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Dossier : 2006-2676(IT)I

ENTRE :

ROBERT H. OLVER,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel

de Kathryn A. Devos-Miller, 2006-2677(IT)I,

les 14 et 15 février 2008, à Toronto (Ontario)

 

Devant : L’honorable juge E.A. Bowie

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Eli Leibowitz

Avocat de l’intimée :

Me Laurent Bartleman

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2002, 2003 et 2004 sont rejetés.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de juin 2008.

 

 

« E.A. Bowie »

Juge Bowie

 

Traduction certifiée conforme

ce 1er jour d’août 2008.

 

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


 

 

 

Dossier : 2006-2677(IT)I

ENTRE :

KATHRYN A. DEVOS-MILLER,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel

de Robert H. Olver, 2006-2676(IT)I,

les 14 et 15 février 2008, à Toronto (Ontario)

 

Devant : L’honorable juge E.A. Bowie

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Eli Leibowitz

Avocat de l’intimée :

Me Laurent Bartleman

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2002, 2003 et 2004 sont rejetés.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de juin 2008.

 

 

« E.A. Bowie »

Juge Bowie

 

Traduction certifiée conforme

ce 1er jour d’août 2008.

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


 

 

 

Référence : 2008CCI352

Date : 20080611

Dossiers : 2006-2676(IT)I

2006-2677(IT)I

ENTRE :

ROBERT H. OLVER

et KATHRYN A. DEVOS-MILLER,

appelants,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Bowie

 

[1]     Les appelants sont mariés et habitent Toronto. Leurs appels ont été entendus ensemble sur preuve commune. Les appelants ont tous deux fait l’objet de nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu[1] (ci‑après la « Loi ») pour les années d’imposition 2002, 2003 et 2004, dans lesquelles ils se sont vu refuser la déduction de certaines pertes qu’ils affirmaient avoir subies et dont ils avaient tenu compte dans le calcul de leurs revenus en application de l’article 3 de la Loi. Le différend entre les parties est axé sur la question de savoir si certaines activités des appelants pendant ces années ont constitué une « source de revenu » au sens de l’article 3 de la Loi. L’intimée soutient subsidiairement que les pertes déclarées et les dépenses déduites par les appelants ne sont pas étayées par la preuve.

 

[2]     M. Olver était journaliste, et il a pris sa retraite en 2000. Depuis au moins 1990 et jusqu’aux années visées par les appels, il a déclaré d’importantes pertes autres qu’en capital provenant de sources autres que le journalisme afin qu’elles soient prises en compte dans le calcul de son revenu. Pour les 12 années de 1990 à 2001, ces pertes déclarées ont été de 142 229 $. Au cours de la même période, il a déclaré un revenu d’entreprise brut de 37 658 $. Mme Devos‑Miller est institutrice. Pendant les sept années de 1995 à 2001, elle a déclaré des pertes dont le total s’élève à 34 434 $, et le revenu d’entreprise brut qu’elle a déclaré pour la même période est de 4 882 $. Je reproduis ci‑après les montants correspondant au revenu brut tiré de commissions et d’activités commerciales ainsi qu’aux pertes nettes qu’ils ont déclarés pendant les années visées par les appels :

 

Robert H. Olver

 

 

Revenu d’entreprise brut

Perte d’entreprise nette

 

2002

3 200,00 $

(9 228,76 $)

 

 

Revenu de commissions net

 

Revenu de commissions net (perte)

2002

5 794,00 $

(T4A Morinda Canada)

ZÉRO

2003

1 500,00 $

(6 419,90 $)

2004

227,00 $

(9 099,87 $)

 

Kathryn A. Devos‑Miller

 

 

Revenu d’entreprise brut

Perte d’entreprise nette

 

2002

3 200,00 $

(19 396,91 $)

 

 

Revenu de commissions net

Revenu de commissions net (perte)

 

2003

3 655,00 $

(19 195,78 $)

2004

227,00 $

(13 703,64 $)

 

 

[3]     Outre les emplois qui leur permettaient de gagner leur vie, les appelants ont eu plusieurs activités pendant les années en cause. Ils ont tenu un refuge pour chats, activité de volontariat purement humanitaire de leur part. M. Olver occupe ses loisirs à jardiner et à fabriquer des meubles en saule recourbé. Il fait connaître toutes ces activités au public d’une façon ou d’une autre par l’intermédiaire d’un site web et met des plans de meubles à la disposition de ceux qui s’y intéressent. Cependant, il a témoigné que ces activités sont des passe‑temps auxquels il ne s’adonne pas à des fins lucratives, mais uniquement pour des raisons personnelles. Mme Devos‑Miller est artiste, elle a antérieurement exercé à titre professionnel, mais elle a témoigné qu’il s’est agi pendant les années en cause d’une activité de loisir, pas d’une entreprise. Selon les appelants, ce sont leurs autres activités, menées surtout au moyen d’Internet, qui constituent la source de leur revenus, et ce, même si elles n’ont produit que des pertes.

 

[4]     En 2002, les appelants étaient les distributeurs de la société Merinda, qui est par la suite devenue Tahiti Noni International. Celle‑ci fabriquait un produit que M. Olver a qualifié de [traduction] « boisson santé » et le vendait dans une structure pyramidale de vendeurs, que l’on désigne parfois par l’expression « commercialisation à paliers multiples ». Étant distributeurs, les appelants étaient tenus d’acheter une caisse de ce produit par mois pour leur usage personnel. Chaque caisse contenait quatre bouteilles et coûtait 200 $. Ils devaient recruter d’autres vendeurs, qui faisaient de même, et ils avaient droit à des commissions sur les achats faits par ces vendeurs. La commission était de 60 % pendant les trois premiers mois, puis elle devenait dégressive.

 

[5]     Les appelants ont recruté des sous‑revendeurs pour Tahitian Noni en achetant des listes de clients potentiels. Ces listes de noms comportaient des coordonnées telles que l’adresse électronique, le numéro de téléphone, l’adresse municipale et des informations sur le meilleur moment pour joindre la personne. Les appelants téléphonaient de nombreuses fois tous les jours aux personnes dont le nom figurait sur ces listes et ils consignaient sur une fiche les résultats des appels. Au début, ils ont aussi recruté les sous‑revendeurs par courriel, mais ensuite ont moins employé ce mode de recrutement. M. Olver a témoigné qu’avec deux journées d’appel, on pouvait généralement recruter deux personnes qui étaient disposées à devenir sous‑revendeurs, mais qu’elles étaient nombreuses à se désintéresser assez rapidement. Ils ont recruté plusieurs personnes aux États‑Unis et aux Philippines, mais aucune d’entre elles ne semble avoir généré des ventes importantes. Ils doivent avoir également recruté des personnes plus près de chez eux, car M. Olver a témoigné qu’ils ont dû assister à des réunions de formation ou de vente, et y amener leurs sous‑revendeurs ou leurs prospectés. Selon lui, les réunions avaient lieu dans des hôtels à Toronto ou dans les environs, au début au moins une fois par semaine, puis ensuite moins fréquemment. Il a témoigné que Mme Devos‑Miller et lui‑même allaient fréquemment rendre visite en voiture à des prospectés susceptibles de faire partie du personnel de vente de Tahitian Noni et aussi pour amener des personnes aux réunions.

 

[6]     En 2002, Morinda Canada Co. a remis à M. Olver un feuillet T4A selon lequel il avait gagné 5 794,28 $ en commissions tirées d’un travail autonome. Il s’agissait de la dernière année au cours de laquelle les appelants ont vendu des produits Tahitian Noni, ou plus précisément, au cours de laquelle ils ont recruté des personnes dont les achats leur ont permis de toucher une commission. M. Olver a exposé dans son témoignage quelques activités qu’il a exercées en 2002 et au cours des années subséquentes en vue d’établir sa propre entreprise, et d’obtenir ainsi une part de la richesse que les autres selon lui amassaient grâce à Internet. Ses descriptions des activités commerciales qu’il tentait de déployer sont à tout le moins imprécises. Il semble être tombé sous l’influence d’un Américain du nom de Gary Shawkey. M. Shawkey avait plusieurs sites Web à partir desquels il vendait divers biens ou services ou qui lui permettaient de gagner de l’argent par d’autres moyens. Il recrutait notamment des personnes chargées de créer des sites Web comportant des liens vers les divers sites Web commerciaux qui lui appartenaient, et encourageait les gens à se servir de ces liens pour augmenter le trafic dans ses sites et accroître ainsi les bénéfices qu’il en tirait.

 

[7]     Outre la vente des produits Tahitian Noni, M. Olver n’a pas su expliquer avec cohérence la nature de l’entreprise, ou des entreprises, qu’il a déclaré exploiter en tant que société de personnes avec Mme Devos‑Miller. Dans son interrogatoire principal, il a fait état de Business Opportunity Alliance, de GSI International, de Biz Ops for Kids, de Vartec Excel, de goingplatinum.com, de the Perfect Page et de QT Pro. Toutes ces entités se rapportaient à un titre ou à un autre à des sites Web et impliquaient des versements au promoteur, qui avait assuré les appelants que des commissions leur seraient versées d’une manière ou d’une autre selon le volume du trafic que leur site Web orienterait vers ses propres entreprises. Je reproduis ci‑après l’extrait le plus intelligible du témoignage de M. Olver portant sur le fonctionnement de ces entités; il y parle de l’entreprise du site goingplatinum.com :

 

[TRADUCTION]

R.         Chaque personne qui était membre – je répète que ceci était basé sur un plan de commercialisation à paliers multiples. Si on payait un droit pour devenir membre de Going Platinum, ils vous fournissaient un site Web qui était une copie du site principal. On pouvait aller dans ce site et y faire des achats. On pouvait y faire des rencontres. On pouvait y aller dans un salon de clavardage. Je ne me rappelle pas ce qu’on pouvait y faire d’autre, mais on pouvait y faire beaucoup de choses.

 

À chaque endroit où allait un client potentiel, s’ils allaient dans l’un des centres commerciaux, s’ils y allaient par l’intermédiaire de mon site – parce que j’avais fait de la publicité pour le site – s’ils allaient à mon site et cliquaient sur l’un des magasins et y achetaient quelque chose, alors je recevais une commission grâce à ça. Ou s’ils faisaient quoi que ce soit sur le site, s’ils s’y inscrivaient, je recevais une commission.

 

Ainsi que je l’ai dit, j’en ai eu environ 3 000 qui se sont inscrits. À chaque fois que l’un d’entre eux faisait quoi que ce soit sur le site, je recevais une commission. Sauf qu’avant le site ne soit devenu complètement opérationnel, ils ont dû cesser leurs activités.

 

 

Me LEIBOWITZ

 

Q.        Comment faisiez‑vous la commercialisation ou la promotion de goingplatinum.com?

 

R.         Je répète, de la façon que j’ai mentionnée, à l’ancienne.

 

Q.        Par sollicitation à froid?

 

R.         Oui, mais probablement avec eux, surtout des courriels et des listes sécurisées et – excusez‑moi, des listes d’adhésion.

 

Q.        Dans ce cas, avec goingplatinum, est‑ce que les promotions ont réussi?

 

R.                 Oui. C’est moi qui avais le plus de téléchargements de toute la société; elles ont bien marché pour moi.

 

LE JUGE BOWIE :      Mais je pensais que vous avez déclaré qu’elle avait fait faillite avant de…

 

LE TÉMOIN :              Elle a fait faillite. J’ai réussi à recruter, mais ça n’a abouti à rien, parce que la société a cessé ses activités.

 

LE JUGE BOWIE :      Il n’y a pas eu du tout de revenu?

 

LE TÉMOIN :              Il y a eu des revenus minuscules à l’époque.

 

[8]     La façon dont M. Olver a décrit Perfect Page ne permet pas d’en apprendre davantage :

 

[TRADUCTION]

Q.        Y a‑t‑il d’autres produits auxquels vous vous êtes intéressés?

 

R.         Oui. Je répète, je ne suis pas sûr du moment. Je ne les ai pas à l’esprit. Je me suis intéressé à une société qui s’appelait The Perfect Page. The Perfect Page, encore maintenant c’est difficile d’expliquer en quoi consistait son activité, excepté qu’elle nous a tous fait perdre beaucoup d’argent.

 

Q.        Est‑ce que vous pouvez essayer d’expliquer à la Cour?

 

R.         C’était une société qui était basée sur la progression arithmétique d’un certain nombre de personnes qui arrivaient à un certain rythme. S’ils pouvaient maintenir la progression arithmétique, alors ceux d’entre nous qui avaient commencé au début réussissaient le cycle, c’était une société à cycles. À chaque fois qu’un cycle s’accomplissait, on recevait une sorte de versement.

 

Pour augmenter le montant de l’argent que l’on pouvait gagner, ils vendaient des choses comme des centres de profit, c’est comme ça qu’ils les appelaient. Si l’on achetait un centre de profit argent pour 200 $ ou un autre montant, pour 125 $, ça donnait droit à un certain montant de profit quand la société accomplissait son cycle, et cela dépendait du nombre de personnes qui étaient entrées dans la société.

 

Q.        La société vendait quelque chose ou?

 

R.         Elle devait vendre quelque chose ou elle aurait cessé ses activités, mais je ne me rappelle pas ce qu’elle vendait. Une chose qu’elle vendait, c’est un système de purification d’eau, qui était très répandu en France, c’est ce qu’on disait. J’ignore à quel point elle est arrivée à l’implanter ici.

 

Ils ont établi ces divers centres de profit que l’on a pu acheter à divers moments. Bien sûr, cela n’a pas très bien marché et à mesure qu’ils étaient de plus en plus aux abois, ils proposaient des stratagèmes frauduleux. Ils laissaient entrer dans les centres de profit pour 5 $ ou en payant de moins en moins.

 

Q.        En fait, pour y revenir, avez‑vous encore des liens avec Perfect Page, Going Platinum aujourd’hui?

 

R.         Non. Et Perfect Page n’existe plus.

 

Q.        Perfect Page n’existe plus.

 

R.         Elle a cessé d’exister.

 

À la fin de son témoignage, j’ai demandé à M. Olver s’il pouvait brièvement expliquer quelle était la nature de son entreprise. Voici quelle a été sa réponse :

 

[TRADUCTION]

LE TÉMOIN : Je pense que je dirais que je m’occupe de bâtir des rêves.

 

Quand on lui a posé la même question, Mme Devos‑Miller n’a pas su expliquer la nature de leur entreprise, sauf pour ce qui est de la vente des produits Tahitian Noni. Son témoignage s’est terminé avec l’échange suivant :

 

[TRADUCTION]

Q.        En quoi consistait votre activité?

 

R.         Que voulez‑vous dire?

 

Q.        En 2002, en quoi consistait votre activité?

 

R.         En 2002, on s’occupait du jus Noni. On s’occupait de compléments alimentaires à boire et on faisait… le jus Noni. Et on était en affaires avec Gary Shawkey.

 

Q.        Quelle était la nature de l’entreprise de Gary Shawkey?

 

R.         Gary Shawkey Enterprises.

 

Q.        Permettez‑moi de reformuler votre réponse. Quand vous avez répondu : « on était en affaires avec Gary Shawkey », quelle était la nature de votre activité en rapport avec Gary Shawkey?

 

R.         C’était une cyberentreprise et il avait des produits.

 

Q.        Lesquels?

 

R.         C’étaient des produits dont les gens se servent pour les aider dans leur entreprise, pour les aider à stimuler leurs affaires.

 

Q.        En quoi consistait votre activité?

 

R.         En quoi consistait mon activité? J’aidais mon mari.

 

Q.        Vous étiez associée dans une entreprise qu’apparemment vous exploitiez à partir de votre domicile. Outre le jus Noni, en quoi consistait votre activité?

 

R.         Je ne suis pas vraiment sûre de comprendre, outre le jus Noni et Gary Shawkey. Je ne saisis pas bien ce que vous voulez dire par là.

 

Q.        Outre le jus, que vendiez‑vous?

 

R.         Bob vendait des produits en ligne par l’intermédiaire de Gary Shawkey.

 

Q.        Qu’est‑ce que vous vendiez?

 

R.         Qu’est‑ce que je vendais? Je l’aidais à vendre.

 

Q.        Qui aidiez‑vous?

 

R.         J’aidais mon mari.

 

Q.        Qu’est‑ce que vous vendiez?

 

R.         Qu’est‑ce que je vendais? Je l’aidais, je lui donnais de l’argent pour sa publicité et des choses du genre.

 

Q.        Que vendait l’entreprise?

 

R.         Des produits électroniques pour aider les gens dans leurs affaires commerciales.

 

Q.        En quoi consistaient ces produits électroniques?

 

R.         Je n’en suis pas tout à fait sûre.

 

 

[9]     La manière dont les appelants exerçaient leurs activités n’avait rien du comportement de gens d’affaires sérieux. Ils n’avaient aucun livre comptable, aucun système organisé pour consigner les dépenses engagées relativement aux activités qu’ils qualifiaient de commerciales. Les éléments de preuve déposés lors du procès à l’appui de leurs dépenses étaient pour la plupart des copies de carnets de banque et de relevés de carte de crédit. Apparemment, les seuls registres qu’ils tenaient, qui étaient propres aux activités censément commerciales, étaient les fiches où étaient consignées leurs démarches par téléphone, lesquelles n’ont pas été présentées lors du procès. Non seulement les appelants ont omis de tenir des registres, mais ils savaient peu de chose au sujet de la source des revenus qu’ils ont déclarés pour les années visées par les appels ou ignoraient complètement celle‑ci. Ils n’avaient aucune connaissance précise des dépenses qu’ils ont déduites afin de créer les pertes déclarées. Je n’ai pas l’intention d’examiner plus avant les éléments de preuve des appelants; quelques exemples permettront d’établir à quel point ils méconnaissaient les faits qu’ils ont déclarés dans leurs déclarations de revenus.

 

[10]    M. Olver a déclaré chaque année un revenu de retraite. En 2002, il a déclaré deux sommes supplémentaires : un montant de 5 794,28 $ pour lequel la société Morinda lui avait remis un feuillet T4A, et un revenu net de 3 200 $, dont il a déduit des dépenses donnant ainsi lieu à une perte de 9 228,78 $. Lors du contre‑interrogatoire, il n’a pas su expliquer qui lui avait versé ce montant ou quelle entreprise de développement en ligne il exploitait cette année‑là. Il a déduit des dépenses de publicité de 12 430 $ pour 2002, de 4 225 $ pour 2003 et de 9 426,14 $ pour 2004. Un vérificateur de l’Agence du revenu du Canada a témoigné qu’après avoir examiné les documents que l’appelant a présentés à l’appui des appels, il n’a pu contrôler que 23 % des dépenses déduites. Quand on l’a interrogé au sujet de la fraction de son revenu qui provenait de ses cyberactivités au cours des années visées par les appels, M. Olver a répondu ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

Q.        Vous avez déclaré dans vos feuilles T1 un revenu tiré de ces entreprises. Comment avez‑vous établi la partie de votre revenu qui a été réalisé grâce à ces entreprises? S’agissait‑il d’une estimation?

 

R.         Parfois, c’est en regardant les relevés mensuels que je recevais de quelques‑unes d’entre elles, le montant de la commission que j’avais gagnée y figurait. Parfois, il s’agissait d’une estimation. En général, il y avait un relevé quelconque de la société, indiquant que j’avais gagné une commission.

 

Je n’ai trouvé aucun de ces relevés dans les trois volumes de documents déposés par les appelants.

 

[11]    Indubitablement, les activités des appelants sur Internet n’ont donné pratiquement aucune indication qu’elles puissent devenir rentables dans un avenir prévisible. Il s’agit cependant de décider si ces activités peuvent être qualifiées de source de revenu aux fins d’application des articles 3 et 9 de la Loi. Dans l’arrêt Stewart c. Canada[2] qu’elle a rendu récemment, la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il fallait recourir à une méthode à plusieurs volets pour répondre à cette question. La Cour suprême a mentionné ce qui suit[3] :

 

[50]      Il est manifeste que, pour que l’art. 9 s’applique, le contribuable doit d’abord déterminer s’il a une source de revenu constituée soit d’une entreprise, soit d’un bien.  Comme nous l’avons vu, une activité commerciale qui ne constitue pas véritablement une entreprise peut néanmoins être une source de revenu constituée d’un bien.  De même, il est clair que certaines démarches de contribuables ne sont ni des entreprises, ni des sources de revenu constituées d’un bien, mais sont uniquement des activités personnelles.  On peut recourir à la méthode à deux volets suivante pour trancher la question de l’existence d’une source :

(i)   L’activité du contribuable est‑elle exercée en vue de réaliser un profit, ou s’agit‑il d’une démarche personnelle?

(ii)   S’il ne s’agit pas d’une démarche personnelle, la source du revenu est‑elle une entreprise ou un bien?

Le premier volet du critère vise la question générale de savoir s’il y a ou non une source de revenu; dans le deuxième volet, on qualifie la source d’entreprise ou de bien.

[51]      Assimiler la « source de revenu » à une activité exercée « en vue de réaliser un profit » concorde avec la définition traditionnelle du mot « entreprise » qui est donnée en common law, à savoir [traduction] « tout ce qui occupe le temps, l’attention et les efforts d’un homme et qui a pour objet la réalisation d’un profit » : Smith, précité, p. 258; Terminal Dock, précité.  De même, la distinction entre le revenu tiré d’une entreprise et le revenu tiré d’un bien repose généralement sur le fait qu’une entreprise exige un niveau d’activité plus élevé de la part du contribuable : voir Krishna, op. cit., p. 240.  Il est donc logique de conclure qu’une activité exercée en vue de réaliser un profit, quel que soit le niveau d’activité du contribuable, sera une source de revenu constituée soit d’une entreprise, soit d’un bien.

[52]      Ce premier volet du critère vise simplement à établir une distinction entre les activités commerciales et les activités personnelles et, comme nous l’avons vu, il se peut fort bien que telle ait été à l’origine l’intention du juge Dickson lorsqu’il a mentionné l’« expectative raisonnable de profit » dans l’arrêt Moldowan.  Vus sous cet angle, les critères énoncés par le juge Dickson représentent une tentative de dresser une liste objective de facteurs permettant de déterminer si l’activité en cause est de nature commerciale ou personnelle.  Ces facteurs sont ce que le juge Bowman a qualifié d’« indices de commercialité » ou de « caractéristiques commerciales » : Nichol, précité, par. 13.  Ainsi, lorsque la nature de l’entreprise du contribuable comporte des aspects indiquant qu’elle pourrait être considérée comme un passe‑temps ou une autre activité personnelle, mais que l’entreprise est exploitée d’une manière suffisamment commerciale, cette entreprise sera considérée comme une source de revenu aux fins d’application de la Loi.

[53]      Nous soulignons que ce critère de l’existence d’une source « en vue de réaliser un profit » ne doit faire l’objet d’une analyse que dans les situations où l’activité en cause comporte un aspect personnel ou récréatif.  En toute déférence, nous estimons que les tribunaux ont commis une erreur, dans le passé, en appliquant le critère de l’ERP à des activités comme l’exercice du droit et la restauration qui ne comportent aucun aspect personnel de cette nature : voir, par exemple, Landry, précité; Sirois, précité; Engler c. Canada, [1994] A.C.F. no 483 (QL) (1re inst.).  Lorsqu’une activité est clairement de nature commerciale, il n’est pas nécessaire d’analyser les décisions commerciales du contribuable.  De telles démarches comportent nécessairement la recherche d’un profit.  Il existe donc par définition une source de revenu et il n’est pas nécessaire de pousser l’examen plus loin.

[54]      Il y a également lieu de souligner que la détermination de l’existence d’une source de revenu n’est pas un processus purement subjectif.  Outre le fait que, pour qu’une activité soit qualifiée de commerciale par nature, le contribuable doit avoir l’intention subjective de réaliser un profit, il faut aussi, tel que mentionné dans l’arrêt Moldowan, que cette détermination se fasse en fonction de divers facteurs objectifs.  Ainsi, sous une forme plus élaborée, le premier volet du critère susmentionné peut être reformulé ainsi : « Le contribuable a‑t‑il l’intention d’exercer une activité en vue de réaliser un profit et existe‑t‑il des éléments de preuve étayant cette intention? » Cela oblige le contribuable à établir que son intention prédominante était de tirer profit de l’activité et que cette activité a été exercée conformément à des normes objectives de comportement d’homme d’affaires sérieux.

[55]      Les facteurs objectifs énumérés par le juge Dickson dans Moldowan, précité, p. 486, étaient (1) l’état des profits et pertes pour les années antérieures, (2) la formation du contribuable, (3) la voie sur laquelle il entend s’engager, et (4) la capacité de l’entreprise de réaliser un profit.  Comme nous le concluons plus loin, il n’est pas nécessaire pour les besoins du présent pourvoi d’ajouter d’autres facteurs à cette liste; nous nous abstenons donc de le faire.  Nous tenons cependant à réitérer la mise en garde du juge Dickson selon laquelle cette liste ne se veut pas exhaustive et les facteurs diffèrent selon la nature et l’importance de l’entreprise.  Nous tenons également à souligner que, même si l’expectative raisonnable de profit constitue un facteur à prendre en considération à ce stade, elle n’est ni le seul facteur, ni un facteur déterminant.  Il faut déterminer globalement si le contribuable exerce l’activité d’une manière commerciale.  Cette détermination ne devrait toutefois pas servir à évaluer après coup le sens des affaires du contribuable.  C’est la nature commerciale de son activité qui doit être évaluée, et non son sens des affaires.

[Non souligné dans l’original.]

 

Et la démarche est ainsi expliquée au paragraphe 60 :

 

[60]      En résumé, la question de savoir si le contribuable a ou non une source de revenu doit être tranchée en fonction de la commercialité de l’activité en cause.  Lorsque l’activité ne comporte aucun aspect personnel et qu’elle est manifestement commerciale, il n’est pas nécessaire de pousser l’examen plus loin.  Lorsque l’activité peut être qualifiée de personnelle, il faut alors déterminer si cette activité est ou non exercée d’une manière suffisamment commerciale pour constituer une source de revenu.  Toutefois, refuser la déduction de pertes pour le seul motif que les pertes indiquent l’inexistence d’une entreprise (ou d’un bien) comme source de revenu va à l’encontre du texte et de l’économie de la Loi.  La question de savoir s’il existe une entreprise est distincte de celle de la déductibilité des dépenses.

 

[12]    Je ne doute nullement que les appelants aient eu l’intention subjective de tirer un profit de leurs cyberactivités, mais ils n’ont pas réussi à établir que leurs activités ont été exercées conformément aux normes objectives de gens d’affaires sérieux dont il est question au paragraphe 54 reproduit ci‑dessus. Les quatre facteurs énumérés dans Moldowan c. La Reine[4], auxquels renvoie le paragraphe 55 de l’arrêt Stewart, sont nettement défavorables aux appelants. Cela fait longtemps qu’ils défalquent de leurs autres revenus des pertes résultant des activités des diverses entreprises basées à leur domicile, et les montants qu’ils ont déduits ont toujours été importants. Les appelants n’ont pas fait état, dans leurs témoignages, d’une quelconque formation qu’ils auraient suivie pour se préparer à exploiter le type de cyberentreprise qu’ils ont dit vouloir mettre sur pied, et aucun élément n’a été produit pour démontrer qu’ils ont élaboré ne serait‑ce que le plan d’affaires le plus rudimentaire qui soit. Je ne vois rien dans la preuve dont je dispose qui donne à penser que ces activités aient eu la moindre chance de devenir rentables à quelque moment que ce fût.

 

[13]    Les facteurs énumérés dans Moldowan ne sont absolument pas exhaustifs. La manière dont les appelants ont tenu leurs comptes financiers, ou plus précisément l’absence de ces derniers, n’a rien du comportement de gens d’affaires sérieux. Il n’y a aucun livre comptable, aucun état financier, aucun registre de l’utilisation des véhicules à moteur pour laquelle ils ont déduit de grosses sommes tous les ans. Il n’y a eu tout simplement aucune comptabilité des revenus déclarés, si modestes fussent‑ils, si ce n’est le feuillet T4A pour 2002, dont j’ai fait état précédemment.

 

[14]    M. Olver a rempli les déclarations de revenu des appelants en se servant d’un logiciel fiscal courant. Outre les déductions de dépenses qui ne sont tout simplement pas appuyées par la preuve, les déclarations sont truffées de doubles comptabilisations de dépenses et d’autres erreurs. Quand M. Olver a pris sa retraite et que son revenu d’autres sources a baissé, il semble que la part proportionnelle qu’il détenait dans la société de personnes a diminué par rapport à celle de Mme Devos‑Miller. Le pourcentage de la superficie de leur domicile utilisée à des fins commerciales est déclaré de diverses façons, 20 %, 40 %, 16,7 %, même si la preuve donne à penser que le pourcentage réel était bien inférieur à ces chiffres. M. Olver a mis ses erreurs sur le compte de son ignorance des formulaires et du logiciel dont il se servait. Mme Devos‑Miller ne faisait que signer ses déclarations qu’il lui présentait. Ni les déclarations qu’ils ont produites ni leur témoignage visant à compléter les dossiers fragmentaires qu’ils ont déposés ne sont fiables. Par exemple, il y a eu chaque année une déduction de frais afférents aux véhicules à moteur. Pour 2002, la déduction figurait dans les déclarations des deux appelants. La déduction pour le carburant et l’huile est de 2 220,86 $. Le kilométrage total déclaré est de 2 020 km, ce qui donne un coût de carburant et d’huile de 1,10 $ le kilomètre. Voici les chiffres correspondants pour 2003 et 2004 :

 

Année              kilométrage total           carburant et huile          carburant et huile au km

2003                  1 100                           2 268 $                             2,06 $

2004                  1 223                           2 184 $                             1,78 $

Chaque année, plus de 3 000 $ sont également déduits pour l’entretien et les réparations, ce qui comprend les changements d’huile. L’intimée n’a pas allégué la fraude et je ne tire aucune conclusion en ce sens. Ces déductions établissent toutefois à quel point les dossiers des appelants sont peu fiables.

 

[15]    Je suis convaincu que les appelants n’ont exercé aucune activité que l’on puisse sérieusement qualifier d’entreprise pendant les années 2002, 2003 et 2004, exception faite de la distribution de la boisson Tahitian Noni en 2002. Ils ont apparemment poursuivi cette activité pendant quelques années, mais y ont mis fin en 2002 du fait de la diminution de la commission à laquelle ils avaient droit. Le produit en question était reconnaissable, et il s’agissait dans une certaine mesure d’une activité commerciale organisée, ayant généré un revenu substantiel pour les appelants en 2002.

 

[16]    Selon la page 25 de la pièce A‑1A, il semble qu’aucune perte n’a été attribuée à l’entreprise de vente de la boisson Tahitian Noni en 2002, et que la perte de 9 228,76 $, déclarée par M. Olver, et celle de 19 396,91 $, déclarée par Mme Devos‑Miller, ont toutes deux été attribuées à leurs cyberactivités. Les appels interjetés par les des deux appelants à l’égard des années 2002, 2003 et 2004 sont en conséquence rejetés.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de juin 2008.

 

« E.A. Bowie »

Juge Bowie

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 1er jour d’août 2008.

 

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


RÉFÉRENCE :                                  2008CCI352

 

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2006-2676(IT)I, 2006-2677(IT)I

 

 

INTITULÉ :                                       Robert H. Olver

                                                          et Kathryn A. Devos-Miller

                                                          et Sa Majesté La Reine

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

 

DATES DE L’AUDIENCE :               Les 14 et 15 février 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge E.A. Bowie

 

 

DATE DES JUGEMENTS :               Le 11 juin 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat des appelants :

Me Eli Leibowitz

Avocat de l’intimée :

Me Laurent Bartleman

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour les appelants :

 

                             Nom :                    Me Eli Leibowitz

 

                            Cabinet :                Marciano Beckenstein LLB

 

Pour l’intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1]           L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), modifiée.

 

[2]           [2002] 2 R.C.S. 645.

[3]           Précité, au paragraphe 50.

 

[4]           [1978] 1 R.C.S. 480.

 

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