ENTRE :
et
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
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Appel entendu le 2 mai 2008, à Toronto (Ontario).
Devant : L’honorable juge Patrick Boyle
Comparutions :
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JUGEMENT
L’appel interjeté à l’égard de la cotisation établie sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu relativement à l’année d’imposition 2006 est admis en partie. La cotisation visant l’appelant est modifiée conformément aux motifs du jugement. L’appelant a droit à des dépens fixés à 800 $, comprenant les droits de dépôt.
Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de juillet 2008.
Traduction certifiée conforme
ce 22e jour de septembre 2008.
Christian Laroche, juriste-traducteur
ENTRE :
MICHAEL J. REID,
appelant,
et
SA MAJESTÉ LA REINE,
intimée.
MOTIFS DU JUGEMENT
[1] Monsieur Reid a eu soixante ans en mai 2006 et il a peu après commencé à recevoir des prestations dans le cadre du Régime de pensions du Canada (le « RPC »). Le présent appel intéresse le traitement fiscal des cotisations de retraite par rapport au revenu d’un travail indépendant gagné pendant l’année où le cotisant atteint l’âge ouvrant droit à pension.
[2] Le soixantième anniversaire de naissance de M. Reid tombait le 17 mai 2006. En 2006, il n’a gagné aucun revenu devant faire l’objet de cotisations au titre du RPC avant son anniversaire. Il a toutefois gagné un revenu d’un travail indépendant pendant la deuxième moitié de l’année, soit après avoir eu soixante ans et après avoir commencé à recevoir ses chèques de prestations du RPC. M. Reid a présenté une demande de prestations du RPC avant son anniversaire et il a reçu son premier chèque de pension en juin. Malgré l’absence d’un élément de preuve direct établissant la date à laquelle on a fait droit à sa demande de prestations du RPC, je conclus qu’il est plus probable que le contraire que sa demande a été approuvée avant juin, puisqu’il a reçu son premier chèque ce mois‑là.
I. Les dispositions législatives applicables
[3] La section B de la partie I du RPC porte sur le calcul des cotisations. Les parties pertinentes des articles 12 et 13 du RPC, lesquelles visent respectivement les traitement et salaire ainsi que les gains provenant du travail qu’une personne exécute pour son propre compte, sont reproduites ci‑dessous :
[4] La section A de la partie II du RPC touche les cotisations payables. La partie pertinente de l’article 44 est ainsi rédigée :
Prestations payables
44(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie :
a) une pension de retraite doit être payée à un cotisant qui a atteint l’âge de soixante ans;
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Benefits payable
44(1) Subject to this Part,
(a) a retirement pension shall be paid to a contributor who has reached sixty years of age;
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II. Analyse
[5] En règle générale, dans le cadre du RPC, lorsqu’une personne commence à recevoir des prestations, elle n’a plus à verser de cotisations à ce régime sur les gains qu’elle tire d’un emploi (article 12) ou d’un travail qu’elle exécute pour son propre compte (article 13).
[6] Toutefois, dans le cas d’un revenu tiré du travail qu’une personne exécute pour son propre compte, la règle générale énoncée au paragraphe 13(2) est expressément assujettie aux dispositions du paragraphe 13(1). Ce paragraphe prévoit une méthode de calcul précise pour répartir le revenu dans l’année où une personne commence à recevoir des prestations du RPC, entre (i) la période antérieure à son anniversaire de naissance, laquelle doit faire l’objet de cotisations au RPC, et (ii) la période postérieure à son anniversaire de naissance, laquelle n’est pas assujettie à cette obligation. Cette règle ne tient pas compte du moment de l’année où les sommes ont réellement été gagnées. On présume plutôt que le revenu a été gagné également pendant toute l’année. La règle énonce expressément que le montant des gains provenant du travail qu’une personne exécute pour son propre compte et devant faire l’objet de cotisations au RPC pendant cette année de transition est égal à la proportion du montant, pour l’année, de ses gains provenant d’un tel travail que représente, par rapport à douze, le nombre de mois dans l’année qui précèdent le moment où cette pension de retraite lui devient payable. La façon dont le mois dans lequel la pension devient payable est traité à cette fin et la question de savoir si ce mois est celui de l’anniversaire de naissance ou celui de la réception du premier chèque de pension sont examinées plus loin dans les présents motifs.
[7] Monsieur Reid avance que, comme la totalité de ses gains provenant du travail qu’il a exécuté pour son propre compte en 2006 a été gagnée après son anniversaire et après la réception de son premier chèque du RPC, aucune cotisation au RPC ne devrait être payable au titre de ces gains. L’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») s’est apparemment fondée sur la méthode transitoire de calcul et de répartition prévue au paragraphe 13(1) pour établir à son égard une cotisation d’environ 600 $ au titre du RPC relativement à ce revenu. M. Reid soutient que sa thèse est étayée par la correspondance et les publications de l’ARC, laquelle perçoit les cotisations au RPC, et par Développement des ressources humaines Canada (« DRHC »), lequel applique le RPC.
[8] À l’appui de sa thèse, M. Reid fait valoir que son avis de cotisation relatif à 2006 porte la mention suivante : [TRADUCTION] « Vous n’êtes pas tenu de verser des cotisations au RPC pour les périodes où vous avez reçu des prestations au titre d’un régime de retraite du Canada ou du Québec ou des prestations d’invalidité ».
[9] Monsieur Reid s’appuie également sur deux lettres que lui a adressées DRHC et qui font notamment état de ce qui suit :
[TRADUCTION]
Impossibilité de cotiser
Il vous est impossible de continuer à cotiser au RPC à partir du mois où commence votre pension de retraite. Si vous commencez à travailler ou si vous devenez travailleur indépendant pendant que vous recevez votre pension, vous pouvez utiliser la présente lettre pour faire savoir à votre employeur ou à l’ARC que vous n’êtes plus tenu de cotiser au RPC.
[10] Dans le site Web de DRHC, à la rubrique « Foire aux questions », on peut lire :
Suis-je obligé de cotiser au Régime de pensions du Canada?
Vous ne cotisez pas au Régime si vous recevez une pension de retraite ou des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Vous cessez de cotiser à 70 ans, même si vous travaillez toujours et que vous n’avez pas commencé à recevoir votre pension de retraite.
[11] Monsieur Reid allègue qu’outre les lettres de DRHC, plusieurs fonctionnaires de ce ministère, lors de discussions avec lui, ont confirmé l’exactitude de sa thèse.
[12] On comprend fort bien M. Reid d’avancer cette thèse, puisque les lettres qu’il a reçues de DRHC mentionnent explicitement que le revenu gagné après le mois où débute sa pension de retraite n’est pas assujetti aux cotisations au RPC. Le passage en question fait expressément état d’un revenu tiré d’un travail indépendant. De plus, la lettre incite M. Reid à utiliser ce document pour informer l’ARC qu’il n’est pas tenu de cotiser au RPC. C’est exactement ce qu’il a fait.
[13] Malheureusement pour M. Reid – et malgré ma compassion pour la situation dans laquelle il s’est retrouvé par suite du libellé plutôt équivoque de la cotisation établie par l’ARC et des renseignements tout simplement inexacts fournis par DRHC –, la législation relative au Régime de pensions du Canada prévoit clairement que la méthode de calcul et de répartition applicable à l’année de transition à la retraite s’applique peu importe le fait que le revenu du cotisant n’a pas été gagné également pendant toute l’année et que la totalité du revenu tiré d’un travail indépendant pendant cette année‑là a été gagné après que le cotisant eut commencé à recevoir des prestations du RPC. À l’instar du RPC, la législation fiscale et la législation en semblables matières doivent pouvoir recourir à des méthodes aussi « rigoureuses » qui permettent, dans la plupart des cas, d’atteindre équitablement leur objet de manière réaliste et gérable, même s’il peut arriver qu’elles ne soient pas parfaitement équitables dans chaque situation particulière.
[14] Je suis tenu d’appliquer la loi conformément à la façon dont elle a été rédigée par le législateur et, si le texte législatif est clair, sans tenir compte des renseignements que les fonctionnaires du gouvernement ont pu donner au cotisant sur l’interprétation de la loi. Ni les renseignements antérieurs erronés ni les thèses inexactes n’empêchent la Couronne de souhaiter que la Cour applique la loi de façon appropriée, pas plus qu’ils ne permettent à la Cour de déroger à la loi.
[15] J’arrive à la conclusion que le revenu provenant du travail que M. Reid a exécuté pour son propre compte en 2006 doit faire l’objet de cotisations dans le cadre du RPC conformément au paragraphe 13(1). Je dois maintenant me demander si le ministre a régulièrement appliqué cette disposition lorsqu’il a établi une cotisation relative à la somme en cause à l’égard de M. Reid. Cependant, avant d’examiner ce point, je souhaite présenter des excuses à M. Reid pour la malencontreuse situation dans laquelle il s’est retrouvé en ce qui touche le premier point en litige. Manifestement, la seule raison pour laquelle ce point a été soumis à la Cour tient au fait que deux ministères étaient concernés. La première phrase du passage que l’ARC formule en des termes fort mal choisis et qui paraît être employée à chaque fois qu’un Canadien commence à recevoir des prestations du RPC est erronée. En réalité, l’ARC n’a d’ailleurs pas suivi cette règle lorsqu’elle a établi une cotisation à l’égard de M. Reid relativement à la première année où il a commencé à toucher des prestations du RPC. Il ressort sans équivoque du paragraphe qui est tiré des lettres adressées par DRHC à M. Reid et qui est reproduit plus haut, lequel paraît aussi servir de formule habituelle, que DRHC est tout simplement dans l’erreur et qu’il ajoute au problème en disant aux gens d’utiliser ce document pour informer l’ARC qu’ils ne sont pas tenus de payer des cotisations au RPC dans la situation précise dont je suis saisi. Ce n’est pas M. Reid qui est à l’origine du problème. La faute retombe sur l’ARC et DRHC. J’espérais qu’on me dirait que, dans l’intervalle précédant l’audition de la présente affaire, l’ARC en avait profité pour corriger le libellé de son texte, pour signaler à DRHC et convaincre ce dernier que sa position était erronée et que DRHC avait modifié en conséquence les renseignements figurant sur son site Web.
[16] Le deuxième point en litige, à savoir si l’ARC a régulièrement appliqué le paragraphe 13(1), est soulevée parce que les termes employés ne permettent pas eux‑mêmes de déterminer comment il convient de traiter le mois dans lequel la pension devient pour la première fois payable. En l’espèce, l’ARC a inclus le mois de mai dans « le nombre de mois dans l’année, qui […] précèdent […] le moment où [la] pension de retraite […] devient payable ».
[17] La question du manque de clarté des termes employés pour préciser la façon dont il convient de traiter le mois de transition lui‑même est expressément réglée par la Loi d’interprétation. En effet, l’article 28 de ce texte législatif dispose que, si un délai est exprimé en nombre de mois précédant ou suivant un jour déterminé, le nombre de mois se calcule, dans un sens ou dans l’autre, exclusion faite du mois où tombe le jour déterminé. Cette règle n’a pas été mentionnée au moment du débat. De toute évidence, ce passage s’applique lorsque des personnes commencent à recevoir des prestations du RPC. (Le paragraphe 2(2) du RPC comporte des dispositions analogues, mais elles traitent uniquement du cas où une personne atteint un âge donné et ne s’appliquent donc pas en l’espèce.)
[18] La Couronne a signalé que, quoi qu’il en soit, le sous‑alinéa 13(1)b)(ii) renvoie au moment où la pension devient « payable » et elle a fait valoir que la pension de M. Reid était devenue payable en juin, soit le mois suivant son soixantième anniversaire de naissance. Elle avance en outre que, même si le titre de la section pertinente et la note marginale du paragraphe 44(1) font mention de « prestations payables », la disposition prévoit quand la pension doit être « payée ». Je ne puis adhérer à l’argument de la Couronne sur ce point. Contrairement à la Loi de l’impôt sur le revenu, le RPC ne fait pas de distinction claire ou précise entre les termes « payé » et « payable ». Cela est mis en lumière par les observations écrites que la Couronne a présentées à l’appui de cet argument. Examiner la situation au‑delà de l’article 44 exigerait une analyse d’autres dispositions qui ne cadrent pas davantage avec l’article 13 et, de toute façon, conduirait au même résultat.
[19] Les gains cotisables provenant du travail que M. Reid a exécuté pour son propre compte en 2006 correspondent aux quatre douzièmes du revenu tiré de ce travail en 2006, et non aux cinq douzièmes de ce revenu. La cotisation relative à M. Reid sera donc modifiée en conséquence.
[20] Dans les circonstances, même si M. Reid n’a pas entièrement obtenu gain de cause, je lui adjuge des dépens de 800 $ comprenant une somme de 100 $ au titre des droits de dépôt.
[21] L’avocate de la Couronne a suggéré spontanément qu’il puisse s’agir d’un cas susceptible de faire l’objet d’une exemption d’intérêts aux termes des dispositions dites d’équité. J’aurais pensé qu’il était également indiqué en l’espèce d’à tout le moins envisager une remise des cotisations en cause versées au titre du RPC. Manifestement, la législation applicable a donné lieu à un résultat non voulu dans le cas particulier de M. Reid puisque la totalité du revenu provenant du travail qu’il a exercé pour son propre compte a été gagné après qu’il a eu soixante ans et qu’il a commencé à toucher des prestations du RPC. En outre, la thèse avancée par M. Reid, même si elle n’est pas fondée en droit, est étayée à la fois par la correspondance échangée avec l’ARC et celle échangée avec DRHC. Je suis franchement étonné que les ministères concernés aient laissé la présente affaire se rendre devant le tribunal. Je n’ai aucune compétence pour me prononcer sur les aspects relatifs aux dispositions d’équité ou à une remise, et je laisse donc l’examen de ces questions à ceux dont elles relèvent.
Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de juillet 2008.
« Patrick Boyle »
Juge Boyle
Traduction certifiée conforme
ce 22e jour de septembre 2008.
Christian Laroche, juriste-traducteur
DOSSIER DE LA COUR : 2007-4573(IT)I
INTITULÉ DE LA CAUSE : Michael J. Reid c. Sa Majesté
la Reine
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 2 mai 2008
MOTIFS DU JUGEMENT PAR : L’honorable juge Patrick Boyle
DATE DU JUGEMENT : Le 30 juillet 2008
COMPARUTIONS :
Pour l’appelant :
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L’appelant lui-même |
Avocate de l’intimée : |
Me Alexandra Humphrey |
AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :
Cabinet : s.o.
Pour l’intimée : John H. Sims, c.r.
Sous-procureur général du Canada
Ottawa, Canada