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Dossier : 2007-3353(EI)

ENTRE :

PARKASH KAUR CHAHAL,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu les 8 et 9 mai 2008, à Vancouver (Colombie-Britannique).

 

Devant l’honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

 

Représentant de l’appelante :

 

M. Gurpreet Pabla

Avocats de l’intimé :

B.J. Wray (étudiant en droit)

Me Sara Fairbridge

____________________________________________________________________

JUGEMENT

L’appel est accueilli et la décision du ministre est modifiée conformément aux motifs énoncés dans le présent dossier.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de juin 2008.

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de juillet 2008.

 

Danièle Laberge, LL.L.


 

 

 

Référence : 2008CCI347

Date : 20080612

Dossier : 2007-3353(EI)

 

ENTRE :

PARKASH KAUR CHAHAL,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Boyle

 

[1]              Mme Chahal a immigré au Canada en provenance de l’Inde en 2000 alors qu’elle était à la fin de la soixantaine. Elle ne parle pas anglais. Elle ne peut lire ou écrire aucune langue et elle est incapable de faire des calculs. En Inde, elle était une travailleuse agricole. En Colombie-Britannique, elle est une cueilleuse de baies saisonnière.

 

[2]              Pour les années en question, 2005 et 2006, on lui a refusé des prestations d’assurance-emploi. La question consiste à savoir si l’époux de Mme Chahal et son fils ou d’autres personnes l’ont aidée dans son travail et dans quelle mesure elle a obtenu de l’aide. Mme Chahal a témoigné lors de l’audience que ni son époux ni personne d’autre ne l’ont aidée bien que la preuve comporte ses déclarations antérieures selon lesquelles elle avait parfois reçu de l’aide de son époux et à une reprise de son fils.

 

[3]              Le registre des gains (RDG) de Mme Chahal pour 2005, déposé initialement, montrait une rémunération assurable versée de 8 190 $ et un nombre de 840 heures d’emploi assurable. Ce registre avait été préparé et déposé par ADP, le fournisseur de service de paie extérieur de son employeur. Il n’est pas contesté qu’elle a reçu 8 190 $, mais la Couronne se demande si ce montant lui a été versé en entier à elle pour son propre travail. Il n’est pas contesté non plus que le taux horaire de salaire qu’elle touchait en 2005 était de 8,75 $, bien que la Couronne avance qu’il ait pu y avoir un certain lien entre le nombre d’heures pour lesquelles elle a été payée et le nombre de livres de baies qu’elle a cueillies. Les relevés de paie de Mme Chahal fournis par ADP montrent clairement que son taux horaire était de 8,75 $. Toutefois, il est clair et évident qu’ADP a préparé le RDG en utilisant un taux horaire de 9,75 $ plutôt que le taux de 8,75 $. Lorsqu’on a déposé un RDG révisé montrant une rémunération assurable inchangée de 8 190 $ et reflétant un nombre de 936 heures d’emploi assurable, soit le bon nombre d’heures calculées au taux de salaire de 8,75 $, le RDG et, vraisemblablement, la demande d’assurance-emploi (A‑E) de Mme Chahal ont été renvoyés à la Division de l’intégrité de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, entre autres parce que la révision du RDG était importante puisque Mme Chahal avait besoin de 910 heures d’emploi assurable pour être admissible à des prestations d’A‑E en 2005.

 

[4]              Une agente de la Division de l’intégrité de l’A-E de RHDCC a témoigné à l’égard de son examen du RDG révisé et de la demande d’A-E de Mme Chahal. Après plusieurs discussions avec Mme Chahal, son employeur et le chauffeur qui allait la chercher chaque matin et la ramenait chaque soir, l’agente d’A-E avait des préoccupations parce qu’elle avait eu des réponses quelque peu incohérentes. En particulier, on lui avait donné des réponses différentes quant à la question de savoir s’il était possible que l’époux et le fils de Mme Chahal l’aient aidée dans son travail et dans quelle mesure ils l’avaient fait. L’agente d’A-E a conclu que le RDG révisé était suspect en raison de la déclaration de Mme Chahal selon laquelle son époux l’avait aidée. Elle a renvoyé le dossier de Mme Chahal au service des décisions en matière de régime de pension et d’A-E de l’ARC pour obtenir une décision portant sur son emploi assurable, sa rémunération assurable et ses heures d’emploi assurable. La conclusion de l’agente d’A-E à cet égard semble de façon certaine être raisonnable selon les renseignements dont elle disposait et sur lesquels elle a témoigné.

 

[5]              Cependant, je m’arrête pour dire que je n’accepte pas comme preuve digne de quelque importance dans la présente instance le résumé de l’agente d’A-E de ce que lui ont dit des personnes qui n’ont pas témoigné lors de l’instruction de deux jours tenue quant à présente affaire. Fait important, cela inclut sa preuve par ouï-dire et les notes de ses discussions avec l’employeur et le chauffeur de l’employeur. J’en dirai plus par la suite à l’égard de l’omission des deux parties d’avoir appelé à témoigner l’une ou l’autre de ces personnes ou d’avoir expliqué leur absence et je vais également traiter séparément ci-après des éléments de preuve essentiellement semblables et des notes de l’agente des décisions de l’ARC et de l’agente des appels de l’ARC, auxquels j’accorde effectivement une certaine importance. J’estime que l’agente de l’intégrité d’A‑E avait une attitude défensive et combative lorsqu’elle a témoigné et qu’elle était condescendante dans sa façon d’argumenter avec le représentant de Mme Chahal, M. Pabla. Étant donné qu’elle semblait manifestement vouloir défendre sa décision pendant toute la durée de son témoignage, comme si sa décision faisait l’objet d’une instruction ou d’un contrôle, je suis préoccupé que cela puisse de la même façon s’être également reflété dans ses notes. Je n’avance pas que ce témoin a fait des déclarations mensongères, je suis simplement suffisamment préoccupé quant à l’exhaustivité des notes pour être mal à l’aise de me fonder sur ses notes ou sur ce dont elle se souvient quant à ce que des absents ont dit. J’ai soulevé ces préoccupations au témoin et à l’avocate de la Couronne au cours du témoignage. En outre, ni ce témoin ni aucun autre témoin de la Couronne n’ont déposé en preuve quelque note quant à des conversations, à des entrevues ou à des rencontres avec quiconque autre que Mme Chahal même si je crois comprendre que de telles notes ont été consignées.

 

[6]              L’agente des décisions en matière d’A‑E et de RPC à l’ARC a expliqué les raisons pour lesquelles elle a ajusté la rémunération assurable de Mme Chahal de 8 190 $ à 4 900 $ pour 2005, de 8 070 $ à 4 707 $ pour 2006, et ses heures d’emploi assurable de 936 à 560 (non 840) pour 2005 et de 900 à 525 pour 2006.

 

[7]              L’agente des décisions a dit qu’on lui avait demandé d’établir le nombre réel d’heures et la rémunération réelle de Mme Chahal parce qu’il a été [traduction] « avancé qu’elle avait eu de l’aide de son époux et de son fils pour augmenter les heures ». Sur l’importante question de savoir dans quelle mesure Mme Chahal avait obtenu l’aide de son époux Gurpal Chahal ou de son fils Balbir Chahal, l’agente des décisions a affirmé qu’elle avait examiné le dossier de l’agente d’A‑E et qu’en plus Mme Chahal lui avait dit lors d’une conversation que son époux l’avait aidée à faire la cueillette, mais qu’il ne faisait pas tout le temps la cueillette avec elle. Mme Chahal a également dit que son fils l’avait aidée à faire la cueillette seulement à une reprise à la fin d’une des rares journées où il était venu la chercher. L’agente des décisions a également déclaré qu’elle avait parlé au chauffeur qui a dit que parfois il ramenait Mme Chahal et son époux.

 

[8]              Les notes de l’agente des appels faisaient état d’une conversation téléphonique tenue en panjabi avec Mme Chahal. Ces notes indiquent que Mme Chahal a affirmé à deux occasions que parfois, à quatre ou cinq reprises seulement, son époux avait travaillé en 2005 et pas du tout en 2006. Elle lui a également dit que Gurpal ne travaillait pas beaucoup et qu’il ne faisait pas la cueillette toute la journée et qu’il restait assis. Mme Chahal a également dit que les baies qu’il cueillait n’étaient pas calculées avec celles qu’elle cueillait et que son RDG ne montrait que sa rémunération et ses heures à elle pour 2005 et 2006.

 

[9]              Les propres notes de l’agente des décisions consignées lorsqu’elle a examiné avec Mme Chahal les réponses que cette dernière avait données lors d’une rencontre avec l’agente de l’intégrité d’A‑E confirmaient que Mme Chahal a affirmé que personne ne l’avait aidée à cueillir des baies en 2006 et que son époux l’avait aidée peut‑être à quatre ou cinq reprises en 2005. Mme Chahal lui a également dit que son fils l’avait aidée pendant environ une heure à une reprise quand il était venu la chercher à la fin d’une journée.

 

[10]         Les notes de l’agente des décisions de l’ARC indiquent qu’elle a mis fin à la conversation en disant qu’elle devait parler à l’employeur, mais il n’y avait pas de notes portant sur une conversation ou sur une rencontre à cet effet avec l’employeur ou une autre personne. L’agente des décisions a déclaré qu’elle n’avait pas pu parler à l’employeur à cette époque parce qu’il était en Inde pour les funérailles de sa sœur. Rien ne démontrait qu’elle lui ait parlé à son retour.

 

[11]         L’agente des décisions a effectivement témoigné qu’elle avait lu les notes au dossier consignées par l’agente de l’intégrité d’A‑E à l’égard d’une conversation tenue avec l’employeur. Aucun de ces témoins de la Couronne n’a présenté ces notes en preuve bien que le représentant de l’appelante et la Cour leur aient suggéré que cela pourrait se révéler utile. Dans les circonstances, et compte tenu de mes commentaires à l’égard du témoignage et des notes de l’agente d’A-E précédemment mentionnés, je ne peux accorder aucun poids à ce ouï-dire double sur lequel s’est fondée l’agente des décisions. Cependant, à titre d’information, je dois ajouter que ce ouï-dire double ne donne même pas à entendre que Mme Chahal n’a pas travaillé chacun des jours consignés ou que son époux l’a aidée de façon importante.

 

[12]         L’agente des décisions a déclaré dans son témoignage qu’elle avait parlé au chauffeur de l’employeur, qui allait chercher Mme Chahal chaque matin et la ramenait chaque soir, qui lui avait dit que « parfois » il allait les chercher tous les deux. Aucune note à l’égard de cette discussion n’a été présentée en preuve. Le chauffeur n’a pas été appelé à témoigner.

 

[13]         L’agente des décisions a fondé sa décision sur ce qui suit. Elle était convaincue que Mme Chahal travaillait pour son employeur. Elle ne pouvait pas appliquer l’article 9.1 du Règlement pris en vertu de la loi en matière d’assurance-emploi parce qu’il n’y avait pas de « preuve réelle » quant aux heures travaillées par Mme Chahal parce que [traduction] « nous pensions qu’elle n’avait pas cueilli la totalité des baies » et [traduction] « qu’elle avait obtenu de l’aide pour la cueillette des baies ». Implicitement, l’agente n’estimait pas que le RDG, les bordereaux de paie, les registres de l’employeur quant aux heures quotidiennes de tous les employés, le registre de l’employeur quant aux journées saisonnières pour Mme Chahal ou le résumé de la liste de paie d’ADP étaient des éléments de preuve suffisants. Elle a par conséquent utilisé l’article 10 du Règlement où, selon l’agente, les heures maximales autorisées sont 35 heures par semaine. Elle était convaincue que Mme Chahal travaillait fort pour son employeur et qu’elle travaillait à plein temps, alors elle a appliqué le taux de 8,75 $ pour 2005 (et un taux de 9 $ pour 2006) à la saison de seize semaines pendant laquelle Mme Chahal a travaillé. Il s’agissait d’un simple exercice mathématique pour l’ARC. Il n’y a pas eu de vérifications en fonction des heures auxquelles on allait chercher et on ramenait Mme Chahal chaque jour ni quant à savoir s’il était raisonnable de penser que son époux et son fils aient travaillé dans la mesure reflétée par l’important ajustement à la baisse qui en a résulté.

 

[14]         Selon ce qu’a dit l’agente des appels : [traduction] « Alors, au lieu de devoir croire ce que les registres montraient, qu’elle avait travaillé dix heures par jour, nous sommes allés au-delà de cela de l’autre côté de l’article 10 du Règlement en disant : “Nous allons lui attribuer un maximum de 35 heures par semaine” ».

 

[15]         Rien ne démontrait que Mme Chahal ait eu quelque autre activité que le travail pendant qu’elle était chez son employeur. Les deux parties ont présenté des éléments de preuve selon lesquels l’époux était souffrant, pouvait difficilement marcher et ne voyait pas très bien, puisqu’il avait eu une opération à un œil en 2005. Les hypothèses de la Couronne incluaient celle selon laquelle Mme Chahal était payée à l’heure au taux mentionné. Bien que la Couronne ait avancé qu’il se pouvait que les cueilleurs, notamment Mme Chahal, soient payés selon le poids des baies qu’ils cueillaient, et non à l’heure parce que leurs cueillettes quotidiennes étaient pesées, et que peut-être le poids était d’une certaine façon converti en heures, elle n’a pas nié que Mme Chahal était payée à l’heure, elle n’a présenté aucun élément de preuve digne de foi ou convaincant qu’elle n’était pas payée à l’heure mais qu’elle l’était plutôt en fonction du poids des baies cueillies ni aucun élément de preuve quant à quelque taux de conversion des livres de baies en des heures de travail; en fait, la Couronne n’a présenté aucun élément de preuve sur la question du nombre de livres qu’un cueilleur peut cueillir dans une période donnée, etc.

 

[16]         L’agente des décisions a reconnu en contre-interrogatoire que l’ARC a une préoccupation à l’égard des cueillettes de baies des cueilleurs converties en heures par des employeurs puisqu’il existe dans l’industrie dans son ensemble une telle pratique, et la conversion faite par un employeur est acceptée à moins qu’elle soit erronée selon les renseignements au dossier. Dans la présente affaire, le dossier indiquait qu’il se pouvait qu’une quantité de baies n’aient pas été cueillies par Mme Chahal, d’où la présente instance.

 

[17]         Mme Chahal a interjeté appel de la décision. La Couronne a en outre appelé comme témoin l’agente des appels de l’ARC. Les notes de l’agente des appels de l’ARC ont de plus été présentées en preuve. Ses notes quant à cette décision sont des notes adéquates de sept lignes. Ces notes démontrent que Mme Chahal a également dit à l’agente des appels que son [traduction] « époux l’a aidée à une reprise et pendant une période en 2005 et 2006 ». On n’y mentionne pas que son fils l’aurait déjà aidée.

 

[18]         L’agente des appels de l’ARC a une page de notes de sa conversation avec l’employeur. L’employeur lui a dit que M. Chahal avait aidé Mme Chahal en 2005 et en 2006 et qu’il était très âgé et pouvait difficilement marcher. La fréquence de l’aide de l’époux n’est pas mentionnée. On n’y mentionne le fils d’aucune façon.

 

[19]         L’agente des appels de l’ARC a confirmé la décision parce qu’elle a conclu que Mme Chahal avait obtenu de l’aide de son époux et de son fils. Elle a de façon évidente accepté que l’agente des décisions de l’ARC avait appliqué correctement l’article 10 du Règlement et elle a accordé 35 heures par semaine. Elle n’a pas semblé vérifier les heures d’emploi assurable ou la rémunération assurable dans la décision en fonction de l’ensemble de la preuve. Elle n’a tiré aucune conclusion à l’égard de l’étendue de la rémunération ou des heures quant à la contribution de l’époux même si le résultat de l’application arithmétique de 35 heures par semaine à une personne qui était au travail de 7 heures à 19 heures six et parfois sept jours par semaine avait pour effet de réduire de presque la moitié sa rémunération et ses heures.

 

I. Le droit

 

[20]         Les dispositions pertinentes de la Loi sur l’assurance-emploi et du Règlement sont rédigées comme suit :

 

Loi sur l’assurance-emploi

 

Heures d’emploi assurable

55(1) La Commission peut, avec l’agrément du gouverneur en conseil, prendre des règlements concernant l’établissement du nombre d’heures d’emploi assurable d’une personne et, notamment, prévoyant que les personnes dont la rémunération est versée sur une base autre que l’heure sont réputées avoir le nombre d’heures d’emploi assurable établi conformément aux règlements.

 

Autre mode d’établissement

 

(2) Lorsqu’elle estime qu’il est impossible d’appliquer les dispositions de ces règlements, la Commission peut autoriser un autre ou d’autres modes d’établissement du nombre d’heures d’emploi assurable.

 

Modification d’un mode ou retrait de l’autorisation

 

(3) La Commission peut, sous réserve des conditions qu’elle estime indiquées, modifier un mode qu’elle a autorisé ou retirer son autorisation.

 

Accord prévoyant un autre mode d’établissement

 

(4) La Commission peut conclure des accords avec des employeurs et des employés prévoyant d’autres modes d’établissement du nombre d’heures d’emploi assurable et y mettre fin unilatéralement.

 

 

Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations

 

Partie I Rémunération assurable

 

Rémunération provenant d’un emploi assurable

 

2(1) Pour l’application de la définition de « rémunération assurable » au paragraphe 2(1) de la Loi et pour l’application du présent règlement, le total de la rémunération d’un assuré provenant de tout emploi assurable correspond à l’ensemble des montants suivants :

a) le montant total, entièrement ou partiellement en espèces, que l’assuré reçoit ou dont il bénéficie et qui lui est versé par l’employeur à l’égard de cet emploi;

b) le montant de tout pourboire que l’assuré doit déclarer à l’employeur aux termes de la législation provinciale.

 

 

 

Règlement sur l’assurance-emploi

 

Partie I Prestation de chômage

 

Heures d’emploi assurable — Méthode d’établissement

 

9.1 Lorsque la rémunération d’une personne est versée sur une base horaire, la personne est considérée comme ayant exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures qu’elle a effectivement travaillées et pour lesquelles elle a été rétribuée.

9.2 Sous réserve de l’article 10, lorsque la totalité ou une partie de la rémunération d’une personne pour une période d’emploi assurable n’a pas été versée pour les raisons visées au paragraphe 2(2) du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations, la personne est réputée avoir exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures qu’elle a effectivement travaillées durant cette période, qu’elle ait été ou non rétribuée.

10(1) Lorsque la rémunération d’une personne est versée sur une base autre que l’heure et que l’employeur fournit la preuve du nombre d’heures effectivement travaillées par elle au cours de la période d’emploi et pour lesquelles elle a été rétribuée, celle-ci est réputée avoir travaillé ce nombre d’heures d’emploi assurable.

(2) Sauf dans les cas où le paragraphe (1) et l’article 9.1 s’appliquent, si l’employeur ne peut établir avec certitude le nombre d’heures de travail effectivement accomplies par un travailleur ou un groupe de travailleurs et pour lesquelles ils ont été rémunérés, l’employeur et le travailleur ou le groupe de travailleurs peuvent, sous réserve du paragraphe (3) et si cela est raisonnable dans les circonstances, décider de concert que ce nombre est égal au nombre correspondant normalement à la rémunération visée au paragraphe (1), auquel cas chaque travailleur est réputé avoir travaillé ce nombre d’heures d’emploi assurable.

 

(3) Lorsque le nombre d’heures convenu par l’employeur et le travailleur ou le groupe de travailleurs conformément au paragraphe (2) n’est pas raisonnable ou qu’ils ne parviennent pas à une entente, chaque travailleur est réputé avoir travaillé le nombre d’heures d’emploi assurable établi par le ministre du Revenu national d’après l’examen des conditions d’emploi et la comparaison avec le nombre d’heures de travail normalement accomplies par les travailleurs s’acquittant de tâches ou de fonctions analogues dans des professions ou des secteurs d’activité similaires.

 

(4) Sauf dans les cas où le paragraphe (1) et l’article 9.1 s’appliquent, lorsque l’employeur ne peut établir avec certitude ni ne connaît le nombre réel d’heures d’emploi assurable accumulées par une personne pendant sa période d’emploi, la personne est réputée, sous réserve du paragraphe (5), avoir travaillé au cours de la période d’emploi le nombre d’heures d’emploi assurable obtenu par division de la rémunération totale pour cette période par le salaire minimum, en vigueur au 1er janvier de l’année dans laquelle la rémunération était payable, dans la province où le travail a été accompli.

 

(5) En l’absence de preuve des heures travaillées en temps supplémentaire ou en surplus de l’horaire régulier, le nombre maximum d’heures d’emploi assurable qu’une personne est réputée avoir travaillées d’après le calcul prévu au paragraphe (4) est de 7 heures par jour sans dépasser 35 heures par semaine.

 

(6) Les paragraphes (1) à (5) s’appliquent sous réserve de l’article 10.1.

 

 

 

II. L’analyse

 

[21]         Il ressort clairement de l’article 55 que le calcul des heures d’emploi assurable suivant les paragraphes 10(2) à (5) du Règlement n’est pas déterminant et que la question doit être tranchée en fonction du nombre réel d’heures. Dans la décision Chisholm c. M.R.N., [2001] A.C.I. no 238 (QL), M. le juge en chef Bowman de la Cour a écrit ce qui suit à l’égard de l’article 10 du Règlement :

 

15        Enfin, j’en viens à l’article 10 du Règlement. Il s’agit d’un règlement autorisé par l’article 55 de la Loi sur l’assurance-emploi visant à aider à déterminer le nombre d’heures travaillées par un employé lorsqu’un doute existe, que l’employeur et l’employé ne parviennent pas à une entente ou que la détermination de cette question est difficile. Il ne vise clairement pas à supplanter une preuve claire du genre de celle présentée en l’espèce relative au nombre d’heures réellement travaillées. Le fait d’affirmer que les règles établies par l’article 10 du Règlement pourraient prévaloir sur les faits avérés reviendrait à accorder à ce règlement d’application une interprétation exagérée et artificielle qui lui donnerait une portée plus grande que ce que l’article 55 de la Loi sur l’assurance-emploi vise ou autorise. En effet, les paragraphes (4) et (5) de l’article 10 sont fondés sur le nombre réel d’heures non connues ou vérifiables ou sur le fait qu’il n’y a pas de preuve de l’existence d’heures travaillées en surplus de l’horaire régulier. Cela n’est manifestement pas le cas en l’espèce.

 

16        J’ai trouvé très utiles les décisions du juge Bonner dans l’affaire Franke c. Canada, [1999] A.C.I. n645, du juge suppléant Weisman dans les affaires McKenna c. Canada, [1999] A.C.I. n816 et Bylow c. Canada, [2000] A.C.I. n187, et du juge Beaubier dans l’affaire Redvers Activity Centre Inc. c. Canada, [2000] A.C.I. n414. Elles soutiennent, à mon avis, la conclusion générale fondée sur le bon sens selon laquelle il n’est pas nécessaire de recourir à une autre méthode lorsqu’il existe une preuve du nombre d’heures réellement travaillées.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[22]         L’article 55 de la Loi sur l’A‑E, qui permet la prise d’un règlement à cet effet, établit également clairement que l’ARC n’est pas tenue de se limiter à une application arithmétique du Règlement.

 

[23]         Il est également clair que l’article 9.1 du Règlement s’applique aux travailleurs qui sont payés à l’heure dans les cas où on connaît leur « nombre réel d’heures » travaillées. Le paragraphe 10(1) du Règlement s’applique à ceux qui ne sont pas payés à l’heure, par exemple ceux payés selon un taux pour du travail à la pièce. Les paragraphes 10(2) à (5) donnent des indications permettant d’établir le nombre réel d’heures aux fins de l’application du paragraphe 9.1 ou 10(1).

 

[24]         Dans la présente affaire, la Couronne tient pour acquis et reconnaît que la travailleuse était payée selon un taux horaire. Cependant, à l’étape de l’examen de l’A‑E ou aux étapes de la décision et de l’appel, la Couronne ne connaissait pas avec certitude le nombre réel d’heures travaillées par Mme Chahal et pour lesquelles elle avait été rémunérée.

 

[25]         Il semble que même si Mme Chahal n’était pas payée sur une base horaire, le paragraphe 10(1) du Règlement exigerait une preuve des heures que cette personne a réellement travaillées et pour lesquelles elle a été payée. Alors, nous serions en présence de la même question.

 

[26]         Le paragraphe 10(2) du Règlement s’applique dans les cas où ni l’article 9.1 ni le paragraphe 10(1) ne s’appliquent. C’est la situation qui existerait si le travailleur n’est pas payé selon un taux horaire et si le nombre réel d’heures travaillées ne peut être établi avec certitude. Dans un tel cas, le paragraphe 10(2) prévoit que l’employeur et le travailleur ou le groupe de travailleurs peuvent décider de concert que le nombre d’heures est égal au nombre correspondant normalement au nombre nécessaire pour obtenir la rémunération visée et ce nombre devient le nombre d’heures d’emploi assurable.

 

[27]         Le paragraphe 10(3) du Règlement prévoit que lorsqu’un montant convenu par l’employeur et le travailleur ou le groupe de travailleurs n’est pas raisonnable ou qu’ils ne parviennent pas à une entente, chaque travailleur est réputé avoir travaillé le nombre d’heures d’emploi assurable établi par le ministre, d’après l’examen des conditions d’emploi et la comparaison avec le nombre d’heures normalement accomplies par les travailleurs s’acquittant de tâches ou de fonctions analogues dans des professions ou des secteurs d’activités similaires.

 

[28]         Le paragraphe 10(2) du Règlement semble être une indication à l’employeur en vue de la présentation de rapports et le paragraphe 10(3) du Règlement prévoit que le ministre peut faire une contestation à cet égard.

 

[29]         Le paragraphe 10(4) du Règlement semble également être rédigé principalement du point de vue de l’employeur qui doit présenter un rapport. Le paragraphe 10(4) du Règlement prévoit que les heures d’emploi assurable seront le nombre obtenu par la division de la rémunération totale de la personne par le salaire minimum applicable dans la province pour l’année. Le paragraphe 10(5) du Règlement prévoit que, à moins qu’il existe une preuve indiquant que des heures travaillées sont des heures supplémentaires ou des heures en surplus de l’horaire régulier, le nombre maximum d’heures d’emploi assurable aux fins de l’application du paragraphe 10(4) est de sept heures par jour pour un maximum de 35 heures par semaine. Bien que l’article soit apparemment rédigé du point de vue de l’employeur, rien n’empêche le ministre d’avoir également recours à cette indication. De même, rien n’empêche la Cour d’y avoir recours.

 

[30]         Les paragraphes 10(2) et (3) et les paragraphes 10(4) et (5) du Règlement s’appliquent expressément seulement dans les cas où ni l’article 9.1 ni l’article 10(1) ne s’appliquent. Cela signifie qu’ils s’appliquent seulement dans les cas où le travailleur n’est pas payé à un taux horaire et où le nombre réel d’heures travaillées ne peut pas être établi. Ce n’est pas la situation qui existe en l’espèce étant donné que la Couronne a formulé l’hypothèse selon laquelle la travailleuse était payée à un taux horaire et qu’elle n’a même pas essayé de présenter des arguments dignes de foi voulant qu’elle soit payée en fonction du nombre de livres qu’elle cueillait.

 

[31]         Ces indications pourraient également être utiles si l’article 9.1 ou le paragraphe 10(1) du Règlement ne peuvent être appliqués en raison d’une absence de preuve adéquate quant au nombre réel d’heures travaillées.

 

[32]         Le paragraphe 10(3) du Règlement exigerait que le ministre effectue (i) l’examen des conditions d’emploi et (ii) la comparaison avec le nombre d’heures de travail normalement accomplies par les travailleurs s’acquittant de tâches ou de fonctions analogues dans des professions ou des secteurs d’activités similaires, avant d’établir le nombre d’heures d’emploi assurable. La preuve de la Couronne ne démontre que le respect de la première exigence et il est clair qu’aucune tentative n’a été faite pour satisfaire à la deuxième exigence. L’une ou l’autre de ces exigences aurait logiquement nécessité certains renseignements quant au nombre de livres ou de caissettes de baies qu’un travailleur peut cueillir dans une période donnée, ce qui peut bien dépendre du type de baie et du stade de la saison des récoltes pour ce type de baie.

 

[33]         Dans la présente affaire en particulier, essentiellement tous les éléments de preuve indiquent que des heures supplémentaires ou des heures en surplus des sept heures par jour ou des 35 heures par semaine ont été travaillées. Il aurait par conséquent été nécessaire d’utiliser le nombre d’heures que Mme Chahal travaillait, selon ce que la preuve indique, à savoir un nombre plus élevé que 35. Tous les éléments de preuve tendent vers le fait que le chauffeur de l’employeur allait la chercher chez elle le matin vers 7 heures et la ramenait le soir vers 19 heures avec les autres cueilleurs de baies. Rien ne démontre qu’elle ait eu quelque autre activité que le travail au cours de ces périodes de journée. Elle a invariablement dit lors de l’audience et au cours de ses rencontres antérieures avec les fonctionnaires de l’A‑E et de l’ARC qu’elle travaillait six ou sept jours par semaine sauf lorsqu’il pleuvait. Les dossiers de paie, les bordereaux de paie, les registres de travail et tous les autres éléments de preuve confirment en outre ses dires du fait qu’ils consignent que quatre à dix heures par jour étaient travaillées sur cette base.

 

[34]         En l’absence de preuve convaincante qu’elle n’était pas payée à l’heure, mais qu’elle était payée en fonction des livres de baies qu’elle cueillait, le nombre d’heures qu’elle travaillait n’est pas touché par le nombre d’heures que son mari travaillait. Je conclus par conséquent que la décision de l’ARC qui ne lui accordait que 35 heures par semaine était tout à fait erronée quant au résultat auquel elle arrivait dans son cas.

 

[35]         Cela ne règle pas l’affaire. Il me reste à trancher la question de savoir quelles étaient sa rémunération assurable et ses heures d’emploi assurable.

 

[36]         Dans les circonstances de la présente affaire, il m’apparaît que la façon la plus satisfaisante d’établir la rémunération assurable et les heures d’emploi assurable de Mme Chahal est d’abord d’établir sa rémunération assurable et ensuite de la diviser par le taux horaire convenu pour obtenir les heures d’emploi assurable. Pour ce faire, il est nécessaire d’établir quel ajustement est requis pour refléter quelque rémunération lui ayant été versée par ADP et son employeur qui ne lui a pas été versée à l’égard de son emploi, mais qui se rapportait au travail accompli par son époux ou son fils. La méthode consistant à établir la rémunération en utilisant le montant de rémunération pour calculer des heures est beaucoup plus logique que celle qui consiste à commencer par une semaine de 35 heures maximales et de l’utiliser pour établir la rémunération. Cela est largement démontré par le fait que la méthode utilisée par le ministre a réduit de presque la moitié la rémunération assurable et les heures d’emploi assurable de Mme Chahal malgré que la preuve ne donne même pas à entendre que son époux et son fils travaillaient suffisamment fort pour combler la différence.

 

[37]         Par conséquent, je vais d’abord traiter des montants qui lui ont été versés par son employeur et ADP et qui ne sont pas contestés. Ces montants s’élèvent à 8 190 $ pour 2005 et à 8 070 $ pour 2006. Avant de diviser ces chiffres par les taux horaires de 8,75 $ et de 9 $ respectivement, je dois décider quel ajustement, s’il y a lieu, doit être fait à ces chiffres pour refléter la contribution de son époux et de son fils compte tenu de l’ensemble de la preuve. Il est clair qu’un exercice à cet égard n’a pas été effectué par l’ARC avant qu’elle rende sa décision. Les montants de 4 900 $ et de 4 707 $ contenus dans la décision de l’ARC ont été calculés arithmétiquement voire arbitrairement par la division des 35 heures maximales de la semaine de travail par le taux horaire, pour seize semaines. Par conséquent, je n’ai aucune hésitation à rejeter les montants de rémunération assurable contenus dans la décision et à ne pas en tenir compte.

 

[38]         Au cours de l’instruction, la Couronne n’a présenté aucun élément de preuve autre que ce qui a été précédemment décrit qui aiderait à rendre une décision. La Couronne n’a pas avancé une méthode, une théorie ou un chiffre que je pourrais examiner ou appliquer pour décider la mesure dans laquelle l’époux et le fils de Mme Chahal ont contribué à sa rémunération (ou en fait à ses heures). Je ne peux donc rendre une décision à cet égard qu’en me fondant sur les quelques éléments de preuve dont je dispose. Mme Chahal a témoigné que les montants du RDG représentaient sa rémunération et que son époux, lorsqu’il avait travaillé, avait été payé séparément, à titre de travailleur occasionnel, en fonction des livres cueillies et conformément à la pratique de l’employeur. Il n’a pas témoigné et il n’a été produit aucun chèque ou autre élément de preuve en vue de corroborer les faits déclarés. Selon la preuve de la Couronne, Mme Chahal avait antérieurement dit que son époux l’avait aidée à quatre ou cinq reprises en 2005 (et à une reprise elle a dit cela quant à 2006). La preuve de la Couronne indiquait en outre qu’elle avait dit que son fils l’avait aidée à une reprise à cueillir des baies à la fin d’une journée. Dans le cas de son fils, je ne dispose d’aucun élément de preuve quant à savoir si sa contribution a aidé Mme Chahal à atteindre son quota de cueillette pour la journée et ainsi à assurer son emploi continu ou peut-être si cela a fait en sorte qu’elle soit payée pour la journée. La preuve constante est que l’époux de Mme Chahal n’était pas en bonne santé, qu’il pouvait difficilement marcher et qu’il avait de la difficulté à voir.

 

[39]         Dans la présente affaire, la Couronne tente encore de s’appuyer sur le fait que le fardeau appartient au contribuable et sur les hypothèses qu’elle a formulées. En l’espèce, chacune des hypothèses déterminantes énumérées par la Couronne, à savoir les hypothèses (o) à (u), faisaient l’objet d’éléments de preuve à la Cour quant aux sujets dont elles traitaient. Dans ces circonstances, les règles ordinaires à l’égard du fardeau de prouver et de convaincre s’appliquent de sorte que la Cour peut trancher l’affaire selon la prépondérance des probabilités. C’est-à-dire, une fois que la contribuable a présenté une preuve prima facie de son emploi à plein temps et de l’absence de quelque aide déterminante fournie par d’autres personnes, et que ses bordereaux de paye, ses RDG, ses registres, etc., sont également déposés en preuve, il appartient à la Couronne de produire des éléments de preuve convaincants au soutien de sa position. Si la preuve prima facie d’un appelant n’est pas particulièrement convaincante, il se peut que la Couronne n’ait pas à présenter beaucoup de preuve de toute façon.

 

[40]         La Couronne a en outre tenté de me faire tirer des inférences du fait que Mme Chahal n’a pas appelé à titre de témoins son employeur et le chauffeur de ce dernier. Comme je l’ai souligné à ce moment, j’aurais aussi bien pu tirer des inférences défavorables à l’égard de l’omission de la Couronne d’avoir appelé ces deux témoins, étant donné que la preuve montrait clairement qu’on avait parlé avec eux, qu’on avait consigné des notes de l’appel, qu’on voulait me parler des rencontres, mais qu’on ne voulait pas présenter des notes ni, de façon évidente, appeler ces personnes comme témoins.

 

[41]         La Couronne a en outre avancé qu’étant donné que Mme Chahal a rendu un témoignage selon lequel les heures travaillées étaient consignées quotidiennement sur un calendrier après vérification par son fils, elle aurait dû être capable de produire le calendrier. Selon moi, bien que le calendrier ait constitué un bon élément de preuve à recevoir, il est déraisonnable de s’attendre à ce que des travailleurs payés à l’heure gardent nécessairement leur calendrier des années pour lesquelles ils ont été payés depuis longtemps et ont été capables de vérifier leurs chèques de paie et leurs bordereaux de paie avec leurs propres suivis des heures.

 

[42]         Le seul autre argument avancé par la Couronne au soutien du fait que la décision ne reconnaît pas ce que la preuve souligne de manière constante quant aux heures de travail de Mme Chahal durant la saison de cueillette des baies était la possibilité que Mme Chahal n’était en fait pas payée à l’heure, mais était payée en fonction du poids des baies cueillies, qui était alors en quelque sorte converti en une équivalence en heures selon une entente entre elle et son employeur. Cela serait contraire à l’hypothèse de la Couronne selon laquelle elle était payée à l’heure et qu’elle travaillait à l’heure. Le fardeau de la Couronne de produire une telle preuve aurait été important étant donné que ce n’était pas le fondement de la décision faisant l’objet de l’appel ou des hypothèses débattues. Fait important, il n’y avait essentiellement aucun élément de preuve présenté par la Couronne pour appuyer cette possibilité. Le fait que de nombreux fonctionnaires du gouvernement croient que c’est la situation qui existait parce qu’ils ne peuvent imaginer pour quelle autre raison ses cueillettes quotidiennes étaient pesées et évaluées en fonction d’un quota possible, pour lequel il n’y a non plus aucune preuve, est loin de constituer la preuve qui serait nécessaire. Dans la présente affaire, et compte tenu de la preuve qui m’a été présentée, la Couronne ne peut pas avoir gain de cause avec une simple suggestion ou supposition. De façon évidente, si l’exactitude de cette possibilité et de cette croyance était en fait démontrée, l’analyse des articles 9 et 10 du Règlement serait différente et il se peut que le résultat serait différent en fonction du caractère raisonnable du taux de conversion du poids en heures.

 

[43]         Dans ces circonstances, je ne peux pas accepter que la contribution du fils à la fin d’une journée lorsqu’il a aidé sa mère à atteindre son quota (peu importe ce que cela veut dire dans le présent cas) ait été de quelque manière pertinente à sa rémunération assurable ou à ses heures d’emploi assurable. Les employeurs des employés payés à l’heure et des salariés contrôlent toujours le rendement de leurs employés même s’ils ne sont pas payés selon un taux pour du travail à la pièce. Dans le cas des cueilleurs de baies, le poids des baies est une mesure évidente de productivité ou d’efficacité pour le suivi des employeurs. Il se peut que la contribution du fils n’ait fait rien de plus que de permettre à sa mère de conserver son emploi pour l’avenir en atteignant ses objectifs de cueillette. Qu’il ait fait cela à une reprise un des quelques jours où il est venu la chercher à la fin de la journée au lieu qu’elle prenne l’autobus, n’est guère surprenant. Ce serait effectivement un fait naturel et normal parmi des amis ou de la famille dans une situation comparable. Si cela a été autre chose, je n’en ai certainement pas vu la preuve.

 

[44]         Je ne crois pas, selon la preuve dont je dispose, que Mme Chahal n’a jamais eu l’aide de son époux. Cependant, même selon le pire point de vue de la preuve disponible et acceptée selon ce qui est décrit précédemment, son époux a travaillé avec elle à quatre ou cinq reprises en 2005 et en 2006. Rien ne démontrait qu’il ait travaillé des journées complètes ou d’une manière comparable à la sienne. Dans des notes de conversations antérieures avec des fonctionnaires du gouvernement, elle a affirmé qu’il était assis toute la journée et qu’il ne pouvait pas suffisamment bien voir pour cueillir toutes les baies d’un buisson ou d’une plante. Il pouvait difficilement marcher selon les notes consignées par les agentes à la suite des conversations avec Mme Chahal. Si on tient pour acquis qu’il a travaillé à cinq reprises au cours de l’année, l’équivalent de demi-journées pour tenir compte du fait qu’il était assis et pour tenir compte de ses maux, il n’aurait contribué qu’à 3 p. 100 de la cueillette de baies de Mme Chahal. Même si ses contributions étaient pertinentes quant à la rémunération ou aux heures de Mme Chahal, je n’accepte pas que des contributions si modestes de M. Chahal, en tant qu’époux qui accompagnait Mme Chahal afin qu’elle atteigne son objectif ou son quota de baies, puissent être considérées comme ayant eu une incidence importante sur sa rémunération à l’heure ou ses heures travaillées. De toute façon, la preuve établit de manière constante et claire qu’elle travaillait entre 7 h et 19 h pour son employeur et qu’elle était payée pour une journée de 8 ou 10 heures sur une base horaire.

 

[45]         Dans ces circonstances, je conclus que la rémunération assurable de Mme Chahal pour 2005 est de 8 190 $ et que ses heures d’emploi assurable pour 2005 s’élèvent à 936. Pour des motifs semblables, je conclus que sa rémunération assurable pour 2006 est de 8 070 $ comme son RDG l’indiquait et que ses heures d’emploi assurable s’élèvent à 900. Je ne disposais simplement d’aucune preuve acceptable permettant d’analyser plus en détail ces chiffres après avoir rejeté les chiffres contenus dans la décision de l’ARC et la manière selon laquelle elle était arrivée à ces chiffres.

 

[46]         Il ressort manifestement de décisions antérieures de la Cour, notamment des décisions du juge suppléant Rowe dans les affaires Parmar c. M.R.N, 2008 CCI 179, [2008] A.C.I. no 164 (QL) et Dadwal c. M.R.N., 2008 CCI 34, [2007] A.C.I. no 569 (QL), de même que des décisions Gill c. M.R.N., 2006 CCI 149, [2006] A.C.I. no 253 (QL), Khunkhun c. M.R.N., [2002] A.C.I. no 483 (QL), et Jawanda c. M.R.N., 2007 CCI 583, [2007] A.C.I. no 396 (QL), que le gouvernement a des préoccupations à l’égard du programme d’assurance-emploi dans l’industrie des cultures de baies. Il semble que s’il y a un problème, il dépend largement de la possibilité que des employeurs peu scrupuleux prennent avantage de leurs employés et du programme d’A‑E de notre gouvernement.

 

[47]         Si les politiques canadiennes permettent à des travailleurs agricoles immigrants de venir au Canada alors qu’ils sont à la fin de la soixantaine, qu’ils ont besoin de travailler et qu’ils sont seulement capables de faire pour un salaire minimum un travail manuel exigeant, on se demande comment on peut vraiment s’attendre à ce qu’ils subviennent à leurs besoins lorsqu’ils seront âgés. La plupart des emplois ne sont pas pour les gens âgés de 70 à 79 ans. Bien que je sois sensible à la position difficile dans laquelle se trouve le gouvernement, je dois me demander quel est l’avantage de faire subir à un couple âgé une telle épreuve alors qu’ils se sont mutuellement aidés avec compassion quant au travail rémunéré au salaire minimum qu’ils effectuent pour gagner leur vie. On n’a pas allégué qu’ils ont à quelque moment demandé tous deux des prestations d’A‑E, encore moins relativement au même emploi.

 

[48]         Je ne suis aucunement insensible à la situation du gouvernement dans de telles affaires, mais l’accent qu’il met sur les demandes d’A‑E individuelles et sa réticence à appeler des employeurs à titre de témoins ou à présenter des éléments de preuve à l’égard de la productivité dans l’industrie, ce qui semble obligatoire suivant le paragraphe 10(3) du Règlement pour rendre des décisions, le font mal paraître. J’ajoute aux récents commentaires et aux récentes suggestions du juge suppléant Rowe dans une autre affaire de cueilleur de baies que, après que les conseillers principaux de notre gouvernement ont relu le roman de John Steinbeck intitulé Grapes of Wrath (en français Les raisins de la colère), on devrait les faire asseoir à la Cour et leur faire entendre les récits de ces gens, puis ils devraient se mettre dans le rôle d’un juge afin de comprendre à quel point les positions du gouvernement aident mal la Cour à déterminer les véritables heures travaillées par les employés.

 

[49]         Je dois ajouter qu’il serait également loisible à l’industrie de la culture de baies ou à un groupe d’employés organisé de préparer et de présenter des éléments de preuve se rapportant à la productivité et à l’efficacité des cueilleurs de baies pour démontrer le caractère raisonnable et par conséquent l’exactitude manifeste des heures inscrites dans les registres quotidiens, dans des situations où les quotas de poids quotidiens sont également contrôlés. Il est possible que l’industrie n’ait pas intérêt à présenter une preuve à cet égard parce que cela n’aiderait pas ses travailleurs. En l’absence d’une telle preuve de l’une ou l’autre des parties, dans la présente affaire, je suis convaincu que j’ai rendu ma décision en me fondant sur la meilleure preuve à ma disposition malgré qu’elle ne semble pas être la meilleure preuve qui aurait dû être disponible.

 

[50]         Je reprends les commentaires que j’ai faits l’année dernière dans l’affaire Jawanda à l’égard du caractère inopportun du fait pour la Couronne de s’appuyer largement sur le fardeau et sur les hypothèses dans des affaires comme celles‑là. Les règles de droit fiscal uniques se rapportant au fardeau et aux hypothèses ont été élaborées pour refléter le fait que, dans la plupart des cas, c’est le contribuable qui connaît le mieux les faits pertinents et les renseignements et qui peut les présenter en preuve. Dans des affaires comme celles‑là, où il est clair qu’il y a eu de nombreuses enquêtes par différents services du gouvernement fédéral et du gouvernement provincial quant aux pratiques des cueilleurs de baies et des propriétaires de cultures de baies, les raisons sous-tendant les règles quant au fardeau et aux hypothèses ne sont pas si impérieuses. Cependant, je les ai appliquées de toute façon.

 

[51]         J’accueille les appels de Mme Chahal pour 2005 et 2006.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de juin 2008.

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de juillet 2008.

 

Danièle Laberge, LL.L.


RÉFÉRENCE :                                  2008CCI347

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2007-3353(EI)

 

INTITULÉ :                                       PARKASH KAUR CHAHAL c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATES DE L’AUDIENCE :               Les 8 et 9 mai 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Patrick Boyle

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 12 juin 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelante :

 

M. Gurpreet Pabla

Avocats de l’intimé :

B.J. Wray (étudiant en droit)

Me Sara Fairbridge

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                     

 

                            Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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