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Dossier : 2006-1861(GST)G

ENTRE :

 

 

ROBERT VERRET,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 21 novembre 2007 à Fredericton (Nouveau‑Brunswick).

 

Devant : L’honorable juge François Angers

 

Comparution :

 

Avocat de l’appelant :

 

Me Terrence P. Lenihan

Avocate de l’intimée :

Me Caitlin Ward

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel interjeté à l’égard de la cotisation établie sous le régime de la Loi sur la taxe d’accise, dont l’avis est daté du 16 février 2004, est accueilli, avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de mai 2008.

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de janvier 2009.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

 

Référence : 2008CCI240

Date : 20080526

Dossier : 2006-1861(GST)G

ENTRE :

 

 

ROBERT VERRET,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Angers

 

[1]              Le 16 février 2004, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi une cotisation sous le régime de la Loi sur la taxe d’accise (la « Loi ») à l’égard de l’appelant, en sa qualité d’administrateur de Brunswick Rent‑a‑Car Ltd. (ci‑après « Brunswick »), en raison de l’omission, par cette société, de déduire, retenir ou verser la taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée (la « TPS/TVH ») qu’elle était tenue de payer pour les périodes allant du 1er août 1996 au 30 avril 1999. La cotisation a subséquemment été ratifiée le 27 mars 2006.

 

 

Le paragraphe [2] suit.

 

 

 

 

 

[2]              La cotisation s’élève à 54 431,69 $. Cette somme est répartie de la façon suivante :

 

Fin de la période

Taxe nette

Intérêt

Pénalité

Total

96-10-31

3 052,77 $

1 527,83 $

2 290,38 $

6 870,78 $

97-01-31

643,37 $

176,67 $

274,66 $

1 094,70 $

97-04-30

538,52 $

137,17 $

212,86 $

888,55 $

97-07-31

9 686,51 $

2 467,65 $

3 828,73 $

15 982,89 $

97-10-31

9 276,30 $

2 363,17 $

3 666,51 $

15 305,98 $

98-01-31

1 282,81 $

328,35 $

509,52 $

2 120,68 $

98-04-30

150,20 $

3 507,49 $

5 606,64 $

9 264,33 $

99-01-31

 

51,67 $

69,86 $

121,53 $

99-04-30

1 644,70 $

384,27 $

603,08 $

2 632,05 $

03-01-09

150,00 $

 

 

     150,00 $

TOTAL

 

 

 

54 431,49 $

 

[3]              Dans sa réponse à l’avis d’appel, l’intimée a reconnu que le montant de taxe nette de 150 $ pour la période se terminant le 9 janvier 2003 se rapporte à ce qui est qualifié de [TRADUCTION] « frais juridiques » et ne fait pas partie du montant certifié devant la Cour fédérale. L’intimée consent donc au jugement en ce qui concerne cette période et la somme de 150 $.

 

[4]              Le 15 août 2002, le ministre a enregistré à la Cour fédérale du Canada un certificat précisant la somme nette de 49 894,41 $ pour laquelle Brunswick est responsable, plus la pénalité et les intérêts. Vers le 28 janvier 2004, il y a eu défaut d’exécution à l’égard de cette somme. Les sommes dues ne sont pas contestées dans le présent appel.

 

[5]              À tous les moments pertinents, l’appelant était l’unique actionnaire et administrateur de Brunswick de même que son président; il a admis qu’il était un homme d’affaires chevronné, mais il n’a pas donné de précisions sur ce point. Brunswick a été constituée en société en vertu des lois du Nouveau‑Brunswick le 27 novembre 1976 et, jusqu’à l’an 2000, elle s’occupait de location de voitures, ce qui incluait la vente de pièces de voitures d’occasion. Brunswick avait également des revenus locatifs. L’appelant a reconnu que Brunswick était inscrite aux termes de la partie IX de la Loi et que la société était tenue de produire chaque trimestre une déclaration. Il ressort de la preuve que, dans les faits, Brunswick a effectivement produit trimestriellement une déclaration et payé la taxe nette exigible. C’est par suite d’une vérification effectuée en 1999 que des montants de taxe nette ont été établis comme étant payables pour les périodes du 1er août 1996 au 30 avril 1999, ce qui a entraîné l’établissement d’une cotisation à l’égard de Brunswick et, ultérieurement, de l’appelant. Comme il est mentionné plus haut, ce dernier ne conteste pas le montant de la cotisation initialement établie à l’égard de Brunswick et il reconnaît que cette dernière a omis de verser la taxe.

 

[6]              À tous les moments pertinents, l’appelant exploitait deux autres entreprises, à savoir, Verret’s Funeral Homes Ltd. et Gloval Auto Broker (NB) Ltd. La responsabilité des activités quotidiennes de Brunswick et du salon funéraire était déléguée et confiée à un certain Patrick Benoit et, dans une moindre mesure, au fils de l’appelant. M. Benoit était lui‑même un entrepreneur de pompes funèbres qualifié et il a travaillé à la fois pour le salon funéraire et pour Brunswick pendant près de 20 ans. Selon l’appelant, M. Benoit était un homme digne de confiance et, à sa grande déception, il avait parfois davantage confiance en lui qu’en son propre fils. Il a soudainement cessé d’avoir confiance en M. Benoit lorsqu’il a appris que ce dernier avait détourné à son profit des fonds de Brunswick pendant un certain nombre d’années, en fait six ou sept ans. Aux dires de l’appelant, M. Benoit a été déclaré coupable à cet égard environ un an et demi avant la date de la présente audience.

 

[7]              Parce qu’il considérait M. Benoit comme un employé clé loyal, l’appelant se fiait constamment à ses compétences pour diriger les deux sociétés, ce qui lui permettait de passer presque six mois par année en Floride. La participation de l’appelant aux activités de Brunswick et du salon funéraire a diminué encore davantage après qu’il se fut heurté à deux problèmes de santé : l’un lié au coma de 21 jours dans lequel il a été plongé dix ou onze ans plus tôt à la suite d’un accident de la route causé par un grave anévrisme, et l’autre à des problèmes de prostate qui ont nécessité deux interventions chirurgicales.

 

[8]              L’appelant est par la suite demeuré faible pendant une longue période et il ne travaillait pas tous les jours. Il a déclaré qu’il s’était en quelque sorte considéré comme à la retraite pendant les dernières dix ou onze années. Il a continué à passer environ la moitié de l’année en Floride et l’autre moitié à Montréal et à Bathurst, au Nouveau‑Brunswick.

 

[9]              Même s’ils étaient signés par l’appelant, les états financiers de Brunswick étaient dressés par le comptable agréé de la société et l’appelant ne les examinait pas. Il se fiait à M. Benoit pour fournir les renseignements pertinents au comptable. Il se fiait également à M. Benoit pour la tenue de la comptabilité interne, laquelle était subséquemment remise au comptable de Brunswick. L’appelant ignore qui signait les déclarations de TVH trimestrielles, mais il sait que le comptable les remplissait en se servant des renseignements fournis par M. Benoit. Comme il a déjà été mentionné, les déclarations trimestrielles étaient produites dans le délai prescrit et la taxe nette était payée en conformité avec les renseignements qui y figuraient.

 

[10]         Les activités commerciales de Brunswick ont commencé à décliner lorsqu’on a découvert que le terrain sur lequel ses locaux étaient situés était contaminé par des hydrocarbures. Cette situation a fini par entraîner la cessation des activités de l’entreprise en 2000.

 

[11]         L’avocat de l’appelant soutient que son client n’a jamais volontairement omis d’agir avec le soin ou la diligence nécessaire. Il ajoute que l’appelant avait confié la gestion quotidienne de Brunswick à un seul employé clé et qu’il n’avait aucune raison de mettre en doute l’exactitude des renseignements qui étaient subséquemment fournis au comptable de Brunswick pour l’établissement des déclarations trimestrielles. Il fait valoir que, comme les déclarations ont été produites dans le délai prescrit et comme la taxe nette a été payée, rien ne justifiait l’appelant de douter du système mis en place. Ce n’est que lorsque la vérification a eu lieu et que les nouvelles sommes ont été établies qu’il est apparu que la taxe nette n’avait pas été déclarée en totalité.

 

[12]         L’avocat de l’appelant allègue en outre qu’il convient de tenir compte du fait que son client était malade vers cette époque : sa participation aux activités et son intérêt ont diminué et il se fiait de plus en plus à son employé clé, pensant que tout était fait dans les règles.

 

[13]         L’avocate de l’intimée soutient que l’appelant s’est lui‑même mis dans une situation où il ne savait pas, et ne se souciait pas de savoir, ce qui se passait. L’avocate estime qu’une telle attitude constitue de l’aveuglement volontaire. L’appelant a complètement perdu intérêt dans l’entreprise, il n’a pris aucune mesure pour être mis au courant de la situation et il s’est donc exposé à la possibilité que sa responsabilité pour la dette soit engagée en raison de son laisser‑aller.

 

[14]         La Cour doit se demander si l’appelant est responsable aux termes du paragraphe 323(1) de la Loi ou, plus précisément, s’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement de Brunswick de verser la somme susmentionnée que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances, de telle sorte que le paragraphe 323(3) de la Loi s’applique.

 

[15]         Les paragraphes 323(1) et 323(3) sont ainsi rédigés :

 

Responsabilité des administrateurs

 

323 (1) Les administrateurs d’une personne morale au moment où elle était tenue de verser, comme l’exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), un montant de taxe nette ou, comme l’exige l’article 230.1, un montant au titre d’un remboursement de taxe nette qui lui a été payé ou qui a été déduit d’une somme dont elle est redevable, sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer le montant ainsi que les intérêts et pénalités afférents.

 

Diligence

 

323 (3) L’administrateur n’encourt pas de responsabilité s’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

 

[16]         La décision la plus souvent citée en matière de responsabilité de l’administrateur est l’arrêt Soper c. Canada, [1997] A.C.F. no 881 (QL), [1997] 3 C.T.C. 242, de la Cour d’appel fédérale. Le juge Robertson y analyse en profondeur le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable que peuvent invoquer les administrateurs dans les affaires de responsabilité au titre de la taxe. Le véritable critère à appliquer pour établir la diligence raisonnable comporte à la fois des éléments subjectifs et objectifs. Voici quelques extraits de cette décision tirés des paragraphes 29 à 33 (21 – 25 C.T.C.). Ils illustrent bien la signification qu’il faut donner aux termes « compétence », « soin » et « diligence ».

 

Compétence

 

29     [...] À mon avis, il est correct de faire une distinction semblable entre une personne prudente et une personne raisonnablement compétente, de manière à conclure que l’élément subjectif de la norme de compétence prévue par la common law n’a pas été modifié par la loi fédérale.

 

Soin

 

30     [...] Par conséquent, dans le cas où la personne prudente est inexpérimentée (possibilité qui a été évoquée plus haut), la loi requiert uniquement que cette personne agisse avec le degré de soin qui est proportionné à son niveau de compétence. C’est de cette façon que la compétence et le soin sont visiblement liés entre eux. Cela dit, il importe de souligner qu’il ne suffit pas qu’un administrateur affirme simplement qu’il a fait de son mieux si, eu égard à son niveau de compétence et à sa pratique des affaires, il n’a pas agi avec prudence. [...]

 

Diligence

 

31     Réflexion faite, il me semble qu’on peut soutenir que le terme « diligence » est synonyme du terme « soin ». Autrement dit, la diligence est simplement le degré d’attention ou de soin qu’on attend d’une personne dans une situation donnée. Du moins, c’est ainsi que ce terme est employé dans l’arrêt City Equitable. [...]

 

32     Le professeur Welling avance que la personne prudente qui est membre d’un conseil d’administration ferait sûrement preuve de diligence dans l’exercice de ses fonctions; une personne compétente devrait utiliser ses compétences pour exercer les fonctions en question, tandis qu’une personne inexpérimentée devrait obtenir des [traduction] « conseils d’une personne indépendante compétente » dans les mêmes circonstances (Welling, précité, à la page 334). Je suis peu disposé à souscrire sans réserve à cette analyse. Même si un administrateur est inexpérimenté, je ne vois pas pourquoi il n’aurait pas le droit de s’appuyer, comme on le prévoit dans l’arrêt City Equitable, sur les conseils fournis par des dirigeants de la société, à moins que les circonstances ne soient telles que la personne prudente mais inexpérimentée qui agit comme administrateur consulterait une personne indépendante. [...]

 

33     [...] La norme de la personne raisonnable n’est donc guère rigide. Elle s’adapte aux circonstances et aux qualités individuelles de l’intéressé. C’est d’autant plus vrai dans le contexte du droit des sociétés ou du droit fiscal fédéral où la norme, du moins telle qu’elle s’applique aux fonctions des administrateurs, est expressément modifiée par l’expression « en pareilles circonstances » ou « dans des circonstances comparables ».

 

[17]         Aux paragraphes 37 et 38 (29 – 30 C.T.C.), le juge Robertson arrive à la conclusion suivante :

 

37     [...] La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi est fondamentalement souple. Au lieu de traiter les administrateurs comme un groupe homogène de professionnels dont la conduite est régie par une seule norme immuable, cette disposition comporte un élément subjectif qui tient compte des connaissances personnelles et de l’expérience de l’administrateur, ainsi que du contexte de la société visée, notamment son organisation, ses ressources, ses usages et sa conduite. Ainsi, on attend plus des personnes qui possèdent des compétences supérieures à la moyenne (p. ex. les gens d’affaires chevronnés).

 

38      La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi n’est donc pas purement objective. Elle n’est pas purement subjective non plus. Il ne suffit pas qu’un administrateur affirme qu’il a fait de son mieux, car il invoque ainsi la norme purement subjective. Il est également évident que l’intégrité ne suffit pas. Toutefois, la norme n’est pas une norme professionnelle. Ces situations ne sont pas régies non plus par la norme du droit de la négligence. La Loi contient plutôt des éléments objectifs, qui sont représentés par la notion de la personne raisonnable, et des éléments subjectifs, qui sont inhérents à des considérations individuelles comme la « compétence » et l’idée de « circonstances comparables ». Par conséquent, la norme peut à bon droit être qualifiée de norme « objective subjective ».

 

[18]         Dans l’arrêt Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, [2004] 3 R.C.S. 461, 2004 CSC 68, la Cour suprême du Canada a subséquemment adopté une norme objective. Aux paragraphes 63 et 67 de ses motifs, elle tient les propos suivants au sujet de la norme objective subjective et de l’obligation de diligence :

 

63     Dans l’arrêt Soper c. Canada, [1998] 1 C.F. 124, par. 41, le juge Robertson de la Cour d’appel fédérale a décrit la norme de diligence énoncée à l’al. 122(1)b) de la LCSA comme étant une norme « objective subjective ». Même s’il portait sur l’interprétation d’une disposition de la Loi de l’impôt sur le revenu, cet arrêt est pertinent en l’espèce parce que le libellé de la disposition établissant la norme de diligence est identique à celui de l’al. 122(1)b) de la LCSA. Nous estimons pour notre part que le fait, pour le juge Robertson, de qualifier la norme par l’expression « objective subjective » peut semer la confusion. Nous préférons la décrire comme une norme objective. Ainsi, il devient évident que dans le cas de l’obligation de diligence prévue à l’al. 122(1)b), ce sont les éléments factuels du contexte dans lequel agissent l’administrateur ou le dirigeant qui sont importants, plutôt que les motifs subjectifs de ces derniers, qui sont l’objet essentiel de l’obligation fiduciaire prévue à l’al. 122(1)a) de la LCSA.

 

67     On ne considérera pas que les administrateurs et les dirigeants ont manqué à l’obligation de diligence énoncée à l’al. 122(1)b) de la LCSA s’ils ont agi avec prudence et en s’appuyant sur les renseignements dont ils disposaient. Les décisions prises doivent constituer des décisions d’affaires raisonnables compte tenu de ce qu’ils savaient ou auraient dû savoir. Lorsqu’il s’agit de déterminer si les administrateurs ont manqué à leur obligation de diligence, il convient de répéter que l’on n’exige pas d’eux la perfection. Les tribunaux ne doivent pas substituer leur opinion à celle des administrateurs qui ont utilisé leur expertise commerciale pour évaluer les considérations qui entrent dans la prise de décisions des sociétés. Ils sont toutefois en mesure d’établir, à partir des faits de chaque cas, si l’on a exercé le degré de prudence et de diligence nécessaire pour en arriver à ce qu’on prétend être une décision d’affaires raisonnable au moment où elle a été prise.

 

[19]         Dans l’arrêt Soper, précité, la Cour d’appel fédérale s’est également penchée sur le degré de soin nécessaire. Elle a quelque peu minimisé l’importance de la distinction à établir entre un administrateur externe et un administrateur interne lorsqu’elle a fait observer que la responsabilité n’est pas simplement fonction du fait qu’une personne est considérée comme un administrateur interne par opposition à un administrateur externe. La Cour a toutefois affirmé que « [l]es administrateurs internes, c’est‑à‑dire ceux qui s’occupent de la gestion quotidienne de la société et qui peuvent influencer la conduite de ses affaires, sont ceux qui auront le plus de mal à invoquer la défense de diligence raisonnable » (Soper, précité, paragraphe 41 [33 C.T.C.]).

 

[20]         Quant à savoir si un administrateur unique est inévitablement un administrateur interne, le juge Hershfield a déclaré, dans la décision Sziklai v. The Queen, 2006 DTC 2798, que la qualité d’administrateur interne d’une personne est tributaire de son degré de participation et de connaissance en ce qui touche les activités quotidiennes de l’entreprise. L’analyse du juge Hershfield nous rappelle que l’application de la norme visant à établir comment une personne raisonnablement prudente aurait agi dans les mêmes circonstances a pour toile de fond le degré de participation de l’administrateur à l’entreprise.

 

[11]     Par conséquent, les administrateurs internes, par définition, participent à la gestion de l’entreprise. Imputer la participation à la gestion de l’entreprise à une personne qui ne participait pas à celle‑ci est incompatible avec ce facteur déterminant. De plus, le fait d’imputer à l’administrateur unique de la société la participation à la gestion de celle‑ci et la conduite de la personne qui s’est soustraite à ses obligations implique qu’aucune défense fondée sur la diligence raisonnable ne peut être invoquée par les administrateurs uniques. Il est clair qu’il ne peut en être ainsi, et, à mon avis, il ne faut pas non plus supposer que le juge Mogan voulait que sa conclusion soit considérée comme étant une règle immuable dans tous les cas.

 

[12]     Cela ne veut pas dire que la norme de diligence à laquelle l’appelant est assujetti n’est pas plus stricte que celle à laquelle les administrateurs externes sont assujettis. La démarche qui consiste à établir une distinction entre les administrateurs « internes » et les administrateurs « externes » sert à déterminer ce qu’une personne raisonnablement prudente aurait fait dans les mêmes circonstances. Dans ce contexte, il serait peut‑être mieux de se poser simplement la question de savoir si, compte tenu de sa position et de son niveau de participation, l’appelant était en mesure de détecter des problèmes éventuels et de les résoudre. Le juge Bonner a adopté cette approche dans la décision Mariani c. La Reine. Au paragraphe 19, il a dit ce qui suit :

 

Je ne peux souscrire au point de vue de l’intimée. La distinction entre les catégories d’administrateurs internes et externes ne fait pas partie d'un processus mécanique de classification dans des catégories définies de manière rigide de gagnants et de perdants. Il s’agit plutôt d’une reconnaissance qui va de soi. Certains administrateurs, généralement parce qu’ils participent à la gestion au jour le jour de l’entreprise, sont en meilleure position que d’autres pour détecter la possibilité de manquements et y faire face. Il s’agit là d’un élément pertinent.

 

[21]         Le juge Hershfield tient plus loin les propos suivants :

 

[14]     Toutefois, il y a malgré tout une certaine souplesse dans l’application des critères, même lorsqu’il s’agit des administrateurs internes. La norme est celle du raisonnable et non celle de la perfection, même à l’égard des administrateurs internes d’une entreprise à peine rentable. La question qu’il faut se poser est toujours la même et il s’agit de savoir ce que, dans les circonstances, une personne raisonnablement prudente qui se trouverait dans la même position que l’appelant devrait faire. Dans l’arrêt Smith c. La Reine, le juge Sharlow de la Cour d’appel fédérale a dit qu’il faut se rappeler que la norme n’est pas celle de la perfection.

 

[12] La souplesse inhérente à la défense de diligence raisonnable peut créer des situations où une norme de prudence plus élevée s’impose à certains administrateurs d’une société par rapport à d’autres. Par exemple, il peut être approprié d’imposer une norme plus élevée à un « administrateur interne » (par exemple, un directeur ayant l’habitude de la gestion au jour le jour) qu’à un « administrateur externe » (comme un directeur qui connaît assez peu les affaires de la société et n’est impliqué que de façon superficielle).

 

[22]         Il s’agit en l’espèce de savoir si l’appelant, à titre d’administrateur et compte tenu de son poste et de sa participation à l’entreprise, était en mesure de déceler le problème potentiel et de le résoudre. La responsabilité doit être établie en fonction des faits propres à chaque cas et du principe juridique applicable. L’appelant en l’espèce participait‑il suffisamment à l’entreprise – comme un administrateur interne l’aurait fait – pour se rendre compte de l’omission d’effectuer les versements ou de la possibilité d’une telle omission?

 

[23]         L’appelant a déclaré qu’il avait confié la gestion quotidienne de l’entreprise à une personne en laquelle il avait totalement confiance. Il n’avait aucune raison de soupçonner que les déclarations de TPS/TVH n’étaient pas remplies de manière appropriée. En réalité, la preuve a révélé que Brunswick produisait ses déclarations trimestrielles dans le délai prescrit et qu’elle payait la taxe nette due. Ce n’est qu’après la vérification que l’appelant a été informé du fait que les déclarations trimestrielles comportaient des erreurs. Ces erreurs n’ont pas été précisées ou expliquées à l’audience, mais elles sont à l’origine de la situation dont je suis saisi.

 

[24]         La preuve m’incite à croire, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant, même s’il reconnaît être un homme d’affaires chevronné, ne participait pas suffisamment aux activités quotidiennes de Brunswick pour lui permettre – agissant comme toute personne raisonnablement prudente l’aurait fait – d’avoir une quelconque raison de douter de la fiabilité de son gérant en ce qui a trait à l’observation de la Loi. En réalité, l’appelant a lui‑même été victime des activités frauduleuses et de la malhonnêteté de son gérant. Il me semble raisonnable, dans les circonstances de la présente affaire, que l’appelant ait fait confiance à quelqu’un qu’il croyait depuis presque 20 ans être une personne et un gérant digne de confiance.

 

[25]         En l’absence d’un doute ou d’un soupçon, il paraît raisonnable de se fier à l’honnêteté et à l’intégrité de son gérant, en particulier lorsque la société n’éprouve pas de difficultés financières. Les activités commerciales de Brunswick ont commencé à décliner lorsqu’on a découvert que le terrain sur lequel étaient situés ses locaux était contaminé par des hydrocarbures, ce qui a entraîné la cessation des activités de l’entreprise en 2000, après que la vérification eut été effectuée. En outre, le fait que l’appelant ait eu un grave accident de la route et des problèmes de santé avant et pendant la période où les déclarations trimestrielles inexactes étaient produites revêt une certaine importance dans l’application du critère. Ces circonstances ont d’autant plus incité l’appelant à se fier à l’honnêteté et à la compétence de son gérant. La présence de l’appelant à l’étranger, ou son absence de l’entreprise, étaye encore davantage le fait qu’il ne participait pas aux activités quotidiennes de Brunswick.

 

[26]         On s’attend à ce qu’un administrateur agisse avec diligence raisonnable à partir du moment où il a connaissance, ou devrait avoir connaissance, de l’omission de verser la taxe ou de la possibilité que les versements soient erronés. Pour satisfaire à la norme applicable, l’administrateur doit alors prendre de réelles mesures valables et concrètes en vue d’empêcher le manquement. J’estime que l’appelant en l’espèce n’avait aucune raison de soupçonner que les déclarations trimestrielles étaient inexactes puisqu’elles étaient produites en temps opportun et que la taxe nette exigible était payée. Il n’avait aucune raison de douter de l’honnêteté et de l’intégrité de son gérant, lequel fournissait les renseignements requis à son expert‑comptable, qui, à son tour, établissait les déclarations trimestrielles. Compte tenu de ces circonstances, j’arrive à la conclusion que l’appelant a agi d’une façon raisonnablement prudente.

 

[27]         L’appel est accueilli avec dépens et la cotisation est annulée.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de mai 2008.

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de janvier 2009.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


RÉFÉRENCE :                                  2008CCI240

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2008-1861(GST)G

 

INTITULÉ :                                       Robert Verret et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Fredericton (Nouveau‑Brunswick)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 21 novembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 26 mai 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

 

Me Terrence P. Lenihan

Avocate de l’intimée :

Me Caitlin Ward

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                      Me Terrence P. Lenihan

                          Cabinet :                  Byrne, Lenihan & Assoc

                                                          Bathurst (Nouveau‑Brunswick)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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