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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

98-2787(IT)G

 

ENTRE :

 

LOUIS WONG,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

Appels entendus le 4 octobre 2000 à Toronto (Ontario) par

l'honorable juge C. H. McArthur

 

Comparutions

 

Avocat de l'appelant :                Me Brian R. Carr

Avocate de l'intimé :                  Me Suzanne M. Bruce

 

 

JUGEMENT

 

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1988, 1990 et 1994 sont rejetés, avec dépens.


Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de décembre 2000.

 

 

« C. H. McArthur »

J.C.C.I.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de juin 2001.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20001213

Dossier: 98-2787(IT)G

 

ENTRE :

 

LOUIS WONG,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge McArthur

 

[1]     Les appels dont il s'agit sont interjetés contre des cotisations d'impôt pour les années d'imposition 1988, 1990 et 1994. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé la déduction d'une perte autre qu'en capital de 168 975 $ demandée par l'appelant pour l'année d'imposition 1990. Pour 1988, le ministre a refusé le report rétrospectif d'une perte de 44 903 $, ainsi que le report prospectif d'une perte de 72 535 $ sur l'année 1994. L'appelant avait initialement déclaré une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise (« PDTPE »). Il demande maintenant à déduire pour l'année d'imposition 1990 une perte autre qu'en capital de 113 605 $.

 

[2]     Les questions en litige sont les suivantes.  Premièrement, l'appelant a‑t‑il subi une perte d'entreprise de 113 605 $ en 1990? Bref, est‑ce que j'accepte ses chiffres ou ceux qui ont été présentés par la Couronne? Deuxièmement, si je conclus que l'appelant a subi une perte en 1990, s'agit‑il d'une perte en capital ou d'une perte d'entreprise?

 

[3]     L'appelant avait immigré au Canada vers 1977, en tant qu'étudiant. Au début des années 1980, il avait commencé à acheter des voitures d'occasion et à les revendre à profit. Il décrivait cette activité comme étant un passe‑temps et n'avait pas produit de déclarations de revenus. En 1990, il s'était lancé en affaires avec Brabus Autosport (« Brabus »), une entreprise individuelle qui appartenait à Michael James Ching et qui consistait à acheter et à revendre des véhicules d'occasion. Brabus ou l'appelant trouvaient une voiture à acheter, et l'appelant payait 50 p. 100 du coût. Une fois le véhicule revendu, l'appelant avait droit à 50 p. 100 du produit net. Les deux parties étaient actives dans la vente de ces automobiles.

 

[4]     En novembre 1990, M. Ching avait déclaré faillite, et certains des véhicules achetés par Brabus avaient été saisis. Dans ses actes de procédure, l'appelant dit qu'il a subi une perte de 168 975 $. Les avocats McCarthy Tétrault avaient établi l'avis d'appel, mais, subséquemment, ils se sont retirés du dossier.  Le cabinet d'avocats Fraser Milner Casgrain représentait l'appelant à l'audition de ces appels. L'avocat actuel de l'appelant a ramené à 113 605 $ le montant de la perte que l'appelant demande à déduire.

 

[5]     Le point litigieux concerne le revenu de l'appelant provenant de l'entreprise pour l'année d'imposition 1990. En produisant sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition 1990, soit une divulgation volontaire, l'appelant avait indiqué un revenu brut de 242 420 $ provenant de l'entreprise et en avait déduit la somme de 218 440 $ en tant que coûts de ventes, ce qui donnait un bénéfice brut de 23 980 $. Il avait ensuite déduit du montant de 23 980 $ des frais de 267,50 $, ce qui donnait un revenu net d'entreprise de 23 712,50 $. L'appelant avait indiqué la moitié de ce montant (soit 11 856,25 $) comme étant sa part du revenu d'entreprise.  Puis il avait déduit 10 254 $ en tant que créance irrécouvrable, soit un montant qu'il décrivait comme étant sa part du profit que Brabus ne lui avait pas versé pour cette année‑là. Ainsi, l'appelant avait déclaré un montant de 1 601,75 $ comme étant sa part nette du revenu d'entreprise.

 

[6]     L'appelant soutenait que l'entreprise était dirigée comme une coentreprise. Dans son avis d'appel, il affirmait qu'il avait subi une perte de 168 975 $ à cause de la faillite de M. Ching. Comme son comptable présumait à cette époque que Brabus était une « corporation » (société de capitaux), l'appelant soutenait que sa perte était admissible comme PDTPE, soit un montant de 119 040,38 $ (3/4 de 168 975 $). Il avait déduit 1 601,75 $ de son revenu pour l'année d'imposition 1990 et avait reporté les pertes restantes de 44 903,28 $ et de 72 535,35 $ sur les années d'imposition 1988 et 1994 respectivement.

 

[7]     Le ministre soutient que l'appelant n'a subi aucune perte en 1990. Le ministre affirmait que la part de l'appelant dans le revenu d'entreprise pour cette année‑là était de 94 215 $ moins 71 432 $, soit la moitié du coût, pour la société de personnes, des six voitures qui avaient été saisies ou dont on avait repris possession. Ainsi, le ministre avait conclu que la part nette de l'appelant dans le revenu d'entreprise pour cette année‑là était de 22 783 $. Le ministre avait donc établi à l'égard de l'appelant une cotisation de 21 181 $ au titre d'un revenu provenant de l'entreprise qui n'avait pas été déclaré pour l'année d'imposition 1990.

 

[8]     Subsidiairement, le ministre soutenait que l'entreprise était dirigée comme une société de personnes plutôt que comme une coentreprise. Il arguait donc que, même si l'appelant avait subi une perte quelconque en 1990 relativement à la faillite personnelle de M. Ching, cette perte serait attribuable à l'appropriation, par un associé, des actifs de la société de personnes. Ainsi, soutient le ministre, il s'agirait d'une perte en capital. Se fondant sur ce raisonnement, le ministre affirmait que, de toute façon, aucune perte ne pourrait être déduite du revenu de l'appelant.

 

[9]     Au procès, l'appelant ne soutenait pas qu'il avait subi une PDTPE de 168 975 $; il affirmait plutôt qu'il avait subi une perte d'entreprise de 113 605 $. Comme Brabus n'était pas une « corporation », la perte que l'appelant a subie — s'il en a subi une — ne pourrait être considérée comme une PDTPE. Quoi qu'il en soit, si l'appelant avait subi une perte admissible comme perte d'entreprise, il serait néanmoins en droit de reporter cette perte comme il l'avait fait pour la PDTPE alléguée, conformément à l'alinéa 111(1)a) de la Loi.

 

[10]    Jusqu'en février 1991, c'est‑à‑dire jusqu'à ce qu'il fasse une divulgation volontaire, l'appelant n'avait jamais produit de déclarations de revenus, et il y avait alors presque huit ans qu'il était dans le domaine de l'automobile. Les hypothèses de fait de l'intimée incluaient ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

11f)      […] à l'époque de la faillite de M. Ching, la société de personnes avait treize voitures, dont quatre ont été saisies par le syndic de faillite et deux ont fait l'objet d'une reprise de possession par les vendeurs des voitures;

 

11g)     pour l'année d'imposition 1990 de l'appelant, la part nette de l'appelant dans le revenu provenant de la société de personnes était de 22 783 $, soit 94 215 $ moins les 71 432 $ représentant la moitié du coût, pour la société de personnes, des six voitures qui ont été saisies ou dont on a repris possession;

 

[11]    Le comptable de l'appelant, M. Woo, a témoigné. La source de son analyse financière et des déclarations de revenus qui en ont résulté était un grand livre qu'avait établi l'appelant. M. Woo avait manifestement eu de la difficulté à interpréter les inscriptions comptables de l'appelant. Par exemple, il s'était d'abord fondé sur le fait que Brabus était une « corporation » et il avait indiqué une PDTPE. Il a fait volte‑face à cet égard après que le ministre eut révélé que Brabus n'était pas une « corporation ». Ses chiffres initiaux ont été modifiés de manière à indiquer une perte de 113 605 $ et non de 168 975 $.

 

[12]    Je conviens avec l'avocat de l'appelant que la question cruciale, ce sont les chiffres. Les chiffres de qui sont exacts? L'avocate de l'intimée dit que l'appelant a réalisé un profit de 22 783 $. L'appelant dit qu'il a perdu 113 605 $.

 

Thèse de l'appelant

 

[13]    Les chiffres modifiés de l'appelant sont exacts. L'appelant a subi non pas une PDTPE de 168 975 $, mais plutôt une perte de revenu de 113 605 $ en 1990, et il n'y avait pas de société de personnes; s'il y en avait une, ce n'est pas pertinent, et la perte serait une perte d'entreprise et non une perte en capital.

 

Thèse de l'intimée

 

[14]    L'appelant n'a subi aucune perte en 1990, mais a eu un revenu net de 22 783 $; en outre, l'appelant et Brabus exploitaient une société de personnes. S'il y a eu une perte, il s'agissait d'une perte en capital.

 

[15]    L'appelant et son comptable, M. Woo, ainsi qu'une vérificatrice de Revenu Canada, Lynn M. Watson, ont témoigné.

[16]    La première et principale question tient à la variété des chiffres. L'appelant soutient que la différence de 134 786 $ entre ses chiffres et ceux qui ont été présentés par le ministre est attribuable au fait que certains frais qu'il avait engagés n'ont pas été pris en compte par le ministre. Sa part de 50 p. 100 qu'il avait versée à Brabus à l'égard des six voitures saisies lors de la faillite de Brabus représente le plus gros montant qui ait été refusé par le ministre. L'appelant affirme qu'il a perdu 109 974 $ au titre de ce coût non recouvré d'éléments d'inventaire.

 

[17]    Le ministre soutient que, si Brabus avait des dettes envers l'appelant à l'égard d'éléments d'inventaire ou de bénéfices impayés, ces dettes ont été éteintes en 1990 par un transfert de biens et des paiements inexpliqués. Le ministre a mentionné un dépôt inexpliqué de 78 000 $ dans le compte bancaire de l'appelant ainsi qu'un transfert de biens inexpliqué, de Brabus à l'appelant, d'un montant de plus de 97 000 $ à l'époque de la faillite de M. Ching, en novembre 1990.

 

[18]    La preuve de l'appelant quant à l'exactitude de ses chiffres tenait aux grands livres qu'il avait établis. Les calculs du comptable se fondaient sur l'exactitude des chiffres figurant dans ces grands livres. La question est essentiellement de savoir si je reconnais ou non l'exactitude des pages des grands livres de l'appelant.

 

[19]    La charge initiale de la preuve incombe à la partie appelante, qui doit démolir les hypothèses du ministre. Je conclus que l'appelant a établi une preuve prima facie, mais dire qu'il a démoli les hypothèses du ministre, ce serait excessif par rapport à la preuve qu'il a présentée. La charge de la preuve passe alors au ministre, qui doit réfuter la preuve prima facie et prouver les hypothèses énoncées dans la réponse à l'avis d'appel[1]. Pour les raisons qui suivent, je conclus que le ministre s'est acquitté de cette charge. La crédibilité de l'appelant est mise en doute. L'avocat de l'appelant dit que le ministre a beaucoup de soupçons et que, toutefois, il n'a aucun fondement factuel pour ne pas croire aux chiffres présentés par l'appelant. En ce qui a trait à la crédibilité de l'appelant, l'avocat de ce dernier faisait valoir ce qui suit :


a)       l'appelant a fait une divulgation volontaire;

b)      le comptable de l'appelant, M. Woo, a confirmé le témoignage de l'appelant concernant cette divulgation;

c)       l'appelant a reconnu avoir commis une erreur;

d)      l'appelant s'est présenté au procès et estime manifestement que sa demande est bien fondée.

 

[20]    Concernant la crédibilité de l'appelant, le ministre a présenté les éléments de preuve suivants, que j'accepte. L'appelant a œuvré dans le domaine de l'achat et de la vente d'automobiles pendant sept ou huit ans sans produire de déclarations de revenus. L'explication de l'appelant selon laquelle il estimait que cette activité était un passe‑temps est ridicule et non crédible. En 1988, l'appelant avait acheté une unité condominiale en effectuant un versement initial comptant de 77 300 $. Ces fonds, dont la source n'a pas été révélée par l'appelant, étaient probablement des bénéfices réalisés sur la vente de voitures. L'appelant maintient encore que l'activité consistant à acheter et à revendre des automobiles qu'il a exercée presque tout au long des années 1980 était un passe‑temps non imposable; pourtant, c'était sa seule source de revenus, et il avait accumulé au moins 77 300 $; e) l'appelant n'a pas dit la vérité dans un affidavit déposé dans une poursuite civile contre lui. Il disait qu'il était simplement un employé de Brabus, alors qu'il savait qu'il n'en était pas ainsi. Mlle Loretta Lau l'avait poursuivi relativement à une voiture qu'il lui avait vendue. Dans un affidavit, l'appelant disait que Brabus avait vendu la voiture à Mlle Lau et qu'il était à tort nommé comme partie à l'action, puisqu'il était un employé et non un associé de M. Ching. La dame qui a témoigné pour le ministre a expliqué que l'appelant avait initialement indiqué un revenu imposable de 1 660 $ pour 1990 et qu'elle avait constaté, après avoir examiné les calculs, qu'un revenu imposable de 22 181 $ n'avait pas été déclaré. Le revenu imposable révisé était de 22 782 $. En novembre 1990, un transfert de biens inexpliqué, représentant plus de 97 000 $, avait été fait par Brabus  à l'appelant. Ces biens incluaient des trousses de carrosserie et des pneus. L'appelant dit qu'il a reçu ces biens de Brabus Inc.[2] Il n'y avait aucune preuve documentaire à l'appui de l'assertion de l'appelant. Dans une lettre à Revenu Canada en date du 11 février 1995, M. Woo dit :

 

[TRADUCTION]

 

5.         Trousses de carrosserie et pneus.

 

            En annexe à ma lettre du 28 octobre 1994 figuraient un relevé détaillé des stocks ainsi qu'une facture de Brabus. Ces éléments ont été acceptés par M. Wong en remboursement partiel de la somme que lui devait Brabus.

 

[21]    L'appelant avait initialement indiqué une perte de 160 000 $ dans le document[3] qu'il a soumis au syndic de faillite de M. Ching. Il ramène maintenant ce montant à 113 000 $. i) Dans sa déclaration de revenus pour 1990, l'appelant avait initialement indiqué une PDTPE basée sur l'hypothèse que Brabus était une « corporation » et que le montant de la perte de l'appelant était de 160 000 $. j) L'appelant a changé le montant de sa perte plusieurs fois. k) L'appelant avait acheté une unité condominiale en 1987 ou en 1988 en effectuant un versement initial comptant de 77 300 $. La seule source de laquelle il peut avoir tiré cette somme est l'activité consistant à acheter et à revendre des automobiles qu'il a exercée au cours d'une période allant d'environ 1983 à 1988. l) Dans une demande de prêt hypothécaire signée le 5 mai 1989, l'appelant disait qu'il exerçait un emploi pour Fifth Avenue Auto Leasing Ltd. et qu'il recevait un salaire annuel de 85 000 $ depuis trois ans. Ultérieurement, il a dit qu'il n'avait travaillé pour Fifth Avenue que pendant six mois. Il n'a apparemment indiqué aucun revenu provenant de Fifth Avenue dans ses déclarations volontaires. C'est plus que des soupçons non fondés. Devant cette accumulation d'erreurs et de tromperies, je n'ai aucune difficulté à accepter la preuve de Mme Watson plutôt que celle de l'appelant.

 

[22]    J'ai été impressionné par le témoignage de la vérificatrice d'entreprise du ministre, Lynn M. Watson. Cette dernière avait examiné à fond les pages des grands livres de l'appelant, ainsi que les bandes, les factures et les chèques. Elle avait constaté des dépôts inexpliqués dans les comptes bancaires de l'appelant et avait renoncé à établir une cotisation selon l'avoir net parce qu'elle n'avait pas accès à toutes les banques de l'appelant, les banques ne pouvant fournir l'information dont elle avait besoin. À la section 34 de la pièce R‑1, elle n'avait pu retracer les 33 427 $ apparemment reçus de Brabus par l'appelant. Elle avait eu de la difficulté à suivre les inscriptions comptables de l'appelant et de Brabus et ne pouvait se fier aux chiffres ni à ce qu'ils représentaient. Elle a conclu que l'appelant avait été payé « en nature », quand on lui avait transféré les trousses de voiture et le matériel connexe, pour lesquels il a apparemment reçu 78 000 $.

 

[23]    Je n'accepte pas les chiffres présentés par l'appelant. J'accepte la preuve de la vérificatrice du ministre plutôt que celle de l'appelant. Vu cette conclusion, il n'est pas nécessaire d'examiner la nature de quelque perte que ce soit. Les appels sont rejetés, avec dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de décembre 2000.

 

 

« C. H. McArthur »

J.C.C.I.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de juin 2001.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur



[1]           Hickman Motors Limited c. La Reine, [1997] 2 R.C.S. 336 (97 DTC 5363).

[2]           À ne pas confondre avec Brabus Autosport. Brabus Inc. était une « corporation » qu’utilisaient, je crois, M. Ching et l’appelant pour des activités connexes.

[3]           Avec affidavit à l’appui.

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