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Dossier : 2005-1246(IT)G

ENTRE :

RÉJEANNE LEBLANC,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 7 mai 2007, à Jonquière (Québec)

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

 

Comparutions :

 

Avocats de l'appelante :

Me Claude Lemieux et

Me Patrice Gobeil

Avocat de l'intimée :

Me Martin Gentile

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1999 est accueilli avec dépens, l’appelante ayant cependant droit à un seul mémoire de frais, et ce, bien que le jugement concerne deux dossiers distincts. La cotisation est donc annulée, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de mai 2008.

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif

 

 


 

 

 

Dossier : 2005-4051(GST)G

ENTRE :

RÉJEANNE LEBLANC,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 7 mai 2007, à Jonquière (Québec)

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

 

Comparutions :

 

Avocats de l'appelante :

Me Claude Lemieux et

Me Patrice Gobeil

Avocat de l'intimée :

Me Martin Gentile

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          En ce qui concerne l'appel de la cotisation établie relativement à la taxe sur les produits et services en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise, le fondement juridique étant le même que celui du dossier 2005‑1246(IT)G, l'appel est accueilli en ce que la cotisation est annulée, selon les motifs du jugement, le tout sans frais.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de mai 2008.

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif

 

 


 

 

 

 

Référence : 2008CCI242

Date : 20080509

Dossiers : 2005-1246(IT)G

2005-4051(GST)G

ENTRE :

 

RÉJEANNE LEBLANC,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Tardif

 

[1]              Il s’agit d’un appel interjeté selon la procédure générale d’une cotisation établie en vertu de l'article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour l’année d’imposition 1999.

 

[2]              L’avis de cotisation fut envoyé le 15 janvier 2004; l’appelante s’est opposée à cette cotisation en date du 13 février 2004. Le ministre a ratifié cette cotisation en date du 17 janvier 2005.

 

[3]              La grande majorité des faits tenus pour acquis ont été admis par l’appelante. Il s'agit des faits suivants :

 

a)         l'appelante et M. André l'Écuyer sont mariés depuis 1993.

 

b)         M. L'Écuyer était redevable envers le ministre du Revenu national, en vertu de L.I.R., en date du 17 décembre 2003, pour ses années d'imposition 1998 et 1999, des sommes suivantes :

 

 

Impôt fédéral :

Pénalités :

Intérêts :

15 529,15 $

0 $

11 228,57 $

 

26 757,72 $

 

c)         avant le 15 septembre 1999, la résidence familiale du couple, située au 664, Sacré‑Coeur à Alma, Québec, était la propriété exclusive de M. L'Écuyer. L'hypothèque à la Banque Royale du Canada grevant cette résidence était au nom de M. L'Écuyer et était payée uniquement par ce dernier;

 

d)         le 15 septembre 1999, M. L'Écuyer transférait la résidence familiale à l'appelante;

 

e)         à cette date, la juste valeur marchande de la résidence, basée sur son évaluation municipale, était de 104 000 $;

 

f)          Le contrat de vente prévoyait entre autres comme considération à la vente, l'extinction d'un prêt de 60 000 $ consenti par l'appelante à M. L'Écuyer en mars 1999;

 

g)         le contrat de vente prévoyait également que l'appelante assumerait le solde du prêt hypothécaire contracté auprès de la Banque Royale du Canada, alors au montant de 35 412,18 $;

 

 

[4]              Quant aux alinéas h), i) et j), soit les faits non admis par l’appelante qui ont servi de fondement à la cotisation dont il est fait appel, ils se lisent comme suit :

 

h)         cependant, après la vente, l'hypothèque est restée au nom de M. L'Écuyer qui a continué seul à faire les paiements de remboursement jusqu'à parfait paiement;

 

i)          la différence entre la juste valeur marchande du bien transféré, soit 104 000 $ et la juste valeur marchande de la contrepartie versée, soit 60 000 $, est donc de 44 000 $;

 

j)          le moindre de cette différence (44 000 $), et du montant total de la dette de M. L'Écuyer (26 757,72 $) est de 26 757,72 $.

 

 

[5]              L’appelante a nié le contenu des alinéas i) et j). Pour ce qui est de la question des paiements relatifs aux remboursements du montant garanti par hypothèque, il a été admis que monsieur André L'Écuyer les avait effectués.

 

Question en litige

 

[6]              L’appelante doit-elle être tenue solidairement responsable de la dette fiscale de son conjoint, en vertu de l’article 160 de la Loi, pour un montant de 26 757,72 $?

 

Prétentions de l'appelante

 

[7]              L’appelante soutient avoir donné une contrepartie suffisante pour le transfert en son nom de la résidence principale appartenant auparavant à son conjoint. Selon l’acte de cession de l’immeuble, le prêt de 60 000 $ qu’elle avait octroyé à monsieur L’Écuyer en mars 1999 a été éteint et elle a pris en charge l’obligation hypothécaire consentie par la Banque Royale du Canada sur la résidence principale (voir pièce A‑2). Tout ceci constitue, selon elle, une contrepartie valable et appropriée pour l’immeuble.

 

[8]              Aux termes du contrat notarié, l'appelante a assumé la responsabilité de la dette garantie par une hypothèque détenue par la banque. Dans les faits, les paiements mensuels ont été effectués par son conjoint qui est le débiteur fiscal à l'égard de qui la cotisation a été établie en vertu de l'article 160 de la Loi.

 

[9]              Elle soumet que la seule raison pour laquelle monsieur L’Écuyer a effectué les paiements est que les parties n’ont pas voulu modifier leur façon de s’occuper des charges familiales.

 

[10]         En effet, bien que les paiements hypothécaires provenaient directement du compte bancaire de monsieur L’Écuyer, l’appelante donnait à son conjoint, en compensation, une contrepartie d’une valeur au moins équivalente, sinon supérieure, en payant d’autres charges familiales.

 

[11]         L'appelante soutient que les paiements hypothécaires correspondaient aux montants que devait assumer son conjoint pour sa contribution aux charges familiales. Quant à elle, elle a contribué dans une proportion supérieure aux mêmes charges. Cette façon de faire découlait d'une entente informelle convenue en fonction des attentes des parties ayant chacune beaucoup d’expérience en matière de gestion de finances familiales.

 

Prétentions de l'intimée

 

[12]         L’intimée prétend tout d’abord que le transfert de la résidence principale à l’appelante n’ayant pas été fait pour une contrepartie suffisante, les dispositions prévues à l’article 160 de la Loi devraient s’appliquer.

 

[13]         L’intimée soutient en effet que la prise en charge par l’appelante de l’hypothèque qui grevait la résidence principale pour un montant de 35 412,18 $ et l'extinction de sa créance au montant de 60 000 $ ne constituent pas une contrepartie valable à ce transfert puisque monsieur L’Écuyer a continué à effectuer les versements hypothécaires et à se comporter comme s’il était toujours propriétaire de la résidence. De plus, l’intimée soutient que l’appelante n’a pas réellement pris en charge l’obligation hypothécaire.

 

[14]         Subsidiairement, l’intimée allègue que, si la Cour arrive à la conclusion qu'il y a eu une contrepartie valable lors du transfert de l'immeuble, elle devra toutefois confirmer le bien‑fondé de la cotisation étant donné que l'appelante n'a pas assumé l’obligation hypothécaire sur la résidence principale qui lui a été transférée étant donné que monsieur L’Écuyer a continué d’effectuer les versements hypothécaires auprès de la banque, effectuant ainsi des transferts sans contrepartie valable au sens de l’article 160 de la Loi.

 

[15]         L’intimée soutient que les déboursés effectués dans le cadre de l’obligation de payer les charges familiales en proportion de la faculté des époux ne constituent pas une contrepartie valable aux transferts effectués par monsieur L’Écuyer.

 

[16]         L’intimée ajoute qu’il faut tenir compte dans l'analyse du fait que monsieur L’Écuyer n’a pas seulement continué à faire les versements hypothécaires, mais qu’il a aussi continué à payer d'autres dépenses encourues par la famille.

 

 

Témoignages

 

[17]         Seuls l'appelante et André L'Écuyer ont témoigné. Ils ont décrit les circonstances menant à leur rencontre. Après une période de cohabitation, ils se sont mariés. Ayant déjà été marié, monsieur L'Écuyer était le père de deux enfants; de son côté, l'appelante était la mère d'un enfant handicapé.

 

[18]         La famille L'Écuyer‑Leblanc était une famille reconstituée. Chacun des époux avait antérieurement vécu une expérience familiale qui s'était avérée un échec. Marquée par l'expérience, l'appelante voulait éviter de se retrouver à nouveau dans une situation difficile.

 

[19]         Le couple gérait les finances familiales au moyen de deux comptes bancaires personnels dont la gestion était étanche en ce que les époux n’acceptaient pas d’ingérence, il n'y avait pas de compte conjoint. Chacun avait ses obligations et responsabilités et rien n’était tenu pour acquis.

 

[20]         Les explications soumises par l'appelante, à savoir que monsieur L'Écuyer payait le compte de câblodistribution parce qu'elle était d’avis qu’il s’agissait d’une dépense inutile, dénotent à quel point les affaires monétaires de la famille étaient partagées, mais aussi clairement définies. Chacun était autonome et les paiements n'étaient pas faits à partir d'un compte conjoint alimenté indifféremment par les deux époux.

 

[21]         Mariés depuis 1993, monsieur L'Écuyer et madame Leblanc sont également devenus les parents de trois autres enfants, l'un de ceux-ci étant également atteint d'un handicap.

 

[22]         Depuis les tous débuts de leur relation, l'appelante avait toujours maintenu son autonomie financière. Ayant fait carrière dans une institution financière, elle savait comment se prendre en charge financièrement et avait la responsabilité d'une partie importante des charges financières de la nouvelle cellule familiale.

 

[23]         Très disciplinée et méthodique sur le plan financier, l'appelante gérait ses affaires personnelles d'une façon serrée et rigide. Au fil des ans, elle avait même réussi à faire des économies qui ont atteint environ 100 000 $.

 

[24]         Le 30 mars 1999, l'appelante a consenti à son conjoint un prêt pour qu'il puisse mener à bien ses activités professionnelles; le taux d'intérêt fut établi au taux de base majoré de 1 % par année; le prêt fut garanti par une hypothèque de 3e rang sur la résidence familiale.

 

[25]         Ayant appris à la suite d'une expérience matrimoniale antérieure, à être prudente en matière de finances et ayant été alertée par un membre de sa famille quant aux problèmes que pourrait poser le recouvrement de sa créance, l'appelante a convenu avec son conjoint de faire l'acquisition de la résidence familiale en contrepartie du paiement de sa créance. En outre; l’appelante a assumé la dette hypothécaire grevant l'immeuble.

 

[26]         Au moment du transfert, le 15 septembre 1999, les intérêts courus s'élevaient à 2 400 $.

 

[27]         Avant d’aller de l’avant avec l’opération, l'appelante a beaucoup insisté sur le fait qu’elle voulait acquitter par anticipation le montant dû et garanti par l'hypothèque. L’idée de contracter une dette ne lui plaisait pas. À cet effet, elle a affirmé avoir en horreur des dettes. C’est pour cette raison qu’elle acquittait toujours les comptes dès leur réception.

 

[28]         Son conjoint lui a déconseillé de payer la dette garantie par hypothèque qu’elle avait accepté de prendre en charge pour le motif qu'il existait depuis quelques années une belle harmonie quant au partage des obligations financières de la famille : l'appelante seule payait les nombreux comptes se rapportant aux dépenses ordinaires du ménage alors que lui, indiscipliné et négligeant, n'avait qu'un paiement important à faire simplifiant au maximum l’étendue et la gestion de ses obligations à l’endroit de la famille.

 

[29]         L'appelante a affirmé que, depuis de nombreuses années, elle payait, à même ses actifs et revenus, la totalité des dépenses courantes du ménage pour la nourriture, les vêtements, les loisirs, les frais médicaux et ainsi de suite.

 

[30]         Quant à son conjoint, il payait un montant important couvrant le coût du loyer. Il se libérait ainsi de tous les tracas liés à la gestion des multiples dépenses auxquelles doit faire face toute cellule familiale.

 

[31]         Cette façon de faire convenait aux époux et assurait l'harmonie quant à leurs responsabilités financières familiales respectives. L'appelante a affirmé qu'elle n’aimait pas traîner des dettes, ce qui l’incitait à payer les sommes dues aussi rapidement que possible.

 

[32]         L’appelante a affirmé que, suivant le transfert de l'immeuble, elle voulait payer la dette garantie par hypothèque, son conjoint lui aurait fait comprendre qu’il serait préférable de s’en tenir à la formule qui avait fait ses preuves. À contrecœur, l'appelante a accepté.

 

[33]         L'appelante a donc souscrit à la suggestion de son conjoint qui a alors continué d'effectuer les paiements mensuels dus pour le remboursement de la dette garantie par hypothèque dont l'appelante était devenue responsable depuis le transfert du titre de propriété de l’immeuble.

 

[34]         L'appelante et son conjoint ont affirmé qu'il s'agissait là de la seule participation du conjoint aux charges du ménage. L'immeuble grevé par l'hypothèque était la résidence familiale; il ne s'agissait pas d'un immeuble à revenus.

 

[35]         Le conjoint a confirmé cette habitude qu’avait l'appelante de toujours payer les facture dès leur réception et de ne pas laisser des soldes impayés. Il a expliqué avoir proposé le maintien de leur mode de fonctionnement puisque cela lui apparaissait plus simple à gérer. Ainsi, il payait le compte d’électricité, le compte de câblodistribution et il faisait les paiements hypothécaires et madame s'occupait de toutes les autres dépenses familiales, soit celles concernant les vêtements, la nourriture, les frais scolaires, les frais téléphoniques, les frais dentaires, les frais médicaux, etc.

 

[36]         D'ailleurs, pour étayer les explications soumises, l'appelante a réussi à retrouver les postes de dépenses dont elle assumait le paiement, le tout démontrant qu'elle avait effectivement le souci du détail et surtout une bonne connaissance des obligations financières familiales.

 

[37]         Son témoignage a été précis, raisonnable et crédible. Il ne s'agissait manifestement pas d'une personne qui tente d'inventer toutes sortes d'explications pour justifier après coup la situation dans laquelle elle se trouve.

 

[38]         La participation financière de l'appelante au paiement des charges familiales était non seulement réelle, mais aussi importante. Quant à la mensualité hypothécaire, il ne s'agissait pas d'un montant disproportionné, il s'agissait plutôt d'un montant plus que raisonnable pouvant correspondre facilement à la part de responsabilité minimale du conjoint quant aux charges du ménage, dont notamment pour la rubrique loyer — composante essentielle et fondamentale pour toute cellule familiale. La preuve n’a cependant pas été faite quant à la valeur économique du logement ou du loyer.

 

[39]         Dans ce genre de dossier, il est souvent nécessaire de devoir rechercher la vérité puisque la tentation de camoufler les faits, eu égard aux conséquences, est malheureusement assez forte. En l'espèce, les explications sont raisonnables et surtout très vraisemblables.

 

[40]         En matière fiscale, la règle étant toujours la prépondérance de la preuve, je dois faire l'analyse des faits à partir de la preuve soumise. Les questions du lien de dépendance et de la dette fiscale, deux questions essentielles à l'application de l'article 160 de la Loi, ne sont pas en cause.

 

[41]         Dans un premier temps, je dois déterminer si l’extinction du prêt de 60 000 $ consenti par l’appelante à monsieur L’Écuyer en mars 1999, que ne conteste pas l’intimée, et si la prise en charge de l’obligation hypothécaire par cette dernière ont constitué une contrepartie suffisante au transfert de la résidence principale.

 

[42]         Dans l’affirmative, je dois décider si, dans un deuxième temps, les versements effectués par monsieur L’Écuyer à la suite du transfert du titre de la maison à l’appelante constituent des transferts sans contrepartie au sens de l’article 160 de la Loi.

 

[43]         À cette étape, je dois décider si les charges familiales payées par l’appelante constituent une contrepartie valable et acceptable pour ces paiements.

 

[44]         L'intimée ne croit pas à la pertinence du transfert de l'immeuble, eu égard que rien dans les faits n'a changé. Interpréter ainsi les faits révélés par la preuve démontre à quel point l'intimée ne tient pas compte de l'acte notarié.

 

[45]         Le contrat notarié constitue une preuve déterminante à l'effet qu'il y a bel et bien eu transfert, mais aussi contrepartie composée d'une part de la créance de l'appelante à l'endroit de l'auteur du transfert et, d'autre part, de la prise en charge du solde de dette garantie par l'hypothèque en faveur de la Banque Royale.

 

[46]         Si l'intimée croyait qu'il s'agissait là d'une opération bidon, elle aurait dû contester la qualité de l'acte notarié par une inscription en faux, ce qui n'a pas été fait. Par conséquent, l'acte notarié fait preuve de son contenu, l'argument voulant que rien n'ait changé entre les conjoints est plutôt loufoque et, certainement, sans fondement.

 

[47]         Le paragraphe 160(1) de la Loi se lit comme suit :

ARTICLE 160 :

(1) Lorsqu'une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d'une fiducie ou de toute autre façon à l'une des personnes suivantes :

a) son époux ou conjoint de fait ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

b) une personne qui était âgée de moins de 18 ans;

c) une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

 

les règles suivantes s'appliquent :

d) le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d'une partie de l'impôt de l'auteur du transfert en vertu de la présente partie pour chaque année d'imposition égale à l'excédent de l'impôt pour l'année sur ce que cet impôt aurait été sans l'application des articles 74.1 à 75.1 de la présente loi et de l'article 74 de la Loi de l'impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts révisés du Canada de 1952, à l'égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés ou des biens y substitués ou à l'égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens;

e) le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d'un montant égal au moins élevé des montants suivants :

(i) l'excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

(ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l'auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l'année d'imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d'une année d'imposition antérieure ou pour une de ces années;

aucune disposition du présent paragraphe n'est toutefois réputée limiter la responsabilité de l'auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

 

 

[48]         L’article 160 de la Loi a fait l’objet de plusieurs décisions depuis son entrée en vigueur et ses critères d’application ont récemment été réitérés dans une décision de la Cour canadienne de l’impôt, Raphael c. Canada[1], et repris par la Cour d’appel fédérale[2] :

Le juge de la Cour de l'impôt a énoncé quatre conditions à remplir pour que le paragraphe 160(1) s'applique; ce faisant, il suivait une décision de la Cour de l'impôt, Doreen Williams c. La Reine, no 98-1604, 4 juillet 2000. Il s'agissait des conditions ci-après énoncées :

1)  il doit y avoir eu un transfert de biens;

2)  il faut que l'auteur et le bénéficiaire du transfert aient un lien de dépendance;

3)  le bénéficiaire du transfert ne doit pas avoir donné de contrepartie à l'auteur du transfert (ou doit lui avoir donné une contrepartie insuffisante);

4)  l'auteur du transfert doit payer un montant en vertu de la Loi au cours de l'année dans laquelle les biens ont été transférés ou d'une année antérieure[3].

 

[Je souligne.]

 

[49]         L'appelante a admis avoir un lien de dépendance avec monsieur L’Écuyer. Elle a aussi reconnu que ce dernier était un débiteur fiscal en admettant les paragraphes 7 a) et b) de la Réponse à l’avis d’appel soumis par l’intimée. Conséquemment, deux des quatre conditions ne sont pas en litige. Quant au transfert, il a été adéquatement établi par l'acte notarié.

 

[50]         L’extinction du prêt de 60 000 $ consenti par l’appelante à monsieur L’Écuyer en mars 1999 et la prise en charge de l’obligation hypothécaire par elle constituent-elles une contrepartie suffisante au transfert de l'immeuble formalisé par un acte notarié?

 

[51]         Dans un second temps, les versements effectués par monsieur L’Écuyer après le transfert de l’immeuble à l’appelante constituent-ils des transferts sans contrepartie au sens de l’article 160 de la Loi?

 

[52]         La preuve a établi, que le 15 septembre 1999, M. L’Écuyer a, par acte notarié, convenu de céder à l’appelante son droit de propriété dans la résidence principale dont il était le seul propriétaire. Il s'agit là d'une opération confirmée par un acte authentique dont la contestation est assujettie à des règles strictes.

 

[53]         Le seul argument à l’effet que l’appelant et son conjoint n’ont rien changé dans leur façon de vivre et de gérer leurs affaires personnelles ne constitue pas une preuve suffisante pour conclure qu’il n’y a pas eu de contrepartie valable à la suite du transfert. Par conséquent, je ne tiens pas compte de cet argument et je conclus que le transfert a été fait moyennant une contrepartie valable.

 

[54]         Le premier argument de l'intimée à l'effet que le transfert avait été effectué sans véritable contrepartie dont la valeur était équivalente étant écarté, il y a lieu d'examiner si les paiements faits par monsieur L’Écuyer en échange du transfert de la propriété constituaient une contrepartie adéquate.

 

[55]         L’intimée plaide que, lorsque le conjoint de l’appelante a effectué à sa place les paiements hypothécaires en question, alors que cette dernière s’était engagée à faire les paiements sur la résidence ayant fait l'objet du transfert, les paiements ont été faits sans contrepartie. En d’autres termes, il s’agissait de transferts périodiques sans contrepartie assujettis aux dispositions de l’article 160 de la Loi.

 

[56]         En l’espèce, il n'y a pas de contestation quant à l'auteur des paiements, puisque l'appelante a admis que son conjoint les avait effectués. Elle s'est cependant empressée d'ajouter qu'il ne s'agissait pas de paiements à titre gratuit ou sans contrepartie; elle a soutenu qu'il fallait faire une distinction entre la forme et le fond.

 

[57]         D'autre part, s'agissait-il de transferts entre monsieur L’Écuyer et sa conjointe aux termes de l'article 160 de la Loi?

 

[58]         Dans la décision Yates v. Q[4], le juge McArthur disait d’ailleurs à ce sujet :

 

 

[…] The word "transfer" was defined in Fasken Estate v. Minister of National Revenue [référence omise] wherein Thorson P. stated:

 

The word "transfer" is not a term of art and has not a technical meaning. It is not necessary to a transfer of property from a husband to his wife that it should be made in any particular form or that it should be made directly. All that is required is that the husband should so deal with the property as to divest himself of it and vest it in his wife, that is to say, pass the property from himself to her. The means by which he accomplishes this result whether direct or circuitous, may properly be called a transfer.

 

This definition has been accepted by this Court in recent years including in the decision in Tétrault c. R., [référence omise] where at paragraph 39, Archambault, J. stated:

 

... in order for there to be a transfer of property for the purposes of the attribution rules, it is essential that the transferor be divested of his ownership and that the property has vested in the transferee[5].

 

 

[59]         La notion de transfert a une portée large au point d'inclure les situations où un conjoint, au lieu de donner de l’argent directement à sa conjointe, paie l’un des créanciers de cette dernière. En d’autres termes, le fait qu'un transfert se fasse indirectement n'a pas pour effet d'annuler ou de réduire la portée du transfert.

 

[60]         Tenant pour acquis que les paiements faits par monsieur L’Écuyer constituaient un transfert, je dois décider s’ils ont été faits avec ou sans contrepartie.

 

[61]         L’appelante a soumis à la Cour deux décisions, soit la décision Michaud c. Canada[6] de la juge Lamarre Proulx et Ferracuti c. Canada[7] du juge McArthur, dans lesquelles les juges ont conclu que, lorsque des paiements sont effectués afin de remplir une obligation légale liée aux charges familiales, ces transferts peuvent être considérés comme des transferts avec contrepartie au sens où l’entend l’article 160 de la Loi.

 

[62]         L’intimée a, de son côté, soutenu que cette position fut rejetée par le juge Archambault dans la décision Tétrault c. Canada[8] et par le juge Bédard qui a souscrit aux motifs de cette décision dans Mathieu c. Canada[9]. Elle a affirmé que ces deux jugements sont plus conformes aux dispositions de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[63]         En effet, après une longue analyse de la jurisprudence, le juge Archambault concluait que l’exécution d’une obligation familiale constituait un transfert fait sans contrepartie au sens de l’article 160 de la Loi pour la personne qui en était le bénéficiaire.

 

[64]         Ainsi, aux termes de ces décisions, les transferts effectués d’un conjoint à l’autre en exécution d’une obligation légale de pourvoir aux besoins de sa famille ont été considérés avoir été faits sans contrepartie au sens de l’article 160 de la Loi.

 

[65]         Il semble y avoir deux courants jurisprudentiels à la Cour canadienne de l’impôt.

 

[66]         La décision du juge Archambault dans Tétrault, précitée, mérite d’être analysée. Il y explique pourquoi il considère que l’exécution d’une obligation familiale ne peut constituer une contrepartie :

 

La contribution aux charges du mariage est, à mon avis, de la nature d'une donation par laquelle un bien est donné sans aucune contrepartie [référence omise]. Cette analyse de l'obligation familiale rejoint celle faite par le juge Mogan dans la décision Raphael, où il est dit « [c]es mêmes obligations familiales ne peuvent toutefois représenter une « contrepartie » au sens de l'article 160 [...] » (par. 27 de la décision). Elle rejoint également celle dans Logiudice où l'on précise que le « mot « contrepartie », tel qu'il est utilisé dans le contexte de l'article 160 de la Loi, dans son sens ordinaire, signifie la contrepartie qu'une partie à un contrat donne à l'autre partie en échange du bien transféré » et que le « sous-alinéa 160(1)e)(i) de la Loi vise à protéger les véritables opérations commerciales de l'application de la disposition » (par. 16 de la décision). Elle est conforme aussi à l'analyse faite par le juge Sobier dans la décision Sinnott v. The Queen, précitée au paragraphe 19 (Q.L.), (page 598 DTC) :

 

L'avocate de l'appelante a accordé beaucoup d'importance à l'argument selon lequel une contrepartie avait été donnée à l'égard du transfert. Cependant, quelle était cette contrepartie? Est-il possible de dire que le paiement des dépenses de ménage constitue la contrepartie donnée à l'égard des transferts? Selon le sous-alinéa 160(1)e)(i), l'auteur et le bénéficiaire du transfert sont solidairement responsables du paiement d'un montant égal à l'excédent de la juste valeur marchande du bien au moment de son transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée à l'égard du bien. Au moment où les transferts ont eu lieu, aucune contrepartie n'a été donnée.

 

L'absence d'une contrepartie donnée pour l'exécution de l'obligation familiale explique aisément qu'il soit hautement problématique, sinon impossible, de déterminer quelle serait la JVM du droit du bénéficiaire de recevoir les biens transférés par l'auteur du transfert en vertu de son obligation familiale. En outre, comme le disait le juge Mogan, même si une JVM pouvait être établie, ce droit ne constituerait pas une « contrepartie donnée pour le bien » [référence omise].

 

Non seulement cette interprétation m'apparaît plus en harmonie avec le texte de l'article 160 de la Loi, mais elle s'impose en raison du principe d'interprétation de la cohérence et du caractère systématique de la loi. [référence omise] Il faut tenir compte ici de l'ensemble de l'article 160 pour en déterminer la portée. Or, le paragraphe 160(4) [référence omise] de la Loi dispose que la règle de l'alinéa 160(1)e) est sans effet lorsqu'un conjoint transfère des biens à l'autre conjoint à la suite de l'échec du mariage. Aux fins de cette règle, la JVM du bien transféré est réputée être nulle. S'il fallait appliquer le raisonnement adopté dans les décisions Ferracuti, Michaud et Dupuis, il faudrait conclure que le paragraphe 160(4) n'est d'aucune utilité, car, lors d'une séparation [référence omise], le droit d'un époux de recevoir une partie du patrimoine de l'autre époux est reconnu par la loi, ici le Code civil, notamment dans les règles sur le partage du patrimoine familial énoncées aux articles 414 et suivants dudit code. Il s'agit donc « d'un transfert de biens [...] fait en exécution [d'une] obligation légale » [référence omise]. En outre, si le droit de recevoir ces biens en vertu du Code civil constituait une contrepartie dont la JVM est égale à la JVM des biens transférés, il n'aurait pas été nécessaire d'édicter que la JVM des biens transférés est nulle. Au contraire, je crois que le législateur a tenu pour acquis qu'un tel transfert lors d'une séparation constitue un transfert sans contrepartie et, n'eût été le paragraphe 160(4) de la Loi, le bénéficiaire de ce transfert aurait pu être tenu solidairement responsable de toute dette fiscale de l'auteur du transfert.

 

Par conséquent, une conclusion s'impose : le transfert de biens en vertu d'une obligation légale (comme celle en matière de partage du patrimoine familiale) constitue un « transfert » aux fins de l'article 160 de la Loi et est assujetti à cet article. Le simple droit d'être le bénéficiaire de cette obligation ne constitue pas une contrepartie donnée. Pareillement, le transfert de biens à l'autre conjoint en exécution d'une obligation familiale constitue un transfert pour lequel aucune contrepartie n'a à être donnée et rien à l'article 160 n'autorise cette Cour à soustraire ce transfert à son application [référence omise][10].

[Je souligne.]

 

 

[67]         Il est raisonnable de croire que le paragraphe 160(4) a été inséré dans la loi pour tenir compte de certaines situations, par exemple une séparation, où il peut y avoir un transfert de biens sans contrepartie valable. Le législateur a voulu s’assurer que le transfert de biens découlant d’obligations légales et non d’une tentative du contribuable de se soustraire à ses obligations fiscales, ne soient assujettis à l’article 160.

 

[68]         Le principe qui sous-tend l’article 160 a d’ailleurs très bien été énoncé par le juge Desjardins de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Medland c. Canada[11] comme suit :

 

Il n'est pas contesté que la politique fiscale qui sous-tend le paragraphe 160(1), ou son objet et son esprit consistent à empêcher un contribuable de transférer ses biens à son conjoint afin de faire échec aux efforts déployés par le ministre pour percevoir l'argent qui lui est dû [67]. La question à trancher tient donc à l'interprétation juste à donner aux termes utilisés dans le paragraphe 160(1) de la Loi, c'est-à-dire que la Cour doit décider si M. Medland a « transféré des biens ... indirectement ... de toute autre façon » à son épouse[12].

 

 

[69]         Le paragraphe 160(4) vise à soustraire qu’une personne devenant légalement propriétaire d’un bien en vertu d’une séparation ou d’un divorce de l’obligation de payer les dettes fiscales du cédant puisque ce transfert est fait afin de répondre à des obligations légales. Ce paragraphe n’exclut pas la possibilité qu’il puisse y avoir une contrepartie associée aux charges familiales.

 

[70]         En l’espèce il a été démontré que c’est à des fins de protection que l’appelante a exigé que la résidence principale lui soit cédée. Quoique l’intention ne soit pas pertinente en l’espèce, il est tout de même possible de constater que le titre de propriété a été transféré à l’appelante, non pas pour permettre à monsieur L’Écuyer de se soustraire à ses obligations envers le Ministère (c’est‑à‑dire pour mettre ses actifs à l’abri de l’impôt), mais plutôt pour protéger financièrement l’appelante.

 

[71]         Il est tout à fait possible que des paiements faits en vertu d’obligations légales puissent être assujettis à l’application de l’article 160; par contre, il est aussi possible que le paiement de charges familiales puisse constituer une contrepartie lors d’un transfert.

 

[72]         À l’appui de cette position, outre les décisions Michaud et Ferracuti, précitées, je cite la décision récente Yates v. R., précitée, rendue par le juge McArthur, et en particulier le passage suivant :

 

   I accept the second approach to the effect that certain limited payments made for some household expenses by a spouse, who is obligated to support his or her family, are not subject to subsection 160(1). I believe these expenditures should be for daily living necessities as opposed to permitting an accustomed lavish standard of living. The Appellant cited the following cases which support this: Michaud c. R., [référence omise] Ferracuti v. R., [référence omise] Laframboise v. R. [référence omise] and Ducharme v. R. [référence omise]

 

[…]

 

   I agree that the function of this Court under section 160 is not to parse a taxpayer's grocery bills in order to determine which food items are reasonable and which are not. Each case must be considered on its own merits. The Court must examine the evidence of the taxpayer with respect to household expenditures to determine which expenses, if any, are the vital household expenses that may be excluded from the reach of section 160. I say this because section 160 is a far-reaching collection tool in the Act. It has been described as draconian and Parliament drafted it as such. Accordingly, the exceptions to the reach of this section are narrow. In Ferracuti, I attempted to determine which expenditures were made in satisfaction of the person's legal obligation to support his family[13].

 

 

[73]         L’appelante, dont la crédibilité n’est pas remise en question, affirme que la contrepartie qu’elle donnait pour les paiements hypothécaires était beaucoup plus importante que sa contribution aux charges domestiques.

 

[74]         Le témoignage de l’appelante, étayé par les relevés des dépenses, démontre que les paiements qu’elle faisait au titre des dépenses familiales étaient plus importants que les paiements que faisait son conjoint[14].

 

[75]         S'appuyant sur les décisions Tétrault c. Canada, 2004 CCI 332, et Mathieu c. Canada, 2004 CCI 135, l'intimée a fait valoir que les montants déboursés par le conjoint de l'appelante dans le cadre de sa responsabilité au titre des charges familiales ne constituent pas une contrepartie valable au transfert effectué, d'où son opinion que le transfert est assujetti aux dispositions de l'article 160.

 

[76]         Je ferai remarquer que les faits du présent dossier sont différents de ceux de l’affaire Tétrault en ce que la contrepartie fournie par l’appelante est supérieure aux sommes que monsieur L’Écuyer déboursait en effectuant les paiements hypothécaires.

 

[77]         Les faits tendent à donner raison à l’intimée si on suit sa suggestion à l’effet que l’analyse des faits doit tenir compte seulement de la forme ou de la méthode utilisée, et non du contexte, et des circonstances.

 

[78]         L’absence de changement quant à la façon de faire des conjoints a été admise et reconnue. Cela doit-il nous amener automatiquement à conclure qu’il s’agissait d’un paiement sans contrepartie? Si les choses étaient aussi simples, l’intimée serait justifiée d’affirmer qu’il y a eu transfert sans contrepartie, puisque l’appelante et son conjoint ont continué de résider dans l’immeuble ayant fait l’objet du transfert. En d’autres termes, le fait que l’appelante et son conjoint aient continué d’habiter la résidence ne contredit‑il pas l’acte notarié en ce sens que, sur le plan quotidien, rien n’a changé? Je ne le crois pas.

 

[79]         Quant aux paiements mensuels que l’appelante avait convenu de prendre à sa charge, elle et son conjoint ont convenu d’une façon de faire qui leur convenait tout en respectant le contenu de l’acte notarié.

 

[80]         Dans la décision Ferracuti, précitée, le juge McArthur a déclaré :

 

[21] En l'espèce, M. Ferracuti avait un « motif juridique » d'effectuer certains paiements. Il avait en vertu des articles 30, 31 et 35 de la Loi sur le droit de la famille (Ontario) une obligation juridique de subvenir aux besoins de sa famille.

 

 

[81]         En faisant l’analogie avec les obligations prévues dans le Code civil, je conclus que monsieur L’Écuyer avait « une obligation juridique de subvenir aux besoins » de sa famille[15].

 

[82]         De plus, voici ce qu’a mentionné la juge Lamarre Proulx dans la décision Michaud :

 

Je suis d'avis que lorsque l'ex-conjoint de l'appelante a payé les charges hypothécaires de la maison familiale qui était la propriété de l'appelante, il ne faisait qu'exécuter une obligation légale soit celle de subvenir aux besoins de sa famille en lui procurant le logement dont elle avait besoin. L'appelante aurait pu payer elle-même ces frais hypothécaires et le mari aurait pu payer ce que l'appelante avait pris à sa charge. Mais ce n'était pas ainsi que les charges familiales s'étaient naturellement réparties dans ce couple. De toute façon, cette répartition pécuniaire des charges familiales n'est pas de l'essence de ma décision. Car ici, il s'agit d'un couple où les deux époux gagnent de l'argent. S'il s'était agi d'un couple où seul un des deux époux gagnait le revenu familial, ma décision serait la même : le paiement de l'emprunt hypothécaire fait sur la demeure familiale n'est pas de la nature d'un transfert de biens fait sans contrepartie valable s'il est en fait en exécution de l'obligation légale de pourvoir aux besoins de sa famille.

 

Je veux préciser que c'est quand la preuve révèle que le paiement hypothécaire est fait en exécution de l'obligation légale de subvenir aux besoins de la famille, qu'il est fait pour une contrepartie valable au sens du paragraphe 160(l) de la Loi. Si par hypothèse, le mari dans la présente affaire avait payé un loyer à son épouse et en plus aurait fait les paiements hypothécaires, il est peu probable que les paiements hypothécaires auraient été faits en exécution d'une obligation légale de subvenir aux besoins de la famille[16].

 

 

[83]         La décision de la Cour d’appel fédérale Ducharme c. Canada[17] vient aussi appuyer la position de l’appelante en ce que les paiements hypothécaires peuvent aussi être considérés comme la contrepartie donnée en guise et en sus du paiement d’un loyer. Les motifs de cette décision sont les suivants :

 

La quasi-totalité de la somme en litige comprenait cinq ans et demi de paiements hypothécaires d'environ 500 $ par mois. Je présumerai, sans décider, que la totalité des paiements hypothécaires ont été transférés par M. Vienneau à Mme Ducharme, cette présomption étant plus favorable au ministre. Pendant la période en cause, M. Vienneau vivait dans les lieux hypothéqués ou, lorsqu'il était au travail, y avait accès chaque fois qu'il le voulait. Le juge de la CCI a tenu pour avéré qu'à l'époque où les paiements hypothécaires ont été faits, le loyer d'une maison équivalente (et de grandeur moyenne) pour une famille à Fort St. John variait entre 1 200 $ et 1 500 $ par mois (voir le paragraphe 6). Les sommes que M. Vienneau a versées étaient inférieures à la moitié de ce loyer mensuel.

 

Il est raisonnable de déduire de ces faits que Mme Ducharme a permis à M. Vienneau de disposer et de se servir de sa maison en contrepartie de ses paiements hypothécaires. Les sommes versées par M. Vienneau étaient assimilables à un loyer. Elles étaient nettement inférieures à ce qui semblait être la juste valeur locative de la maison de Mme Ducharme, et on ne peut dire raisonnablement que le « loyer » que payait M. Vienneau en effectuant des paiements mensuels sur l'hypothèque de Mme Ducharme excédait la juste valeur marchande de la contrepartie donnée par cette dernière à M. Vienneau.

 

Considérer les sommes payées par M. Vienneau comme un loyer ne constitue pas une redéfinition de l'effet juridique des transactions. Il s'agit simplement d'une façon d'expliquer que M. Vienneau a reçu une contrepartie égale ou supérieure aux sommes qu'il a transférées à Mme Ducharme.

 

Compte tenu de cette conclusion, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres arguments de Mme Ducharme, qui sont fondés sur l'évaluation des services ou des « obligations domestiques » des conjoints[18].

 

 

 

[84]         Dans cet arrêt, la Cour d’appel a ainsi endossé la position selon laquelle, lorsqu’il y a transfert résultant de paiements hypothécaires effectués par un conjoint à l’égard de la résidence de l’autre, il peut y avoir une contrepartie reçue par la personne qui effectue les paiements.

 

[85]         Selon cette position, il faut alors déterminer quelle est la valeur de cette contrepartie en déterminant la valeur du loyer qu’une personne aurait à payer pour demeurer dans la résidence. En d’autres mots, le fait de ne pas avoir à payer de loyer pour vivre dans la maison de l’autre conjoint constitue la contrepartie reçue.

 

[86]         Compte tenu des particularités du dossier, j’accepte les explications de l’appelante à l’effet que le transfert de la résidence familiale a été fait moyennant une contrepartie adéquate.

 

[87]         Une conclusion contraire s’avérerait aberrante puisque la question ne se serait probablement même pas posée si André L’Écuyer avait pris en charge d’autres dépenses et que l’appelante s’était occupée du paiement de l’hypothèque.

 

[88]         Il est vrai que les paiements étaient bel et bien des transferts, mais non sans contrepartie. L’appelante doit-elle être pénalisée pour avoir payé auparavant plus que sa part? Doit‑elle être pénalisée d’avoir voulu organiser ses affaires d’une façon qui convenait le plus au couple?

 

[89]         L’appelante aurait pu obtenir un jugement pour non‑paiement de la créance de 60 000 $ qu’elle avait à l’encontre de son mari et obtenir en contrepartie le titre sur l’immeuble. Elle a plutôt choisi une façon de faire favorisant l’harmonie dans sa relation de couple. Doit‑elle être pénalisée pour ne pas avoir voulu intenter une action contre son mari?

 

[90]         L’intimée demande à la Cour de ne pas tenir compte du contrat notarié conclu par l’appelante et son conjoint, le débiteur fiscal; elle ne conteste pas le fait que l’appelante avait une créance de 60 000 $ sur son conjoint. Elle soutient également que les paiements effectués périodiquement par le conjoint de l’appelante ont été fait à titre gratuit, sans contrepartie, et conséquemment sont assujettis aux dispositions de l’article 160 de la Loi.

 

[91]         Or, les arguments, les explications et les justifications soumis par l’appelante sont tout aussi raisonnables et certainement plus légitimes que ceux de l’intimée, qui suggère à la Cour de contredire un acte authentique.

 

[92]         En l’espèce, les faits soumis sont simples et révélateurs; ils auraient pu avoir une forme totalement différente.

 

[93]         Il suffit d’imaginer les scénarios suivants : l’appelante aurait pu acquitter le solde de la créance de la Banque Royale au moyen d’un paiement par anticipation et fixer la contribution de son conjoint à un montant équivalent.

 

[94]         Son conjoint aurait tout simplement pu payer mensuellement à l’appelante le montant équivalent, cette dernière aurait alors assumé la dette garantie par hypothèque à même son propre compte de banque.

 

[95]         L’intimée voudrait que l’acte notarié soit occulté de l’analyse du dossier et que la Cour privilégie la forme sur le fond dans son interprétation des faits en l’espèce. Elle suggère à la Cour de rejeter les explications de l’appelante, qui sont crédibles et raisonnables compte tenu du contexte et des circonstances.

 

[96]         La façon de faire soulève des questions et laisse la porte ouverte à l’élaboration d’hypothèses, j’en conviens; par contre, ces mêmes faits m’apparaissent révélateurs quant à l’absence de volonté de mettre en place une opération ou une série d’opérations pour éviter la dette fiscale. D’autre part, en fiscalité, il existe un grand principe en vertu duquel la Loi s’applique à partir des actes accomplis et non pas à partir des actes que les contribuables auraient voulu accomplir.

 

[97]         Je ne crois pas, en l’espèce, bafouer ce principe fondamental en acceptant les prétentions de l’appelante; en effet, une entente est réellement intervenue entre l’appelante et son conjoint à un moment de leur vie, chacun ayant son patrimoine et surtout un vécu particulier.

 

[98]         Cette entente s’est manifestée en deux étapes, la première étant la signature d’un acte notarié, dont le contenu ne peut être attaqué selon la preuve soumise.

 

[99]         En ce qui concerne la deuxième étape, soit celle prévoyant le remboursement du solde dû à la Banque Royale, l’appelante a formellement engagé sa responsabilité.

 

[100]     La façon d’exécuter cette obligation soulève des questions ou, tout au moins, étaye la thèse de l’intimée selon laquelle l’appelante n’a pas assumé ses obligations.

 

[101]     Or, je conviens que, sur le plan de la forme, la façon de faire de l’appelante puisse soutenir les arguments de l’intimée; cependant, les explications données à la Cour et le contexte me permettent de conclure que l’appelante a, selon toute vraisemblance, assumé les obligations découlant de l’acte notarié. Il n’y a donc pas lieu de donner suite à la suggestion farfelue de l’intimée et de faire abstraction de l’acte notarié.

 

[102]     Certes, la façon de faire du couple était discutable, voire maladroite, mais pas au point où il faudrait écarter du revers de la main certains faits de la présente affaire et des arguments fournis par l’appelante, d’autant plus qu’il aurait été très facile pour l’appelante de gérer ses affaires personnelles de façon à ce que le tout soit cohérent et tout à fait inattaquable.

 

[103]     Pour ces raisons, les appels sont accueillis, avec dépens en faveur de l’appelante.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de mai 2008.

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2008CCI242

 

Nºs DES DOSSIERS DE LA COUR : 2005-1246(IT)G et 2005-4051(GST)G

 

INTITULÉ DES CAUSES :                RÉJEANNE LEBLANC ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Jonquière (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 7 mai 2007

 

MOTIFS DES JUGEMENTS PAR :   L'honorable juge Alain Tardif

 

DATE DES JUGEMENTS :               le 9 mai 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l'appelante :

Me Claude Lemieux et

Me Patrice Gobeil

Avocat de l'intimée :

Me Martin Gentile

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante :

 

                     Noms :                          Me Claude Lemieux et Me Patrice Gobeil

                  Cabinet :                          Simard, Boivin, Lemieux

                      Ville :                           Alma (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1] 2000 D.T.C. 2434.

[2] Raphael c. Canada, 2002 CAF 23.

[3] Para. 4.

[4] 2007 CarswellNat 2626, 2007 TCC 498 (procedure générale).

[5]  Para. 14.

[6]  99 D.T.C. 43 (Fr.), 1998 CarswellNat 1782, [1998] A.C.I. no 908 (QL) (procédure générale).

[7]  1998 CarswellNat 1915, 99 D.T.C. 194, [1999] 1 C.T.C. 2420 (procédure générale).

[8]  2004 CarswellNat 1370, 2004 CCI 332, [2004] 4 C.T.C. 2234, 2004 D.T.C. 2763 (procédure informelle).

[9]  2004 CarswellNat 1935, 2004 CCI 135 (procédure informelle).

[10] Para 47-50.

[11] [1998] A.C.F. no 708 (QL).

[12] Para. 14.

[13] Para. 19 et 29.

[14] Page 9 des notes sténographiques.

[15] Voir l’article 396 du Code Civil.

[16]  Para. 19 et 20.

[17]  2005 CarswellNat 3642, 2005 FCA 137, (sub nom. R. v. Ducharme) 2005 D.T.C. 5249 (Eng.), [2005] 2     C.T.C. 323, 2005 CAF 137.

[18] Para. 4 à 7.

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