour frais médicaux et pour personnes handicapées et déduction pour frais de préposé aux soins (consolidé)

      Circulaires d’information : IC 70‑6R5, Décisions anticipées en matière d’impôt sur le revenu

 

      Please note that the following document, although believed to be correct at the time of issue, may not represent the current position of the CRA.

 

      Prenez note que ce document, bien qu’exact au moment émis, peut ne pas représenter la position actuelle de l’ARC.

 

      QUESTIONS PRINCIPALES : Un thérapeute pratiquant le shiatsu est‑il considéré comme un médecin aux fins du crédit d’impôt pour frais médicaux?

 

      POSITION : Non.

 

      MOTIFS : Un thérapeute pratiquant le shiatsu n’est pas un thérapeute autorisé en vertu des lois de l’Ontario.

 

      XXXXXXXXXX                           2004‑009140

                                                            Shaun Harkin, CMA

 

      Le 8 décembre 2004

 

      XXXXXXXXXX :

 

      Objet : Demande d’interprétation technique : article 118.2

 

      La présente fait suite à votre lettre du 12 août 2004, dans laquelle vous demandiez si les sommes versées à un thérapeute pratiquant le shiatsu sont admissibles aux fins du crédit d’impôt pour frais médicaux et si elles peuvent être couvertes dans le cadre d’un régime privé d’assurance‑maladie (le « RPAM »).


Tax Window Files                                                                                                                    Page 2

 

Interrogation=2004‑0091401e5

 

      Voici nos commentaires :

 

      Pour qu’un régime soit un RPAM, la couverture doit être limitée aux soins hospitaliers ou aux frais d’hôpital ou encore aux soins ou frais médicaux qui auraient normalement par ailleurs été admissibles à titre de frais médicaux en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »).

 

      Le paragraphe 118.2(2) de la Loi renferme une liste des types de dépenses qui sont admissibles à titre de frais médicaux aux fins du crédit d’impôt pour frais médicaux. L’alinéa 118.2(2)a) de la Loi prévoit que les frais médicaux d’un particulier sont les frais payés « à un médecin, à un dentiste, à une infirmière ou un infirmier, à un hôpital public ou à un hôpital privé agréé, pour les services médicaux ou dentaires ». L’alinéa 118.4(2)a) de la Loi prévoit que, pour l’application de l’article 118.2 de la Loi, tout médecin, dentiste, pharmacien, infirmier, infirmière ou optométriste doit être autorisé à exercer sa profession par la législation applicable là où il rend ses services. Dans la mesure où les dépenses en question sont mentionnées ci‑dessus dans nos commentaires, ces dépenses seraient considérées comme des frais médicaux.

 

      Nous aimerions attirer votre attention sur les paragraphes 2 et 3 du bulletin d’interprétation IT‑519R2 (consolidé), Crédit d’impôt pour frais médicaux et pour personnes handicapées et déduction pour frais de préposé aux soins. Comme il en a été fait mention, le médecin peut, selon ce que prévoit la législation là où le service est fourni, comprendre un thérapeute. La référence aux thérapeutes, au paragraphe 3 du bulletin IT‑519R2 (consolidé), vise d’une façon générale un certain nombre de professionnels de la santé différents qui reçoivent des paiements susceptibles d’être considérés comme des montants versés à un médecin pour des services médicaux. Ainsi, en Ontario, le mot « thérapeute » comprend les thérapeutes régis par la Loi de 1991 sur les professions de la santé réglementées. Ces thérapeutes comprennent les orthophonistes (appellation protégée en vertu de la Loi de 1991 sur les audiologistes et les orthophonistes), les denturologistes, (appellation restreinte en vertu de la Loi de 1991 sur les denturologistes), les massothérapeutes (appellation restreinte en vertu de la Loi de 1991 sur les massothérapeutes), les ergothérapeutes (appellation protégée en vertu de la Loi de 1991 sur les ergothérapeutes), les thérapeutes respiratoires (appellation protégée en vertu de la Loi de 1991 sur les thérapeutes respiratoires), et les physiothérapeutes (appellation protégée en vertu de la Loi de 1991 sur les physiothérapeutes). Ces professionnels de la santé sont tous autorisés à exercer leur profession en Ontario, conformément aux dispositions de la Loi de 1991 sur les professions de la santé réglementées et de la loi pertinente réglementant la profession de la santé en cause.

 


Tax Window Files                                                                                                                    Page 3

 

Interrogation=2004‑0091401e5

 

      La thérapie shiatsu ne semble pas être autorisée en vertu des lois de l’Ontario. Par conséquent, les honoraires versés à un thérapeute pratiquant le shiatsu en Ontario pour une thérapie shiatsu ne sont pas considérés comme une dépense admissible au titre des frais médicaux aux fins du crédit d’impôt pour frais médicaux. Cela étant, le coût d’une thérapie shiatsu effectuée en Ontario ne peut pas être couvert dans le cadre d’un RPAM.

 

      Les commentaires qui précèdent représentent nos opinions générales sur la question. Comme il en est fait mention au paragraphe 22 de la circulaire d’information 70‑6R5, ces commentaires ne constituent pas une décision en matière d’impôt sur le revenu et ils ne lient donc pas l’Agence du revenu du Canada. Nous avons l’habitude de faire cette dénégation expresse de responsabilité dans tous les cas où nous exprimons une opinion.

 

      Nous espérons que nos commentaires vous seront utiles.

 

      Veuillez agréer l’expression de mes meilleurs sentiments.

 

      Wayne Antle, CGA

      au nom du directeur

      Division des entreprises et des sociétés de personnes

      Direction des décisions de l’impôt

 

 

 

 

 

 

 

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2008CCI171

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2005-3616(IT)I

 

INTITULÉ :                                       Lise C. Couture

                                                          et

                                                          Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   London (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 11 octobre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Patrick Boyle

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 27 mars 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

 

L’appelante elle-même

Avocat de l’intimée :

Me Andrew Miller

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                            

 

                   Cabinet :                        

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 

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