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Dossier : 2006-1817(IT)G

ENTRE :

 

ADP CANADA CO.

(Société REMPLAÇANT CANADIAN AUTOMATIC

DATA PROCESSING SERVICES LTD.),

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[traduction française officielle]

____________________________________________________________________

Appels entendus le 12 février 2008 à Montréal (Québec).

 

Devant : L’honorable juge Pierre Archambault

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Louis Tassé

Avocat de l’intimée :

Me Benoit Mandeville

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L’appel de la nouvelle cotisation établie en application de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour l’année d’imposition 1999 est rejeté.

 

          L’appel de la nouvelle cotisation établie en application de la Loi pour l’année d’imposition 2001 est accueilli et la nouvelle cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait qu’ADP a le droit de déduire un montant de 397 929 $ dans le calcul de son revenu, le tout conformément aux motifs du jugement ci‑joints. L’intimée a droit à ses dépens dans une proportion de 75 p. 100.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mai 2008.

 

« Pierre Archambault »

Juge Archambault

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour d’octobre 2008.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

 

 

Référence : 2008CCI236

Date : 20080515

Dossier : 2006-1817(IT)G

ENTRE :

 

ADP CANADA CO.

(SOCIÉTÉ REMPLAÇANT CANADIAN AUTOMATIC

DATA PROCESSING SERVICES LTD.),

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[traduction française officielle]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Archambault

 

[1]   ADP Canada Co. (« ADP ») interjette appel de nouvelles cotisations concernant ses années d’imposition 1999 et 2001. En ce qui concerne l’année 2001, il s’agit de savoir si le ministre du Revenu national (le « ministre ») a eu raison d’ajouter au capital d’ADP, dans le calcul de l’impôt sur les grandes sociétés prévu à la partie I.3 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), un montant de 1 104 129 044 $ (« 1,1 milliard de dollars ») au titre d’avances et s’il pouvait rejeter un montant de 397 929 $ qu’ADP avait versé à ses clients au titre de dommages‑intérêts. En ce qui concerne l’année d’imposition 1999, le ministre a refusé le report rétrospectif d’un crédit de surtaxe de 140 759 $. Le succès de l’appel concernant cette année d’imposition dépend entièrement du traitement du rajustement de 1,1 milliard de dollars apporté au capital d’ADP.

 


Les faits

 

[2]   Au début de l’audience, les parties ont déposé un exposé conjoint partiel modifié des faits, dont je reproduirai ici les passages les plus pertinents :

 

[traduction]

 

[...]

 

6. L’appelante exploite une entreprise dans le cadre de laquelle elle fournit à ses clients des services intégrés de paie et de versement de charges sociales moyennant une rétribution (les « frais de traitement de la paie »).

 

7. Les tâches et obligations de l’appelante et de ses clients sont énoncées dans une entente signée par chaque partie.

 

8. L’appelante verse, pour le compte de ses clients, aux employés de ces derniers leurs salaires et verse les charges sociales y afférentes aux autorités fiscales.

 

9. L’obligation de payer les salaires et de verser les retenues d’impôt applicables aux autorités fiscales est une obligation qui incombe aux clients de l’appelante; il ne s’agit pas d’une obligation légale incombant à l’appelante.

 

10. L’obligation contractuelle que l’appelante a envers ses clients est limitée aux services de paie, et notamment au paiement des salaires des employés de ses clients et au versement aux autorités fiscales des retenues d’impôt applicables pour le compte de ses clients.

 

11. L’appelante ne reçoit de ses clients, comme rémunération, que les frais de traitement de la paie.

 

12. Pour l’année d’imposition qui a pris fin le 30 juin 2001, l’appelante a reçu des frais de traitement de la paie s’élevant en tout à 130 520 848 $.

 

13. En plus de traiter les données relatives à la paie de ses clients (c’est‑à‑dire de calculer le montant des salaires que ses clients doivent à leurs employés ainsi que le montant de la retenue d’impôt que ses clients sont obligés de verser aux autorités fiscales pertinentes), les services de paie et de production de déclarations relatives aux charges sociales offerts par l’appelante comprennent également des paiements véritables effectués pour le compte des clients de l’appelante aux employés des clients ainsi qu’aux autorités fiscales.

 

14. Ces paiements proviennent ou sont retirés des comptes bancaires de l’appelante, plutôt que des comptes bancaires des clients de l’appelante.

 

15. Dans le cadre de son entreprise de prestation de services de paie, l’appelante recueille les fonds de ses clients pour payer leurs employés aux jours respectifs de la paie et pour verser aux autorités fiscales pertinentes les retenues d’impôt se rattachant à ces salaires.

 

16. Les clients de l’appelante sont tenus de verser à l’avance à l’appelante, jusqu’à 48 heures avant que l’appelante entame le processus connexe de paiement de la paie aux employés de ses clients, tous les montants associés à la paie des employés, y compris les frais de traitement de la paie pertinents, plus toute retenue d’impôt qui doit être versée pour leur compte aux autorités fiscales respectives.

 

17. L’appelante conserve ces montants pour une période de 3 à 45 jours[1] avant de payer les salaires et de verser les retenues d’impôt appropriées aux autorités fiscales, compte tenu de la date limite de versement applicable à chaque client.

 

18. Ces montants fournissent une protection partielle à l’appelante en cas de financement insuffisant de la part des clients à l’égard de paies ultérieures.

 

19. Une partie de chaque paiement effectué à l’appelante par ses clients représente un montant à verser à certaines autorités fiscales qui ne devient exigible qu’après la date de paiement en question. Toutefois, pour simplifier les choses, les clients versent en même temps à l’appelante tous les montants applicables à une paie particulière.

 

20. Les montants des salaires, des retenues d’impôt et des frais de traitement de la paie versés à l’appelante par ses clients sont conservés dans un compte distinct de l’appelante jusqu’à ce qu’ils soient versés aux employés ou aux autorités fiscales, ou jusqu’à ce qu’ils soient gagnés par l’appelante, selon le cas.

 

21. Ces montants anticipés sont appelés dans le présent exposé conjoint partiel modifié des faits les « fonds détenus pour les clients » et les obligations respectives de l’appelante envers ses clients sont appelées les « obligations concernant les fonds des clients ».

 

22. Dès que l’appelante reçoit un montant de ses clients pour le paiement de la paie et le versement des retenues d’impôt appropriées, le montant reçu est crédité au compte des obligations concernant les fonds des clients et le même montant est débité du compte des fonds détenus pour les clients.

 

23. Dès que l’appelante paie les salaires et verse ensuite les retenues d’impôt aux autorités fiscales pour le compte de ses clients, le montant payé par l’appelante est débité du compte des obligations concernant les fonds des clients et le même montant est crédité au compte des fonds détenus pour les clients.

 

24. Dès que les frais de traitement de la paie versés à l’appelante par ses clients sont gagnés par l’appelante, le montant gagné est débité du compte des obligations concernant les fonds des clients et du compte bancaire et le même montant est crédité au compte des fonds détenus pour les clients et au compte des recettes.

 

25. Dans sa balance de vérification pour l’exercice ayant pris fin le 30 juin 2001, l’appelante a déclaré un solde débiteur de 1 104 129 044 $ dans le compte des fonds détenus pour les clients et un solde créditeur au même montant dans le compte des obligations concernant les fonds des clients.

 

26. Sur le montant indiqué au titre des obligations concernant les fonds des clients dans la balance de vérification du 30 juin 2001 de l’appelante, seule une partie des frais de traitement de la paie payables à l’appelante a finalement été comptabilisée à titre de revenu aux fins comptables et fiscales.

 

27. C’est le montant de 1 104 129 044 $ déclaré au titre des obligations concernant les fonds des clients dans la balance de vérification de l’appelante du 30 juin 2001 que le ministre a ajouté à l’année d’imposition de l’appelante qui a pris fin le 30 juin 2001, par une nouvelle cotisation datée du 7 janvier 2005, « au capital », au « capital imposable » et au « capital imposable utilisé au Canada » de l’appelante pour l’application du paragraphe 181.1(1) de la LIR.

 

28. Au 30 juin 2001, l’appelante détenait dans le compte des fonds détenus pour les clients les montants suivants à valoir sur les frais payables par ses clients qui étaient gagnés et comptabilisés à titre de revenu aux fins de l’impôt sur le revenu, mais qui n’avaient pas encore été virés à son compte de banque :

 

Frais

                  4 583 744,78 $

TPS et TVH

                     335 247,97 $

TVQ

                       89 414,33 $

Total

                  5 008 407,08 $

 

29. Par suite de l’augmentation mentionnée au paragraphe 27 du présent exposé conjoint partiel modifié des faits, que le ministre a effectuée à l’égard du « capital », du « capital imposable » et du « capital imposable utilisé au Canada » de l’appelante, le ministre a refusé, par une nouvelle cotisation datée du 7 janvier 2005, de permettre à l’appelante de reporter sur une année antérieure le crédit de surtaxe inutilisé de 140 759 $ dans le calcul de son impôt payable en vertu de la partie I.3 de la LIR pour son année d’imposition qui a pris fin le 30 juin 1999.

 

30. Les montants que l’appelante a inclus dans le compte des fonds détenus pour les clients au 30 juin 2001 se rapportaient aux salaires et aux retenues d’impôt à verser aux autorités fiscales qui étaient payables après le 30 juin 2001, ainsi qu’aux frais de traitement de la paie gagnés par l’appelante, mais non encore virés dans son compte de banque.

 

31. Les montants des comptes des fonds détenus pour les clients et des obligations concernant les fonds des clients n’ont pas été déclarés dans le bilan de l’appelante pour son exercice qui a pris fin le 30 juin 2001, présenté avec sa déclaration de revenus de 2001.

 

32. Les états financiers que l’appelante a déposés avec sa déclaration de revenus de 2001 n’ont pas été vérifiés, mais ils comprenaient un « avis au lecteur ». Aucune note concernant les états financiers n’était jointe.

 

33. Selon les principes comptables généralement reconnus, les comptes des fonds détenus pour les clients et des obligations concernant les fonds des clients de l’appelante auraient dû être présentés à titre d’éléments de l’actif et d’éléments du passif respectivement dans les états financiers de l’appelante ou dans une note jointe à ces états financiers.

 

34. L’entreprise de prestation de services de paie de l’appelante est semblable aux entreprises de prestation de services de paie de ses sociétés sœurs.

 

35. Le bilan consolidé de la société mère américaine de l’appelante, à savoir Automatic Data Processing, Inc., déposé avec son rapport annuel de 2001, indiquait à titre d’éléments de l’actif et d’éléments du passif les comptes de « fonds détenus pour les clients » et d’« obligations concernant les fonds des clients » respectivement des sociétés sœurs de l’appelante.

 

36. La Securities and Exchange Commission américaine a expressément demandé que les comptes de « fonds détenus pour les clients » et d’«obligations concernant les fonds des clients » soient traités par la société mère de l’appelante comme des éléments de l’actif et des éléments du passif respectivement dans ses états financiers.

 

37. Les comptes de fonds détenus pour les clients et d’obligations concernant les fonds des clients de l’appelante sont maintenant présentés à titre d’éléments de l’actif et d’éléments du passif respectivement dans les états financiers de l’appelante, et ce, depuis l’année 2002.

 

38. L’appelante place, principalement dans des effets à revenu fixe (surtout des valeurs assimilables à des espèces et des titres négociables), les montants inclus dans le compte des fonds détenus pour les clients.

 

39. L’appelante comptabilise les intérêts sur ces placements dans ses recettes au fur et à mesure qu’ils sont gagnés.

 

40. Ces intérêts s’élevaient à 57 089 700 $ au cours de l’exercice de l’appelante qui a pris fin le 30 juin 2001.

 

41. Dans ses états financiers pour son exercice qui a pris fin le 30 juin 2001, l’appelante a déclaré un revenu avant impôt de 30 280 238 $.

 

42. Dans son exercice ayant pris fin le 30 juin 2001, l’appelante a versé à une société américaine liée une rémunération de 1 168 063 $ pour que celle‑ci gère le montant inclus dans le compte des fonds détenus pour les clients.

 

43. Les contrats conclus par l’appelante et ses clients prévoient qu’en cas d’inobservation par l’appelante du délai prévu par la loi aux fins du versement de la retenue d’impôt, l’appelante est redevable envers les autorités fiscales de toute pénalité ou de tout intérêt payable par suite du versement tardif.

 

44. Dans le cadre des services de paie qu’elle fournissait, l’appelante versait parfois les retenues d’impôt pour le compte de ses clients après l’expiration du délai prévu par la loi.

 

45. Dans son exercice qui a pris fin le 30 juin 2001, l’appelante a payé un montant de 397 929 $ au titre des pénalités et intérêts à l’égard du versement tardif des retenues d’impôt pour le compte de ses clients.

 

46. Ces pénalités et intérêts ont été payés par l’appelante dans le cours normal de ses activités.

 

47. L’appelante a déduit ce montant de 397 929 $ dans le calcul de son revenu d’entreprise pour son année d’imposition qui a pris fin le 30 juin 2001.

 

48. Par une nouvelle cotisation datée du 7 janvier 2005, le ministre du Revenu national a refusé cette déduction de 397 929 $.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[3]   Un seul témoin a été entendu, M. Brad Surminsky, qui est directeur financier d’ADP depuis le mois de septembre 2002. Auparavant, il était vice‑président, Finances et Affaires bancaires. Son témoignage a révélé quelques faits supplémentaires. Ainsi, en 2001, ADP comptait 27 000 clients : le total de la paie s’élevait à 80 milliards de dollars, les salaires à 56 milliards et les versements au gouvernement à 24 milliards. M. Surminsky a également décrit la procédure qu’ADP suivait lorsqu’elle traitait la paie de ses clients. Au cours d’une semaine normale, les activités relatives à la paie étaient entamées par le client, qui fournissait les renseignements à ADP le lundi. ADP préparait ensuite un rapport à l’intention du client pour que celui‑ci l’approuve, et l’approbation était normalement reçue le lendemain, soit le mardi. Les fonds nécessaires au paiement des salaires et au versement des retenues au gouvernement étaient normalement reçus le mardi, si les salaires étaient payables le jeudi. Cinquante‑cinq pour cent des clients avançaient les fonds nécessaires 48 heures avant que le paiement prévu doive être effectué. Trente pour cent des clients avançaient les fonds 24 heures avant, alors que les autres (15 p. 100) le faisaient le jour de la paie. Ces paiements étaient effectués à l’avance de façon qu’ADP détienne les fonds nécessaires dans son compte bancaire lorsqu’elle émettait des chèques en faveur des employés de ses clients et des diverses agences gouvernementales.

 

[4]   Étant donné le temps qui s’écoulait avant que les versements soient effectués au gouvernement et compte tenu du flux de trésorerie énorme généré par la paie de ses clients, ADP avait sous son contrôle de grosses sommes d’argent, dont une partie était en fait mise à sa disposition sur une base permanente. M. Surminsky estimait qu’un montant de 500 000 000 $ environ constituait une source permanente de fonds mis à la disposition d’ADP et ADP utilisait ces fonds afin d’effectuer des placements dans des actifs à revenu fixe comme des obligations du gouvernement canadien. M. Surminsky a reconnu que les fonds mis à la disposition d’ADP [traduction] « avant que [...] des paiements soient effectués à des tiers »[2] n’étaient pas placés dans des titres risqués. Il a également reconnu qu’ADP aurait été entièrement responsable de toute perte subie par suite du placement des fonds de ses clients. Tous les fonds qu’ADP recevait de ses clients étaient déposés dans un seul compte distinct. C’est de ce compte qu’ADP retirait des fonds pour payer ses honoraires et pour effectuer les placements. Selon les arrangements contractuels qu’elle prenait avec ses clients, ADP avait le droit de gagner des intérêts sur le placement des fonds de ses clients et de conserver les intérêts ainsi générés. Voici certains extraits cruciaux de ces arrangements (pièce A‑1, onglet 8) :

 

[traduction]

 

1. SERVICES DE PRODUCTION DE DÉCLARATIONS RELATIVES AUX CHARGES SOCIALES ET AUTRES SERVICES CONNEXES

 

            A. Sous réserve des conditions de la présente entente, Canadian Automatic Data Processing Services Ltd. (« ADP ») s’engage à fournir au client tous les services de paie et de production de déclarations relatives aux charges sociales ainsi que tout autre service de données se rattachant à la paie visés par la présente entente ou les services que le client pourra demander à ADP de lui fournir au cours de la durée de la présente entente (les « services »).

 

            B(1) [...]

 

            (3) Le client reconnaît et comprend que certains services, notamment les services de production de déclarations relatives aux charges sociales, fournis par ADP en vertu des présentes obligeront le client à verser à ADP des fonds suffisants ou à mettre des fonds suffisants à la disposition d’ADP dans le délai fixé par ADP, lesquels fonds, sous réserve du présent paragraphe 1.B(3), doivent être affectés par ADP à l’exécution des obligations de paiement visées par les services que le client a envers des tiers (notamment, le cas échéant, les obligations de paiement que le client a envers ses employés ou envers les autorités fiscales). [...] Le client reconnaît et convient qu’ADP puisse amalgamer les fonds du client avec ceux d’autres clients, ou avec les fonds d’ADP ou encore avec les fonds administrés par ADP d’un type similaire. [...]

 

            C. SI LE CLIENT EST TENU DE VERSER SES FONDS À ADP OU DE METTRE SES FONDS À LA DISPOSITION D’ADP AVANT QUE DES PAIEMENTS SOIENT EFFECTUÉS À DES TIERS, ET POUR QUE DE TELS PAIEMENTS SOIENT EFFECTUÉS À DES TIERS, DANS LE CADRE DES SERVICES FOURNIS PAR ADP (NOTAMMENT LES SERVICES DE PRODUCTION DE DÉCLARATIONS RELATIVES AUX CHARGES SOCIALES OU L’UTILISATION DE CHÈQUES D’ADP), LES MONTANTS GAGNÉS SUR CES FONDS, LE CAS ÉCHÉANT, ENTRE LA DATE DE LA RÉCEPTION PAR ADP DES FONDS DU CLIENT OU LE RETRAIT PAR ADP DE CES FONDS DU COMPTE DE PRÉLÈVEMENT AUTOMATIQUE DU CLIENT OU D’UN AUTRE COMPTE DE BANQUE DÉSIGNÉ ET LA DATE À LAQUELLE CES FONDS DOIVENT ÊTRE VERSÉS À DES TIERS (NOTAMMENT AUX AUTORITÉS FISCALES OU AUX EMPLOYÉS DU CLIENT) LE SERONT AU PROFIT D’ADP ET APPARTIENDRONT EXCLUSIVEMENT À ADP.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[5]   M. Surminsky a témoigné qu’ADP n’utilisait pas les fonds conservés dans le compte distinct (lesquels, dans le bilan de l’année d’imposition 2002, figurent sous la rubrique [traduction] « Fonds détenus pour les clients » (pièce A‑1, onglet 7)) pour verser des dividendes ou pour payer ses frais d’exploitation. ADP s’en servait uniquement afin d’effectuer des placements et de gagner des intérêts. Ces intérêts s’élevaient à 57 089 700 $ pour l’exercice 2001 d’ADP et représentaient 28 p. 100 du revenu brut total d’ADP, de 203 549 663 $[3]. Une fois déduits les frais d’exploitation, le revenu net d’ADP avant impôt s’élevait à 30 280 238 $ (pièce A‑1, onglet 6). Il importe également de noter qu’en 2001, l’avoir des actionnaires d’ADP était de 22 420 462 $, dont 3 800 000 $ représentaient le capital‑actions d’ADP, et le solde, les bénéfices non répartis. Étant donné que le compte des obligations concernant les fonds des clients ne figurait pas dans le bilan de 2001 parce qu’il avait été déduit des fonds détenus pour les clients (un compte d’actif), le passif s’élevait en tout, en 2001, à 107 325 682 $, dont 91 millions étaient dus à des sociétés liées.

 

[6]     Dans son témoignage, M. Surminsky a également parlé du paiement par ADP de dommages‑intérêts pour versements tardifs, lesquels s’élevaient à 397 929 $ en 2001. ADP effectuait clairement les paiements relatifs à la paie en sa qualité de mandataire de ses clients et c’étaient donc eux qui recevaient les cotisations pour versements tardifs. M. Surminsky a ajouté que les autorités fiscales communiquaient directement avec les clients d’ADP sur ces questions. Toutefois, en vertu des obligations contractuelles qui lui incombaient envers ses clients, ADP était tenue d’indemniser ceux‑ci des intérêts et pénalités résultant de versements tardifs aux autorités fiscales. Il est également clair que le montant de l’indemnité ne s’appliquait pas aux charges qui auraient de toute façon été versées aux autorités fiscales pour le compte des clients d’ADP. Sur ce point, je reproduis ici le passage principal de l’entente portant sur les obligations contractuelles :

 

[traduction]

 

7. LIMITATION DE RESPONSABILITÉ

 

          [...]

 

            C. En ce qui concerne les services de production de déclarations relatives aux charges sociales seulement, compte tenu des renseignements fournis par le client et à condition que le client se soit pleinement acquitté des obligations qui lui incombent en vertu de l’alinéa 1(B) ci‑dessus, ADP sera responsable des dépôts, des déclarations et des rapprochements applicables (à l’exclusion des dépôts concernant la taxe d’accise, la taxe de vente, la taxe d’utilisation, les impôts sur les sociétés ou toute autre taxe similaire). La seule obligation d’ADP envers le client ou envers un tiers à l’égard de demandes, quelle que soit leur forme, (demandes fondées sur un contrat, sur la négligence et autres demandes) découlant (i) d’une erreur commise par ADP dans l’interprétation de la législation fédérale ou provinciale en matière de charges sociales, ainsi que des règles ou règlements y afférents, ou (ii) d’erreurs ou d’omissions (autres que des erreurs d’interprétation ou des omissions attribuables à l’interprétation) dans les services de production de déclarations relatives aux charges sociales qu’ADP fournit ou doit fournir en vertu des présentes et attribuables uniquement à ADP, sera de fournir un rapport exact ou des données exactes et d’effectuer des corrections dans les dossiers du client ou dans les documents déposés auprès des autorités fiscales; toutefois, en pareil cas, le client sera responsable de toute charge supplémentaire et ADP sera redevable des pénalités ou frais similaires exigés par suite d’une telle erreur ou omission; de plus, en ce qui concerne les frais d’intérêts se rapportant à une telle erreur ou omission, ADP sera responsable des frais d’intérêts si elle a débité les charges y afférentes du compte désigné du client et si elle détenait les sommes en cause avant que survienne pareille erreur ou omission; dans tous les autres cas, le client sera responsable des frais d’intérêts.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[7]   En plus de l’exposé conjoint partiel des faits et du témoignage de M. Surminsky, il convient de faire des remarques au sujet de certains énoncés figurant dans la réponse modifiée à l’avis d’appel que l’avocat d’ADP a admis ou qu’il a niés. Je me réfère en particulier aux paragraphes suivants :

 

[traduction]

 

22.           [...]

 

           e) Les clients de l’appelante sont tenus de verser à l’avance[4] à l’appelante tous les montants se rattachant à leur paie, ainsi que toute retenue à la source qui doit être versée pour leur compte aux gouvernements respectifs. Ces montants anticipés sont appelés dans les présentes les « fonds détenus pour les clients » et les obligations respectives que l’appelante a envers ses clients sont appelées dans les présentes les « obligations concernant les fonds des clients »;(admis)

 

[...]

 

            n) Les obligations concernant les fonds des clients étaient composées de sommes d’argent mises à la disposition de l’appelante pour qu’elle les utilise; (nié) [5]

 

[...]

 

            p) Les intérêts gagnés par l’appelante sur un tel placement font partie intégrante de l’entreprise de l’appelante et influent énormément sur sa rentabilité et sur sa qualité d’entreprise exploitée activement; (nié) [6]

 

[...]

 

            v) Les intérêts gagnés par l’appelante sur le placement des fonds détenus pour des clients s’élevaient à 53 469 002 $ au cours de son exercice ayant pris fin le 30 juin 2000, et son revenu avant impôt, mentionné dans ses états financiers, était de 6 092 564 $; (aucune connaissance)[7]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Analyse

 

a) Le montant de 1,1 milliard de dollars indiqué dans le compte des obligations concernant les fonds des clients représente‑t‑il des avances pour l’application de la définition du mot « capital » figurant à l’alinéa 181.2(3)c) de la Loi?

 

[8]   La première question à trancher est de savoir si le ministre a eu raison d’ajouter au capital d’ADP, conformément à l’alinéa 181.2(3)c) de la Loi, le montant de 1,1 milliard de dollars au 30 juin 2001. La disposition pertinente de la Loi est rédigée comme suit :

 

181.2(3) Capital. Le capital d’une société, sauf une institution financière, pour une année d’imposition correspond à l’excédent éventuel du total des éléments suivants :

 

a)         le capital‑actions de la société (ou, si elle est constituée sans capital‑actions, l’apport de ses membres), ses bénéfices non répartis, son surplus d’apport et tout autre surplus à la fin de l’année;

b)         ses réserves pour l’année, sauf dans la mesure où elles sont déduites dans le calcul de son revenu pour l’année en vertu de la partie I;

b.1)      ses gains sur change non réalisés reportés à la fin de l’année;

c)         les prêts et les avances qui lui ont été consentis à la fin de l’année;

d)         ses dettes à la fin de l’année sous forme d’obligations, de créances hypothécaires, d’effets, d’acceptations bancaires ou de titres semblables;

e)         les dividendes qu’elle a déclarés mais n’a pas versés avant la fin de l’année;

f)          toutes ses autres dettes, sauf celles afférentes à un bail, à la fin de l’année qui sont impayées depuis plus de 365 jours avant la fin de l’année;

[...]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[9]     La principale question à trancher est de savoir si les fonds qu’ADP recevait de ses clients avant le paiement des salaires et le versement des retenues au gouvernement constituent des « avances » au sens de l’alinéa 181.2(3)c). J’ai eu l’occasion d’examiner cette question dans la décision Oerlikon Aérospatiale Inc. c. Canada, [1997] A.C.I. n° 466 (QL), 97 DTC 962. Dans cette affaire, une somme de 244 492 173 $ avait été avancée par des clients d’Oerlikon, dont l’un était une société affiliée et l’autre Martin Marietta Corporation, un client américain. En ce qui concerne le premier client, Oerlikon avait reçu les fonds aux termes d’un contrat de fourniture de systèmes de défense aérienne et antichar, au coût de 304 166 920 $. De plus, Oerlikon devait fournir des pièces et des services connexes, s’élevant à un montant supplémentaire de 437 411 853 $ en tout. Dans l’affaire Oerlikon, le contribuable avait soutenu que les fonds avancés, à valoir sur son revenu futur, ne constituaient pas des avances pour l’application de la partie I.3 de la Loi. Étant donné que le mot « avances » figurant à l’alinéa 181.2(3)c) de la Loi n’est pas défini, dans mes motifs (paragraphes 47 à 50, A.C.I.; pages 971 et 972, DTC), j’ai renvoyé au Dictionnaire de la comptabilité et de la gestion financière[8], qui renfermait les trois définitions suivantes, et j’ai ensuite procédé à l’analyse, qui est également reproduite ci‑dessous :

 


                    ADVANCE 1.

                     

 AVANCE (SUR NOTE DE FRAIS)

 

                    Gestion. Somme versée à une personne pour lui permettre d'effectuer des dépenses dont elle devra rendre compte plus tard.

 

                    Syn. expense advance. V.a. out-of-pocket costs.

 

                    ADVANCE 2.

                     

 AVANCE; ACOMPTE; ARRHES

 

                    Commerce. Somme à valoir sur le prix d'un contrat, de services ou de biens, versée avant que le contrat ne soit exécuté, les services rendus ou les biens livrés. Note - Le terme avance convient davantage dans le cas où la somme versée l'est avant toute exécution de commande. En revanche, on utilise le terme acompte lorsque la somme versée tire sa justification de l'exécution partielle de la commande. Dans le cas des arrhes, la somme versée n'est pas restituée s'il y a rupture du contrat tandis qu'elle peut l'être lorsqu'il s'agit d'une avance.

 

                    V.a. deposit 3.; downpayment; earnest money.

 

                    ADVANCE 3.

                     

 PRÊT; AVANCE

 

                    Finance. Somme prêtée par une personne à une autre ou

par une entité à une autre, par exemple la somme avancée

par une société mère à sa filiale.

 

[...]

 

Comme on peut le constater et comme le reconnaît l'expert-comptable d'OA, le mot « advance » peut avoir le sens de « avance-prêt » et de « avance-acompte »8. Comme le législateur a pris soin de mentionner, à l'alinéa 181.2(3)c) de la Loi, les prêts et les avances, on doit en conclure qu'il a voulu viser à la fois les prêts et les acomptes. En effet, s'il n'avait voulu limiter l'application de l'alinéa 181.2(3)c) de la Loi qu'à des prêts, il n'aurait utilisé que l'expression « prêt ». Il aurait été superflu d'utiliser un synonyme du mot « prêt ». On doit plutôt croire que le législateur désirait élargir la portée du mot « prêt » pour englober le cas des acomptes sur contrat.

 

Dans l'affaire Transcanada Pipelines Ltd. c. Ontario (Minister of Revenue), [1992] O.J. No. 2592 (Ont. C.A.), on a retenu la notion de « avance-acompte » pour définir la portée du mot « advance » que l'on retrouve dans la Corporations Tax Act, R.S.O. 1980, c. 97. Cette loi lève un impôt sur le capital analogue à l'impôt des grandes corporations. La question en litige était de savoir si des paiements décrits comme « take or pay payments » (« paiements du type "prendre ou payer" ») étaient des [traduction] « placements [...] dans [...] [des prêts et] des avances à d’autres sociétés ». La Cour d'appel a conclu que ces paiements relevaient de la définition de [traduction] « "avance", soit un "paiement [fait] d’avance ou par anticipation" et un "paiement fait avant [...] l’exécution d’une obligation pour laquelle il doit être effectué" : Dictionary of Business and Finance, (1957) p. 9 »9.

 

À mon avis, les acomptes sur contrat reçus par OA constituent des avances au sens de l'alinéa 181.2(3)c) de la Loi. Il s'agit de sommes versées avant que le contrat ne soit exécuté, les services rendus ou les biens livrés. Le fait que le solde des acomptes sur contrat a été déduit du revenu pour fins fiscales, parce que la Loi oblige à inclure ce solde dans le calcul du revenu pour fins fiscales, ne change pas la nature des acomptes sur contrat. Les acomptes sur contrat représentent des « avances » que l'on retrouve au bilan d'une corporation.

 

[Non souligné dans l’original.]

_________________________

8     Le premier sens n'est pas pertinent pour les fins de cet appel.

9     Dans l'affaire Crassweller v. M.N.R., 49 D.T.C. 1, la Commission d'appel de l'impôt sur le revenu a considéré l'application de l'article 18 de la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu aux termes duquel était réputé être un dividende tout « prêt ou avance » fait par une corporation. Voici les commentaires qu'a faits le président de la Commission, M. Graham, à la page 13 :

 

[traduction]

 

De toute évidence, il ne s’agissait pas d’un « prêt ou d’une avance par une société » étant donné que les mots « prêt » et « avance » comportent tous deux l’idée d’une chose qui doit être remboursée à une date ultérieure ou, dans le cas d’une « avance », d’un paiement fait d’avance, une chose dont il sera rendu compte à une date ultérieure au moyen de la production de pièces ou de reçus se rapportant aux sommes qui ont été dépensées pour le compte de la personne qui consent l’avance, ou une chose qui est payée à une personne avant le moment auquel le payeur doit effectuer le paiement à cette personne, paiement qui serait diminué du montant de l’avance et annulerait donc toute obligation de la part du bénéficiaire de rembourser l’avance.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[10]    La décision que j’ai rendue dans l’affaire Oerlikon a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Oerlikon Aérospatiale Inc. v. The Queen, 99 DTC 5318. Devant la Cour d’appel fédérale, Oerlikon a soutenu que seule la notion d’« avance‑prêt » était visée à l’alinéa 181.2(3)c) de la Loi. Après avoir examiné les décisions portant sur l’application de dispositions similaires de la Loi sur les impôts du Québec, la Cour d’appel fédérale a dit, au paragraphe 26, que la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt TransCanada Pipelines v. Ontario (Minister of Revenue) s’apparentait beaucoup plus aux faits de l’affaire dont elle était saisie. Voici ce que le juge Noël a dit aux paragraphes 28 et 29 :

 

[28]      […] La Cour d’appel, après une brève analyse souligna le fait que les paiements en question :

 

[traduction]

 

[...] correspondaient aux définitions que donnent les dictionnaires d’une « avance », soit « un paiement [fait] d’avance ou par anticipation » et « un paiement fait avant [...] l’exécution d’une obligation pour laquelle il doit être effectué » : Dictionary of Business and Finance (1957), page 9.

 

et en vint à la conclusion que ces montants constituaient inter alia des « avances » au sens de l’alinéa 54(1)c).

 

[29]      L’appelante a été incapable de démontrer en quoi les avances ici en cause se distinguent des avances sur lesquelles s’est penchée la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire TCPL. Dans l’un ou l’autre des cas, il s’agit de paiements effectués à l’avance, en vue de l’exécution éventuelle de l’obligation réciproque qui en découle.

 

[Renvoi omis.]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[11]    Le juge Noël a ajouté ce qui suit au paragraphe 32 :

 

[32]      Une avance soit‑elle du type avance‑acompte ou avance‑prêt a comme effet de mettre à la disposition de celle ou celui qui en bénéficie la somme d’argent qu’elle représente. Ici, les avances faisaient partie intégrante des ressources financières à la disposition de l’appelante à la clôture de son année d’imposition 1989 selon les états financiers qu’elle a produits et rien dans le texte législatif ou dans la politique fiscale qui mena à son adoption n’indique que le législateur fédéral aurait voulu les exclure de l’impôt de la partie I.3.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[12]    L’avocat d’ADP a avancé une série d’arguments visant à convaincre la Cour que les décisions que la présente cour et la Cour d’appel fédérale ont rendues dans l’affaire Oerlikon ainsi que la décision que la Cour d’appel de l’Ontario a rendue dans l’affaire TransCanada Pipelines ne s’appliquent pas en l’espèce. Premièrement, contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire Oerlikon, le montant de 1,1 milliard de dollars n’était pas décrit comme constituant des [traduction] « avances » dans les états financiers de l’année d’imposition 2002 d’ADP, mais il était plutôt appelé [traduction] « Obligations concernant les fonds des clients » dans le grand livre d’ADP et dans les états financiers consolidés de la société mère américaine d’ADP pour l’année d’imposition 2002. De plus, les fonds en l’espèce ne constituent pas un « acompte » selon la définition de cette expression figurant dans la décision Oerlikon et dans le Dictionnaire de la comptabilité. L’avocat d’ADP a soutenu que le montant de 1,1 milliard de dollars ne constitue pas une somme à valoir sur le prix d’un contrat, payée avant l’exécution du contrat. Contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire Oerlikon, ce montant ne serait pas inclus dans le calcul du revenu brut d’ADP, sauf pour la somme de 4,5 millions de dollars payable à ADP au titre de ses frais, qui ont été gagnés à la fin de l’année d’imposition 2001.

 

[13]    L’avocat d’ADP a également soutenu que le montant de 1,1 milliard de dollars ne constituait pas un fonds de roulement pour ADP. Subsidiairement, même s’il s’agissait d’un fonds de roulement, ce montant représentait uniquement une partie minime correspondant à environ 1,2 p. 100 des 83 milliards de dollars reçus des clients d’ADP. Par contre, les montants cumulatifs des avances reçues par Oerlikon en 1989 (292 834 886 $) représentaient 39,5 p. 100 de la valeur totale des contrats qu’Oerlikon devait exécuter (741 578 000 $).

 

[14]    L’avocat a également soutenu que le montant de 1,1 milliard de dollars n’était pas de l’argent mis à la disposition d’ADP pour qu’elle l’utilise, parce que M. Surminsky a témoigné qu’ADP n’utiliserait pas ces fonds pour verser ses dividendes ou pour payer ses frais d’exploitation comme le loyer et les versements hypothécaires.

 

[15]    À mon avis, la position d’ADP n’est pas fondée. Étant donné que la Loi ne définit pas le mot « avances », il n’est pas surprenant que les parties aient renvoyé la Cour à un grand nombre de dictionnaires pour définir la portée de ce mot. Ainsi, l’avocat de l’intimée a renvoyé à 16 dictionnaires différents : dictionnaires juridiques, comptables, financiers et dictionnaires ordinaires. Je n’en citerai que quelques‑uns. Le Canadian Oxford Dictionary donne les définitions suivantes, qui sont pertinentes : [traduction] « avance […] 3 un paiement fait avant l’échéance. 4 un prêt. »

 

[16]    Dans Le Nouveau Petit Robert, « une avance » est définie comme suit :

 

1 (1478) Somme versée par anticipation. Faire une avance à un employé.

 

[…] Avance sur commande. Acompte, arrhes, provision 2 Crédit, prêt à court terme. Avance bancaire.

 

[17]    Comme le montrent ces définitions ordinaires du mot « avance », l’élément commun est le paiement d’un montant avant qu’il soit dû[9]. La même idée est exprimée en ce qui concerne les deux premiers sens attribués au mot « avance » dans le Dictionnaire de la comptabilité, reproduits au paragraphe [9] des présents motifs. Le premier sens est : « Somme versée à une personne pour lui permettre d’effectuer des dépenses dont elle devra rendre compte plus tard » et le deuxième : « Somme à valoir sur le prix d’un contrat, de services ou de biens, versée avant que le contrat ne soit exécuté, les services rendus ou les biens livrés ».

 

[18]    Si, dans la décision Oerlikon, je ne me suis pas attardé au premier sens du mot « avance », tiré du Dictionnaire de la comptabilité, c’était, comme je l’ai dit dans la note de bas de page 8 de cette décision, parce que cela n’était pas pertinent pour les besoins de l’appel. Toutefois, le sens du mot « acompte » était pertinent. La remarque qui était faite dans la note de bas de page 8 ne visait pas à donner à penser que le premier sens cité [à savoir un montant payé avant qu’il soit dû] n’était pas pertinent pour l’application de la définition du mot « avances » dans le calcul du capital en vertu du paragraphe 181.2(3) de la Loi. Il est possible de dire la même chose au sujet de la remarque que la Cour d’appel de l’Ontario a faite dans l’arrêt TransCanada Pipelines, précité, à savoir que [traduction] « les paiements du type “prendre ou payer” » qui étaient faits dans cette affaire‑là représentaient [traduction] « un "paiement [fait] d’avance ou par anticipation" et un "paiement fait avant [...] l’exécution d’une obligation pour laquelle il [devait] être effectué" ». [Non souligné dans l’original.]

 

[19]    Comme il en a ci‑dessus été fait mention, si on applique l’approche adoptée par la Cour d’appel de l’Ontario, les 80 milliards de dollars ont clairement été versés à ADP par ses clients au titre des obligations qui leur incombaient de verser les salaires à leurs employés et d’effectuer des versements au gouvernement. Ces paiements en faveur d’ADP étaient généralement effectués par les clients à l’avance, comme le prévoyaient les arrangements contractuels entre les clients et ADP[10]. À la fin de l’année, soit le moment pertinent pour le calcul du capital d’ADP en vertu de la partie I.3 de la Loi, il ne restait qu’un montant de 1,1 milliard de dollars sous le contrôle d’ADP. Peu importe la façon dont on considère la chose, le montant de 1,1 milliard de dollars constituait de l’argent avancé par les clients d’ADP avant que ces montants doivent être déboursés par ADP pour le compte de ces clients. Toutefois, l’arrangement contractuel entre ADP et ses clients prévoyait que ces fonds étaient mis à la disposition d’ADP à des fins de placements, et ADP avait clairement le droit de conserver les intérêts gagnés sur ces placements, comme le prévoyaient les contrats qu’ADP concluait avec ses clients (pièce A‑1, onglet 8, 1C).

 

[20]    À mon avis, l’importance du montant n’est pas pertinente pour l’application de la définition du terme capital figurant au paragraphe 181.2(3) de la Loi. Si un montant constitue un prêt, qu’il s’agisse d’un prêt de mille dollars, d’un million de dollars ou d’un milliard de dollars, ce montant doit être ajouté au capital, comme l’exige cette disposition. Il en va de même pour les avances. Lorsqu’on lui a demandé d’avancer un argument à l’appui de la thèse selon laquelle il ne conviendrait pas d’inclure le montant de 1,1 milliard de dollars à titre d’avances, compte tenu de l’objet législatif de la disposition, l’avocat d’ADP n’a pas pu présenter d’argument convaincant sur ce point.

 

[21]    À vrai dire, il n’existe aucune exigence à cet égard, mais il est réconfortant de se rendre compte que le montant de 1,1 milliard de dollars représentant des avances existant à la fin de l’année d’imposition 2001 représentait de fait une ressource financière importante mise à la disposition d’ADP. Les avances qui ont été reçues tout le long de l’année ont permis à ADP de gagner plus de 57 millions de dollars à titre d’intérêts, ce qui représentait 28 p. 100 de ses recettes brutes. Comme l’avocat du ministre l’a souligné, si ce n’avait été des intérêts gagnés sur les fonds avancés, ADP aurait subi une perte. La chose a été indirectement reconnue par M. Surminsky, qui a témoigné que, si elle n’avait pas été autorisée à placer les avances qui étaient mises à sa disposition en prévision de l’exécution des obligations incombant à ses clients à l’égard des salaires et des versements à effectuer au gouvernement, ADP aurait été obligée de modifier son modèle d’entreprise et d’augmenter ses frais.

 

[22]    Enfin, il vaut la peine de noter que le bilan d’ADP pour l’année qui a pris fin le 30 juin 2001 indique un capital‑actions de 3,8 millions de dollars et des bénéfices non répartis de 18,6 millions de dollars. Par conséquent, les avances consenties par les clients d’ADP, lesquelles sont décrites dans les documents comptables d’ADP comme étant les fonds détenus pour les clients ou les obligations concernant les fonds des clients et s’élevaient, à la fin de l’exercice 2001, à 1,1 milliard de dollars, constituent de fait un élément d’actif ou un élément de passif important à la fin de l’année d’imposition d’ADP. M. Surminsky a également dit qu’un montant de base de 500 millions de dollars représentait un élément d’actif ou de passif plus ou moins permanent d’ADP. Dans son argumentation, l’avocat d’ADP a également soutenu que ces fonds permettaient à ADP d’effectuer des placements à long terme, bien que ce fait n’ait pas nécessairement été présenté en preuve[11]. Par conséquent, je n’hésite pas à conclure que le montant de 1,1 milliard de dollars représente des avances visées par la définition du mot « capital », à l’alinéa 181.2(3)c) de la Loi[12].

 

b)    La déduction du montant de 397 929 $ au titre des pénalités pour paiement tardif

 

[23]    L’autre question qu’il reste à trancher est de savoir si l’interdiction, à l’alinéa 18(1)t) de la Loi, s’applique. Dans la négative, comme l’avocat du ministre l’a admis, ADP pourrait déduire le montant susmentionné dans le calcul de son revenu conformément à l’article 9 de la Loi. L’alinéa 18(1)t) était rédigé comme suit en 2001 :

 

18(1) Exceptions d’ordre général − Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d’une entreprise ou d’un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

[...]

t)          tout montant payé ou payable en vertu de la présente loi, à l’exception de l’impôt payé ou payable en vertu des parties XII.2 ou XII.6;

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[24]    Pour que le montant de 397 929 $ en question ne soit pas déductible en vertu de la Loi, il doit s’agir d’un montant payé ou payable en vertu de la Loi. À mon avis, il est clair en l’espèce que ce montant n’a pas été payé au gouvernement fédéral par ADP en vertu de la Loi au titre des intérêts ou pénalités établis pour versements tardifs. C’étaient les clients d’ADP ayant fait l’objet de cotisations de la part du ministre par suite de l’omission d’ADP d’effectuer les versements pour leur compte qui étaient tenus en vertu de la Loi d’effectuer les paiements relatifs aux intérêts et aux pénalités. Les montants qui ont été payés par ADP ont été payés à ses clients afin de les indemniser des montants qu’ils avaient été obligés de payer en vertu de la Loi. Par conséquent, l’alinéa 18(1)t) de la Loi se serait clairement appliqué aux clients d’ADP s’ils avaient tenté de déduire ces montants. Toutefois, la Loi n’obligeait pas ADP à effectuer les paiements qu’elle a effectués. Ces paiements ont plutôt été faits conformément aux obligations contractuelles qu’ADP avait envers ses clients par suite de son omission de s’acquitter de l’obligation contractuelle qui lui incombait d’effectuer à temps les versements en faveur du gouvernement.

 

[25]    Le fait que les dommages‑intérêts contractuels qui ont été payés étaient calculés par rapport au montant des intérêts et des pénalités payés par les clients d’ADP en vertu de la Loi n’est pas pertinent. Il faut faire une distinction entre les dommages‑intérêts eux‑mêmes et la méthode permettant de les déterminer. Cette approche a été suivie, par exemple, dans l’arrêt Canadian National Railway v. M.N.R., 88 DTC 6340, à la page 6343, où le juge Strayer, en décidant si pareils dommages‑intérêts pouvaient constituer un revenu entre les mains de la personne qui les recevait, a dit de qui suit : « La méthode utilisée pour calculer l'indemnité n'est pas toujours déterminante : il arrive que l'on tienne compte, dans le calcul de la somme en capital à verser, du manque à gagner éventuel du contribuable ». [Non souligné dans l’original.]

 

[26]    À mon avis, même si l’on devait interpréter l’expression « in respect of » (« quant à ») dans la version anglaise de l’alinéa 18(1)t) de la Loi d’une façon aussi libérale qu’elle l’a été dans l’arrêt Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, cela ne changerait rien au fait que le montant de 397 929 $ a été payé à l’égard de dommages‑intérêts contractuels, et non à l’égard d’un montant payable en vertu de la Loi.

 

[27]    Je conclus que l’interdiction énoncée à l’alinéa 18(1)t) de la Loi ne s’applique pas et qu’ADP a donc le droit de déduire le montant de 397 929 $ dans le calcul de son revenu de l’année d’imposition 2001.

 

[28]    Pour ces motifs, l’appel qu’ADP a interjeté à l’égard de l’année d’imposition 1999 est rejeté. L’appel concernant l’année d’imposition 2001 est accueilli et la nouvelle cotisation relative à cette année‑là est renvoyée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation, compte tenu du fait qu’ADP a le droit de déduire un montant de 397 929 $ dans le calcul de son revenu.

 

[29]    Étant donné que presque toute la durée de l’audience a été consacrée à la question du calcul de l’impôt des grandes sociétés, je conclus que l’intimée a droit aux trois quarts de ses dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mai 2008.

 

« Pierre Archambault »

Juge Archambault

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour d’octobre 2008.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :                                  2008CCI236

 

DOSSIER DE LA COUR :                 2006-1817(IT)G

 

INTITULÉ :                                       ADP CANADA CO. (REMPLAÇANT CANADIAN AUTOMATIC DATA PROCESSING SERVICES LTD.)

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 12 février 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Pierre Archambault

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 15 mai 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Louis Tassé

Avocat de l’intimée :

Me Benoit Mandeville

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante:

 

                          Nom :                      Louis Tassé

 

                          Cabinet :                  Fasken Martineau DuMoulin, s.r.l.

                                                          Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           Cela peut même parfois aller jusqu’à trois mois. [Note de bas de page ne figurant pas dans l’original.]

[2]           Voir le paragraphe 1C dans les extraits ci‑dessous.

[3]           (Pièce A-1, onglet 6). Si le total des frais de traitement de la paie gagnés en 2001 s’élevait à 130 520 848 $ (comme il en est fait mention au paragraphe 12 de l’exposé conjoint partiel modifié des faits), ADP aurait gagné 15 939 115 $ au titre du revenu tiré d’une source non identifiée devant la Cour.

[4]           L’avocat d’ADP a admis l’énoncé figurant à l’alinéa 22e), mais il a déclaré qu’il n’admettait pas que les fonds [traduction] « avancés » constituaient des « avances » pour l’application de la définition du mot « capital » figurant à l’alinéa 181.2(3)c) de la Loi.

[5]           Je conclus que les sommes qu’ADP a reçues de ses clients, lesquelles figurent dans le compte des obligations concernant les fonds des clients (un compte de passif dans le bilan) et dans le compte correspondant des « fonds détenus pour les clients » (un compte d’actif), étaient considérées comme de l’argent mis à la disposition d’ADP pour qu’elle l’utilise, étant donné qu’ADP avait le droit de placer pareilles sommes et de gagner et conserver les intérêts ainsi générés.

[6]           Je conclus que les intérêts gagnés par ADP faisaient partie intégrante de l’entreprise d’ADP. Ces intérêts pourraient être considérés comme importants pour la rentabilité d’ADP. Comme l’avocat du ministre l’a souligné, le revenu net avant impôt d’ADP s’élevait à 30 280 238 $ et, si ce n’avait été des 57 089 700 $ gagnés au titre des intérêts, il y aurait eu une perte.

[7]           L’avocat de l’intimée a soutenu, avec raison, qu’ADP avait la charge de réfuter ce fait particulier. Étant donné qu’il n’a pas été réfuté, il faut présumer que ce fait est exact. Le ministre en a tenu compte en établissant que le revenu en intérêts gagné par ADP au cours de son année d’imposition précédente était encore plus important en ce qui concerne la rentabilité d’ADP.

[8]           Louis MÉNARD, Dictionnaire de la comptabilité et de la gestion financière (Montréal : Institut Canadien des Comptables Agréés, 1994).

[9]           J’exclus la notion de « prêt » parce que ce mot est employé au paragraphe 181.2(3) de la Loi.

[10]          Voir la pièce A‑1, onglet 8, en particulier la partie reproduite au paragraphe [4] ci‑dessus. Voir également les paragraphes 16 et 17 de l’exposé conjoint partiel modifié des faits, dans lesquels il est fait mention du fait que les clients d’ADP étaient tenus de verser à l’avance à ADP, jusqu’à 48 heures avant qu’ADP entame le processus de paiement de la paie connexe, les montants nécessaires aux fins de ces paiements. Voir également l’alinéa 22e) de la réponse modifiée à l’avis d’appel reproduit ci‑dessus.

[11]          De fait, cet argument a été invoqué lorsque l’avocat du ministre a soulevé certains doutes au sujet de la question de savoir si le montant de base ne représentait que 500 millions de dollars. Le montant de 57 millions de dollars au titre des intérêts représentait un rendement annuel de 11,4 p. 100 et l’avocat du ministre a soutenu que le montant de base doit avoir été beaucoup plus élevé, étant donné ce rendement remarquable sur des placements à court terme tels que des obligations du gouvernement canadien. Pour les douze mois qui ont pris fin le 4 juillet 2001, le taux préférentiel hebdomadaire moyen (le mercredi) était de 7,13 p. 100 (voir http://www.banqueducanada.ca/fr/taux/interest-look-f.html (V121796)). Par conséquent, l’argument de l’avocat d’ADP est vraisemblable.

[12]          Il importe également de dire que cette conclusion est conforme à la définition adoptée par la Commission d’appel de l’impôt dans la décision Crassweller v. M.N.R., 49 DTC 1.

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