Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Dossier : 2006-3764(EI)

ENTRE :

MOHAMED YAHYAOUI,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 31 mai 2007, à Rimouski (Québec).

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Jean-Pierre Chamberland

Avocate de l'intimé :

Me Stéphanie Côté

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance-emploi est rejeté et la décision rendue par le ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de juillet 2007.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers


 

 

 

Référence : 2007CCI392

Date : 20070717

Dossier : 2006-3764(EI)

ENTRE :

MOHAMED YAHYAOUI,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Angers

 

[1]     Il s’agit d’un appel d’une décision rendue par le ministre du Revenu national (le ministre) le 5 septembre 2006 voulant que l’emploi qu’occupait l’appelant auprès de 9115-2421 Québec inc. (le payeur) n’était pas un emploi assurable pour la période du 1er janvier au 30 avril 2005 au motif que l’appelant et le payeur avaient entre eux un lien de dépendance dans le cadre de cet emploi. Le ministre était convaincu qu’il n’était pas raisonnable de conclure que l’appelant et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[2]     Il est admis que le payeur et l’appelant sont des personnes liées au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le payeur a été constitué en société le 3 avril 2002 et exploite à Matane un commerce d’achat et de vente de véhicules automobiles d’occasion. À l’époque où le ministre a rendu sa décision, le registraire des entreprises indiquait que l’épouse de l’appelant, Samira Selbane, était l’actionnaire majoritaire du payeur. Or, en 2003, Habib Rezaigui et son épouse auraient acheté 75 actions de madame Selbane, soit 20 actions et 55 actions respectivement. L’épouse de l’appelant détient donc 25 actions.

 

[3]     L’appelant reconnaît que le 31 mai 2006, il a déclaré à un représentant du ministre que le commerce du payeur était exploité pendant toute l’année, mais qu’il y avait un ralentissement des activités à partir de décembre. Les heures d’ouverture étaient de 8 h à 20 h du lundi au vendredi, et parfois le samedi. Il est admis que le commerce a eu un revenu brut de 61 900 $ en 2003 et de 53 405 $ en 2004 et qu’il a été déficitaire de 17 103 $ et de 2 557 $ respectivement pour chacune de ces années. Les déclarations trimestrielles de taxe sur les produits et services (TPS) indiquent que les revenus en 2005 étaient de 23 100 $ à la fin de mars, de 15 250 $ à la fin de juin, de 25 550 $ à la fin de septembre et de 15 669 $ à la fin de décembre.

 

[4]     Il est admis également que depuis 2003, le payeur n’a déclaré aucun employé, sauf l’appelant pendant la période en litige. Est admis aussi le fait que le 31 mai 2006, l’appelant a déclaré à un représentant du ministre qu’il recevait un salaire de 600 $ par semaine et qu’il était payé à la quinzaine, par chèque ou en argent. Finalement, il est admis qu’après la mise à pied de l’appelant, le payeur n’a pas embauché d’autres employés.

 

[5]     Habib Rezaigui est infirmier et demeure à Rimouski, à environ 80 kilomètres de Matane. Il est le demi-frère de l’appelant et l’époux de Samira Aouachri. Ensemble, ils détiennent donc 75 % des actions du payeur. Il travaille à Rimouski à temps plein comme infirmier. Il a témoigné qu’au début de décembre 2004, il a communiqué avec monsieur Benoît Proulx pour lui offrir un poste chez le payeur à titre de gérant. Il devait commencer le 1er janvier 2005. Les trois actionnaires lui auraient offert un salaire de 600 $ par semaine pour une semaine de six jours de travail, de 8 h à 21 h. Il devait gérer l’entreprise et déblayer la neige. Le 28 décembre 2004, monsieur Proulx les avisa qu’il ne pouvait pas travailler pour des raisons de santé. Les trois actionnaires ont alors décidé de communiquer avec l’appelant parce qu’il leur fallait quelqu’un pour la neige. L’appelant attendait un contrat de la Commission scolaire Monts et Marées (la Commission scolaire), mais a réussi à le retarder et a accepté de travailler aux mêmes conditions que celles offertes à monsieur Benoît Proulx. Monsieur Rezaigui a témoigné que l’appelant a travaillé de janvier au 12 mai 2005, après quoi il est allé travailler pendant un mois ou un mois et demi pour la Commission scolaire et est revenu chez le payeur le 9 juillet 2005. Il recevait alors une commission de 200 $ par voiture vendue.

 

[6]     Selon monsieur Rezaigui, son épouse et celle de l’appelant s’occupaient du commerce depuis le début. Elles ont cependant accouché à l’automne 2004, une en octobre et l’autre en novembre. Ils devaient embaucher quelqu’un.

 

[7]     Benoît Proulx est venu confirmer qu’il a reçu une offre d’emploi d’Habib Rezaigui à l’automne de 2004. Monsieur Proulx est âgé de 71 ans et possède plus de 27 années d’expérience dans la vente d’automobiles, notamment avec les propriétaires antérieurs du commerce du payeur. On lui a offert 600 $ par semaine pour gérer l’entreprise 6 jours par semaine. Avec cette somme, il devait payer ses frais de déplacement (environ 100 $ à 145 $ par semaine, car il demeure à l’extérieur de Matane) et devait aussi, s’il y avait lieu, louer une chambre à Matane en cas de mauvais temps durant l’hiver. Son médecin lui a alors déconseillé un retour au travail en raison de son état de santé.

 

[8]     L’appelant enseigne le marketing et le démarrage d’entreprises et travaille pour la Commission scolaire depuis 1994. Il travaille aussi comme cuisinier dans un restaurant. Il est originaire de la Tunisie et a travaillé dans la vente de motos chez un concessionnaire là-bas. En 2003, son épouse a acheté des actions du payeur et s’occupait donc du commerce avec sa belle-sœur. Puisque les deux étaient enceintes et ont accouché en octobre et novembre 2004, il ne restait que son beau-frère qui, lui, pouvait consacrer deux jours par semaine aux besoins du payeur. Ils ont donc fait une offre à Benoît Proulx aux conditions qu’on connaît.

 

[9]     L’appelant témoigne que monsieur Proulx n’étant plus disponible, les trois actionnaires lui ont demandé de leur venir en aide. L’appelant a réussi à retarder le projet sur lequel il travaillait avec l’approbation de la Commission scolaire. On lui a donc offert les mêmes conditions de travail que celles de monsieur Proulx. Ses tâches consistaient à gérer l’entreprise, à faire l’achat et la vente des autos, à les nettoyer et à faire de la petite mécanique. Il dit avoir travaillé entre 60 et 70 heures par semaine, de 8 h 30 jusqu’à 21 h du lundi au samedi. Il est retourné à la Commission scolaire en mai et juin. Il n’a pas été remplacé. À son retour, on lui a offert de lui donner une commission pour chaque vente d’auto. Il n’a pas aimé cela et est retourné travailler pour la Commission scolaire à l’automne de 2005.

 

[10]    L’appelant a déposé en preuve une série de reçus correspondant au salaire qu’il a reçu lorsqu’il était payé comptant durant une partie de sa période d’emploi, c’est-à-dire pour chaque semaine du 8 janvier au 12 mars 2005. Il a aussi déposé des copies de deux chèques faits à son nom, dont un de 1 123,50 $ en date du 31 mars 2005 et l’autre de 2 227 $ en date du 8 avril 2005. Ce dernier indique « salaire encaissé cash ». Nous trouvons aussi les talons de paye qui auraient été préparés par monsieur Harold Simard, le comptable du payeur. Chaque semaine de paye est indiquée, avec le nombre d’heures de travail pendant chaque jour. Selon ces documents, l’appelant a travaillé 6 heures les lundis et mardis de chaque semaine et 7 heures les quatre autres jours de la semaine, soit un total de 40 heures par semaine durant les quatre premiers mois de 2005.

 

[11]    Le livre de paye a également été déposé en preuve. Il indique les mêmes journées, les mêmes heures et, les mêmes retenues à la source, soit celles du régime des rentes et de l’assurance-emploi. Aucune retenue n’a été effectuée pour l’impôt. L’appelant n’a pas travaillé en mai et en juin et aurait travaillé 20 heures par semaine en juillet durant deux semaines. Toute cette preuve documentaire a été présentée pour la première fois le matin de l’audience. Pourtant, dans une lettre en date du 6 juillet 2006 adressée au représentant juridique de l’appelant, l’agente des appels avait demandé qu’on lui fasse parvenir les recettes mensuelles du payeur pour 2004 et 2005, le registre des procès-verbaux du payeur, les talons de paye de l’appelant pour 2005, le livre de paye du payeur pour 2004 et 2005 de même que les états financiers. Aucun de ces documents n’a été fourni à l’agente des appels et elle a dû faire ses recommandations au ministre sans cette information. À mon avis, un appelant ne peut certainement pas reprocher au ministre de ne pas avoir exercé son pouvoir discrétionnaire correctement au motif qu’il n’avait pas en main la documentation très pertinente que l’appelant seul pouvait lui fournir et qu’il n’a pas remise après qu’on lui en ait fait la demande.

 

[12]    Cela étant dit, l’appelant a expliqué être retourné travailler à la Commission scolaire le 12 mai 2005 pour quatre semaines. Il aurait pris trois semaines de vacances et serait ensuite retourné travailler chez le payeur à commission. Il nie avoir dit, lors d’une conversation téléphonique, qu’il avait été payé chaque semaine jusqu’en juillet 2005. L’appelant reconnaît que ses heures assurables en 2004 totalisaient environ 350 heures, que c’était insuffisant pour avoir droit aux prestations d’assurance-emploi et que le revenu du payeur lui a permis d’y avoir droit.

 

[13]    Madame Jacynthe Bélanger est l’agente des appels dans ce dossier. Elle a déposé son rapport et a résumé sa participation. Elle a eu une entrevue par téléphone avec l’appelant et son représentant juridique. Elle a tenté de communiquer avec l’épouse de l’appelant et celle de monsieur Rezaigui, mais c’est monsieur Rezaigui qui a répondu à ses questions car il avait le temps de le faire. L’entrevue n’a duré que 14 minutes. Monsieur Rezaigui est devenu impatient et a terminé l’entrevue. Il a relaté à l’agente que l’appelant ne faisait pas d’achat de véhicules, qu’il était le gérant, qu’il travaillait du lundi au vendredi de 8 h à 20 h avec un salaire fixe et qu’il pouvait recevoir un montant de 50 $ par auto vendue.

 

[14]    Madame Bélanger s’est fiée au résultat d’une vérification faite par l’Agence du revenu du Canada afin d’analyser les revenus et la situation financière du payeur et d’essayer de déterminer si l’appelant avait effectivement fait du travail en mai et en juin 2005. Elle croyait que l’appelant avait dit qu’il avait travaillé durant cette période et qu’il n’avait pas été payé. Madame Bélanger a fait l’analyse des modalités de l’emploi, de la nature et de l’importance du travail, de la durée et de la rétribution et a recommandé que l’emploi soit exclu des emplois assurables. Je reproduis ci-après un extrait des conclusions retenues.

 

Modalités d’emploi, nature et importance du travail

 

Avant l’embauche du travailleur, le payeur n’avait jamais engagé d’autres employés pour travailler au commerce car Samira Aouachri, Samira Sebbane et Habib Rezaigui se répartissaient les tâches. Le travailleur a été engagé après que Samira Aouachri et Samira Sebbane eurent toutes les deux accouché à l’automne 2004.

 

Mohamed Yahyaoui a occupé le poste de gérant à compter du 1er janvier 2005, du lundi au vendredi, de 8h à 20h. Il a été engagé pour s’occuper de la vente, de la préparation mécanique, de la recherche et de l’inspection des véhicules. Il a mentionné que, avant de conclure une transaction importante, il contactait les actionnaires pour obtenir leur autorisation. Selon lui, la patronne de l’entreprise était Samira Aouachri.

 

Après le départ du travailleur, en juillet 2005, ce dernier n’a pas été remplacé. Ce sont Samira Aouachri, Samira Sebbane et Habib Rezaigui qui ont recommencé à se relayer pour combler les besoins de ce poste. Lorsqu’il avait parlé à l’agent d’assurabilité, le travailleur avait mentionné que son épouse était la seule à rendre des services à l’entreprise. D’autre part, Samira Aouachri avait dit que c’était son mari, Habib Rezaigui, qui s’occupait de tout.

 

Nous sommes d’avis que cet emploi n’était pas essentiel au payeur car, à l’exception de la période d’emploi du travailleur, le payeur n’a jamais engagé personne.

 

Rétribution

 

Le travailleur a mentionné avoir travaillé de façon continue entre janvier et juillet 2005, avoir reçu un salaire de 600 $/semaine, avoir été payé à la quinzaine, par chèque ou en argent, et avoir reçu des talons de paye pour toutes ses semaines de travail. Par contre, lorsqu’il avait parlé au vérificateur, il avait mentionné avoir été payé à commissions à partir de mai 2005. Pour sa part, Habib Rezaigui a aussi mentionné que le travailleur pouvait recevoir un montant supplémentaire de 50 $ par voiture vendue. Malheureusement, aucun document attestant le versement d’une quelconque rémunération au travailleur n’a été fourni par les parties.

 

En décembre 2004, une offre d’emploi avait été faite à Benoît Proulx pour occuper le poste de gérant au commerce du payeur et il devait être engagé aux mêmes conditions que le travailleur. Contrairement au travailleur qui n’avait aucune expérience dans ce domaine, Benoît Proulx comptait 27 années d’expérience dans la vente d’automobiles et il avait déjà une bonne clientèle établie.

 

En 2003 et en 2004, le payeur a terminé ses années financières avec des pertes de 17 103 $ et de 2 257 $. Au cours de la période d’emploi du travailleur, les recettes du payeur étaient de 23 100 $ au cours du premier trimestre et de 15 250 $ au cours du second. Lors de notre entretien avec Habib Rezaigui, ce dernier nous avait confirmé que le payeur ne vendait pas beaucoup car Matane était une ville tranquille.

 

Nous sommes d’avis qu’une personne étrangère, sans expérience dans le domaine de la vente d’automobiles, n’aurait pas obtenu une rémunération semblable à celle versée au travailleur. Comme le payeur ne nous a pas fourni de documents concernant l’année 2005, nous n’avions aucune preuve documentaire démontrant qu’il avait la capacité financière de verser ce salaire.

 

Durée

 

Selon les dires du travailleur, ce dernier aurait reçu un salaire de 600 $/semaine pour une période s’échelonnant du 1er janvier au 22 juillet 2005 soit un total de 15 600 $. Cependant, le T4 émis par le payeur, pour l’année 2005, était de 11 232 $. Il est à noter que les mois durant lesquels le payeur a effectué des remises pour des cotisations à l’assurance-emploi étaient ceux de janvier, février, mars, avril et juillet 2005.

 

En vérifiant les remises trimestrielles du payeur, nous avons constaté que le travailleur n’avait pas été engagé durant les périodes au cours desquelles les revenus du payeur étaient les plus importants. Au cours du troisième trimestre, lorsque les revenus ont augmenté, personne n’a été engagé pour remplacer le travailleur.

 

Nous sommes d’avis que la période d’emploi du travailleur ne répondait pas aux réels besoins de l’entreprise.

 

[15]    Les commentaires du vérificateur de l’Agence du revenu ont été déposés en preuve par consentement. Cette vérification a eu lieu en juin 2005. Il a rencontré l’appelant et le comptable. Il a constaté que la seule actionnaire à l’époque de sa vérification était l’épouse de l’appelant. Aucun chèque de paye pouvant constituer un salaire versé entre juillet 2004 et février 2005 n’a été trouvé. Il n’a pas retrouvé de chèque émis à l’appelant en tant qu’employé. Il a constaté aussi qu’aucune retenue d’impôt n’était indiquée au livre de paye pour le salaire de 600 $ brut par semaine de janvier à avril 2005 et a avisé le comptable de retenir l’impôt à l’avenir.

 

[16]    Monsieur Eric Richard est enquêteur de l’assurance-emploi. Il a déposé en preuve trois relevés d’emploi pour l’appelant pour les périodes allant du 13 septembre 2004 au 20 mai 2006. Deux relevés sont de la Commission scolaire et l’autre provient du payeur. Il a constaté, selon les relevés, que l’appelant a travaillé pour la Commission scolaire pendant deux semaines en mai 2005. Il a aussi constaté que l’appelant n’a pas reçu de salaire de la Commission scolaire du 22 mai au 8 octobre 2005. De plus, il a constaté que l’appelant a reçu une rémunération de la Commission scolaire pour les semaines du 20 au 26 février 2005 et du 13 au 19 mars 2005 alors qu’il travaillait pour le payeur.

 

[17]    L’appelant, en contre-preuve, a expliqué cette dernière constatation en disant qu’il n’avait pas travaillé. Il s’agit d’un bloc de formation et il avait préparé le programme, mais il n’a pas travaillé. Il a expliqué avoir été payé à partir du moment de l’approbation du programme et ce, pour des raisons budgétaires. Il a aussi fait référence au remboursement de frais de déplacement que l’on trouve à la pièce A-11. Les montants ne sont toutefois pas les mêmes et un tel remboursement ne se trouverait pas sur un relevé d’emploi.

 

[18]    Est-ce que le ministre, en l’espèce, a exercé à bon droit le pouvoir discrétionnaire que la Loi lui confère? Son rôle et celui que doit jouer la Cour ont été définis par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Légaré c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), no A-392-98, 28 mai 1999, [1999] A.C.F. no 878 (Q.L.). Le juge Marceau a résumé l’approche dans les termes suivants au paragraphe 4 :

 

La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n'est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

 

[19]    La Cour d'appel fédérale a d'ailleurs confirmé sa position dans l'arrêt Pérusse c. Canada, no A-722-97, 10 mars 2000, [2000] A.C.F. no 310 (Q.L.). Le juge Marceau, en référant au passage ci-dessus de l'arrêt Légaré, a ajouté ce qui suit au paragraphe 15 :

 

Le rôle du juge d'appel n'est donc pas simplement de se demander si le ministre était fondé de conclure comme il l'a fait face aux données factuelles que les inspecteurs de la commission avaient pu recueillir et à l'interprétation que lui ou ses officiers pouvaient leur donner. Le rôle du juge est de s'enquérir de tous les faits auprès des parties et des témoins appelés pour la première fois à s'expliquer sous serment et de se demander si la conclusion du ministre, sous l'éclairage nouveau, paraît toujours « raisonnable » (le mot du législateur). La Loi prescrit au juge une certaine déférence à l'égard de l'appréciation initiale du ministre et lui prescrit, comme je disais, de ne pas purement et simplement substituer sa propre opinion à celle du ministre lorsqu'il n'y a pas de faits nouveaux et que rien ne permet de penser que les faits connus ont été mal perçus. Mais parler de discrétion du ministre sans plus porte à faux.

 

[20]     Les dispositions de la Loi qui excluent des emplois assurables les emplois où l’employeur et l’employé ont un lien de dépendance et les dispositions visant la situation où il n’y aurait plus ce lien de dépendance sont rédigées comme suit :

 

 

5(2)      Restriction. — N'est pas un emploi assurable :

 

[21]

 

i)          l'emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance.

 

5(3)      Personnes liées. — Pour l'application de l'alinéa (2)i) :

 

a)         […]

 

b)         l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[21]    Le juge Archambault de notre cour, dans l’affaire Louis-Paul Bélanger c. M.R.N., 2005 CCI 36, a fait l’analyse d’un ensemble de décisions tant de la Cour d’appel fédérale que de notre cour sur la question du lien de dépendance et sur l’exercice que doit faire la Cour lors de l’appel d’une décision du ministre en fonction des dispositions légales citées ci-dessus. C’est en fonction de toutes ces directives que je vais donc analyser les faits de cet appel.

 

[22]    La preuve documentaire de l’appelant a certes apporté des précisions sur la durée de son emploi par rapport à ce qu’il avait déclaré à l’agente des appels lors de son entrevue téléphonique. Il lui avait mentionné avoir travaillé de façon continue de janvier à juillet 2005 au salaire de 600 $ par semaine, être payé aux deux semaines et avoir un talon de paye pour ses semaines de travail. La documentation, et particulièrement les reçus de paye (pièce A-9), ont été préparés pour chaque semaine de travail, ce qui semble indiquer une paye à chaque semaine plutôt qu’aux deux semaines, et les reçus sont numérotés de façon successive, laissant supposer qu’aucun autre reçu n’aurait été fait durant la période, du moins pour les reçus déposés, soit jusqu’au 19 mars (pièce A-6). Il y a pourtant eu des ventes de voitures durant cette période. Quant aux talons de paye, il s’agit d’un talon de paye pour chaque semaine de travail jusqu’à la fin avril 2005 et non pour chaque deux semaines; ils indiquent un total de 40 heures par semaine alors que l’appelant dit avoir travaillé entre 60 et 70 heures.

 

[23]    Ces documents et quelques autres qui furent déposés en preuve à l’audience étaient parmi ceux que l’agente des appels avait demandé de recevoir dans sa lettre à l’avocat de l’appelant du 6 juillet 2006 et qu’elle n’a jamais reçus. Cette preuve documentaire, à mon avis, vient contredire les propos de l’appelant et de monsieur Rezaigui quant aux conditions de travail de l’appelant et quant à la durée du travail. En fait, il y a plusieurs contradictions entre les versions des témoins de l’appelant et de l’appelant lui-même et les documents et les versions donnés à l’agente des appels. Monsieur Rezaigui a mentionné au procès que l’appelant a été embauché de janvier au 12 mai 2005 à 600 $ par semaine. Lors de l’enquête, il a mentionné que l’appelant pouvait recevoir un montant supplémentaire de 50 $ par voiture vendue. Or, cette somme supplémentaire de 50 $ par voiture vendue n’a jamais été versée à l’appelant et la période d’emploi s’est terminée le 30 avril 2005. Selon monsieur Rezaigui, l’appelant a travaillé pour la Commission scolaire après son départ pour un mois et demi et est revenu chez le payeur le 9 juillet 2005 avec une rémunération de 200 $ par voiture vendue en guise de commission. Selon l’appelant, il n’a travaillé que deux semaines pour la Commission scolaire et il aurait pris trois semaines de vacances avant de retourner chez le payeur.

 

[24]    Quant à l’appelant, il a déclaré à l’agente des appels avoir travaillé de janvier à juillet pour le payeur; au procès, il ne s’agissait que du début de janvier au 30 avril et pendant deux semaines en juillet, pendant 20 heures chacune. Il dit avoir été payé chaque deux semaines alors que les talons de paye indiquent une paye à chaque semaine. On trouve aussi un chèque de paye de 2 227 $ qui représente deux semaines. Il dit avoir travaillé de 60 à 70 heures par semaine alors que les talons de paye et le livre de paye indiquent des semaines de 40 heures et le nombre d’heures de travail pour chaque jour est indiqué. À l’agente des appels, il dit avoir travaillé du lundi au vendredi de 8 h à 20 h, mais au procès, il dit avoir travaillé du lundi au samedi de 8 h 30 à 21 h. Monsieur Rezaigui a aussi témoigné que les heures de travail étaient de 8 h à 20 h. L’appelant déclare avoir travaillé deux semaines en juillet et avoir alors été à commission. Pourtant, le livre de paye indique qu’il a travaillé pendant 20 heures pour chacune de ces deux semaines et rien ne semble indiquer qu’il fut à commission selon ce qui semble avoir été la nouvelle façon de le rémunérer à son retour au travail en juillet.

 

[25]    L’agente des appels a également constaté des contradictions au sujet de la question de savoir qui était vraiment la patronne de cette entreprise. L’appelant aurait déclaré à l’agente des appels que Samira Aouachri était la patronne. À l’agente d’assurabilité, il a mentionné que seule son épouse rendait des services à l’entreprise et, d’autre part, madame Aouachri aurait dit que c’était son mari, monsieur Rezaigui, qui s’occupait de tout. Il faut comprendre que les Rezaigui demeurent à Rimouski et que l’entreprise du payeur est à Matane, soit à quelque 80 kilomètres de distance.

 

[26]    L’appelant a aussi témoigné qu’on lui a demandé venir en aide et qu’il a quitté parce qu’il n’a pas aimé, à son retour, d’être payé à commission. J’ai beaucoup de difficulté à croire qu’une épouse doive contacter son époux pour avoir de l’aide dans son entreprise et qu’il quitte parce qu’il n’aime plus être payé à commission. Il faut se rappeler que l’appelant enseigne le marketing et le démarrage d’entreprises. Il est donc difficile de croire qu’il n’a pas contribué de quelque façon à l’entreprise de son épouse sans qu’on le lui demande.

 

[27]    Les conditions de travail et la rémunération de l’appelant sont semblables à celles de monsieur Benoît Proulx. Il faut cependant faire une distinction entre les compétences et l’expérience de monsieur Proulx, qui apportait sûrement une clientèle établie, et celles de l’appelant. Monsieur Proulx devait aussi déduire les frais de déplacement et d’hébergement, ce qui réduisait beaucoup son revenu. L’appelant ne possédait pas cette expérience et cette clientèle et n’avait pas autant de dépenses. Il est donc raisonnable de conclure que ses conditions de travail ne sont pas tout à fait identiques et qu’une personne non liée sans expérience et sans clientèle n’aurait pas obtenu une rémunération semblable.

 

[28]    Il y a donc, dans l’ensemble de la preuve, beaucoup trop de contradictions, d’incertitudes et de questions sans réponse, telles que, à titre d’exemple, le fonctionnement de cette entreprise lorsque l’appelant n’y travaillait pas, pour me permettre de conclure que la décision du ministre n’est pas raisonnable dans les circonstances et compte tenu de tous les éléments à considérer. L’appelant ne m’a donc pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que la décision du ministre n’était pas raisonnable. L’appel est donc rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de juillet 2007.

 

« François Angers »

Juge Angers


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI392

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2006-3764

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Mohamed Yahyaoui et M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Rimouski (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 31 mai 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 17 juillet 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me Jean-Pierre Chamberland

Avocate de l'intimé :

Me Stéphanie Côté

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                            Me Jean-Pierre Chamberland

 

                 Cabinet :                           Chamberland & Houde, Avocats

                                                          Matane (Québec)

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.