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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

2000-2416(IT)I

 

ENTRE :

 

KUMARA S. RACHAMALLA,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

Appels entendus le 1er et le 28 juin 2001 à Toronto (Ontario) par

 

l'honorable juge Diane Campbell

 

Comparutions

 

Avocate de l'appelant :              Me A. Christina Tari

 

Avocate de l'intimée :                Me Sointula Kirkpatrick

 

JUGEMENT

 

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1990, 1991, 1992 et 1993 sont admis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations selon les motifs du jugement ci-joints.

 


          Si elles le souhaitent, les avocates peuvent faire parvenir leurs observations au sujet des dépens par écrit dans les 30 jours de la date du jugement ci‑joint.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour d'octobre 2001.

 

 

« Diane Campbell »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de mars 2003.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20011010

Dossier: 2000-2416(IT)I

 

ENTRE :

 

KUMARA S. RACHAMALLA,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Campbell, C.C.I.

 

[1]     Les appels en l'espèce sont à l'encontre de cotisations établies pour les années d'imposition 1990, 1991, 1992 et 1993.

 

[2]     Il s’agit de déterminer si l’appelant pouvait raisonnablement s’attendre à tirer un profit des activités locatives qu’il exerçait relativement à deux bien-fonds, auquel cas il pourrait déduire les pertes locatives et les frais financiers engagés au cours des années d’imposition 1990 à 1993.

 

[3]     Le ministre s’est fondé sur les hypothèses de fait suivantes, énoncées au paragraphe 13 de la réponse à l’avis d’appel :

 

                   [TRADUCTION]

 

a)                  l’appelant, qui est agent immobilier, a acheté les deux bien-fonds suivants (les « bien-fonds ») :

 

Premier bien-fonds

 

1, York Quay, 77, Harbourfront, appartement 2001 à Toronto (Ontario).

 

Le bien-fonds appartenait à parts égales à l’appelant et à Nandakumar Chari.

 

Le contrat d'achat-vente a été signé le 26 octobre 1986 et la date d’occupation a été fixée au 10 décembre 1990.

 

Le prix d’achat était de 227 900 $ et le versement initial, de 77 600 $.

 

Un vendeur a accordé un prêt hypothécaire de 150 300 $ portant intérêt au taux de 10 ¾ %.

 

Le bien-fonds est loué depuis le mois d’avril 1990.

 

Deuxième bien-fonds

 

120, Promenade Circle, app. 907 à Thornhill (Ontario).

 

Le bien-fonds appartenait exclusivement à l’appelant.

 

Le contrat d'achat-vente a été signé le 18 janvier 1989 et la date d’occupation a été fixée au 10 décembre 1990.

 

Le prix d’achat était de 288 250 $, le versement initial, de 98 250 $, et l’hypothèque, de 190 000 $, portant intérêt au taux de 13 %.

 

Le bien-fonds est loué depuis le mois de janvier 1991;

 

b)                  l’appelant a déduit des pertes locatives relativement aux deux bien-fonds, ainsi qu’il en est fait état à l’annexe « A » jointe aux présentes;

 

c)                  les frais d’intérêt comprenaient les intérêts hypothécaires déduits dans les états d’activités locatives et les frais financiers de placement déduits à la ligne 221 des déclarations T1;

 

d)                  le revenu de location pendant les années visées par l’appel ne couvrait pas les frais d’intérêt, les propriétés étant financées à 100 p. 100 par emprunt. Les montants nécessaires aux versements initiaux effectués lors de l’achat des bien-fonds provenaient de la marge de crédit personnelle de l’appelant;

 

e)                  les prévisions de location et d'entrées de fonds faites par l’appelant relativement aux bien-fonds étaient par trop optimistes, les frais d’intérêt y étant sous‑évalués et aucune déduction pour amortissement n’y étant prévue;

 

f)                    les dépenses locatives en sus des montants admis par le ministre pour les bien-fonds n’ont pas été engagées en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien; elles étaient des frais personnels ou de subsistance de l’appelant;

 

g)                  les activités locatives se rapportant aux bien-fonds n’étaient pas exercées dans l’attente raisonnable de réaliser des profits;

 

h)                  subsidiairement, les dépenses déduites relativement aux bien-fonds en sus des montants admis par le ministre n’étaient pas raisonnables dans les circonstances.

 

[4]     En 1969, l’appelant a obtenu un MBA de l’Université de Toronto. Il a travaillé comme conseiller en placements dans un certain nombre d’entreprises avant d’être engagé comme conseiller en matière de politiques par le gouvernement de l’Ontario. Il est resté au gouvernement jusqu’à sa retraite, en 1994. En 1986, il est devenu agent immobilier et courtier en immeubles agréé. Il vendait de l’immobilier à temps partiel et donnait des cours sur les exigences relatives à l'enregistrement dans le domaine immobilier dans un collège communautaire.

 

[5]     M. Rachamalla a acheté son premier immeuble locatif, appelé bien-fonds « Pony Mill », dans la région de Scarborough, vers 1986, en société de personnes avec M. Chari. Ce bien-fonds a été vendu plusieurs années plus tard avec un profit substantiel. Il a été déclaré comme bien en immobilisation.

 

[6]     À la fin 1986, l’appelant, là encore en société de personnes à parts égales avec M. Chari, a acheté un autre bien-fonds, appelé dans les présents motifs le bien-fonds « York Quay ». Ce bien-fonds, une luxueuse unité condominiale, était situé au centre‑ville de Toronto, dans le quartier Harbourfront. L’appelant et M. Chari ont également acheté une place de stationnement pour cette unité condominiale. L'appelant a témoigné qu’il avait acheté cette unité du fait de son emplacement et de la possibilité d’attirer de bons locataires aisés, disposés à payer un loyer élevé.

 

[7]     Le bien-fonds « York Quay » était en construction au moment de l’achat. En raison d’un retard de quatre ans dans les travaux, l’unité n’a été louée qu’à partir du mois de février 1990. L’unité et la place de stationnement ont coûté 227 900 $. Au mois de septembre 1989, l’appelant et son associé étaient propriétaires du quart de l’unité car ils avaient versé au vendeur de nombreux acomptes totalisant 57 080 $. Ils ont versé une autre somme de 20 520 $ lors de la clôture, au mois de février 1990. L’appelant a témoigné que sa moitié des acomptes provenait de ses propres ressources financières. Il a également déclaré qu’il avait toujours été dans leur intention d’exploiter cette unité comme un bien locatif. Au début, l’unité a été louée, comme prévu, pour un loyer élevé. Le marché de la location à Toronto a cependant connu au début des années 1990 un ralentissement aussi soudain que spectaculaire, qui a entraîné une hausse des taux d’inoccupation.

 

[8]     Dès que l’appelant a acquis le titre de propriété et l’occupation de l’unité, il a tenté de la louer en l’inscrivant au TREB, le Toronto Real Estate Board (Chambre immobilière de Toronto), et en faisant de la publicité par l'entremise de celle-ci, dans le but d’attirer un bon locataire. Pour se prévaloir des services de cet organisme, il fallait verser à celui‑ci l’équivalent d’un mois de loyer. L’unité a été finalement louée, bien que pour quelques mois seulement, en 1990. Elle a toujours été louée à des locataires n’ayant aucun lien de dépendance. Cependant, le revenu de location qui avait été prévu n’a pu être maintenu en raison de l’effondrement du marché immobilier à Toronto au début des années 1990. En raison des quatre années de retard dans les travaux de construction, les frais d’entretien et les impôts fonciers avaient connu une hausse. Les taux d’intérêt hypothécaires avaient aussi augmenté considérablement au cours de la même période.

 

[9]     Lors de la clôture en 1990, l’appelant a financé le solde du prix d’achat, soit 150 300 $, au moyen d’un prêt hypothécaire consenti par le vendeur. Les versements mensuels de plus de 2 000 $ incluaient les intérêts, les frais d’entretien, les frais de stationnement et les impôts fonciers estimés. En mars ou en avril 1991, un nouveau prêt hypothécaire a été consenti par la Mutuelle du Canada. L’appelant et son associé ont alors mis en œuvre une stratégie dynamique de remboursement du prêt hypothécaire. Ils ont opté pour des hypothèques à court terme, en général d’un an, afin d’obtenir de meilleurs taux d’intérêt. Ils ont effectué divers paiements de principal et, en 1994, l’appelant a commencé à effectuer des paiements hypothécaires hebdomadaires plutôt que mensuels, encore une fois pour accélérer le remboursement du prêt hypothécaire. Au milieu des années 1990, l’appelant a réussi, au terme de négociations, à faire baisser le taux d’imposition foncière. En 1997, il a transféré l’hypothèque à la Banque de Montréal afin d’obtenir un taux d’intérêt privilégié. Tout en continuant à réduire le solde à payer sur le principal, l’appelant a réussi à augmenter les revenus de location.

 

[10]    En 1996, le bien-fonds a commencé à produire un bénéfice, et il continue à le faire aujourd’hui. Le bénéfice a augmenté d’année en année : en 1996, il était de 800 $ environ et, en 2000, il était passé à plus de 6 000 $. L’hypothèque a été ramenée de 155 000 $ en 1991 à 81 496 $ à la fin de 2000. Ainsi que l’a souligné l’avocate de l’appelant, il s’agit d’une réduction de la moitié du solde hypothécaire dans un délai de neuf ans, malgré une conjoncture parmi les pires qu’ait connues le marché immobilier dans la région de Toronto.

 

[11]    Des notes ou grands livres mensuels très détaillés ont été tenus pendant toutes ces années. Il ressort très clairement du témoignage de l’appelant et de la documentation fournie à l’audience que la comptabilité des revenus et des dépenses relativement à ce bien-fonds a été tenue méthodiquement.

 

[12]    En 1995, deux ans seulement après qu’une cotisation eut été établie à l’égard de l’appelant, le revenu de location brut a dépassé les prévisions que l’appelant avait faites en 1986, au moment où il avait versé un premier acompte sur ce bien-fonds. Les bénéfices déclarés ont augmenté sensiblement tous les ans après 1995.

 

[13]    En 1989, l’appelant a acquis seul un deuxième bien-fonds, appelé bien-fonds « Promenade », dans la région nord de Toronto qui, à cette époque, connaissait une croissance fulgurante. C’était, dans ce cas également, une unité condominiale luxueuse qui devait attirer des locataires aisés. Au moment de l’achat, le marché de la location était en croissance et l’appelant a témoigné qu’il avait cru que la tendance se maintiendrait. D’après l’appelant, il a acheté ce bien-fonds pour diversifier ses placements immobiliers, l’unité étant située dans un quartier complètement différent de celui du bien-fonds « York Quay ».

 

[14]    Le bien-fonds « Promenade » était en construction au moment de l’achat en 1989. D’après le témoignage de l’appelant, dans le contexte d’un marché immobilier en croissance, il prévoyait revendre la propriété rapidement, soit dans l’année suivant la fin des travaux de construction. Cependant, lorsque l’unité a été prête au début des années 1990, le marché s’effondrait. L’appelant a été contraint de revoir ses plans et, comme il l’a dit : [TRADUCTION] « J’ai décidé de louer le bien-fonds et de réduire les coûts ainsi que les pertes au minimum de façon à pouvoir le conserver. » La juste valeur marchande du bien-fonds était tombée en deçà de son prix d'achat initial.

 

[15]    Le prix d’achat de ce bien-fonds était de 288 250 $, place de stationnement comprise. Au mois d’octobre 1990, en utilisant ses propres ressources financières, l’appelant avait versé des acomptes totalisant 65 000 $. Lors de la clôture, un paiement supplémentaire de 33 000 $ a été effectué. Le marché étant ce qu’il était, l’appelant a mis la propriété à la fois en location et en vente. La documentation produite appuie incontestablement le témoignage de l’appelant selon lequel, lorsqu’il a acheté le bien-fonds, il avait l’intention de le revendre rapidement pour réaliser un profit. Il ressort également clairement de la preuve que ce bien-fonds n’était pas financé à 100 p. 100 par emprunt. D’après les pièces déposées en preuve, le bien-fonds a été mis en vente pour 289 900 $ en octobre 1990, puis de nouveau en août 1998 pour 202 900 $, et en 1999 pour 200 000 $. S’il avait pu le vendre à profit, l’appelant l’aurait fait. La documentation et son témoignage le confirment.

 

[16]    Pour faciliter la location de la propriété, l’appelant a de nouveau retenu les services du TREB, comme il l’avait fait pour le bien-fonds « York Quay ». Il a fait une sélection préliminaire des candidats dans le but de retenir le meilleur locataire possible, il a demandé un loyer conforme au marché, qu’il a augmenté périodiquement, et il a adopté une stratégie dynamique de remboursement. Il a témoigné qu’il avait l’intention de vendre lorsque le marché se redresserait, mais que, dans l’intervalle, il devait louer le bien-fonds et le maintenir en état de vente. À la fin de 1990, l’appelant a obtenu du vendeur un prêt hypothécaire de 190 000 $, à un taux d’intérêt de 13 %. L’unité a été louée à partir de 1991, toujours à des locataires sans lien de dépendance. En 1992, le prêt hypothécaire a été remboursé mais, en raison de la conjoncture, l’appelant n’a pu obtenir un prêt hypothécaire représentant 75 % du prix d’achat en remplacement de celui qui avait été remboursé. D’après l’appelant, l’unité valait, sur le marché, tout au plus 150 000 $. Il a consenti une hypothèque de premier rang de 120 250 $ à la Banque Laurentienne et une hypothèque de deuxième rang de 45 000 $ à la Beneficial Trust. En 1993, cette hypothèque de deuxième rang a été remboursée et remplacée par un prêt d’un particulier sans lien de dépendance (le prêt de Padmini) par l’intermédiaire de l’avocat de l’appelant. Cela a permis à ce dernier de réduire de 150 $ environ ses paiements mensuels. En outre, des paiements anticipés pouvaient être effectués sans pénalité. Ce prêt a été remboursé à l’automne de 1994, un an après l’examen de la vérificatrice. La même année, l’hypothèque de premier rang consentie à la Banque Laurentienne a été remboursée et a été remplacée par une autre hypothèque, consentie à la Banque de Montréal. L’appelant a commencé à effectuer des paiements hebdomadaires, et le solde impayé est passé de 117 000 $ en 1994 à 94 808 $ en 2000. L'hypothèque de 165 000 $ consentie en 1990 avait donc été réduite de plus de moitié.

 

[17]    L’appelant a témoigné que les acomptes qu’il avait versés pour le bien-fonds « Promenade » provenaient en partie du produit de la vente du premier bien-fonds qu’il avait acheté dans les années 1980, c'est-à-dire le bien-fonds « Pony Mill », et en partie d’une marge de crédit personnelle. Les taux d’intérêt sur les marges de crédit étant très élevés au début des années 1990, l’appelant a hypothéqué sa résidence personnelle afin de rembourser cette marge de crédit et de faire face aux besoins de financement des deux bien-fonds. L’hypothèque sur sa résidence est alors passée de 140 000 $ à 270 000 $.

 

[18]    D’après les feuilles de calcul qu’il a préparées à l’intention de la vérificatrice, l’appelant a réduit substantiellement les frais financiers relatifs au bien-fonds « Promenade » entre 1990 et 2000. En 2000, le solde du prêt garanti par l’hypothèque grevant sa résidence personnelle, de 270 000 $ au départ, avait été ramené à 141 324,51 $.

 

[19]    Dans ce cas‑ci également, des notes détaillées ont été tenues tous les mois. Le témoignage de l’appelant a été entièrement corroboré par les quantités énormes de relevés bancaires, de résumés et d’autres documents qui ont été produits par l’avocate de l’appelant. Le bien-fonds « Promenade » a produit des bénéfices à partir de 1996, un résultat remarquable étant donné les conditions du marché au début des années 1990 et les taux d’intérêt à la hausse. En outre, l’appelant était propriétaire d'un bien-fonds qu'il avait d'abord eu l’intention de vendre, mais qu’il était maintenant incapable de vendre puisque sa valeur marchande était passée de 288 000 $ à 150 000 $ au plus, peu après l’achat.

 

[20]    Je félicite les deux avocates dans cette affaire pour leurs présentations et leurs plaidoiries. Toutes deux ont présenté des analyses claires et concises de la jurisprudence dans ce domaine, en commençant par la décision que la Cour suprême a rendue dans l’affaire Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S.480, 77 D.T.C. 5213 (C.S.C.). Les principes qui se sont dégagés des nombreuses affaires dans ce domaine ont été résumés clairement et succinctement par le juge en chef adjoint Bowman de notre cour dans l’affaire Donyina c. La Reine, n° 2001-934(IT)I, 9 juillet 2001, [2001] A.C.I. no 456, 2001 D.T.C. 3763, une décision rendue récemment. Ces principes sont résumés au paragraphe 9 de la décision du juge Bowman :

 

[9]        Je ne vais pas citer ces jugements ni les analyser en long et en large. Je pense qu'il suffit de résumer certains des principes qu'ils semblent établir.

 

1.                   En l'absence d'un élément personnel, le critère de l'attente raisonnable de profit doit être appliqué avec modération (Tonn, Keeping, Bélec et Walls). L'absence d'un élément personnel n'établit pas définitivement que le principe de l'attente raisonnable de profit ne peut être invoqué, mais une telle absence est un facteur qui a beaucoup de poids (Mastri).

 

2.                   Le ministre ou le tribunal ne doit pas rétrospectivement porter un jugement sur le sens des affaires d'un contribuable qui s'est lancé de bonne foi dans une entreprise commerciale (Keeping, Tonn, Nichol, Kuhlmann, Bélec et Smith).

 

3.                  Le fait qu'une entreprise ou qu'un bien soit financé à 100 p. 100 n'est pas en soi une raison pour appliquer le principe de l'attente raisonnable de profit (Milewski, Mohammad et Saunders).

 

4.                  Il faut laisser au contribuable une période de temps raisonnable aux fins de l'établissement de l'entreprise (Keeping). Une telle période variera selon les circonstances et pourra bien être longue (Milewski).

 

5.                  Le principe de l'attente raisonnable de profit ne doit pas être invoqué en remplacement d'une analyse. Avant d'invoquer ce principe, le répartiteur de l'impôt doit examiner les dépenses pour déterminer si elles sont raisonnables ou si, pour une autre raison, elles ne sont pas déductibles (Smith, Costello et Cipollone).

 

6.                  Une attente de profit irrationnelle, absurde et ridicule n'est pas une attente raisonnable (Kuhlmann).

 

7.                  Le fait qu'un investissement ou une entreprise soit en partie motivé par des considérations fiscales n'est pas pertinent quant à savoir s'il existe une entreprise et, en soi, une motivation fiscale n'est pas pertinente dans la détermination de la déductibilité de dépenses si une entreprise existe (Stubart Investments Limited c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536 (84 D.T.C. 6305), à moins évidemment que le ministre ne choisisse d'invoquer la règle générale anti-évitement prévue à l'article 245, auquel cas la situation est fondamentalement différente.

 

8.                  Lorsque des pertes ont été déclarées, puis refusées, la première question est de savoir s'il s'agit de « frais personnels ou de subsistance », dont la définition législative inclut le critère de l'attente raisonnable de profit. Dans la négative, le critère de l'attente raisonnable de profit doit être appliqué avec un soin extrême et il faut alors déterminer s'il y a une entreprise. L'existence d'une attente raisonnable de profit n'est qu'un facteur dans cette détermination (Kaye).

 

9.                  La question du caractère raisonnable des dépenses se pose dans le contexte d'une entreprise existante – l'article 67 interdit la déduction de dépenses qui ne sont pas raisonnables – ainsi qu'à l'étape initiale consistant à déterminer s'il y a une entreprise (Kaye).

 

10.              Si ce qui est manifestement un bien locatif a été acquis et détenu dans le cadre d'un projet comportant un risque de caractère commercial et qu'il était raisonnable de s'attendre à en tirer un profit à la revente, les pertes (soit les frais de possession engagés moins les loyers reçus) ne doivent pas être refusées selon le principe de l'attente raisonnable de profit (Roopchan). Le tribunal doit toutefois examiner avec soin une déclaration a posteriori selon laquelle un bien détenu à perte pendant un certain nombre d'années fait partie d'une opération spéculative motivée par une revente à profit. Ce n'est pas quelque chose que l'on s'attendrait qu'une personne admette facilement si le bien a été vendu à profit.

 

11.              Si le contribuable a plusieurs biens locatifs et que certains donnent lieu à un profit, tandis que d'autres donnent lieu à une perte, il ne convient pas d'appliquer le critère de l'attente raisonnable de profit aux biens donnant lieu à une perte et de faire fi des biens donnant lieu à un profit. L'investissement doit être examiné dans son ensemble (Smith).

 

12.              Les décisions quant à savoir quand lancer une entreprise et quand l'abandonner sont des décisions d'ordre commercial dans lesquelles ni les autorités fiscales ni le tribunal ne doivent intervenir (Nichol). Néanmoins, si des pertes continuent d'être subies année après année pendant une période excessive, il faut tôt ou tard appliquer le principe selon lequel « trop, c'est trop » et considérer que ce qui pourrait avoir été une entreprise viable s'est révélé avec le temps un cas désespéré et que la meilleure chose à faire de cette entreprise est d'y mettre fin convenablement. Il faut toutefois considérer avec beaucoup de respect la décision d'un homme d'affaires de maintenir une entreprise.

 

[21]    Si j’applique ceux d'entre ces principes qui sont pertinents dans la présente affaire, il est évident que le ministre s'est tout simplement trompé en appliquant ce critère aux deux activités locatives exercées par l’appelant. Les années en question sont clairement des années de démarrage pour les deux bien-fonds. Les bien-fonds « York Quay » et « Promenade » produisent des bénéfices considérables depuis 1996. De fait, la tendance à la hausse des revenus et à la baisse des dépenses a été clairement établie dès 1994. En dépit de l’état du marché immobilier de Toronto au début des années 1990 et de la montée en flèche des taux d’intérêt, l’appelant a, par ses efforts, réussi à rentabiliser les deux bien-fonds dans un délai remarquablement court. Il a adopté et suivi un plan d’affaires dynamique pour réduire l’endettement relatif aux deux bien-fonds. Ses actions étaient celles d’un homme d’affaires avisé. Sa stratégie était méthodique et bien structurée. Rien n’a été laissé au hasard dans la façon dont il a fait face à l’évolution imprévue du marché peu après les achats. Grâce à sa vaste expérience du marché immobilier, l’appelant a pu, au moment de l’achat dans les années 1980, faire des prévisions à la fois raisonnables et réalistes. Ces prévisions étaient fondées sur les conditions du marché telles qu’elles existaient alors. Ces conditions ont cependant changé, les taux d’occupation ont varié, les taux d’intérêt ont augmenté, ainsi que les frais d’entretien et les impôts fonciers. Tous ces facteurs échappaient à la volonté de l’appelant, qui a alors dû se ressaisir et revoir ses plans initiaux. Il a relevé le défi et, peu après les années en question, les bien-fonds ont commencé à produire des bénéfices.

 

[22]    Les prévisions faites en 1986 relativement au bien-fonds « York Quay » étaient réalistes et valides compte tenu des conditions et des taux du marché en 1986. L’appelant n’aurait pu prévoir les changements radicaux des taux d’intérêt et des conditions du marché qui allaient se produire au début des années 1990. La tentative de l’intimée de montrer d’une manière ou d’une autre que ces prévisions de 1986 étaient déraisonnables est un exemple classique de jugement rétrospectif que le ministre porte sur les décisions commerciales de l’appelant.

 

[23]    Lorsqu’il n’y a aucun élément personnel, la jurisprudence est claire : le critère de l’attente raisonnable de profit doit être appliqué avec modération. Dans la présente affaire, il n’y avait aucun élément personnel. L’appelant a clairement exploité les bien-fonds en cause comme des entreprises. Les faits révèlent si clairement la nature commerciale des activités qu’il serait ridicule d’en arriver à une conclusion différente. L’appelant s’est servi de ses connaissances du marché immobilier de Toronto pour dénicher les meilleurs endroits, il a maximisé la visibilité des propriétés en payant un mois complet de loyer pour faire de la publicité par l’intermédiaire du Toronto Real Estate Board, un organisme spécialisé, il a lui‑même fait une sélection préliminaire des personnes intéressées, il a réussi à louer les unités dans un contexte extrêmement difficile, il a adopté et suivi une stratégie dynamique de remboursement des prêts hypothécaires, le montant de ces prêts ayant été réduit de moitié à la fin de 2000, il a porté en appel le montant des impôts fonciers avec succès et il a réduit les dépenses. En outre, les bien-fonds n’étaient pas financés à 100 p. 100 par emprunt, contrairement à ce qui était affirmé dans les hypothèses énoncées dans la réponse. Une partie des bénéfices provenant de la vente du bien-fonds « Pony Mill » a servi d’acompte pour acheter le bien-fonds « Promenade » et, de plus, l’appelant disposait d’autres sources de financement. Il est ressorti également du témoignage de la vérificatrice qu’elle avait peut‑être supposé à tort que les propriétés étaient financées à 100 p. 100 par emprunt. En outre, pendant toute la période, des livres et registres ont été tenus de façon méticuleuse.

 

[24]    Pour reprendre les propos de l’avocate de l’appelant : [TRADUCTION] « Si cela n’est pas une entreprise, qu’est‑ce qu’il faut? » Dans ses observations, l’avocate de l’intimée a fait valoir qu’il [TRADUCTION] « […] n’y a aucune preuve d’un plan concerté visant à effectuer des paiements importants de principal ». Pour dire qu’il n’y avait pas là de plan concerté ou pour laisser entendre qu’il n’y a pas eu de réductions importantes de toutes les dettes associées à ces activités, il faut avoir dormi pendant la présentation des faits ou avoir carrément fait abstraction de ceux‑ci.

 

[25]    L’appelant a fait valoir de façon subsidiaire que, si je concluais qu’il n’y avait pas d’attente raisonnable de profit relativement au bien-fonds « Promenade », cette activité pouvait être qualifiée de projet comportant un risque de caractère commercial. Je n’ai pas besoin d'en arriver à une conclusion à cet égard puisque l’intimée n’a pas réussi à me convaincre que le bien-fonds « Promenade » était à ce point financé par emprunt qu’il ne pouvait y avoir d’attente raisonnable de profit. Les faits appuient clairement la conclusion contraire. L’appelant a agi dans le cas de ce bien-fonds de la même façon que pour le bien-fonds « York Quay ». L’intention déclarée de l’appelant au moment de l’achat était de revendre le bien-fonds, ce qui a été confirmé lorsqu’il l’a mis en vente en octobre 1990, puis en 1998 et en 1999. Le résultat, sur le plan financier, demeurerait le même pour l’appelant puisqu’il conserverait le droit de déduire tous les frais financiers, y compris les pertes locatives, si le bien-fonds était qualifié de projet comportant un risque de caractère commercial. (Voir Stremler and Jones v. The Queen, nos 97-1490(IT)G et 97-1494(IT)G, le 10 janvier 2000, 2000 D.T.C. 1757 (C.C.I.).)

 

[26]    Les appels sont admis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations pour permettre la déduction des pertes locatives et des frais financiers relativement aux deux bien-fonds pour les années d’imposition 1990, 1991, 1992 et 1993.

 

[27]    Si elles le souhaitent, les avocates peuvent faire parvenir leurs observations au sujet des dépens par écrit dans les 30 jours de la date du présent jugement.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour d'octobre 2001.

 

 

« Diane Campbell »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de mars 2003.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 

 

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