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Dossier : 2007-3422(EI)

 

ENTRE :

LES ÉQUIPEMENTS WOODY INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

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Appel entendu le 25 février 2008 à Québec (Québec)

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Jérôme Carrier

 

 

Avocat de l'intimé :

Me Alain Gareau

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JUGEMENT

 

          L'appel interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance‑emploi est accueilli en partie seulement en ce que le travail effectué par Jérôme et Sébastien Labbé l’a été dans le cadre d’un contrat de louage de service assurable, mais cela, essentiellement pour la période allant du 1er janvier 2005 au 31 mars 2005; quant à la période du 1er avril 2005 au 16 février 2006 le travail exécuté doit être exclu des emplois assurables. La décision du ministre du Revenu national est donc annulée partiellement en conséquence, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour d’avril 2008.

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif

 


 

 

 

 

Référence : 2008CCI140

Date : 20080421

Dossier : 2007-3422(EI)

 

ENTRE :

LES ÉQUIPEMENTS WOODY INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Tardif

 

[1]     Il s’agit de l’appel d’une décision aux termes de laquelle messieurs Jérôme Labbé et Sébastien Labbé (les « travailleurs ») auraient exercé un emploi assurable du 1er janvier 2005 au 16 février 2006 pour le compte de la compagnie Les Équipements Woody inc.

 

[2]     Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a déterminé que Sébastien et Jérôme Labbé avaient exercé un emploi aux termes d’un contrat de louage de services en s’appuyant des hypothèses de fait suivantes :

 

5.  […]

 

a)      l’appelante, constituée en société le 26 mars 2003, exploite une entreprise de fabrication de machinerie agricole et forestière; (admis)

 

b)      le chiffre d’affaires annuel de l’appelante se situe entre 1 249 587 $ et 1 500 000 $; (admis)

 

c)      durant la période en litige, Sébastien Labbé rendait des services au payeur à titre d’opérateur d’une machine numérique et de coupe au laser (d’acier); (nié)

 

d)      durant cette même période, Jérôme Labbé agissait à titre de directeur général de l’appelante; il s’occupait des achats, des ventes et de trouver de nouveaux distributeurs; (nié)

 

e)      les travailleurs, actionnaires de l’appelante, prenaient conjointement, avec le 3ième actionnaire, les décisions au nom de l’appelante; (nié)

 

f)        les cautions sur les prêts et sur la marge de crédit de l’appelante étaient signées par les 3 actionnaires de l’appelante; (nié)

 

g)      les travailleurs rendaient leurs services respectifs à la place d’affaires de l’appelante; (nié)

 

h)      ils travaillaient sous la supervision de l’appelante; (nié)

 

i)        les travailleurs ne comptabilisaient pas leurs heures de travail et pouvaient faire entre 40 et 60 heures par semaine; (nié)

 

j)        malgré un horaire de travail variable, les travailleurs recevaient une rémunération hebdomadaire fixe; (nié)

 

k)      ils étaient rémunérés par dépôt direct aux deux semaines. (admis)

 

 

6.  […]

 

a)      durant la période en litige, les actions comportant droit de vote de l’appelante étaient également réparties entre les travailleurs et M. Ghislain Maheu (1/3 chacun); (admis)

 

b)      les travailleurs sont frères; (admis)

 

c)      M. Maheu n’a aucun lien de parenté avec les travailleurs; (admis)

 

d)      les travailleurs étaient liés à un groupe qui contrôlent le payeur. (admis)

 

7.  […]

 

a)      durant la période en litige, malgré que leur rémunération ait varié, passant de 300 $ à 1 000 $ et 600 $ par semaine, les travailleurs ont reçu une rémunération annuelle, en 2005, 36 600 $, tout comme le 3ième actionnaire non lié; (nié)

 

b)      avant de quitté l’appelante, le 3ième actionnaire non lié recevait la même rémunération que les travailleurs; (nié)

 

c)      malgré qu’ils pouvaient faire de 40 à 60 heures par semaine, on ne peut conclure qu’il s’agit d’une modalité de travail déraisonnable en tenant compte du fait que les travailleurs sont actionnaires de l’appelante; (nié)

 

d)      les travailleurs rendaient des services à l’appelante à l’année longue et selon les besoins de l’appelante; (admis)

 

e)      les services rendus par les travailleurs étaient essentiels au bon fonctionnement de l’appelante. (admis)

 

 

[3]     Le ministre a déterminé que les travailleurs de l’appelante étaient réputés ne pas avoir de lien de dépendance entre eux dans le cadre de ces emplois parce qu’il était convaincu qu’il était raisonnable de conclure que les travailleurs et l’appelante auraient conclu entre eux un contrat à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu un lien de dépendance.

 

[4]     Sylvie Drouin a témoigné. Elle est la mère de Jérôme et de Sébastien Labbé. Elle a expliqué avoir fait carrière dans une caisse populaire dans le domaine du financement à l’entreprise.

 

[5]     Elle a expliqué qu’elle effectuait le travail de comptabilité pour l’appelante sans rémunération et qu’à la fin de l’année ce travail était envoyé à un bureau de comptables pour la préparation des états financiers.

 

[6]     Elle a également expliqué avoir obtenu une rémunération pour une période d’une année, et ce, pour une raison toute particulière, laquelle a été plus amplement décrite par son fils Jérôme.

 

[7]     Elle a expliqué avoir travaillé pour la société dans laquelle ses deux fils détenaient au départ chacun 33 1/3 % du capital-actions. Elle a expliqué que monsieur Ghislain Maheu possédait le tiers restant des actions.

 

[8]     Monsieur Jérôme Labbé a ensuite témoigné. Il a expliqué que son frère et lui possédaient des qualifications et compétences en matière de soudure et d’hydraulique. À un moment donné, ils ont pris la décision de créer une entreprise œuvrant dans le domaine de la soudure.

 

[9]     Pour accélérer la mise en marche de leur projet, ils ont rencontré monsieur Ghislain Maheu, qui exploitait déjà une entreprise œuvrant dans ce domaine. Après discussion, ils ont convenu de créer la société appelante, Les Équipements Woody inc.

 

[10]    À la mi-mars de l’année 2005, Jérôme Labbé recevait un appel téléphonique de Ghislain Maheu lui demandant de prendre connaissance d’une lettre déposée dans sa boîte à lettres, de manière à ce que le lundi suivant, ils puissent discuter du contenu de celle-ci.

 

[11]    La lettre en question faisait état de la décision de Ghislain Maheu de vendre ses actions au motif qu’il était insatisfait de la façon dont les choses fonctionnaient; Ghislain Maheu aurait principalement déploré le fait qu’il se sentait exclu des décisions et son statut d’actionnaire minoritaire le préoccupait au point où il avait pris la décision de vendre ses actions.

 

[12]    Quant au prix demandé pour ses actions, monsieur Maheu a indiqué qu’il préférait attendre les états financiers pour être en mesure de déterminer la juste valeur de ses actions.

 

[13]    Au départ, il avait été convenu que les actionnaires recevraient un salaire plus que modeste pour assurer la santé financière de la société. Sylvie Drouin, pour la même raison, avait accepté de travailler bénévolement. Les frères Labbé et leur mère ont réalisé qu’une telle situation gonflerait artificiellement la valeur de la société, leur causant ainsi un grand préjudice.

 

[14]    En effet, le fait de toucher des salaires modestes dans le cas des frères Labbé et aucun salaire dans le cas de leur mère aurait pour effet d’augmenter la qualité du bilan devant servir à l’établissement de la valeur des actions de Ghislain Maheu.

 

[15]    Conséquemment, ils ont décidé que la société verserait un salaire approprié aux frères Labbé et qu’elle verserait un salaire à leur mère pour le travail qu’elle effectuait. Cela devait avoir pour effet de réduire les surplus de liquidités découlant des activités de la société et, de ce fait, affecter le bilan devant servir à déterminer la valeur des actions de Ghislain Maheu.

 

[16]    La vente des actions a eu lieu le 17 février 2006. Or, la lettre de démission de Ghislain Maheu est en date du 2 septembre 2005. À cet effet, Jérôme Labbé a expliqué que monsieur Maheu avait effectivement quitté la société à la fin mars 2005 et qu’il avait dès lors commencé à travailler pour une autre entreprise, coupant ainsi tout lien d’emploi avec l’appelante à compter de cette date.

 

[17]    La partie appelante a aussi fait état d’un prêt (pièce A‑1). Craignant que ce prêt entraîne une détérioration de la valeur économique de ses actions, monsieur Maheu a signalé aux représentants de l’institution financière ayant consenti le prêt qu’il était en désaccord avec le prêt en question.

 

[18]    Ce sont là, grosso modo, les faits révélés par la preuve.

 

 

Analyse

 

[19]    Monsieur Maheu a été actionnaire de la société jusqu’à la vente de ses actions le 17 février 2006. Dans les faits, il a démissionné formellement le 2 septembre 2005 au moyen d’une lettre. Le travail manuel qu’il effectuait pour la société a pris fin le 30 mars après un préavis de deux semaines. Ce fait établi d’une manière non équivoque, a été totalement ignoré ou écarté lors de l’analyse ayant conduit à la décision.

 

[20]    En effet, les circonstances de la rupture définitive du lien de Ghislain Maheu avec la société ont été occultées de l’analyse ayant conduit à la détermination, ce qui en soi constitue un élément fondamental, voire déterminant, de cette affaire.

 

[21]    L’intimé soutient que monsieur Maheu est demeuré actionnaire jusqu’à la signature du contrat notarié attestant de la vente de ses actions, concluant à partir de ce constat que l’analyse doit se faire en tenant pour acquis que les frères Labbé et Ghislain Maheu détenaient juridiquement chacun un tiers des actions jusqu’à ce moment.

 

[22]    Pour valider son argument, l’intimé soutient en outre que le fait d’avoir exprimé son désaccord auprès de l’institution financière ayant consenti un prêt à la société confirme que monsieur Maheu était toujours, pendant la période en question, détenteur du tiers des actions.

 

[23]    Effectivement, il n’y a pas de doute que Ghislain Maheu a été actionnaire minoritaire jusqu’au moment où il a cédé ses actions. Par contre, dans les faits, il est évident que les frères Labbé exploitaient cette entreprise comme s’ils avaient détenu chacun 50 % des actions.

 

[24]    D’ailleurs, c’est ce qui explique la décision de monsieur Maheu de rompre ses liens avec la Société. Bien que formellement propriétaire enregistré du tiers des actions, Ghislain Maheu avait toutefois pris la décision non équivoque de céder des actions et les frères Labbé, celle de les acquérir; seule la considération ou la valeur des actions devant être déterminée à partir du bilan a retardé le moment du transfert. Le fait d’avoir quitté son travail avec un préavis et en avoir débuté un autre s’avère un élément fort important pour l’appréciation du statut de travailleurs des frères Labbé. D’autre part, de tels faits illustrent bien à quel point Ghislain Maheu avait démissionné quant aux affaires quotidiennes de l’entreprise. Juridiquement, il demeurait actionnaire bien qu’il savait qu’il n’avait plus l’influence, ni le pouvoir de changer quoi que ce soit, les deux autres actionnaires (les deux frères Labbé) étant roi et maître de la situation. À cet effet, la preuve est d’ailleurs assez significative; je fais notamment référence à la décision de faire un emprunt, décision avec laquelle Ghislain Maheu n’était pas d’accord, mais aussi et surtout à celle ayant majoré substantiellement le salaire des frères Labbé et l’octroi d’un salaire à leur mère.

 

[25]    À la lumière de la preuve, il y a lieu de conclure que les frères Labbé effectuaient leur travail dans le cadre d’un contrat de louage de services jusqu’au 31 mars; suite au départ de Ghislain Maheu, ils sont devenus, de facto, ceux qui dirigeaient l’entreprise de l’appelante dans une proportion de 50-50.

 

[26]    Dans les circonstances, je conclus que Jérôme et Sébastien Labbé ont effectué leur travail dans le cadre d’un contrat de louage de services jusqu’au départ de monsieur Maheu le 30 mars 2005.

 

[27]    Après cette date, ils sont devenus des actionnaires qui avaient dans les faits le contrôle de plus de 40 % des actions, leur travail devenant, par ce fait même, exclu des emplois assurables.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour d’avril 2008.

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif


RÉFÉRENCE :                                  2008CCI140

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2007-3422(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              LES ÉQUIPEMENTS WOODY INC., ET M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 25 février 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Alain Tardif

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 21 avril 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Jérôme Carrier

 

 

Avocat de l'intimé :

Me Alain Gareau

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante :

 

                     Nom :                            Me Jérôme Carrier

                 Cabinet :                           Lévis (Québec)

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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