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Dossier : 2004-3026(IT)G

ENTRE :

GARY LANDRUS,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 15 mai 2007, à Toronto (Ontario).

 

 

Devant : L’honorable juge B. Paris

 

Comparutions :

 

Avocate de l’appelant :

Me Louise R. Summerhill

Avocat de l’intimée :

Me Franco Calabrese

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel de la cotisation établie en application de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1994 est accueilli avec dépens et la cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, compte tenu du fait que l’appelant a le droit de déduire une perte finale de 29 130 $.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de mai 2008.

 

 

« B. Paris »

Juge Paris

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour de juin 2009.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 

 

 


 

 

 

 

Référence : 2008CCI274

Date : 20080502

Dossier : 2004-3026(IT)G

ENTRE :

GARY LANDRUS,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Paris

 

[1]              L’appelant était un commanditaire de la société en commandite Roseland Park II (« Roseland II »), qui a été formée en 1989 en vue d’acquérir un immeuble à condominiums qui venait d’être construit à London (Ontario). Un autre immeuble à condominiums qui venait d’être construit, à côté de la propriété de Roseland II, a été acquis par la société en commandite Roseland Park I (« Roseland I »). Par suite d’un repli général du marché immobilier dans le sud de l’Ontario, la valeur des propriétés de Roseland I et de Roseland II a énormément baissé au cours des années qui ont suivi leur acquisition.

 

[2]              Dans une série d’opérations conclues au mois de décembre 1994, Roseland I et Roseland II ont vendu tous leurs actifs à une nouvelle société en commandite, Roseland Park Master (« RPM »), et les commanditaires de Roseland I et de Roseland II ont reçu des participations dans RPM.

 

[3]              Les dispositions ont déclenché des pertes finales pour Roseland I et Roseland II, en vertu du paragraphe 20(16) de la Loi de l’impôt sur le revenu[1] (la « Loi »), puisqu’il y avait encore un solde positif de la fraction non amortie du coût en capital (la « FNACC ») après la disposition. Ces pertes ont été attribuées aux commanditaires. L’appelant a déduit 29 130 $, montant représentant sa part de la perte finale subie par Roseland II dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 1994.

 

[4]              Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a utilisé la règle générale anti‑évitement (la « RGAE »), en application de l’article 245 de la Loi, pour refuser la déduction de la perte finale.

 

[5]              D’une façon générale, la RGAE s’applique dans le cas où un contribuable obtiendrait un avantage fiscal par suite d’une opération qui n’est pas organisée principalement à des fins véritables autres que l’obtention de l’avantage fiscal et où l’opération constitue un évitement fiscal abusif.

 

[6]              Étant donné que l’appelant a reconnu l’existence d’un avantage fiscal, il s’agit en l’espèce de savoir si les actifs de Roseland II ont été transférés à RPM principalement aux fins de l’obtention de cet avantage fiscal et, dans l’affirmative, si cela constituait un évitement fiscal abusif. Si les deux conditions sont réunies, la RGAE s’applique et l’appelant reconnaît que le ministre pourrait à bon droit refuser la déduction de la perte finale, conformément au paragraphe 245(5) de la Loi.

 

Les faits

 

[7]              À l’audience, les parties ont déposé un exposé conjoint des faits partiel et un recueil conjoint de documents. L’appelant a également cité quatre témoins : M. Gary Landrus, c’est‑à‑dire lui‑même, M. Joseph Froio, commanditaire de Roseland I, M. Wayne Jacobs, dirigeant d’Allied Canadian Corporation (« Allied »), soit la société qui est devenue la commanditée de Roseland II en 1993 et qui a conçu le projet de réorganisation, et M. Ralph Neville, un associé chez BDO Dunwoody, qui a donné des conseils comptables au sujet de l’opération.

 

Le contexte

 

[8]              Roseland I a été formée en 1988 en vue d’acquérir et d’exploiter un immeuble résidentiel à condominiums de 94 unités situé au 858, chemin Commissioners Est, London (Ontario). Quatre‑vingt‑quatorze parts en tout dans la société en commandite ont été vendues au public. La commanditée était Roseland Park (I) General Partner Limited.

 

[9]              Roseland II a été formée en 1989 en vue d’acquérir et d’exploiter un immeuble résidentiel à condominiums de 110 unités, situé au 860, chemin Commissioners Est, London (Ontario). Cent dix parts en tout dans Roseland II ont été vendues au public. La commanditée était Roseland Park (II) General Partner Limited.

 

[10]         Roseland I a acquis la propriété, au 858, chemin Commissioners Est, le 30 décembre 1988, les coûts s’élevant aux montants suivants :

 

a)         Terrain : 476 000 $

b)         Immeuble : 5 495 845 $

c)         Ameublement et matériel : 515 100 $

d)         Aménagement de paysage : 27 137 $

e)         Revêtement de sol : 78 614 $

 

[11]         Roseland II a acquis la propriété, au 860, chemin Commissioners Est, le 31 janvier 1990, les coûts s’élevant aux montants suivants :

 

a)                       Terrain : 555 200 $

b)                      Immeuble : 6 632 492 $

c)                       Ameublement et matériel : 653 400 $

d)                      Revêtement de sol : 102 995 $

 

[12]         Les immeubles, aux 858 et 860, chemin Commissioners Est, faisaient partie d’un projet d’aménagement qui devait comprendre quatre tours d’habitation à condominiums et une aire de commodités : stationnement sur deux niveaux, piscine, pavillon, centre communautaire et terrain de tennis. À cause du ralentissement du marché immobilier, seules trois tours (et notamment les propriétés de Roseland I et de Roseland II) et l’aire de commodités ont été construites. Le projet était situé à côté d’un hôpital dans ce qui, disait‑on, était un bon secteur de la ville, avec vue sur la rivière Grand.

 

[13]         Chaque part dans Roseland I et dans Roseland II était rattachée à une unité condominiale particulière dans les immeubles respectifs. En se retirant des sociétés, chaque associé avait le droit de recevoir l’unité en cause. La superficie de l’unité et son emplacement dans l’immeuble déterminaient le coût de la participation et la part de l’associé, exprimée en pourcentage, dans la société. Le commanditaire choisissait l’unité en cause au moment où il acquérait sa part dans la société en commandite.

 

[14]         Le revenu locatif tiré des unités était mis en commun pour chaque immeuble respectivement, et le bénéfice net était attribué à chaque commanditaire en fonction de sa part, en pourcentage, dans la société.

 

[15]         Le financement des unités de la société avait été organisé par le promoteur et il était offert en partie au moyen d’une hypothèque de la Banque Royale grevant l’unité choisie par l’acquéreur de la participation dans la société.

 

[16]         Le 10 mai 1989, l’appelant a acheté sa participation dans Roseland II, pour la somme de 107 650 $, qu’il a financée comme suit :

 

a)                 Argent comptant : 6 630 $

b)                Hypothèque consentie par la Banque Royale : 70 725 $

c)                 Hypothèque de deuxième rang : 30 295 $

 

[17]         L’appelant a choisi l’unité 1005A en tant qu’unité condominiale qui serait mise à sa disposition lorsqu’il se retirerait de la société.

 

[18]         Roseland I a commencé ses activités locatives au mois de février 1989 et Roseland II les a commencées au mois de février 1990. Presque au départ, les deux sociétés ont fait face à un marché locatif difficile. Selon une note envoyée au mois de mai 1991[2] par la commanditée aux personnes qui avaient investi des fonds dans Roseland II, la ville de London avait le taux d’inoccupation le plus élevé en Ontario parce que, entre 1988 et 1990, près de 4 500 nouveaux appartements locatifs avaient été construits dans la région. Le taux d’inoccupation pour les immeubles d’habitation, à London, qui avaient été achevés après 1985, était apparemment de 10,4 p. 100 au mois d’octobre 1990. De plus, le chômage dans la région allait en augmentant.

 

[19]         Il ressort clairement de la preuve que le rendement financier de Roseland I et de Roseland II au cours des premières années décevait les investisseurs. Les rentrées d’argent étaient inférieures à ce qui était prévu et les prix de revente des unités condominiales des deux immeubles étaient bien inférieurs aux prix initialement payés pour les participations auxquelles se rattachaient les unités.

 

[20]         Selon M. Froio, la valeur des unités condominiales était [traduction] « descendue en flèche ». M. Froio a également déclaré qu’un certain nombre d’unités de l’immeuble de Roseland I avaient été saisies par la Banque Royale, en réalisation de sa garantie, au cours des premières années d’exploitation et que les unités avaient été revendues pour aussi peu que la moitié de leur prix initial.

 

[21]         L’appelant a déclaré qu’en visitant la propriété, en 1990 ou en 1991, il avait eu l’impression que Roseland I et Roseland II se faisaient concurrence pour les locations et les reventes, mais il croyait que les deux immeubles étaient censés faire partie d’une entreprise commune. L’appelant a également constaté une [traduction] « spirale vers le bas » dans les prix de revente d’unités de l’immeuble.

 

[22]         L’appelant croyait que la gestion de Roseland II était inadéquate. Au début, il parlait une ou deux fois l’an à un représentant de la commanditée et il recevait régulièrement des dépliants au sujet de Roseland II, mais il a déclaré qu’après 1991, les dépliants étaient envoyés d’une façon irrégulière et qu’il avait eu de la difficulté à se tenir au courant de ce qui se passait. Il croyait également que la commanditée ou le gestionnaire immobilier auraient pu faire plus pour coordonner les reventes d’unités.

 

[23]         Au début de l’année 1993, compte tenu du mécontentement des investisseurs, on avait communiqué avec Allied pour qu’elle prenne la relève à titre de commanditée de Roseland II.

 

[24]         M. Wayne Jacobs, dirigeant d’Allied, a témoigné qu’au cours de cette période, la société établissait un créneau sur le marché de la gestion immobilière dans le sud de l’Ontario, en s’occupant d’immeubles appartenant à des sociétés en commandite. Voici ce qu’il a déclaré :

 

[traduction]

 

Le créneau se rapportait au marché immobilier qui chutait au début des années 1990 et il y avait sur le marché énormément de sociétés en commandite dans lesquelles la commanditée ou le gestionnaire immobilier n’avait pas eu le rendement auquel s’attendaient ces investisseurs, de sorte que ceux‑ci croyaient qu’il fallait essayer de faire quelque chose au sujet de la valeur de leur propriété et de l’élément d’actif qu’ils possédaient[3].

 

[25]         M. Jacobs a témoigné que certains commanditaires de Roseland II avaient initialement communiqué avec Allied, alors que le premier rapport envoyé aux commanditaires de Roseland II par Allied en 1993 disait que M. Tom Borromeo, qui était administrateur et dirigeant de la commanditée de Roseland II à ce moment‑là, avait communiqué avec Allied. Le rapport énonçait ce qui suit :

 

[traduction]

 

[...] M. Borromeo a récemment conclu que la société en commandite serait mieux servie par une organisation jouissant d’une expertise étendue en matière de gestion de consortiums et de gestion immobilière. Il a donc communiqué avec Allied Canadian Corporation [...][4]

 

[26]         Au mois de juin 1993, Allied a acquis la seule action en circulation de Roseland Park (II) General Partner Limited, et les membres du personnel d’Allied ont été élus administrateurs et nommés dirigeants de la commanditée. Au mois de septembre 1993, Allied Canadian Management Corporation (une société liée à Allied) a pris la relève à titre de gestionnaire immobilière de Roseland II.

 

[27]         M. Jacobs a déclaré qu’après qu’Allied eut pris la relève, il croyait qu’il était possible d’améliorer les résultats financiers en combinant les activités de Roseland I et de Roseland II afin de réaliser des [traduction] « économies d’échelle ». M. Jacobs a déclaré que la réorganisation était nécessaire [traduction] « afin de réellement faire une différence » et [traduction] « de tout mettre sous la tutelle d’un groupe de gestion, de façon à éviter le chevauchement des efforts ». M. Jacobs a déclaré qu’il y aurait une [traduction] « grosse économie de coûts et qu’il n’y aurait pas de rivalité aux fins de l’obtention du revenu locatif »[5].

 

[28]         M. Jacobs a déclaré qu’Allied avait recommandé de réunir les deux sociétés après que des investisseurs de Roseland I, qui savaient qu’Allied avait assumé la gestion de Roseland II, eurent communiqué avec Allied, mais il n’a pas précisé la date à laquelle cela s’était produit.

 

[29]         M. Froio a déclaré que des rumeurs avaient commencé à circuler parmi les associés de Roseland I à la fin de l’année 1993 ou au début de l’année 1994 : on disait qu’Allied avait l’intention de réunir les sociétés afin d’économiser certains coûts et que la question avait été examinée lors d’une assemblée des associés de Roseland I, au mois d’avril 1994. L’appelant a déclaré avoir pour la première fois été mis au courant du projet de réorganisation après avoir lu le rapport trimestriel qu’Allied avait envoyé aux commanditaires, au mois de juin 1994.

 

[30]         Les documents produits en preuve montrent que la question de la réorganisation avait été examinée lors des assemblées annuelles des deux sociétés en commandite, au printemps 1994[6]. De plus, selon un rapport en date du 1er juin 1994[7] envoyé aux associés de Roseland II, les deux sociétés en commandite appuyaient le projet de réorganisation à ce moment‑là.

 

[31]         M. Jacobs a déclaré qu’après avoir obtenu l’appui des commanditaires à l’égard du projet, Allied avait retenu les services de Ralph Neville, associé principal, fiscalité, chez BDO Dunwoody Ward Malette, ainsi que ceux du cabinet d’avocats Aird & Berlis, afin de confirmer la viabilité de l’opération. M. Jacobs a dit qu’Allied voulait savoir si la réorganisation était possible et en connaître les conséquences. Il a déclaré qu’Allied ne voulait pas que la réorganisation ait des répercussions défavorables pour les associés, de sorte qu’elle [traduction] « a[vait] communiqué avec BDO pour savoir quelles seraient les conséquences si deux sociétés différentes étaient réunies en une seule société ».

 

[32]         Allied a également fait évaluer les actifs de Roseland I et de Roseland II. Le rapport d’évaluation était daté du 31 août 1994. Compte tenu des valeurs estimatives, une estimation de la perte finale de chaque associé a été calculée.

 

[33]         Allied a organisé deux réunions devant avoir lieu le 8 septembre 1994, l’une pour les associés de Roseland I et l’autre pour les associés de Roseland II, en vue de discuter du projet et de voter à ce sujet. Les associés avaient reçu, avant les réunions, une circulaire d’information renfermant l’estimation de la perte finale éventuelle de chaque associé et une copie d’une lettre d’opinion de M. Neville. Le projet était décrit comme suit dans la circulaire d’information :

 

[traduction]

 

Le projet de réorganisation comporte la vente de l’ensemble des biens de chaque société en commandite en faveur d’une nouvelle société en commandite, qui appartiendra directement ou indirectement aux commanditaires actuels des sociétés en commandite. Chaque participation dans la société en commandite continuera à se rattacher à son unité condominiale individuelle existante et chaque commanditaire de la nouvelle société en commandite possédera les mêmes droits et sera assujetti aux mêmes obligations que ceux qu’il avait auparavant dans chaque société en commandite respective[8].

 

[34]         Allied a également envoyé une lettre datée du 26 août 1994 aux associés de Roseland I, laquelle énonçait les avantages suivants associés à son projet :

 

[traduction]

 

Avantage à court terme : La perte finale moyenne par participation dans la société en commandite sera d’environ 19 000 $, ce qui permettra une réduction des impôts sur le revenu payables en 1994 d’un montant d’environ 10 106 $ (en supposant que les taux marginaux maximums d’impôt sur le revenu s’appliquent).

 

Avantage à long terme : Il sera possible de tirer parti du redressement évident du marché immobilier en concluant une vente dans l’avenir dans un marché plus avantageux.

 

Souplesse : Le projet est fort souple, en ce sens qu’il n’empêche pas la prise de mesures dans l’avenir, et notamment la liquidation complète.

 

Efficacité sur le plan fiscal : Le projet est fort efficace, en ce sens qu’il libère une perte à des fins fiscales en 1994 sans cristalliser une perte économique.

 

Gestion complète : Allied Canadian a une capacité de gestion complète des actifs qui peut s’appliquer aux biens combinés des deux sociétés en commandite, ce qui entraînera une diversification des risques et des économies d’échelle.

 

Coût global du maintien du placement : Le coût après impôt pour les commanditaires qui conserveront leur placement en 1995 et en 1996, compte tenu de la perte finale, sera négligeable[9].

 

[35]         L’appelant a assisté à l’assemblée spéciale des associés de Roseland II le 8 septembre 1994, lorsque des représentants d’Allied, de BDO et d’Aird & Berlis ont exposé la situation. L’appelant a déclaré que l’on avait dit aux commanditaires que la réorganisation créerait un pool locatif plus important, entraînerait des économies sur le plan de l’exploitation, grâce notamment à la gestion commune, et qu’il n’y aurait qu’un bureau de gestion sur les lieux plutôt que deux. Les conséquences fiscales du projet ont également été examinées; on avait, semble‑t‑il, consacré à peu près la moitié du temps à discuter de cette question lors des réunions. Lorsqu’il avait été interrogé au préalable, l’appelant avait dit que, dans l’ensemble, les discussions, lors de la réunion, avaient porté sur l’aspect fiscal de l’opération.

 

[36]         Les commanditaires de Roseland II ont alors approuvé le projet et la résolution spéciale nécessaire a été adoptée le ou vers le 8 septembre 1994.

 

[37]         L’appelant a déclaré avoir voté en faveur du projet parce qu’il croyait qu’une entité plus importante ayant des politiques plus efficaces en matière de location mettrait fin aux [traduction] « ventes précipitées » ou en diminuerait le nombre et qu’il y aurait [traduction] « un pool plus important permettant de mettre en valeur l’investissement ». Il croyait également que la réorganisation éliminerait la concurrence entre les deux immeubles. L’appelant a affirmé être sceptique au sujet de l’avantage fiscal parce que, dans d’autres sociétés en commandite auxquelles il avait participé, le flux de trésorerie et les prévisions fiscales ne s’étaient pas toujours avérées fiables.

 

[38]         Lors du contre‑interrogatoire, l’appelant a convenu qu’à ce moment‑là, il voulait absolument retirer quelque chose de son placement, même s’il voulait encore le conserver.

 

[39]         L’appelant a affirmé que, selon lui, l’objectif principal de la réorganisation était [traduction] « de récupérer les placements, d’avoir un pool locatif plus important doté d’une bonne gestion, de façon à avoir une organisation de location suffisante plus efficace ».

 

[40]         Une assemblée spéciale des associés de Roseland I a également eu lieu le 8 septembre 1994 pour que ceux‑ci votent au sujet du projet. M. Froio a affirmé avoir cru comprendre avant l’assemblée que [traduction] « le regroupement permettrait de réaliser de bonnes économies de coûts » et que cela serait plus rentable pour les associés. M. Froio a voté en faveur de la réorganisation [traduction] « principalement à des fins commerciales et à cause de la possibilité qui s’offrait sur le plan fiscal », mais il avait des doutes au sujet de l’avantage fiscal. Il a également ajouté que, selon lui, l’opération avait été conclue en vue de permettre de réaliser une économie de coûts et de créer des synergies quant aux locataires à l’égard desquels les deux immeubles se faisaient concurrence.

 

[41]         La résolution spéciale par laquelle la vente des actifs de la société en faveur d’une nouvelle société en commandite a été approuvée a ultérieurement été adoptée par les commanditaires de Roseland I le 22 septembre 1994.

 

[42]         La vente des actifs de Roseland II en faveur de RPM a eu lieu comme suit :

 

- RPM a été créée et enregistrée le 21 décembre 1994;

 

- le 23 décembre 1994, Roseland II a souscrit à 4 448 parts de RPM. Le prix de souscription, de 4 448 000 $, ce qui correspondait à la juste valeur marchande des actifs nets de Roseland II (telle qu’elle avait été déterminée au moyen de l’évaluation susmentionnée), a été payé à l’aide d’un billet;

 

- le 23 décembre 1994, Roseland II a demandé à RPM d’émettre les parts de la société en commandite qui avaient été souscrites dans RPM, en faveur des commanditaires de Roseland II proportionnellement aux parts que ceux‑ci détenaient alors dans Roseland II. L’appelant a reçu une part de 1,002 p. 100;

 

- le 28 décembre 1994, Roseland II a vendu tous ses actifs à RPM moyennant une contrepartie représentant la juste valeur marchande, laquelle a été payée au moyen de l’annulation du billet que Roseland II avait remis pour le prix de souscription des parts dans RPM.

 

[43]         La vente des actifs de Roseland I en faveur de RPM a été conclue d’une façon similaire, mais une étape supplémentaire a été ajoutée de façon à éviter d’avoir à payer les droits de cession immobilière de l’Ontario.

 

[44]         La vente des actifs de Roseland I et de Roseland II a entraîné des pertes finales de 1 709 454 $ et de 2 916 612 $ respectivement, lesquelles ont été attribuées aux commanditaires.

 

[45]         Roseland I et Roseland II ont été dissoutes le 3 juin 1998.

 

[46]         L’appelant a déclaré se rappeler qu’après la réorganisation des sociétés, les rentrées d’argent avaient augmenté. Wayne Jacobs a déclaré que les deux propriétés avaient obtenu de meilleurs résultats d’exploitation, mais il n’a pas donné de détails à ce sujet.

 

[47]         Aucun des témoins n’a fait mention d’un document[10] inclus dans le recueil conjoint de documents, lequel indiquait le revenu et les dépenses de Roseland I et de Roseland II pour les années 1993 et 1994, ainsi que de RPM pour 1995, document qui à première vue ne semble pas indiquer de changement important sur le plan du revenu et des dépenses après 1994, lorsque les sociétés étaient réunies.

 

[48]         L’appelant s’est retiré de RPM en l’an 2000; il a levé l’option d’achat de l’unité 1005A. Il a ensuite vendu cette unité à une personne non liée au prix de 63 500 $. Il a déclaré au titre du revenu la différence entre le prix de vente et sa part de ce qu’il en avait coûté à RPM pour acheter les actifs de Roseland II en 1994. Lors de l’audience, M. Froio était encore membre de RPM.

 

[49]         M. Ralph Neville a témoigné au sujet des conseils comptables qu’il avait donnés à l’égard du projet d’Allied de réunir les deux sociétés en commandite. Il a déclaré que la façon [traduction] « traditionnelle » d’effectuer la fusion de deux sociétés consistait à dissoudre les sociétés existantes, à distribuer les actifs des sociétés aux associés existants et à faire ensuite en sorte que ces derniers investissent ces actifs dans une nouvelle société en échange d’une participation dans la société.

 

[50]         M. Neville croyait que, dans ce cas‑ci, il y avait certaines raisons d’ordre commercial de ne pas employer cette méthode de fusion des sociétés. La première se rapportait au fait que, lorsque les biens de la société seraient distribués aux commanditaires, chaque commanditaire détiendrait une part indivise dans l’ensemble des biens. Afin de transférer ces biens à la nouvelle société en commandite, il faudrait que tous les commanditaires consentent au transfert. En l’absence d’une entente unanime des commanditaires, le transfert ne pouvait pas avoir lieu, de sorte que chaque commanditaire aurait le pouvoir d’empêcher le transfert des biens en faveur de la nouvelle société en commandite en refusant d’accorder son consentement. M. Neville a déclaré qu’il n’était pas certain, dans ce cas‑ci, que tous les commanditaires de Roseland I et de Roseland II consentent à pareil transfert. La seconde raison militant à l’encontre de l’emploi de la méthode traditionnelle était que le transfert des biens de la société aurait donné lieu aux droits de cession immobilière de l’Ontario.

 

[51]         M. Neville a donc recommandé la méthode qui a ici été employée, laquelle comportait la vente des biens de la société en faveur de RPM et l’émission de parts dans RPM, lesquelles ont ultérieurement été distribuées aux commanditaires de Roseland I et de Roseland II.

 

[52]         M. Neville a également témoigné qu’à son avis, l’emploi de la méthode traditionnelle aurait permis aux commanditaires de Roseland I et de Roseland II de demander la déduction de pertes finales dans la même mesure que la méthode qu’il recommandait. Il a expliqué que, lorsqu’une société est dissoute, les actifs de la société sont attribués aux associés à leur juste valeur marchande (si les associés n’ont pas fait de choix en vertu du paragraphe 98(3)). La chose aurait déclenché une perte finale de la même façon que la disposition des actifs en faveur de RPM à leur juste valeur marchande.

 

Les nouvelles cotisations

 

[53]         Le ministre a établi des cotisations à l’égard des commanditaires de Roseland I et de Roseland II et a refusé la déduction des pertes finales. Le ministre a initialement pris la position selon laquelle il n’y avait pas eu de changement quant à la propriété effective des actifs de Roseland I et de Roseland II lors de la vente en faveur de RPM, que les dispositions de minimisation des pertes du paragraphe 85(5.1) de la Loi s’appliquaient, de façon à permettre le refus des pertes finales résultant du transfert des biens et, enfin, à titre subsidiaire, que la RGAE s’appliquait, de façon à permettre le refus des pertes finales.

 

[54]         Après que l’appelant eut déposé son avis d’opposition, le ministre a ratifié la nouvelle cotisation, en se fondant uniquement sur la RGAE.

 

Les dispositions législatives pertinentes

 

[55]         L’article 245 était rédigé comme suit pour l’année en cause :

 

245. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

 

« attribut fiscal » S’agissant des attributs fiscaux d’une personne, revenu, revenu imposable ou revenu imposable gagné au Canada de cette personne, impôt ou autre montant payable par cette personne, ou montant qui lui est remboursable, en application de la présente loi, ainsi que tout montant à prendre en compte pour calculer, en application de la présente loi, le revenu, le revenu imposable, le revenu imposable gagné au Canada de cette personne ou l’impôt ou l’autre montant payable par cette personne ou le montant qui lui est remboursable.

 

« avantage fiscal » Réduction, évitement ou report d’impôt ou d’un autre montant exigible en application de la présente loi ou augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi. Y sont assimilés la réduction, l’évitement ou le report d’impôt ou d’un autre montant qui serait exigible en application de la présente loi en l’absence d’un traité fiscal ainsi que l’augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi qui découle d’un traité fiscal.

 

« opération » Sont assimilés à une opération une convention, un mécanisme ou un événement.

 

(2) En cas d’opération d’évitement, les attributs fiscaux d’une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d’une série d’opérations dont cette opération fait partie.

 

(3) L’opération d’évitement s’entend :

 

a) soit de l’opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables – l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;

 

b) soit de l’opération qui fait partie d’une série d’opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables – l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable.

 

(4) Le paragraphe (2) ne s’applique qu’à l’opération dont il est raisonnable de considérer, selon le cas :

 

a) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, s’il n’était pas tenu compte du présent article, un abus dans l’application des dispositions d’un ou de plusieurs des textes suivants :

                               (i) la présente loi,

                        (ii) le Règlement de l’impôt sur le revenu,

                               (iii) les Règles concernant l’application de l’impôt sur le revenu,

                               (iv) un traité fiscal,

(v) tout autre texte législatif qui est utile soit pour le calcul d’un impôt ou de toute autre somme exigible ou remboursable sous le régime de la présente loi, soit pour la détermination de toute somme à prendre en compte dans ce calcul;

b) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, un abus dans l’application de ces dispositions compte non tenu du présent article lues dans leur ensemble.

 

(5) Sans préjudice de la portée générale du paragraphe (2) et malgré tout autre texte législatif, dans le cadre de la détermination des attributs fiscaux d’une personne de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer l’avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, d’une opération d’évitement :

 

a) toute déduction, exemption ou exclusion dans le calcul de tout ou partie du revenu, du revenu imposable, du revenu imposable gagné au Canada ou de l’impôt payable peut être en totalité ou en partie admise ou refusée;

 

b) tout ou partie de cette déduction, exemption ou exclusion ainsi que tout ou partie d’un revenu, d’une perte ou d’un autre montant peuvent être attribués à une personne;

 

c) la nature d’un paiement ou d’un autre montant peut être qualifiée autrement;

 

d) les effets fiscaux qui découleraient par ailleurs de l’application des autres dispositions de la présente loi peuvent ne pas être pris en compte.

 

[56]         La disposition relative à la perte finale, soit le paragraphe 20(16), était rédigée comme suit pour l’année en cause :

 

Malgré les alinéas 18(1)a), b) et h), lorsque, à la fin d’une année d’imposition :

 

a) d’une part, le total des montants utilisés pour le calcul des éléments A à D de la formule figurant à la définition de « fraction non amortie du coût en capital » au paragraphe 13(21) est supérieur au total des montants utilisés pour le calcul des éléments E à J de la même formule, au titre des biens amortissables d’une catégorie prescrite d’un contribuable;

 

b) d’autre part, le contribuable ne possède plus de biens de cette catégorie;

 

dans le calcul de son revenu pour l’année :

 

c) il doit déduire l’excédent déterminé en vertu de l’alinéa a);

 

d) il ne peut déduire aucun montant pour l’année en vertu de l’alinéa(1)a) à l’égard des biens de cette catégorie.

 

La position de l’appelant

 

[57]         L’appelant reconnaît que la perte finale que Roseland II lui a attribuée est un avantage fiscal au sens du paragraphe 245(1). Toutefois, il met en question les conclusions du ministre, à savoir que l’opération donnant lieu aux pertes finales, c’est‑à‑dire la disposition des biens de Roseland II en faveur de RPM, n’a pas été effectuée pour des objets véritables autres que l’obtention de l’avantage fiscal, et que les opérations constituent un abus dans l’application des dispositions de la Loi ou un abus dans l’application de la Loi dans son ensemble.

 

[58]         L’appelant a soutenu qu’en l’espèce, il n’y a pas eu opération d’évitement parce que l’objet principal des opérations était de regrouper deux immeubles qui se faisaient concurrence, simplifiant ainsi les coûts et la gestion.

 

[59]         L’appelant a soutenu que le fait que des renseignements ont été reçus au sujet des économies d’impôt résultant de la réorganisation doit être pris en considération dans le contexte de la preuve dans son ensemble et que cela ne prouve pas que la vente a été conclue à des fins fiscales. M. Jacobs a indiqué que la fin commerciale a été identifiée avant que des conseils fiscaux soient demandés et que l’on avait uniquement communiqué avec des avocats et des comptables afin de déterminer la meilleure façon de conclure la vente et de s’assurer qu’il n’y aurait pas de conséquences défavorables pour les associés.

 

[60]         L’appelant a également renvoyé à son témoignage, lorsqu’il a affirmé que sa décision de voter en faveur de la réorganisation n’avait rien à voir avec les avantages fiscaux projetés.

 

[61]         Compte tenu de ce qui précède, l’appelant a conclu que la vente de l’immeuble avait principalement été effectuée pour des raisons d’ordre commercial autres que l’obtention des pertes finales.

 

[62]         L’appelant a en outre affirmé que la disposition des actifs de la société en faveur de RPM ne constituait pas un abus dans l’application de la disposition relative aux pertes finales, à savoir le paragraphe 20(16), ni un abus dans l’application de la Loi dans son ensemble.

 

[63]         Aux dires de l’appelant, il n’y a rien dans l’objet ou dans l’esprit du paragraphe 20(16) qui empêche les associés de demander la déduction d’une perte finale par suite de la disposition, par la société, d’un bien amortissable, comme cela a été fait dans ce cas‑ci.

 

[64]         L’appelant a mentionné l’opinion exprimée par M. Neville, à savoir qu’il est généralement possible de se prévaloir de pertes finales dans le cadre d’une fusion traditionnelle de sociétés lorsque les conditions du paragraphe 20(16) sont par ailleurs réunies : voir le bulletin d’interprétation IT‑471R, qui porte sur la fusion de sociétés de personnes.

 

[65]         L’appelant a également renvoyé à une lettre d’opinion rédigée en 1994 par la Direction des décisions de Revenu Canada, laquelle dit que, s’il y a dissolution d’une société en commandite et distribution des actifs de la société en faveur des associés, la société est réputée avoir disposé des actifs et que toute perte finale découlant de cette disposition peut être attribuée aux associés, qui peuvent la déduire[11].

 

[66]         De l’avis de l’appelant, cela montre que l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») reconnaît que ces opérations ne vont pas à l’encontre de l’objet et de l’esprit du paragraphe 20(16).

 

[67]         L’appelant a signalé qu’en l’espèce, il n’y a pas de stratagème par lequel il essaie de déduire une perte subie par un autre contribuable. Dans ce cas‑ci, l’appelant a subi une perte économique réelle à l’égard du placement qu’il avait fait dans Roseland II, lorsque les biens ont été vendus à leur juste valeur marchande en 1994, parce que les biens valaient moins que ce qu’ils valaient lorsqu’ils avaient été achetés en 1989. La juste valeur marchande des biens était donc de beaucoup inférieure à la fraction non amortie du coût en capital, d’où une perte finale en vertu du paragraphe 20(16) de la Loi.

 

[68]         L’appelant a affirmé qu’aucune des règles de minimisation des pertes dont l’intimée a fait mention dans son argumentation ne s’appliquait en l’espèce et que l’objet et l’esprit des règles de minimisation des pertes n’ont donc rien à voir avec la question à trancher. La seule question qui se pose se rapporte à l’objet et à l’esprit du paragraphe 20(16).

 

[69]         L’appelant a également soutenu que l’intimée tente de qualifier l’opération en affirmant qu’il n’y a pas eu disposition d’un droit économique. Il y a réellement eu changement de propriété des actifs de Roseland Park II en faveur de RPM, ce qui a entraîné la réception du produit de la disposition.

 

[70]         Au cas où il serait conclu que la RGAE s’applique, l’appelant ne conteste pas la détermination par le ministre des attributs fiscaux appropriés, conformément au paragraphe 245(5) de la Loi.

 

La position de l’intimée

 

[71]         L’intimée prend la position selon laquelle l’objet principal des dispositions des actifs de Roseland I et de Roseland II était l’obtention d’un avantage fiscal pour les commanditaires au moyen de la cristallisation des pertes finales afférentes aux biens, sans que les associés disposent de leur placement dans les actifs sous‑jacents, et que les dispositions entraîneraient un abus dans l’application des dispositions de la Loi ou un abus dans l’application de la Loi dans son ensemble.

 

[72]         L’intimée a reconnu qu’une fois qu’il a été établi qu’une opération d’évitement a été conclue, la RGAE s’applique uniquement s’il peut être démontré que l’opération était abusive au sens du paragraphe 245(4) de la Loi. Cela comporte un processus en deux étapes. Il faut interpréter la disposition qui a donné lieu à l’avantage fiscal en vue d’établir son objet ou son esprit et il faut ensuite démontrer que l’opération d’évitement contrecarre l’objet ou l’esprit de cette disposition[12].

 

[73]         L’intimée a identifié les dispositions qui ont donné lieu à l’avantage fiscal conféré à l’appelant en l’espèce comme étant le paragraphe 20(16) et l’article 96 de la Loi. Elle a affirmé que [traduction] « l’économie de la Loi sous‑tendant l’application de ces dispositions vise à empêcher les déductions à l’égard de la disposition d’immobilisations dans des circonstances où il n’y a pas de disposition économique réelle du bien entre les parties au sein de la même unité économique, de sorte que le contribuable, directement ou indirectement, continue à participer, avec le même bien ou avec un bien identique, même après la disposition »[13].

 

[74]         L’intimée a expliqué que le paragraphe 20(16) fait partie du système de déduction pour amortissement (la « DPA ») de la Loi, qui permet au contribuable de déduire le coût réel d’actifs amortissables sur une période donnée au taux prescrit par la Loi. L’intimée a cité la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Water’s Edge Village Estates (Phase II) c. Canada[14], et elle a affirmé que l’objet et l’esprit des dispositions relatives à la DPA de la Loi étaient d’assurer la comptabilisation de sommes dépensées aux fins de l’acquisition d’actifs admissibles dans la mesure où ceux‑ci sont consommés dans des processus générateurs de revenu en vertu de la Loi.

 

[75]         L’intimée a affirmé que la perte finale visée au paragraphe 20(16) est fondée sur le fait que le contribuable ne possède plus de biens d’une catégorie prescrite à la fin d’une année d’imposition et qu’il y a une FNACC [traduction] « inutilisée » à l’égard de cette catégorie prescrite. Par conséquent, la disposition relative à la perte finale sert de rajustement final de la DPA [traduction] « lorsqu’une vente entre des personnes sans lien de dépendance démontre que le bien a fait l’objet d’un amortissement insuffisant » selon le système applicable à la DPA.

 

[76]         Selon l’intimée, la politique de la Loi est de constater une disposition uniquement dans les cas où il a eu une [traduction] « disposition économique réelle » du droit d’un contribuable sur un bien.

 

[77]         L’intimée a fait valoir que cette politique ressort également des dispositions suivantes de la Loi (telles qu’elles existaient au cours de l’année en cause), communément appelées les dispositions de « minimisation des pertes » :

 

[traduction]

 

Le sous‑alinéa 40(2)g)(i), qui prévoyait qu’une perte apparente résultant de la disposition d’une immobilisation est nulle. La « perte apparente » est définie au paragraphe 54(1) comme étant la perte subie par un contribuable, résultant de la disposition d’un bien, dans le cas où le même bien ou un bien identique aurait été acquis, pendant la période commençant 30 jours avant la disposition et se terminant 30 jours après, par le contribuable, son conjoint ou une société contrôlée par le contribuable, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit;

 

L’alinéa 40(2)e), selon lequel la perte subie par une société par suite de la disposition d’une immobilisation en faveur d’une personne qui contrôlait la société ou d’une société contrôlée par une personne qui contrôlait la société;

 

Le paragraphe 85(4), selon lequel était refusée une perte résultant par ailleurs de la disposition d’une immobilisation (sauf une immobilisation amortissable) ou d’une immobilisation admissible par un contribuable en faveur d’une société contrôlée directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, par le contribuable, son conjoint ou une personne ou un groupe de personnes contrôlant le contribuable, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit; ou lorsqu’un montant serait par ailleurs déductible en vertu de l’alinéa 24(1)a);

 

Le paragraphe 85(5.1), selon lequel était refusée ou réduite une perte finale qui aurait par ailleurs résulté de la disposition d’un bien amortissable par une personne ou une société de personnes :

 

- en faveur d’une société qui, immédiatement après la disposition, était contrôlée, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, par l’auteur du transfert, le conjoint de l’auteur du transfert ou une personne, un groupe de personnes ou une société de personnes contrôlant l’auteur du transfert; ou

- en faveur d’une personne, du conjoint d’une personne, d’un membre d’un groupe de personnes ou une société de personnes qui contrôlait l’auteur du transfert;

- en faveur d’une société de personnes, la participation de l’auteur du transfert dans la société de personnes, à titre d’associé, étant une participation majoritaire telle que visée à l’alinéa 97(3.1) a) ou b) de la Loi.

[78]         La règle de minimisation des pertes figurant au paragraphe 85(5.1) a été abrogée et remplacée en 1998 par le paragraphe 13(21.2) qui s’appliquait aux opérations conclues après le 26 avril 1995. L’édiction du paragraphe 13(21.2.) a notamment eu pour effet d’étendre la portée de l’ancien paragraphe 85(5.1) en vue d’inclure un ensemble plus étendu de bénéficiaires et de s’appliquer aux transferts effectués indirectement en faveur de ceux‑ci.

 

[79]         La définition de la perte apparente a également été modifiée en même temps en vue de s’appliquer à une nouvelle acquisition du bien en cause (ou aux acquisitions de biens identiques) par un groupe plus étendu de personnes liées au contribuable.

 

[80]         L’intimée a déclaré que la Cour pourrait examiner la politique sous‑tendant le paragraphe 13(21.2) et les modifications apportées à la définition de la perte apparente même si ces dispositions n’étaient pas encore en vigueur au cours de l’année ici en cause. Elle a dit que, dans l’arrêt Water’s Edge Village Estates (Phase II) c. Canada, précité, la Cour d’appel fédérale a reconnu que les modifications ultérieures apportées à la Loi pouvaient être considérées comme démontrant que le législateur voulait combler les lacunes qui existaient antérieurement dans la Loi, permettant un résultat anormal, compte tenu de l’objet et de l’esprit des dispositions pertinentes de la Loi.

 

[81]         L’intimée a fait valoir que dans chacune de ces dispositions de minimisation des pertes, la Loi prévoit expressément qu’une disposition légale en soi n’est pas suffisante pour permettre la déduction d’une perte lorsque le contribuable a simplement transféré le droit à une personne liée ou à un membre d’une [traduction] « unité économique » dont le contribuable fait partie. Toute comptabilisation des pertes à des fins fiscales serait prématurée, étant donné que le contribuable n’a pas réellement disposé de son droit économique sur le bien. Comme l’intimée l’a dit, il n’y a pas eu [traduction] « disposition de nature économique ».

 

[82]         Selon l’avocat, cela indique une politique, en vertu de la Loi, visant à empêcher la comptabilisation de pertes lorsqu’aucune disposition du droit économique du contribuable sur le bien n’a eu lieu, ou lorsque le contribuable continue à avoir un droit direct ou indirect sur le bien après la disposition.

 

[83]         Aux dires de l’intimée, l’opération conclue par Roseland II en l’espèce contrecarrait donc l’objet et l’esprit du paragraphe 20(16) parce qu’il s’agissait simplement d’un transfert de biens par un groupe d’associés d’une société à une autre, et qu’il ne s’agissait pas d’une véritable disposition de biens comme le prévoyait le législateur. L’intimée a affirmé qu’en fin de compte, l’appelant et les autres investisseurs pouvaient se prévaloir des pertes finales tout en conservant leur placement dans le même bien ou dans un bien similaire par l’entremise de sociétés différentes. Le placement n’a pas changé après le transfert étant donné qu’après la réorganisation, les associés ont continué à avoir le droit d’acquérir les mêmes unités condominiales qu’auparavant. La réalisation d’une perte finale était prématurée parce que les investisseurs n’avaient pas cessé d’utiliser les actifs de la société afin de générer un revenu. Il s’agissait donc uniquement d’une perte théorique, occasionnée par la diminution de la valeur des actifs des sociétés en 1994. De l’avis de l’intimée, l’accès aux pertes finales avant la vente des actifs de la société en faveur de tiers constituait un évitement fiscal abusif.

 

Analyse

L’objet de l’opération

 

[84]         Le paragraphe 245(3) prévoit que la RGAE ne s’applique pas à une opération qu’« il est raisonnable de considérer [comme étant] principalement effectuée pour des objets véritables – l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable ». En déterminant l’objet, il faut tenir compte de toutes les circonstances entourant l’opération. Dans l’arrêt OSFC Holdings Ltd. c. R.[15], le juge Rothstein a dit ce qui suit :

 

Le membre de phrase « il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour » au paragraphe 245(3) indique que le critère de l’objet principal est un critère objectif. Par conséquent, l’accent sera mis sur les faits et les circonstances pertinentes et non sur les déclarations d’intention. Il est également évident que l’objet principal doit être déterminé au moment où les opérations en question ont été effectuées. Il ne s’agit pas d’une évaluation rétrospective, qui tiendrait compte de faits et de circonstances survenus après que les opérations ont été effectuées.

 

[85]         Premièrement, je ne puis accepter que le projet de fusion des sociétés ait initialement été élaboré et promu par Allied comme moyen d’économiser des coûts d’exploitation et d’éliminer la concurrence entre les immeubles sur le plan des locations. La première mention documentée du projet de réorganisation, figurant dans le rapport qu’Allied avait envoyé aux commanditaires de Roseland II au cours du quatrième trimestre de 1993, se rapporte uniquement aux avantages fiscaux éventuels [traduction] « importants » découlant de la réorganisation :

 

[traduction]

 

La direction est en train d’élaborer un projet de réorganisation pour la société en commandite. Si le projet est mis en œuvre, cette réorganisation pourrait comporter d’importants avantages fiscaux pour les commanditaires au cours de l’année d’imposition 1994. La direction a l’intention de convoquer une réunion d’ici un mois ou deux afin de présenter d’une façon globale le projet de réorganisation aux commanditaires[16].

 

[86]         Cela est incompatible avec la preuve présentée par M. Jacobs, à savoir qu’Allied n’était pas en mesure de discuter des effets fiscaux de la réorganisation avant d’obtenir des conseils juridiques et comptables au cours de l’été 1994. M. Jacobs a dit qu’initialement, Allied n’avait pas discuté de questions fiscales avec les associés de Roseland II parce qu’elle était une société immobilière et qu’elle n’était pas en mesure de discuter des stratégies fiscales. Toutefois, je conclus que la mention, dans le rapport, se rapportait au projet de réorganisation qui a finalement été mis en œuvre étant donné que M. Jacobs n’était au courant d’aucun autre projet élaboré par Allied pour Roseland I et pour Roseland II.

 

[87]         La première fois que la réorganisation a été mentionnée, il n’a pas été question de quelque avantage que ce soit pour les commanditaires, si ce n’est de l’avantage fiscal.

 

[88]         Certains éléments de preuve m’amènent également à croire qu’Allied avait déjà procédé à des réorganisations de sociétés en commandite qui avaient entraîné des avantages fiscaux pour les commanditaires. Le procès‑verbal de l’assemblée spéciale des associés de Roseland I tenue le 8 septembre 1994 montre que M. Mike Emory, président d’Allied, avait alors pris la parole et qu’il avait parlé de l’expérience passée d’Allied quant à [traduction] « ces types d’opérations » :

 

[traduction]

 

Michael Emory, président d’Allied Canadian Equities Corporation, expose son point de vue, à savoir que l’opération donnerait lieu à d’importants avantages pour les associés. M. Emory déclare que l’opération aurait une fin commerciale qui serait conforme à la législation en matière d’impôt sur le revenu et que les déductions immédiates dont pourraient se prévaloir les associés seraient d’environ 19 000 $ par unité. M. Emory fait également savoir qu’Allied Canadian n’a pas obtenu de décision anticipée en matière d’impôt de Revenu Canada au sujet de l’opération. De plus, M. Emory parle de l’expérience de son entreprise quant à ces types d’opérations et de leur rendement à ce jour[17].

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[89]         Étant donné que, lors de l’assemblée, M. Emory a apparemment mis l’accent sur les aspects fiscaux de la réorganisation, je conclus qu’en parlant de [traduction] « ces types d’opérations », il voulait parler de la réorganisation de sociétés en commandite, et qu’Allied connaissait au départ les avantages fiscaux possibles découlant de ces arrangements. La preuve présentée par M. Jacobs, selon laquelle Allied avait établi un créneau sur le marché au début des années 1990, lorsqu’il s’agissait de travailler avec des sociétés en commandite dont les biens avaient baissé de valeur est conforme à cette conclusion.

 

[90]         De plus, je ne suis pas convaincu que l’appelant a prouvé que la réorganisation visait avant tout à permettre d’économiser des coûts et d’éliminer la concurrence entre les immeubles. L’appelant, M. Froio et M. Jacobs ont tous souligné qu’ils croyaient que la réorganisation entraînerait de telles économies, mais les personnes en cause ne semblent pas avoir effectué d’analyse en vue de déterminer quelles seraient ces économies. L’appelant n’était au courant d’aucune étude visant à permettre de déterminer si les économies prévues en ce qui concerne les frais d’exploitation seraient supérieures aux coûts de la réorganisation, et aucun élément de preuve ne montre qu’une analyse coût‑avantage ou des prévisions financières au sujet de la réorganisation aient été préparées pour les associés de Roseland I et de Roseland II.

 

[91]         Cela contraste avec l’effort que l’on a déployé afin d’obtenir des conseils juridiques et comptables au sujet de la réorganisation et de l’estimation de la perte finale pour chaque associé avant les assemblées extraordinaires des associés.

 

[92]         En outre, aucun élément de preuve n’a été soumis en vue de démontrer que des économies de coûts ont de fait été réalisées par suite de la réorganisation ou en vue de démontrer que l’on avait tenté de surveiller le rendement des propriétés après la réorganisation en vue de déterminer si les avantages prévus avaient été obtenus.

 

[93]         De plus, on ne semble avoir envisagé aucune solution de rechange moins coûteuse par rapport à la réorganisation afin d’atteindre les objectifs énoncés. L’intimée a questionné M. Jacobs au sujet de la possibilité de combiner les activités locatives de Roseland I et de Roseland II en ayant recours à un commandité commun et à un seul gestionnaire immobilier. Cela aurait permis aux deux immeubles de partager des services et de réaliser toute économie d’échelle que la réorganisation des sociétés rendait possible, tout en évitant les coûts de la réorganisation elle‑même. M. Jacobs a affirmé que, selon lui, cette solution n’était pas réalisable à cause des difficultés auxquelles la commanditée et le gestionnaire immobilier feraient face en ayant à [traduction] « servir deux maîtres ». Cependant, les deux immeubles avaient été assujettis à une gestion commune jusqu’en 1991 et rien ne montrait que quelque conflit entre les deux groupes de commanditaires ait influé sur la gestion des activités locatives à ce moment‑là.

 

[94]         Un autre but énoncé de la réorganisation était d’éliminer la concurrence entre les immeubles de Roseland I et de Roseland II lorsqu’il s’agissait d’attirer des locataires. Toutefois, l’appelant a admis, lors du contre‑interrogatoire, que la concurrence à laquelle Roseland II faisait face en ce qui concerne les locataires provenait d’autres immeubles à usage locatif situés dans le secteur et non de Roseland I et il n’a pas été démontré que les loyers des unités de Roseland I ou de Roseland II aient été fixés de façon à être inférieurs à ceux de l’autre. Selon le rapport d’évaluation préparé au mois d’août 1994, Roseland I et Roseland II bénéficiaient toutes deux de loyers élevés et de faibles taux d’inoccupation avant le transfert. On ne peut donc pas dire que la concurrence entre les immeubles influait sur les résultats d’exploitation ou qu’en combinant les deux entreprises il y aurait probablement eu une augmentation importante des recettes. L’appelant lui‑même a admis ne pas avoir prévu de majoration des loyers par suite de la réorganisation.

 

[95]         Enfin, l’ampleur de l’avantage fiscal prévu l’emportait sur tout coût à économiser à l’égard des activités locatives. La perte finale, en ce qui concerne Roseland II, était de 2 916 612 $, alors que le total de toutes les dépenses de Roseland II, à l’exclusion des impôts fonciers, était d’environ 320 000 $ en 1994.

 

[96]         Après avoir examiné toutes les circonstances entourant l’opération, je conclus qu’il n’est pas raisonnable de considérer que la disposition des actifs de Roseland II en faveur de RPM a été principalement effectuée pour des objets véritables autres que l’obtention de l’avantage fiscal et qu’il s’agissait donc d’une opération d’évitement.

 

La seconde question : l’abus

 

[97]         Puisque j’ai conclu que la disposition des biens de la société par Roseland II en faveur de RPM constituait une opération d’évitement, il faut décider si cette opération constitue un évitement fiscal abusif selon le paragraphe 245(4) de la Loi.

 

[98]         Dans l’arrêt Canada Trustco, précité, la Cour suprême du Canada a énoncé l’approche à suivre en ce qui concerne cette décision. Aux paragraphes 44 et 45, la Cour a dit ce qui suit :

 

L’interprétation contextuelle et téléologique des dispositions de la Loi invoquées par le contribuable et l’application des dispositions interprétées correctement aux faits d’une affaire donnée sont au cœur de l’analyse fondée sur le par. 245(4). Il faut d’abord interpréter les dispositions générant l’avantage fiscal pour en déterminer l’objet et l’esprit. Il faut ensuite déterminer si l’opération est conforme à cet objet ou si elle le contrecarre. L’analyse globale porte donc sur une question mixte de fait et de droit. L’interprétation textuelle, contextuelle et téléologique de dispositions particulières de la Loi de l’impôt sur le revenu est essentiellement une question de droit, mais l’application de ces dispositions aux faits d’une affaire dépend nécessairement des faits.

 

Cette analyse aboutit à une conclusion d’évitement fiscal abusif dans le cas où le contribuable se fonde sur des dispositions particulières de la Loi de l’impôt sur le revenu pour obtenir un résultat que ces dispositions visent à empêcher. Ainsi, il y a évitement fiscal abusif lorsqu’une opération va à l’encontre de la raison d’être des dispositions invoquées. Un mécanisme qui contourne l’application de certaines dispositions, comme des règles anti‑évitement particulières, d’une manière contraire à l’objet ou à l’esprit de ces dispositions peut également donner lieu à un abus. Par contre, l’existence d’un abus n’est pas établie lorsqu’il est raisonnable de conclure qu’une opération d’évitement au sens du par. 245(3) était conforme à l’objet ou à l’esprit des dispositions conférant l’avantage fiscal.

 

[99]         L’appelant affirme que le paragraphe 20(16) est la disposition donnant lieu à l’avantage fiscal en l’espèce et que l’interprétation textuelle, contextuelle et téléologique préconisée par la Cour suprême du Canada doit donc être axée sur cette disposition.

 

[100]     L’intimée a renvoyé la Cour à l’article 96 ainsi qu’au paragraphe 20(16).

 

[101]     L’article 96 est pertinent, en ce qui concerne l’allégation de l’appelant, en ce sens que la perte finale a été calculée au niveau de la société, parce que l’opération comportait la disposition des actifs de la société, mais cette disposition, en soi, ne donne pas lieu à un avantage. Dans ce cas‑ci, l’effet de la disposition est limité au transfert des pertes résultant de la disposition des biens de la société en faveur des associés de la société en commandite. Dans l’arrêt Mathew c. Canada[18], la Cour suprême a dit ce qui suit au paragraphe 51 :

 

Les règles relatives aux sociétés de personnes édictées à l’art. 96 reposent sur l’exigence que les associés d’une société de personnes aient un intérêt commun dans les activités commerciales de la société, et ce, dans le cadre de rapports avec lien de dépendance. [...]

 

[102]     Il n’est pas contesté qu’au moment où Roseland II a transféré les biens de la société à RPM, les associés de Roseland II exploitaient une entreprise en commun et qu’il y avait entre eux un lien de dépendance. Le transfert de la perte finale aux commanditaires est conforme à l’objet sous‑jacent des règles applicables aux sociétés de personnes. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner plus à fond le contexte et l’objet des règles applicables aux sociétés de personnes.

 

[103]     Les conditions précises à remplir pour demander la déduction d’une perte finale figurent au paragraphe 20(16). La question dont la Cour est saisie est donc de savoir si, en permettant à l’appelant de déduire une perte finale, on contrecarre l’objet et l’esprit de cette disposition.

 

Le texte législatif

 

[104]     Pour plus de commodité, je reproduirai ici le paragraphe 20(16), tel qu’il s’appliquait à l’année en cause :

 

Malgré les alinéas 18(1)a), b) et h), lorsque, à la fin d’une année d’imposition :

 

a) d’une part, le total des montants utilisés pour le calcul des éléments A à D de la formule figurant à la définition de « fraction non amortie du coût en capital » au paragraphe 13(21) est supérieur au total des montants utilisés pour le calcul des éléments E à J de la même formule, au titre des biens amortissables d’une catégorie prescrite d’un contribuable;

 

b) d’autre part, le contribuable ne possède plus de biens de cette

catégorie;

 

dans le calcul de son revenu pour l’année :

 

c) il doit déduire l’excédent déterminé en vertu de l’alinéa a);

 

d) il ne peut déduire aucun montant pour l’année en vertu de l’alinéa (1)a) à l’égard des biens de cette catégorie.

 

[105]     Les premiers mots de cette disposition indiquent simplement que la déduction de la perte finale est autorisée malgré les alinéas 18(1)a), b) et h). Les alinéas 20(16)a) et b) énoncent ensuite deux conditions qu’il faut remplir à la fin de l’année d’imposition afin d’obtenir la perte finale. La première, énoncée à l’alinéa a), est que la fraction non amortie du coût en capital de la catégorie de biens doit être un montant positif. Le calcul, à l’alinéa a), correspond au calcul de la fraction non amortie du coût en capital d’une catégorie de biens qui est indiqué dans la définition de l’expression « fraction non amortie du coût en capital », au paragraphe 13(21). La seconde condition, selon l’alinéa b), est que le contribuable ne possède plus de biens de cette catégorie.

 

[106]     Lorsque ces deux conditions sont réunies, le montant déterminé en vertu de l’alinéa a) peut être déduit en vertu de l’alinéa c). La déduction est connue sous le nom de « perte finale ».

 

[107]     L’intimée reconnaît que le libellé du paragraphe 20(16) n’est pas ambigu et que, selon une interprétation littérale des alinéas a) et b), les conditions qui y sont énoncées ont été remplies. En particulier, Roseland II a disposé en faveur de RPM, le 28 décembre 1994, de la propriété légale et effective de l’immeuble à condominiums et elle ne possédait donc pas de biens de cette catégorie à la fin de l’année l’imposition 1994.

 

[108]     L’intimée reconnaît également qu’il n’existe aucune restriction expresse, au paragraphe 20(16), à l’égard de la déduction d’une perte finale lorsque le cédant et le cessionnaire d’une immobilisation amortissable sont des sociétés de personnes et que tous les membres de la société de personnes cédante sont membres de la société de personnes cessionnaire après le transfert. De plus, il n’y a rien dans le paragraphe 20(16) en soi qui permet de conclure à l’existence d’une restriction à l’égard de la déduction d’une perte finale lorsque l’immobilisation amortissable fait l’objet d’une disposition en faveur d’une personne liée.

 

Le contexte et l’objet

 

[109]     Comme l’ont dit les parties, le paragraphe 20(16) fait partie du système de DPA prévu par la Loi. Ce système permet la déduction d’une provision annuelle à l’égard des actifs qui servent à produire un revenu tiré d’une entreprise ou d’un bien. La DPA remplace toute déduction pour amortissement qui est prohibée en vertu de l’alinéa 18(1)b) de la Loi.

 

[110]     Le montant de la provision est basé sur le coût des actifs pour le contribuable et il vise à répartir le coût des actifs sur leur vie économique. Comme le juge Noël l’a dit dans l’arrêt Duncan c. R.[19], « l’objet et l’esprit des dispositions pertinentes sont de tenir compte de l’argent qui a été dépensé pour acquérir des biens admissibles dans la mesure où ils sont utilisés en vue de gagner un revenu au sens de la Loi ».

 

[111]     L’objet général du système relatif à la DPA peut être décrit comme suit :

 

[TRADUCTION]

La DPA est permise à titre de déduction en vertu de l’alinéa 20(1)a) dans la mesure prévue par le Règlement de l’impôt sur le revenu;

 

Les actifs admissibles, appelés les « biens amortissables », sont groupés dans des catégories prescrites conformément à l’annexe II du Règlement;

 

L’article 1100 du Règlement indique les taux de DPA qui peuvent être déduits chaque année pour chaque catégorie de biens amortissables. Ce taux est un pourcentage de la « fraction non amortie du coût en capital » des biens de la catégorie en question;

 

La « fraction non amortie du coût en capital » est définie au paragraphe 13(21); il s’agit en somme du coût pour le contribuable des biens de cette catégorie moins le montant de la DPA utilisée à l’égard des biens de cette catégorie au cours d’années antérieures, moins le produit de la disposition de tout actif de la catégorie avant ce moment‑là (jusqu’à concurrence du coût des actifs).

 

Au moment de la disposition d’actifs, dans la mesure où le produit de la disposition excède la « fraction non amortie du coût en capital » de la catégorie, la déduction pour amortissement antérieurement utilisée est « récupérée » (c’est‑à‑dire qu’elle est rajoutée au revenu) conformément au paragraphe 13(1) de la Loi.

 

Au moment de la disposition de tous les actifs d’une catégorie particulière, tout solde qui reste à l’égard de la « fraction non amortie du coût en capital » pour la catégorie est déductible au cours de l’année à titre de perte finale en vertu du paragraphe 20(16).

 

[112]     La disposition relative à la perte finale vise à rajuster l’ensemble des déductions annuelles effectuées au titre de la DPA utilisée par un contribuable à l’égard d’une catégorie de biens amortissables lorsque des événements ultérieurs démontrent que les biens de cette catégorie ont fait l’objet d’un amortissement insuffisant. Le rajustement se produit lorsqu’un contribuable ne possède plus de biens de cette catégorie à la fin d’une année d’imposition donnée et il est fondé sur le fait que le contribuable n’est plus capable d’utiliser les biens en vue de gagner un revenu parce que ces biens ne sont plus mis à sa disposition. Le rajustement vise à faire correspondre la déduction totale effectuée au titre de la DPA en vertu de la Loi à l’égard des biens qu’un contribuable utilise en vue de gagner un revenu au coût réel de ces biens pour le contribuable.

 

[113]     L’intimée soutient que, malgré la disposition des actifs de la société en faveur de RPM, les biens étaient encore mis à la disposition de l’appelant pour qu’il gagne un revenu, quoique par l’entremise d’une autre société, et que le transfert a été effectué en vue de précipiter la perte finale avant une disposition du droit économique que l’appelant possédait sur les biens.

 

[114]     L’intimée a affirmé que les dispositions relatives à la minimisation des pertes figurant au sous‑alinéa 40(2)g)i), au paragraphe 85(4), à l’alinéa 40(2)e) et au paragraphe 85(5.1) de la Loi, ainsi que certaines modifications apportées à ces dispositions, font également partie du contexte législatif du paragraphe 20(16) qui est pertinent pour les besoins de l’analyse relative à la RGAE, et qu’elles établissent l’existence d’une politique générale, dans la Loi, selon laquelle il n’est pas tenu compte des dispositions de biens en faveur de personnes qui font partie, pour reprendre les mots de l’intimée, de [traduction] « la même unité économique » que le contribuable.

 

[115]     À mon avis, les dispositions relatives à la minimisation des pertes mentionnées par l’intimée ne montrent pas qu’il existe dans la Loi une politique claire et non ambiguë voulant que l’on ne tienne pas compte des dispositions et qu’une perte soit refusée lorsque la disposition y donnant lieu a été effectuée par le contribuable en faveur d’une personne liée. Je crois que l’intimée exagère l’étendue et le caractère exhaustif de la politique sous‑tendant ces dispositions.

 

[116]     Dans un document présenté à la Conférence de 1995 de l’Association canadienne d’études fiscales, lequel était intitulé : « New Rules, Old Chestnuts, and Emerging Jurisprudence: The Stop-Loss Rules », à la page 34.1, Edward Heakes a décrit comme suit la politique sous‑tendant les règles énoncées dans la Loi :

 

[traduction]

 

Les législateurs fiscaux reconnaissent depuis longtemps qu’afin de prévenir une érosion indue de l’assiette fiscale, des règles spéciales sont nécessaires en vue de traiter de la comptabilisation, du refus ou du report à des fins fiscales de pertes qui pourraient par ailleurs être comptabilisées par suite d’un transfert de biens entre des personnes ayant dans une certaine mesure un lien ou une relation l’une avec l’autre. La Loi de l’impôt sur le revenu ne fait pas exception et renferme de nombreuses dispositions, communément appelées les « règles de minimisation des pertes », qui visent à résoudre la question [...]

 

[117]     Le législateur a abordé le problème en adoptant une série de dispositions par lesquelles des pertes qui seraient par ailleurs autorisées en vertu de la Loi dans certains cas précis sont refusées. Ces règles sont rédigées d’une façon précise et énoncent des conditions détaillées lorsqu’il s’agit de refuser une perte qui serait par ailleurs subie par suite de la disposition d’un type particulier de biens. Ces conditions varient d’une règle de minimisation des pertes à l’autre. Une variante importante, pour nos besoins, se rapporte au degré de lien ou de relation qui doit exister entre le cédant et le cessionnaire.

 

[118]     Il est possible de constater la chose en comparant certaines dispositions. L’alinéa 40(2)e) s’applique aux dispositions effectuées par une société en faveur d’une personne qui la contrôle ou en faveur d’une société contrôlée par une telle personne. Le paragraphe 85(4) s’applique aux dispositions effectuées par les contribuables, y compris par des sociétés de personnes, en faveur de sociétés contrôlées par l’auteur du transfert, par son conjoint ou par une personne ou un groupe de personnes qui contrôlait l’auteur du transfert. Le paragraphe 85(5.1) s’applique également aux dispositions effectuées par les contribuables, quels qu’ils soient, mais il est limité à la disposition d’immobilisations amortissables. L’ensemble de cessionnaires visé au paragraphe 85(5.1) est plus étendu qu’à l’alinéa 40(2)e) ou au paragraphe 85(4). En effet, le paragraphe 85(5.1) s’applique aux dispositions :

 

-en faveur d’une société qui, immédiatement après la disposition, était contrôlée par l’auteur du transfert, le conjoint de l’auteur du transfert ou par une personne, un groupe de personnes ou une société de personnes contrôlant l’auteur du transfert;

 

-en faveur d’une personne, du conjoint d’une personne, d’un membre d’un groupe de personnes ou d’une société de personnes qui, immédiatement après la disposition, contrôlait l’auteur du transfert;

 

-en faveur d’une société de personnes, la participation de l’auteur du transfert dans la société de personne, à titre d’associé, étant une participation majoritaire.

 

[119]     Dans chaque cas, il est raisonnable d’inférer que le législateur voulait promouvoir un objet particulier en ce qui concerne la relation ou les relations distinctes décrites dans ces dispositions entre l’auteur du transfert et le bénéficiaire du transfert.

 

[120]     À mon avis, la façon précise dont le législateur a décrit la relation qui doit exister entre l’auteur du transfert et le bénéficiaire du transfert pour l’application de chaque règle de minimisation des pertes mentionnée par l’intimée indique davantage que ces règles sont des exceptions à une politique générale voulant que les pertes soient admises pour toutes les dispositions. En d’autres termes, lorsque la Loi renferme une disposition générale permettant la déduction d’une perte, sous réserve d’une restriction ou d’une exception dans certaines circonstances, la nature restreinte de l’exception peut être considérée comme soulignant la politique générale de la Loi voulant que la perte soit admise. En outre, il n’est pas exact de dire que ces règles entraînent le refus de pertes résultant de transferts entre des personnes liées. Comme nous l’avons vu ci‑dessus, la relation distincte que le législateur cherchait à cibler dans chaque cas est claire.

 

[121]     La révision générale des règles de minimisation des pertes, en 1998, ces règles devant s’appliquer aux opérations conclues après le 26 avril 1995, n’est pas importante pour ce qui est de la détermination de la politique sous‑tendant les règles de minimisation des pertes mentionnées par l’intimée qui s’appliquaient à l’année visée par l’appel. Les modifications qui ont été effectuées ne changent rien au fait que les règles de minimisation des pertes sont des exceptions qui s’appliquent dans des cas bien précis.

 

[122]     L’intimée n’a donc pas réussi à me convaincre que la Loi renferme une politique générale ou globale interdisant les pertes pour tout transfert entre des personnes liées, ou entre des personnes qui forment une unité économique, pour reprendre l’expression utilisée par l’avocat.

 

[123]     Je tiens également à signaler que le législateur a décidé de définir les circonstances dans lesquelles la perte finale sera refusée à l’égard des transferts de biens amortissables entre des sociétés de personnes, au paragraphe 85(5.1) (maintenant le paragraphe 13(21.2)) et, ce faisant, le législateur semble avoir décidé de permettre aux contribuables dont la situation n’est pas telle qu’elle est énoncée dans cette disposition de déduire leurs pertes finales. Le ministre admet en l’espèce que Roseland II n’était pas visée au paragraphe 85(5.1) parce qu’elle n’était pas une associée de RPM possédant une participation majoritaire.

 

[124]     Le ministre utilise donc la RGAE en l’espèce en vue de combler les lacunes laissées par le législateur au paragraphe 85(5.1). Il s’agit d’une utilisation inappropriée de la RGAE, comme l’a fait remarquer le juge en chef adjoint Bowman dans la décision Geransky v. The Queen[20] :

 

[...] La Loi de l’impôt sur le revenu est remarquable par sa particularisation et regorge de dispositions anti‑évitement conçues pour contrecarrer tout abus particulier perçu. Lorsque le contribuable applique ces dispositions et réussit à éviter les pièges, le ministre ne peut lui dire : « Parce que vous avez su éviter les écueils et les obstacles de la Loi et que vous n’avez pas effectué votre opération commerciale de manière à payer le maximum d’impôt, je vais invoquer la RGAE pour éviter toute échappatoire que n’aurait pas prévue la multitude de dispositions anti‑évitement particulières ».


[125]     Compte tenu des conclusions susmentionnées, je conclus que l’opération en question n’a pas entraîné d’abus dans l’application d’une disposition de la Loi ni d’abus dans l’application des dispositions de la Loi dans son ensemble. Par conséquent, la RGAE ne s’applique pas et l’appel est accueilli avec dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de mai 2008.

 

 

« B. Paris »

Juge Paris

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour de juin 2009.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 

 

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2008CCI274

 

DOSSIER DE LA COUR :                 2004-3026(IT)G

 

INTITULÉ :                                       GARY LANDRUS c. SA MAJESTÉ

                                                          LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 15 mai 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge B. Paris

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 2 mai 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l’appelant :

Me Louise R. Summerhill

Avocat de l’intimée :

Me Franco Calabrese

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :                         

 

                          Nom :                      Louise R. Summerhill

 

                          Cabinet :                  Aird & Belis LLP

                                                          Toronto (Ontario)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 



[1]               L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.).

[2]               Recueil conjoint de documents, volume III, onglet 50.

[3]               Transcription de l’instance, volume I, page 134.

[4]               Recueil conjoint de documents, volume III, onglet 29.

[5]               Transcription de l’instance, volume I, page 143.

[6]               Recueil conjoint de documents, volume III, onglet 45, page 8, et volume IV, onglet 72.

[7]               Recueil conjoint de documents, volume III, onglet 30.

[8]               Recueil conjoint de documents, volume IV, onglet 72.

[9]               Recueil conjoint de documents, volume III, onglet 56.

[10]             Recueil conjoint de documents, volume IV, onglet 60.

[11]             « Winding Up – Partnership », 20 avril 1994, doc. no 9335385, Tax Windows File.

[12]             Canada Trustco Mortgage Co. v. The Queen, 2005 DTC 5523, au paragraphe 49.

[13]             Argumentation écrite de l’intimée, au paragraphe 53.

[14]             2002 CAF 291.

[15]             2001 CAF 260, au paragraphe 46.

[16]             Recueil conjoint de documents, volume IV, onglet 66.

[17]             Recueil conjoint de documents, onglet 73.

[18]             2005 DTC 5538.

[19]             2002 CAF 291, au paragraphe 44.

[20]             [2001] 2 CTC 2147, au paragraphe 42.

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