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Dossier : 2003-4396(GST)G

 

ENTRE :

JOHN PAUL REXE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel d’Engleburn Services Inc. (2004-2187(GST)G), les 5 et 6 mai 2008, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge B. Paris

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Paul E. Hawa

Avocat de l’intimée :

Me Ronald MacPhee

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel de la cotisation relative à la taxe sur les produits et services établie à l’égard d’un tiers sous le régime de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, dont l’avis est daté du 9 juin 1997 et porte le numéro 24730, est rejeté avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de juin 2008.

 

 

« B. Paris »

Juge Paris

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 22 août 2008.

 

Christian Laroche, juriste-traducteur


 

Dossier : 2004-2187(GST)G

 

 

ENTRE :

ENGLEBURN SERVICES INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de John Paul Rexe (2003‑4396(GST)G), les 5 et 6 mai 2008, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge B. Paris

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Paul E. Hawa

Avocat de l’intimée :

Me Ronald MacPhee

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel de la nouvelle cotisation établie sous le régime de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, dont l’avis est daté du 4 avril 1996 et porte le numéro 04DP0105883, est rejeté avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de juin 2008.

 

 

« B. Paris »

Juge Paris

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 22 août 2008.

 

Christian Laroche, juriste-traducteur


 

 

 

Référence : 2008CCI360

Date : 20080618

Dossiers : 2003-4396(GST)G

2004-2187(GST)G

ENTRE :

 

JOHN PAUL REXE,

ENGLEBURN SERVICES INC.,

 

appelants,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Paris

 

[1]              Les présents appels visent la nouvelle cotisation relative à la société appelante, Engleburn Services Inc. (« Engleburn »), établie le 4 avril 1996, et la cotisation relative à l’administrateur d’Engleburn, John Paul Rexe (« M. Rexe »), établie le 9 juin 1997. Ces cotisations ont toutes deux été établies sous le régime de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E‑15. Les appels ont été réunis par ordonnance de la Cour le 22 décembre 2004.

 

[2]              La partie en litige de la nouvelle cotisation visant Engleburn concerne le refus des crédits de taxe sur les intrants fictifs de 3 902 053,32 $ demandés par Engleburn pour la période du 14 juin 1993 au 31 décembre 1995. Engleburn conteste en outre l’imposition de pénalités pour faute lourde totalisant 975 513,33 $.

 

[3]              Monsieur Rexe était l’unique administrateur et actionnaire d’Engleburn. Il a fait l’objet d’une cotisation en sa qualité d’administrateur pour la dette relative à la TPS, à des intérêts et à des pénalités totalisant 5 899 636,50 $ qu’Engleburn n’a pas payée.

 

Les points en litige

 

[4]              Engleburn a demandé les crédits de taxe sur les intrants fictifs dans le cadre de l’entreprise d’acquisition et de vente de véhicules d’occasion qu’elle a lancée le 14 juin 1993. Engleburn a acheté la plus grande partie des véhicules de vendeurs qui, apparemment, exploitaient leur entreprise sur une réserve. Au moment de produire ses déclarations de TPS, Engleburn a fait valoir qu’elle avait droit à des crédits de taxe sur les intrants fictifs parce qu’aucune TPS n’était payée ni payable relativement aux véhicules d’occasion achetés de vendeurs autochtones.

 

[5]              Au cours de l’audition des appels, l’avocat des appelants a admis que les vendeurs autochtones étaient tenus d’exiger la TPS sur les ventes à Engleburn et que cette dernière n’avait donc pas droit aux crédits de taxe sur les intrants fictifs qu’elle avait demandés. Il a toutefois soutenu qu’Engleburn avait néanmoins droit à de véritables crédits de taxe sur les intrants (équivalant au montant des crédits de taxe sur les intrants fictifs initialement demandés) parce que la TPS était incluse dans le prix de vente des véhicules.

 

[6]              Il s’agit donc en premier lieu de savoir si Engleburn a droit, suivant le paragraphe 169(1) de la Loi, à des crédits de taxe sur les intrants de 3 902 053,32 $ pour la période en cause.

 

[7]              Si la Cour conclut qu’Engleburn n’a pas droit à ces crédits de taxe sur les intrants, il lui faudra alors se demander si Engleburn peut faire l’objet de pénalités pour faute lourde, en application de l’article 285 de la Loi, parce qu’elle a demandé en trop les crédits de taxe sur les intrants fictifs.

 

[8]              Si Engleburn est assujettie à la TPS et aux pénalités connexes, le troisième point en litige consistera à savoir si M. Rexe, en qualité d’administrateur d’Engleburn, est responsable de ces sommes en application de l’article 323 de la Loi.

 

La preuve

 

[9]              Les parties ont produit un exposé conjoint partiel des faits et M. Rexe a témoigné pour le compte des appelants. L’intimée a appelé Michael Schwarz (« M. Schwarz »), Linda Whetung (« Me Whetung ») et Larry Norman (« M. Norman ») à témoigner. M. Schwarz est le vérificateur de la TPS qui a établi les cotisations. Me Whetung est avocate à Peterborough et elle a travaillé pour M. Rexe. M. Norman est l’un des vendeurs d’automobiles autochtones duquel Engleburn achetait des véhicules.

 

[10]         Monsieur Rexe a été enseignant à Peterborough pendant de nombreuses années. Il a obtenu un diplôme en éducation de l’Université de Toronto, où il a également suivi des cours en commerce, en économie et en droit. Il a en outre affirmé qu’il avait terminé deux années de cours pour devenir comptable agréé au début des années 60. Il participe à la politique municipale à Peterborough depuis 1972 et il a agi comme conseiller municipal pendant plusieurs années dans les années 80. Outre son emploi d’enseignant, il dirigeait une entreprise d’expert‑conseil qui élaborait des plans de marketing et des plans d’entreprise, évaluait des propositions commerciales et fournissait des services d’examen financier et d’orientation pour au moins un ministère gouvernemental.

 

[11]         Monsieur Rexe a déclaré qu’il avait constitué Engleburn en société en 1985 à titre de société en veilleuse pour pouvoir profiter des possibilités d’affaires susceptibles de se présenter dans le cadre de son travail d’expert‑conseil. La société est demeurée en veilleuse jusqu’en juin 1993. Juste auparavant, son frère, Steve Rexe (« Steve »), avait perdu son emploi comme vendeur en gros d’automobiles chez Condie Motors à Napanee et à Kingston (« Condie ») et il avait décidé de se lancer lui‑même en affaires. Steve a demandé l’aide de M. Rexe et ils ont décidé d’utiliser Engleburn pour exploiter une entreprise d’acquisition et de vente de véhicules d’occasion sous la dénomination de « Rexe Wholesale Automotive ». M. Rexe a élaboré un plan d’entreprise détaillé pour Engleburn en mai 1993 et ce plan a servi à l’obtention d’un prêt de démarrage de 15 000 $ de la CIBC. Il a en outre lui‑même investi une somme de 15 000 $.

 

[12]         Steve et son fils, Ryan, s’occupaient des acquisitions et des ventes des véhicules tandis que M. Rexe se chargeait des questions administratives, y compris les opérations bancaires. M. Rexe utilisait son adresse domiciliaire comme adresse postale de la société et il veillait au règlement de tous les comptes. M. Rexe a affirmé que, mis à part ses tâches administratives, sa participation dans l’entreprise se limitait à assister à quelques ventes aux enchères d’automobiles avec son frère et à se rendre à certains endroits pour prendre livraison ou pour livrer des véhicules. Il a précisé qu’il avait peu de temps à consacrer à l’entreprise.

 

[13]         Selon la preuve, Engleburn avait depuis le début l’intention d’acheter un nombre important de véhicules de vendeurs autochtones sur des réserves à proximité afin de déduire des crédits sur les intrants fictifs au titre de ces acquisitions. M. Rexe et son frère ont eu l’idée de réclamer ces crédits fictifs sur les véhicules achetés de vendeurs autochtones parce que Steve avait été témoin de cette pratique chez Condie. M. Rexe a affirmé que, grâce aux crédits de taxe sur les intrants fictifs, Engleburn avait une longueur d’avance dans le milieu et pouvait offrir les véhicules à des prix inférieurs à ceux exigés par les autres vendeurs en gros d’automobiles. On allègue qu’Engleburn vendait les automobiles qu’elle achetait de vendeurs autochtones moins cher que le prix qu’elle payait pour les acheter, mais qu’elle réussissait néanmoins à faire un profit sur chaque vente grâce à la déduction des crédits de taxe sur les intrants fictifs.

 

[14]         Monsieur Rexe croyait que les véhicules achetés d’un Indien inscrit n’étaient pas assujettis à la TPS lorsque l’acquéreur prenait possession du véhicule sur la réserve. Selon ses dires, Me Whetung a confirmé cette thèse, et on l’a informé au bureau local de TPS qu’aucune TPS n’était exigible s’il achetait une automobile d’un vendeur autochtone sur une réserve. Il a en outre déclaré que le directeur commercial chez Condie lui avait dit que cette entreprise avait obtenu trois avis juridiques sur la question, qu’elle avait fait l’objet d’une vérification de la part de Revenu Canada et que ses déductions de crédits de taxe sur les intrants fictifs avaient été acceptées. Pendant son contre‑interrogatoire, M. Rexe a ajouté qu’il avait aussi discuté de la question des crédits de taxe sur les intrants fictifs avec son expert‑comptable chez Grant and Company.

 

[15]         Monsieur Rexe a affirmé que, pour protéger Engleburn dans l’éventualité où il aurait mal compris l’application de la TPS et où cette taxe devrait être payée, Steve avait conclu avec les vendeurs autochtones une entente selon laquelle le prix de vente incluait la TPS. De cette façon, ce sont les vendeurs autochtones, et non Engleburn, qui seraient responsables de la TPS exigible.

 

[16]         Du 14 juin 1993 au 31 décembre 1995, Engleburn a acheté pour environ 59 000 000 $ de véhicules de deux vendeurs autochtones, soit Jackie Edward Maracle, faisait affaires sous la dénomination JEM Auto Sales (« JEM »), et Larry Norman, faisant affaires sous la dénomination CTM Wholesale and Leasing (« CTM »). Dans les déclarations de TPS qu’elle a produites entre juin 1993 et le 31 décembre 1995, Engleburn a demandé des crédits de taxe sur les intrants fictifs totalisant plus de 3 900 000 $ au titre de ces acquisitions. Pendant cette période, Engleburn a revendu ces véhicules et perçu de la TPS des acquéreurs. Lorsqu’elle a produit ses déclarations de TPS, Engleburn a compensé la TPS ainsi perçue avec les crédits de taxe sur les intrants fictifs, ce qui lui a donc permis de faire des versements de TPS nette minimes.

 

[17]         Dans son témoignage, M. Rexe a déclaré qu’il ignorait que le volume d’activités d’Engleburn avait été aussi considérable pendant la période en cause. Selon le plan d’entreprise qu’il avait élaboré à l’intention d’Engleburn en vue d’obtenir le prêt de CIBC, il était prévu que les ventes de la société de 1993 à 1998 totalisent entre 2 000 000 $ et 5 000 000 $ par année. Il n’était pas en mesure d’expliquer comment le volume d’activités avait pu à ce point dépasser les prévisions, et il ne pouvait qu’affirmer qu’il n’était pas là et que c’est son frère qui se chargeait des ventes et des acquisitions. Il a ajouté que tout ce qu’il voyait de l’entreprise tenait aux chiffres définitifs figurant sur les déclarations de TPS que remplissaient les experts‑comptables. Steve remettait tous les documents relatifs aux acquisitions et aux ventes de véhicules aux experts‑comptables d’Engleburn, lesquels remplissaient les déclarations de TPS et émettaient un chèque pour la somme due. M. Rexe se contentait de signer ces chèques. Les experts‑comptables ne faisaient qu’accomplir les tâches fondamentales de tenue des comptes pour Engleburn et aucun état financier n’a jamais été dressé. Dans son témoignage, M. Rexe a déclaré qu’Engleburn avait l’intention d’acheter des véhicules d’autres sources, mais la preuve ne permet pas de savoir avec exactitude dans quelle mesure ce fut le cas. Il semble que peu de véhicules ont été achetés de cette façon par Engleburn.

 

[18]         Monsieur Rexe a également mentionné qu’il ignorait d’où provenait l’argent ayant servi pour les acquisitions et que son frère s’occupait de cette question. Il a en outre affirmé que ce n’est que beaucoup plus tard qu’il a appris que des crédits de taxe sur les intrants fictifs avaient été réclamés au titre d’acquisitions de plus de 50 000 000 $ et qu’il n’avait vu les factures relatives à ces opérations que bien des années plus tard.

 

[19]         Engleburn a fait l’objet d’une vérification relative à la TPS par Revenu Canada en juillet 1995. Dans une lettre datée du 28 juillet 1995, le vérificateur informait Engleburn qu’il refusait les crédits de taxe sur les intrants fictifs qu’elle réclamait au titre de véhicules achetés de JEM et de CMT parce que ces vendeurs étaient tous deux tenus par la Loi de s’inscrire aux fins de la TPS et de percevoir cette taxe sur leurs ventes. Le montant des crédits de taxe sur les intrants fictifs demandés par Engleburn à cette date s’élevait à 386 846,46 $.

 

[20]         Afin de protéger les intérêts d’Engleburn, M. Rexe a écrit des lettres devant être signées par M. Maracle et par M. Norman dans lesquelles il est précisé qu’on prenait livraison des automobiles achetées de JEM et de CTM, respectivement, sur des réserves indiennes et que le prix payé était [TRADUCTION] « le prix total ». M. Rexe a ajouté que Steve avait obtenu de M. Norman et de M. Maracle qu’ils signent ces lettres.

[21]         Engleburn a continué d’acheter des véhicules de ces vendeurs autochtones et elle a demandé des crédits de taxe sur les intrants fictifs supplémentaires d’environ 3 600 000 $. Le 4 avril 1996, Engleburn a fait l’objet d’une cotisation dans laquelle on refusait l’ensemble des crédits de taxe sur les intrants fictifs de 3 902 053,32 $ réclamés pour la période du 14 juin 1993 au 31 décembre 1995.

 

[22]         Dans son témoignage, M. Norman a affirmé que CTM était une nouvelle entreprise qu’il avait lancée en 1993 et qui effectuait le courtage d’automobiles pour la vente et l’exportation aux États‑Unis. Il a déclaré que Steve lui avait acheté des automobiles à une demi‑douzaine d’occasions, mais qu’il ne lui avait pas vendu pour 53 000 000 $ d’automobiles, contrairement à ce qu’affirme Engleburn. Il a mentionné que la signature figurant sur les contrats de vente des véhicules n’était pas la sienne et que le numéro d’enregistrement de la Motor Vehicle Dealers Association inscrit comme le sien était erroné sur plusieurs des contrats. Il a ajouté qu’il savait que d’autres personnes avaient utilisé son nom et son numéro d’enregistrement pour [TRADUCTION] « se faire rembourser la TPS », mais il n’a pas donné de détail. Il ne savait pas si les sommes versées par Engleburn pour l’acquisition des véhicules passaient par son compte bancaire puisqu’il n’a jamais vérifié, et il n’a pas conservé ses relevés bancaires.

 

[23]         Monsieur Norman a confirmé qu’il n’était pas un inscrit aux fins de la TPS et qu’il n’exigeait pas cette taxe sur les véhicules qu’il vendait à Engleburn. Il a déclaré que son chef lui avait dit de ne pas s’inscrire aux fins de la TPS. Cependant, il a affirmé qu’à un certain moment, il a néanmoins dû s’inscrire pour demander le remboursement de la taxe qu’il avait payée sur une automobile achetée dans une vente aux enchères. Lorsqu’il a reçu son remboursement, il a demandé à Revenu Canada d’annuler son inscription parce qu’il était un Autochtone exploitant une entreprise sur une réserve et Revenu Canada a accédé à sa demande.

 

[24]         Monsieur Norman nie avoir jamais accepté la responsabilité de payer la TPS dans l’éventualité où l’opération serait assujettie à celle‑ci. Il a en outre nié avoir signé la lettre selon laquelle le prix de vente payé par Engleburn à CTM pour les véhicules était le [TRADUCTION] « prix total ». Selon lui, la signature était bien la sienne, mais il n’avait pas signé la lettre.

 

[25]         Au cours de son témoignage, Me Whetung a déclaré qu’elle n’avait jamais donné des conseils en matière de TPS à M. Rexe. Elle avait travaillé pour M. Rexe en sa qualité d’avocate à quelques occasions, mais il ne s’agissait pas d’un client habituel. Elle n’avait qu’un seul souvenir précis d’une occasion où M. Rexe lui avait demandé des conseils relativement à une affaire touchant des Autochtones et la TPS. Cette conversation avait eu lieu au comptoir de son cabinet où M. Rexe s’était arrêté pour [TRADUCTION] « cinq minutes ». Elle se souvenait qu’il avait un projet intéressant des automobiles ainsi que des Autochtones sur une réserve et la TPS. Elle a toutefois informé M. Rexe qu’elle n’était pas habile à donner un avis juridique sur l’assujettissement à la TPS. Elle a mentionné qu’elle se serait souvenue lui avoir donné une opinion, et elle a affirmé catégoriquement qu’elle ne l’avait pas fait.

 

Le premier point : le droit à des crédits de taxe sur les intrants

 

[26]         Les crédits de taxe sur les intrants peuvent être demandés en application du paragraphe 169(1) de la Loi lorsqu’un inscrit achète ou importe un service ou un bien qui est utilisé dans le cadre de son entreprise et que la TPS est payée ou payable par l’inscrit sur les fournitures ou l’importation.

 

[27]         Les dispositions pertinentes du paragraphe 169(1) étaient ainsi rédigées :

 

Sous-section b

 

Crédits de taxe sur les intrants

 

169. (1) Règle générale – Sous réserve de la présente partie, le crédit de taxe sur les intrants d’une personne, pour sa période de déclaration au cours de laquelle elle est un inscrit, relativement à un bien ou à un service qu’elle importe ou qui lui est fourni, correspond au résultat du calcul suivant si, au cours de cette période, la taxe relative à l’importation ou à la fourniture devient payable par la personne ou est payée par elle sans qu’elle soit devenue payable :

 

A x B

 

où :

 

A         représente la taxe relative à l’importation ou à la fourniture qui, au cours de la période de déclaration, devient payable par la personne ou est payée par elle sans qu’elle soit devenue payable,

 

B représente :

a) dans le cas où la taxe est réputée, par le paragraphe 202(4), avoir été payée relativement au bien le dernier jour d’une année d’imposition de la personne, le pourcentage que représente l’utilisation que la personne faisait du bien dans le cadre de ses activités commerciales au cours de cette année par rapport à l’utilisation totale qu’elle en faisait alors dans le cadre de ses activités commerciales et de ses entreprises,

 

b) dans le cas où le bien ou le service est acquis ou importé par la personne pour utilisation dans le cadre d’améliorations apportées à une de ses immobilisations, le pourcentage qui représente la mesure dans laquelle la personne utilisait l’immobilisation dans le cadre de ses activités commerciales immédiatement après sa dernière acquisition ou importation de tout ou partie de l’immobilisation,

 

c) dans les autres cas, le pourcentage qui représente la mesure dans laquelle la personne a acquis ou importé le bien ou le service pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales.

 

 

[28]         L’avocat de l’intimée soulève deux raisons pour lesquelles Engleburn n’a droit à aucun crédit de taxe sur les intrants relativement aux véhicules achetés de JEM et de CTM. Premièrement, il a affirmé qu’Engleburn n’avait payé de TPS sur aucun des véhicules achetés de ces vendeurs. Deuxièmement, même si elle avait payé de la TPS, Engleburn n’avait pas le numéro d’inscription de M. Maracle ni de M. Norman, ce qui était fatal à la demande de crédits de taxe sur les intrants, puisque ce renseignement était requis suivant l’alinéa 169(4)a) de la Loi et l’article 3 du Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédit de taxe sur les intrants. Voici le texte des dispositions pertinentes :

 

(4)                  Documents – L’inscrit peut demander un crédit de taxe sur les intrants pour une période de déclaration si, avant de produire la déclaration à cette fin :

 

a) il obtient les renseignements suffisants pour établir le montant du crédit, y compris les renseignements visés par règlement;

 

[…]

 

 

Renseignements

 

3.                                                            Les renseignements visés à l’alinéa 169(4)a) de la Loi, sont les suivants :

 

            a)         lorsque le montant total payé ou payable, selon la pièce justificative, à l’égard d’une ou de plusieurs fournitures est de moins de 30 $ :

 

(i)                  le nom du fournisseur ou son nom commercial,

 

(ii)                si une facture a été remise pour la ou les fournitures, la date de cette facture,

 

(iii)               si aucune facture n’a été remise pour la ou les fournitures, la date à laquelle il y a un montant de taxe payée ou payable sur celles‑ci,

 

(iv)              le montant total payé ou payable pour la ou les fournitures;

 

            b)         lorsque le montant total payé ou payable, selon la pièce justificative, à l’égard d’une ou de plusieurs fournitures est de 30 $ ou plus et de moins de 150 $ :

 

(i)                  les renseignements requis à l’alinéa a),

 

(ii)                le numéro d’inscription attribué au fournisseur conformément à l’article 241 de la Loi,

 

(iii)               dans le cas où la taxe payé ou payable n’est pas comprise dans le montant payé ou payable pour la ou les fournitures :

 

(A)              ou bien, la taxe payée ou payable pour toutes les fournitures ou pour chacune d’elles,

 

(B)              ou bien, si une taxe de vente provinciale est payable pour chaque fourniture taxable qui n’est pas une fourniture détaxée, mais ne l’est pas pour une fourniture exonérée ou une fourniture détaxée :

 

(I)                 soit le total de la taxe payée ou payable selon la section II de la partie IX de la Loi et de la taxe de vente provinciale payée ou payable pour chaque fourniture taxable, ainsi qu’une déclaration portant que le total pour chaque fourniture taxable comprend la taxe payée ou payable selon cette section,

 

(II)              soit le total de la taxe payé ou payable selon la section II de la partie IX de la Loi et de la taxe de vente provinciale payée ou payable pour toutes les fournitures taxables, ainsi qu’une déclaration portant que ce total comprend la taxe payée ou payable selon cette section,

 

(iv)              dans le cas où la taxe payée ou payable est comprise dans le montant payé ou payable pour la ou les fournitures et que l’une ou plusieurs de celles-ci sont des fournitures taxables qui ne sont pas des fournitures détaxées, une déclaration          portant que la taxe est comprise dans le montant payé ou payable pour chaque fourniture à l’égard de laquelle il y a une taxe payée ou payable,

 

(v)                dans le cas où deux fourniture ou plus appartiennent à différentes catégories, une mention de la catégorie de chaque fourniture taxable qui n’est pas une fourniture détaxée;

 

           c)           lorsque le montant total payé ou payable, selon la pièce justificative, à l’égard d’une ou de plusieurs fournitures est de 150 $ ou plus :

 

(i)                  les renseignements requis à l’alinéa a) et aux sous-alinéas b)(ii) à (v),

(ii)                soit le nom de l’acquéreur ou son nom commercial, soit le nom de son mandataire ou de son représentant autorisé,

(iii)               les modalités de paiement,

(iv)              une description suffisante pour identifier chaque fourniture.

 

[29]         L’avocat des appelants soutient qu’Engleburn avait droit à des crédits de taxe sur les intrants parce qu’elle a payé la TPS sur toutes les acquisitions de véhicules faites auprès des vendeurs autochtones et qu’elle disposait de documents suffisants pour établir le montant de TPS payé sur ces acquisitions.

 

[30]         L’avocat a renvoyé à des factures relatives à des véhicules achetés par Engleburn de JEM Auto Sales sur lesquelles le vendeur a écrit [TRADUCTION] « toutes les taxes applicables sont comprises dans le prix » ou [TRADUCTION] « les prix comprennent toutes les taxes applicables ». Il a également renvoyé à des lettres de M. Norman et de M. Maracle obtenues par Engleburn après la vérification touchant la TPS selon lesquelles le prix payé constituait le prix total.

 

[31]         L’avocat de l’appelant a admis que M. Maracle et M. Norman n’avaient pas de numéro d’inscription aux fins de la TPS au moment où ils ont vendu les véhicules à Engleburn, mais il a avancé que le paragraphe 169(5) de la Loi confère néanmoins au ministre le pouvoir discrétionnaire d’accorder des crédits de taxe sur les intrants. Selon le paragraphe 169(5), le ministre peut dispenser un inscrit des exigences prévues au paragraphe 169(4) et par le Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédit de taxe sur les intrants. Cette disposition est rédigée en ces termes :

 

(5)        Dispense – Le ministre peut, s’il est convaincu qu’il existe ou existera des documents suffisants pour établir les faits relatifs à une fourniture ou à une importation, ou à une catégorie de fournitures ou d’importations, ainsi que pour calculer la taxe relative à la fourniture ou à l’importation, qui est payée ou payable en application de la présente partie :

 

a)         dispenser un inscrit, une catégorie d’inscrits ou les inscrits en général des exigences prévues au paragraphe (4) relativement à la fourniture ou à l’importation ou à une fourniture ou une importation de la catégorie;

 

b)       préciser les modalités de la dispense.

 

[32]         Il ressort sans équivoque du libellé du paragraphe 169(1) qu’un inscrit peut demander un crédit de taxe sur les intrants relativement à des fournitures lorsque la TPS est payée ou payable au titre de cette fourniture. Comme les appelants et l’intimée conviennent que la TPS était payable par Engleburn lorsqu’elle achetait des véhicules de M. Maracle et de M. Norman, il importe peu de savoir si la TPS a réellement été payée, et il n’est pas nécessaire de tirer une conclusion à cet égard. Il suffit qu’Engleburn ait été tenue, sous le régime de la Loi, de payer la TPS sur les acquisitions, même si elle ne l’a peut‑être pas fait (voir les décisions Ventes D’Autos Giordano Inc. v. R., [2001] G.S.T.C. 37, au paragraphe 44, et Morin v. R., [2004] G.S.T.C. 48, à la note en bas de page no 1).

 

[33]         Cependant, j’arrive à la conclusion que l’omission d’Engleburn d’obtenir les numéros d’inscription aux fins de la TPS de M. Maracle et de M. Norman, contrairement aux exigences prévues à l’alinéa 169(4)a) de la Loi et au sous‑alinéa 3b)(i) du Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédit de taxe sur les intrants, est fatale à sa demande de crédits de taxe sur les intrants. Il est maintenant clairement établi que les renseignements requis par ces dispositions sont obligatoires (voir la décision Systematix Technology Consultants Inc. v. R., [2007] C.A.F. 226, aux paragraphes 4 et 5).

 

[34]         De plus, le paragraphe 169(5) ne donne pas compétence à la Cour de soustraire une personne aux exigences prévues au paragraphe 169(4) et dans les dispositions réglementaires connexes. Cette mesure relève exclusivement du pouvoir discrétionnaire du ministre et la Cour n’a pas compétence pour obliger le ministre à exercer ce pouvoir discrétionnaire dans un sens particulier.

 

Le deuxième point : les pénalités prévues à l’article 285

 

[35]         L’article 285 impose une pénalité aux personnes qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, font un faux énoncé ou une omission. La pénalité s’élève à 25 pour 100 du montant de taxe remis en partie ou du remboursement obtenu en trop.

 

[36]         Cette disposition était libellée en ces termes :

 

285. Faux énoncés ou omissionsToute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde dans l’exercice d’une obligation prévue à la présente partie, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, une demande, un formulaire, un certificat, un état, une facture ou une réponse – appelés « déclaration » au présent article – établi pour une période de déclaration ou une opération, ou y participe, y consent ou y acquiesce, est passible d’une pénalité égale au plus élevé de 250 $ et de 25 % de l’excédant suivant :

 

a)            s’il s’agit de la taxe nette d’une personne pour une période, l’excédent de cette taxe nette sur le montant de cette taxe si celle-ci était déterminée d’après les renseignements indiqués dans la déclaration;

 

b)            s’il s’agit de la taxe payable par une personne pour une période ou une opération, l’excédent de cette taxe sur le montant de cette taxe si celle-ci était déterminée d’après les renseignements indiqués dans la déclaration;

 

c)            s’il s’agit d’une demande de remboursement, l’excédent du remboursement qui serait payable à la personne si le remboursement était déterminé d’après les renseignements indiqués dans la déclaration sur le remboursement payable à la personne.

 

[37]         Il est bien établi qu’il incombe à l’intimée de prouver les faits susceptibles de justifier l’imposition de la pénalité : voir les décisions Alex Excavating Inc. v. Canada, [1995] G.S.T.C. 57, et 897366 Ontario Ltd. v. R., [2000] G.S.T.C. 13. Il est également bien établi que la norme applicable en matière d’imposition de pénalités pour faute lourde est rigoureuse. La définition classique de la notion de « faute lourde » à cette fin est donnée dans la décision Venne v. The Queen, [1984] C.T.C. 223 (C.F. 1re inst.), à la page 234 :

 

[…] La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu’un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la Loi. […]

 

[38]         La Cour doit donc se demander si Engleburn a, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, demandé dans les déclarations de TPS qu’elle a produites pour les périodes entre le 14 juin 1993 et le 31 décembre 1995 des crédits de taxe sur les intrants fictifs auxquels elle n’avait pas droit. Il est admis qu’Engleburn a demandé des crédits de taxe sur les intrants fictifs dans des déclarations qui ont été remplies par ses experts‑comptables et signées par M. Rexe.

 

[39]         Le mécanisme de crédit de taxe sur les intrants fictif a depuis été supprimé de la Loi, mais dans les années en cause, la TPS était réputée, selon l’article 176, avoir été payée par l’inscrit lorsque ce dernier avait acheté des biens meubles corporels d’occasion à l’égard desquels il n’était pas tenu de payer la TPS. L’inscrit pouvait alors demander un crédit de taxe sur les intrants fictif relativement à ces acquisitions. Comme aucune TPS n’avait réellement été payée, les crédits de taxe sur les intrants étaient qualifiés de « fictifs ».

 

[40]         L’article 176 prévoyait ce qui suit :

 

176(1) Acquisition de produits d’occasionAux fins du calcul du crédit de taxe sur les intrants et sous réserve des dispositions de la présente section, un inscrit est réputé avoir payé dès qu’un montant est payé en contrepartie d’une fourniture – sauf s’il s’agit d’une fourniture détaxée ou si l’article 167 s’applique à la fourniture – la taxe relative à la fourniture, égale à la fraction de taxe de ce montant si :

 

a)         des biens meubles corporels d’occasion lui sont fournis par vente au Canada après 1993, la taxe n’est pas payable par lui relativement à la fourniture et les biens sont acquis pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales;

 

b)         des biens meubles corporels d’occasion lui sont fournis par vente au Canada avant 1994, la taxe n’est pas payable par lui relativement à la fourniture et les biens sont acquis pour être fournis dans le cadre de ses activités commerciales.

 

[41]         L’exigence relative au paiement de la TPS se trouve au paragraphe 165(1) de la Loi, lequel énonce que l’acquéreur d’une fourniture taxable effectuée au Canada doit payer une taxe équivalant à 7 pour 100 de la contrepartie de la fourniture. Selon la définition donnée au paragraphe 123(1), une fourniture taxable s’entend d’une fourniture « effectuée dans le cadre d’une activité commerciale ».

 

[42]         La demande de crédits de taxe sur les intrants fictifs faite par Engleburn reposait sur la position voulant que les acquisitions de biens auprès d’Autochtones ne soient pas assujetties à la TPS à la condition que ces biens se trouvent sur une réserve. L’avocat a soutenu que M. Rexe s’était suffisamment efforcé de vérifier l’exactitude de cette position avant de demander les crédits de taxe sur les intrants fictifs puisqu’il avait consulté un avocat et même Revenu Canada à ce sujet. L’avocat a allégué que Revenu Canada avait pour politique que les Autochtones n’étaient pas tenus de s’inscrire aux fins de la TPS ni de percevoir cette taxe et que cette politique avait été communiquée à Engleburn, qui s’y était fiée. Comme les demandes de crédits de taxe sur les intrants fictifs étaient compatibles avec les conseils obtenus, la politique de Revenu Canada et les renseignements obtenus de Condie, on ne pouvait affirmer qu’Engleburn avait, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait de quelconques faux énoncés.

 

[43]         L’intimée avance qu’Engleburn a commis une faute lourde lorsqu’elle a demandé les crédits de taxe sur les intrants fictifs sans aucunement s’efforcer de vérifier si elle y avait droit. L’avocat soutient que M. Rexe est un homme instruit ayant une vaste expérience de l’exploitation d’une entreprise et qu’il savait ou aurait dû savoir qu’il convenait d’obtenir un avis juridique pour le compte d’Engleburn sur la façon dont la législation en matière de TPS s’appliquait, surtout que les demandes étaient fondamentales à l’entreprise d’Engleburn et qu’elles visaient des sommes très importantes. Enfin, il affirme que le fait qu’Engleburn a continué de demander des crédits de taxe sur les intrants fictifs même après que le vérificateur de Revenu Canada l’a informée que ces demandes seraient refusées montre que M. Rexe et Engleburn se préoccupaient fort peu de respecter la Loi.

 

[44]         Bien que je ne sois pas convaincu qu’Engleburn savait, à l’époque où elle a demandé les crédits, que ses demandes n’étaient pas fondées, j’estime qu’elle a fait preuve d’une indifférence insouciante en ne se préoccupant pas de savoir si ces demandes étaient légitimes ou non. Les efforts mis en preuve pour montrer qu’on a tenté d’établir la légitimité des demandes étaient lamentablement insuffisants au regard de l’importance des sommes demandées.

 

[45]         Premièrement, les appelants n’ont pas établi que Revenu Canada, à un moment ou à un autre, suivait une politique soustrayant les Autochtones à l’obligation de s’inscrire aux fins de la TPS. M. Rexe n’a jamais allégué qu’il avait obtenu ce renseignement aux cours de l’appel téléphonique qu’il affirme avoir fait au bureau local de Revenu Canada en 1993. Pendant son témoignage, il a simplement mentionné au sujet de cette conversation qu’il avait demandé si la TPS était payable s’il achetait une automobile d’un Autochtone sur une réserve, et qu’on lui avait répondu qu’aucune TPS n’était payable. Il n’a jamais été question d’une discussion touchant la politique de Revenu Canada.

 

[46]         Le témoignage de M. Norman ne permet pas non plus de prouver que Revenu Canada a à un quelconque moment adopté la politique alléguée. De manière générale, son témoignage était imprécis et souvent évasif, et je ne lui accorde que peu de poids. Il a fourni très peu de détails particuliers au sujet de son inscription aux fins de la TPS et de l’annulation de celle‑ci, et je ne suis pas en mesure de déduire de son témoignage un quelconque élément permettant de croire que Revenu Canada avait une politique générale ayant pour effet de soustraire tous les Autochtones sur une réserve à l’obligation de percevoir la TPS, même lorsqu’ils vendaient des biens à des non‑Autochtones en vue de leur utilisation à l’extérieur d’une réserve.

 

[47]         Deuxièmement, je ne suis pas convaincu qu’un fonctionnaire au bureau local de Revenu Canada a dit à M. Rexe que la TPS n’était pas payable sur les opérations qu’Engleburn se proposait de conclure avec les vendeurs autochtones. La conversation relatée par M. Rexe peut, au mieux, être qualifiée de superficielle. Il a admis en contre‑interrogatoire qu’il n’avait pas discuté de la question en détail avec le fonctionnaire de Revenu Canada, et qu’il n’avait pas précisé le nombre d’automobiles qu’il se proposait d’acquérir. Il est difficile de comprendre pourquoi M. Rexe aurait choisi de ne pas discuter de son projet en détail avec le fonctionnaire et aurait ensuite jugé que les conseils obtenus constituaient un fondement suffisant pour demander des crédits de taxe sur les intrants fictifs de presque quatre millions de dollars. Enfin, je signale que la conversation n’était corroborée par aucun autre élément de preuve.

 

[48]         De même, je ne puis accepter le témoignage de M. Rexe voulant qu’il ait à un quelconque moment obtenu un avis juridique de Me Whetung concernant l’obligation d’Engleburn de payer la TPS sur les acquisitions faites auprès d’Autochtones exploitant leur entreprise sur une réserve.

 

[49]         Monsieur Rexe a mentionné pendant son interrogatoire principal que Me Whetung lui avait dit qu’elle ne connaissait rien à la TPS, mais il a ajouté qu’elle aurait tenu les propos suivants : [TRADUCTION] « en cas de conflit entre la législation en matière de TPS et la Loi sur les Indiens, cette dernière l’emporterait ». Je présume qu’il a compris que cela signifiait que la TPS ne serait pas payable sur les opérations projetées. Il a également affirmé que Me Whetung lui avait dit que, si les vendeurs déclaraient que la TPS était incluse dans le prix de vente, cette mention devait figurer sur la facture. Cette assertion a aussi été niée par Me Whetung.

 

[50]         J’accorde davantage de poids au témoignage de Me Whetung selon lequel elle n’a donné aucun avis juridique relatif à la TPS à M. Rexe, pas même dans la mesure restreinte avancée par ce dernier. Son témoignage était clair et cohérent, et elle est demeurée imperturbable pendant le contre‑interrogatoire. Me Whetung a dit à M. Rexe qu’elle n’avait pas les connaissances spécialisées nécessaires pour donner un avis quant à la TPS payable sur les acquisitions de véhicules auprès d’Autochtones sur une réserve, et je conclus qu’il est invraisemblable qu’un avocat donnerait à un client une opinion au pied levé dans ces circonstances. Même si elle avait exprimé une opinion, il est difficile d’imaginer que quiconque s’y serait fié, compte tenu de son manque de connaissance explicite en la matière.

 

[51]         En outre, les souvenirs de M. Rexe concernant l’avis censément donné étaient vagues et déroutants et même, dans une certaine mesure, contradictoires. Si Me Whetung lui a donné un avis selon lequel Engleburn n’était pas tenue de payer la TPS, il est difficile de comprendre pourquoi elle aurait également dit à M. Rexe que les factures devaient préciser que la taxe était incluse dans le prix payé.

 

[52]         Monsieur Rexe a reconnu qu’il ne disposait d’aucune opinion écrite ou lettre de compte rendu de la part de Me Whetung, qu’il n’avait pris aucune note concernant cette discussion et qu’il n’avait aucun compte d’honoraires juridiques relatif à une quelconque consultation avec elle au sujet d’Engleburn.

 

[53]         Monsieur Rexe a également affirmé que le directeur commercial de Condie, Doug McMillian, lui avait dit que cette société avait acheté des automobiles de vendeurs autochtones sur une réserve, puis demandé des crédits de taxe sur les intrants fictifs, lesquels avaient été accordés après une vérification, et que Condie avait obtenu trois avis juridiques voulant qu’elle ait eut droit à de tels crédits. Ce témoignage, qui a été présenté uniquement à titre de preuve de ce que M. McMillian a dit à M. Rexe, n’a pas été corroboré. M. Rexe n’a pas demandé un double des opinions et, apparemment, il n’a pas pris de notes concernant cette conversation. Le défaut des appelants d’appeler M. McMillian à témoigner m’incite à tirer une inférence défavorable quant au témoignage qu’il aurait rendu au sujet de ces présumées discussions avec M. Rexe.

 

[54]         De même, le témoignage rendu par M. Rexe pendant le contre‑interrogatoire et selon lequel il aurait abordé avec l’expert‑comptable d’Engleburn chez Grant and Company la question des crédits de taxe sur les intrants fictifs n’a pas non plus été corroboré. Il est en outre incompatible avec la preuve voulant que les services du cabinet Grant and Company aient été retenus uniquement pour la tenue des comptes d’Engleburn, et non pour exercer une fonction de vérification. De surcroît, M. Rexe n’a pas précisé de quoi il avait été question ni même s’il avait obtenu une opinion de l’expert‑comptable. En plus, je tire une autre inférence défavorable supplémentaire du fait que les appelantes ont omis d’appeler l’expert‑comptable à témoigner.

 

[55]         Dans l’ensemble, j’estime que le témoignage de M. Rexe n’était pas convaincant. Si, comme il l’affirme, il avait réellement obtenu tous les conseils juridiques qu’il aurait demandés à son avocate et à son expert‑comptable de même que tous les renseignements qui lui auraient été fournis par un fonctionnaire de Revenu Canada et par M. McMillian chez Condie, pourquoi aurait‑il alors insisté pour que les factures précisent que le prix de vente comprenait toutes les taxes?

 

[56]         Pendant son témoignage, M. Rexe a également formulé d’autres assertions qui étaient difficiles à accepter ou contradictoires. À titre d’exemple, il a déclaré qu’il ignorait qu’Engleburn réalisait des ventes pouvant atteindre 500 000 $ chaque jour, même si les fonds nécessaires à ces opérations passaient par son compte bancaire et s’il recevait les relevés bancaires y afférents. Il a en outre affirmé qu’il avait signé les déclarations de TPS dans lesquelles Engleburn déclarait un revenu totalisant entre 10 000 000 $ et 14 000 000 $ chaque trimestre de 1995. Pour toute explication, il a avancé qu’il était occupé et qu’il avait signé les déclarations de TPS à la hâte. Il n’avait aucune idée d’où provenait l’argent utilisé pour les acquisitions, bien qu’il ait été responsable des questions administratives touchant Engleburn. À un certain moment, il a déclaré qu’il n’avait pas donné instruction à l’expert‑comptable de demander les crédits de taxe sur les intrants fictifs, mais il a par la suite affirmé qu’il avait discuté des crédits avec ce dernier. À une autre occasion, il a dit qu’il ne connaissait rien aux crédits de taxe sur les intrants au moment d’élaborer le plan d’entreprise relatif à Engleburn en mai 1993. Pourtant, il avait signalé dans un témoignage antérieur qu’il était prévu que, grâce à ces crédits, Engleburn aurait une longueur d’avance dans le commerce qu’elle avait l’intention d’entreprendre. Le mois de mai 1993 est également celui où il a rencontré Me Whetung afin d’obtenir des conseils sur la TPS. Plus tard, il a affirmé qu’il avait omis de faire état des crédits de taxe sur les intrants fictifs dans le plan d’entreprise qu’il avait élaboré ce mois‑là parce qu’il l’avait rédigé à la hâte.

 

[57]         À mon avis, il ressort de la preuve que, depuis le début des opérations d’Engleburn, M. Rexe savait que son projet d’acheter des véhicules de vendeurs autochtones et de demander des crédits de taxe sur les intrants fictifs était tributaire du non‑assujettissement à la TPS des ventes réalisées par des Autochtones sur une réserve. Il savait également qu’il s’agissait là d’un point éventuellement litigieux. C’est ce qui a incité M. Rexe à s’adresser à Me Whetung pour tenter de confirmer que la TPS ne serait pas exigible. Cependant, lorsque Me Whetung l’a informé qu’elle n’avait pas les connaissances nécessaires pour donner une opinion sur la question, il n’a pas pris d’autres mesures pour obtenir un avis juridique. Compte tenu du peu de détails fournis par M. Rexe, la conversation entre ce dernier et le fonctionnaire de Revenu Canada, même si elle a eu lieu, ne me ferait pas l’effet d’une tentative authentique de savoir quelle était la politique de Revenu en la matière. De plus, la preuve n’a pas montré qu’un quelconque avis juridique sur la question a été demandé après que le vérificateur eut informé Engleburn que les crédits de taxe sur les intrants fictifs seraient refusés. Engleburn a continué de déduire des crédits, d’un montant plus élevé de surcroît, jusqu’à la fin de 1995.

 

[58]         Comme l’appelante a omis d’obtenir un avis juridique suffisant, j’estime qu’il lui était indifférent de savoir si elle était tenue par la loi de payer la TPS sur les acquisitions faites auprès de JEM et de CTM. Il était donc indifférent à Engleburn de savoir si elle respectait le paragraphe 176(1) de la Loi. Par conséquent, j’arrive à la conclusion qu’Engleburn a commis une faute lourde en déduisant les crédits de taxes sur les intrants.

 

Le troisième point : la cotisation au titre de la responsabilité des administrateurs

 

[59]         La cotisation visant M. Rexe a été établie en application de l’article 323 de la Loi, lequel était ainsi rédigé :

 

(1) Responsabilité des administrateurs – Les administrateurs de la personne morale au moment où elle était tenue de verser une taxe nette comme l’exige le paragraphe 228(2), sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer cette taxe ainsi que les intérêts et pénalités y afférents.

 

(2) Restrictions – L’administrateur n’encourt de responsabilité selon le paragraphe (1) que si :

 

a) un certificat précisant la somme pour laquelle la personne morale est responsable a été enregistré à la Cour fédérale en application de l’article 316 et il y a eu défaut d’exécution totale ou partielle à l’égard de cette somme;

 

b) la personne morale a entrepris des procédures de liquidation ou de dissolution, ou elle a fait l’objet d’une dissolution, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant le premier en date du début des procédures et de la dissolution;

 

c) la personne morale a fait une cession, ou une ordonnance de séquestre a été rendue contre elle en application de la Loi sur la faillite, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant la cession ou l’ordonnance.

 

(3) Diligence – L’administrateur n’encourt pas de responsabilité s’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

 

(4) Cotisation – Le ministre peut établir une cotisation pour un montant payable par une personne aux termes du présent article. Les articles 296 à 311 s’appliquent, compte tenu des adaptations de circonstance, dès que le ministre envoie l’avis de cotisation applicable.

 

(5) Prescription – L’établissement d’une telle cotisation pour un montant payable par un administrateur se prescrit par deux ans après qu’il a cessé pour la dernière fois d’être administrateur.

 

(6) Montant recouvrable – Dans le cas du défaut d’exécution visé à l’alinéa (2)a), la somme à recouvrer d’un administrateur est celle qui demeure impayée après l’exécution.

 

(7) Privilège – L’administrateur qui verse une somme, au titre de la responsabilité d’une personne morale, qui est établie lors de procédures de liquidation, de dissolution ou de faillite a droit au privilège auquel Sa Majesté du chef du Canada aurait eu droit si cette somme n’avait pas été versée. En cas d’enregistrement d’un certificat relatif à cette somme, le ministre est autorisé à céder le certificat à l’administrateur jusqu’à concurrence de son versement.

 

(8) Répétition – L’administrateur qui a satisfait à la réclamation peut répéter les parts des administrateurs tenus responsables de la réclamation.

 

[60]         Monsieur Rexe invoque le moyen de défense prévu au paragraphe 323(3). Il prétend qu’il n’est personnellement responsable d’aucune somme non remise et non payée parce qu’il a agi avec un soin, une diligence et une compétence raisonnables pour veiller à ce qu’Engleburn s’acquitte de chacune de ses obligations visant la TPS. En particulier, il affirme avoir pris des mesures suffisantes pour faire en sorte que les demandes de crédits de taxe sur les intrants fictifs soient légitimes, et qu’il a donc veillé à ce qu’Engleburn remette la somme exacte de TPS.

 

[61]         La Cour d’appel fédérale a conclu que le critère relatif à la « diligence raisonnable » applicable aux termes du paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu est une norme « objective subjective » (voir la décision Soper c. R., [1997] A.C.F. no 881.). On peut dire la même chose du critère relatif à la diligence raisonnable qui est prévu au paragraphe 323(3) de la Loi. Pour décider si un administrateur a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances pour prévenir le manquement de remettre la TPS, la Cour doit tenir compte des traits caractéristiques des administrateurs dont la conduite est en cause, y compris leurs niveaux de compétence, d’expérience et de connaissances pertinentes. Le tribunal doit ensuite se demander si, dans des circonstances analogues, une personne raisonnablement prudente possédant des niveaux analogues de compétence, d’expérience et de connaissances aurait agi de la même façon que ces administrateurs (voir la décision Worrell v. R., [2000] G.S.T.C. 91, au paragraphe 26).

 

[62]         Monsieur Rexe est un homme instruit, intelligent et expérimenté dans les affaires, et il participait activement à l’administration et à la gestion des opérations de la société. À titre d’unique administrateur d’Engleburn, il lui incombait de prendre les mesures appropriées pour veiller à ce que les demandes de déduction de la société satisfassent aux exigences prévues par la Loi sur la taxe d’accise.

 

[63]         Pour les raisons susmentionnées, je ne suis pas convaincu que M. Rexe a fait ce qu’il affirme avoir fait pour s’assurer qu’Engleburn avait droit à des crédits de taxe sur les intrants fictifs. Il n’est pas nécessaire d’exposer ces conclusions à nouveau. Il suffit de dire qu’il a reconnu la nécessité de demander un avis juridique sur la question, mais qu’il a omis d’en obtenir un. Une personne raisonnablement prudente possédant la compétence, l’expérience et les connaissances de M. Rexe aurait demandé et obtenu l’assurance d’une source qualifiée que le projet de déduire des crédits de taxe sur les intrants fictifs était légal. Les montants élevés des déductions et leur importance au regard de l’exploitation du commerce d’Engleburn mettent encore davantage en évidence l’obligation de demander l’opinion d’une personne qualifiée.

 

[64]         Par conséquent, j’arrive à la conclusion que M. Rexe n’a pas agi comme une personne raisonnablement prudente l’aurait fait dans les mêmes circonstances et qu’il ne peut se prévaloir du moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable prévu au paragraphe 323(3).

 

[65]         Les deux appels sont donc rejetés, avec un seul mémoire de frais en faveur de l’intimée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de juin 2008.

 

 

« B. Paris »

Juge Paris

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 22 août 2008.

 

Christian Laroche, juriste-traducteur


RÉFÉRENCE :                                  2008CCI360

 

DOSSIERS DE LA COUR :               2003-4396(GST)G et 2004-2187(GST)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              John Paul Rexe c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Les 5 et 6 mai 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge B. Paris

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 18 juin 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Paul E. Hawa

Avocat de l’intimée :

Me Ronald MacPhee

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                      Me Paul E. Hawa

 

                          Cabinet :                  Me Paul Hawa

                                                          Markham (Ontario)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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