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Date: 20010706

Dossier: 2000-285-GST-G

ENTRE :

GERMAIN PELLETIER LTÉE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel d'une cotisation établie en date du 25 septembre 1998 pour la période du 1er juillet 1993 au 31 décembre 1997, et dont l'avis porte le numéro 0252933.

[2]            Le litige concerne l'application de l'article 281.1 de la Loi sur la taxe d'accise (la " Loi ") relatif à la discrétion du ministre du Revenu national (le " Ministre ") de renoncer aux intérêts et pénalités. Le litige concerne aussi la défense de diligence raisonnable à l'égard d'une pénalité imposée en vertu de l'article 280 de la Loi.

[3]            Au début de l'audience, les parties ont présenté une entente partielle sur les faits comme suit :

1.              Lors de l'entrée en vigueur des dispositions de la Loi sur la taxe d'accise (ci-après appelée la " Loi " le 1er janvier 1991, un choix a été effectué par l'appelante en vertu de l'article 156 de la Loi, lequel article permettait que soient réputées effectuées à titre gratuit les fournitures entre " personnes morales étroitement liées ".

2.              Qu'à cette époque, c'est-à-dire lors de l'entrée en vigueur le 1er janvier 1991 de la Loi, l'appelante et Les Supermarchés GP Inc. étaient considérés comme des " personnes morales étroitement liées " au sens du sous-alinéa 128(1)a)(vi) de la Loi;

3.              Que les opérations et transactions intervenues entre l'appelante et Les Supermarchés GP Inc. sont des transactions connues sous le vocable de " opérations sans effet fiscal " (" wash transactions ").

[4]            Monsieur Bernard Sylvain, vice-président du groupe corporatif Germain Pelletier, et monsieur Bernard Blanchet, agent de recherche en planification socio-économique pour Revenu Québec, ont témoigné à la demande de l'avocat de l'appelante. Monsieur Alain Thérien, agent de gestion financière pour Revenu Québec a témoigné à la demande de l'avocat de l'intimée.

[5]            Avant 1993, monsieur Sylvain faisait partie d'une firme de comptables. Il agissait, à titre de vérificateur externe, pour l'appelante. Le 15 mars 1993, il a été engagé par l'appelante à titre de directeur financier, puis il est devenu directeur général et vice-président en 1997.

[6]            L'appelante est une entreprise qui détient et gère différents immeubles dont des centres commerciaux situés à Matane, Amqui, Trois-Pistoles, Rimouski et Mont-Joli. Les Supermarchés GP Inc. exploitent plusieurs magasins d'alimentation et louent des surfaces appartenant à l'appelante.

[7]            Tel que mentionné dans l'entente partielle sur les faits, 1) ces deux entités corporatives étaient des personnes morales étroitement liées au sens du sous-alinéa 128(1)a)(vi) de la Loi et, 2) l'appelante avait fait un choix le 1er janvier 1991 en vertu de l'article 156 de la Loi, afin que soient réputées effectuées à titre gratuit les fournitures à l'une d'elles. Ainsi, l'appelante n'avait pas à percevoir la taxe sur les loyers payés par Les Supermarchés G.P. Inc. et ces derniers ne pouvaient pas réclamer de crédit de taxe sur les intrants.

[8]            Le sous-alinéa 128(1)a)(vi) de la Loi était le suivant :

128(1)      Pour l'application de la présente partie, une personne morale donnée et une autre personne morale sont étroitement liées à un moment donné si, à ce moment, elle réside au Canada, elle est un inscrit et, selon le cas :

a)             l'autre personne morale est un inscrit qui réside au Canada et au moins 90 % de la valeur et du nombre des actions de son capital-actions, émises et en circulation et comportant en toutes circonstances plein droit de vote, sont la propriété d'une des personnes suivantes :

                ...

(vi)           une personne ou un groupe d'au plus cinq personnes qui sont propriétaires d'au moins 90% de la valeur et du nombre des actions du capital-actions de la personne morale donnée, émises et en circulation et comportant en toutes circonstances plein droit de vote;

[9]            Ce sous-alinéa a été abrogé par L.C. 1993, c. 27, par. 12(1), rétroactivement au 17 décembre 1990.

[10]          Le paragraphe 156(1) de la Loi se lisait ainsi en 1990 :

Pour l'application de la présente partie, deux membres déterminés d'un groupe étroitement lié dont un est une personne morale peuvent faire un choix conjoint pour que chaque fourniture taxable (sauf la fourniture taxable d'un immeuble par vente et la fourniture d'un bien ou d'un service non destiné à une utilisation, une consommation ou une fourniture exclusive dans le cadre des activités commerciales de l'acquéreur) effectuée entre eux, au moment où le choix est en vigueur, soit réputée effectuée à titre gratuit.

[11]          Lors d'une vérification faite en 1998 par les agents du Ministre, soit madame Claire Desjardins et monsieur Alain Thérien, l'appelante a été informée de la modification législative de 1993 qui a supprimé l'alinéa 128(1)a)(vi) de la Loi. Les vérificateurs ont avisé l'appelante que cette dernière et Les Supermarchés G. P. Inc. n'étaient pas des personnes étroitement liées vu cette modification législative et qu'elle devait percevoir et verser la taxe sur les loyers.

[12]          Les vérificateurs ont également informé l'appelante qu'ils devaient imposer les pénalités prévues à l'article 280 de la Loi et calculer les intérêts.

[13]          Monsieur Sylvain a dit qu'il avait été très surpris par cette annonce de modification législative. Il a par la suite vérifié la correspondance reçue du ministère ou l'information transmise par ce dernier et il n'a trouvé aucune note concernant cette modification législative. Le vérificateur externe de la même firme de comptables à laquelle appartenait antérieurement monsieur Sylvain n'a rien mentionné non plus au cours des années en cause.

[14]          Monsieur Sylvain a affirmé qu'en tout temps l'appelante a voulu se conformer à la Loi. Elle a tenu ses livres selon ce qu'elle croyait correct à l'époque. Elle a mis à part les fournitures effectuées à Les Supermarchés GP Inc. des fournitures effectuées aux autres clients. Elle a, avec ponctualité, fait ses rapports et versé les sommes dues.

[15]          Monsieur Bernard Blanchet, l'agent du Ministre sur l'opposition, a fait état que le Ministre a considéré que l'appelante était dans une situation de diligence raisonnable.

[16]          Monsieur Blanchet a expliqué qu'il s'était fondé sur les mémorandums TPS-500-3-2 du 16 mars 1994, ainsi que sur le Bulletin B-074 du 28 novembre 1994 pour réduire les intérêts et pénalités qui excèdent quatre pour-cent de la taxe non perçue. Ce dernier bulletin est intitulé : Lignes directrices visant la réduction des pénalités et des intérêts dans les cas d'" opérations sans effet fiscal ". Le bulletin a été produit comme pièce A-8. Les conditions d'application se lisent comme suit :

Le ministre envisagera d'annuler la partie des pénalités et des intérêts qui excède 4% de la taxe non perçue lors d'une opération sans effet fiscal, ou d'y renoncer, si les conditions suivantes sont respectées :

a)             On doit démontrer que la fourniture en question été effectuée au profit d'un inscrit qui aurait eu doit à un crédit intégral de taxe sur les intrants si la taxe avait été dûment appliquée.

b)             Le fournisseur ne doit pas avoir fait l'objet d'une cotisation antérieure pour la même erreur, et il doit avoir un dossier satisfaisant au chapitre de l'observation volontaire.

c)              Le fournisseur doit avoir remédié à la situation afin de s'assurer que la taxe sera perçue sur les fournitures de même nature qui seront effectuées dans l'avenir.

d)             Le fournisseur doit avoir fait des efforts raisonnables et preuve de diligence, sans avoir été négligent, dans l'exécution de ses affaires, afin de s'assurer que la taxe est perçue sur toutes les fournitures taxables.

Ces lignes directrices s'appliqueront rétroactivement au 1er janvier 1991 et elles pourront être rajustées au besoin dans l'avenir, si le ministre le juge nécessaire.

Dans tous les cas où le ministre envisage d'annuler les pénalités et les intérêts, ou d'y renoncer, il se réserve toujours le droit de n'annuler qu'une partie des pénalités et des intérêts, ou de ne renoncer qu'à une partie de ceux-ci. Il peut également limiter la renonciation ou l'annulation, totale ou partielle, à un seul des éléments.

[17]          Monsieur Blanchet a admis que l'appelante satisfaisait à tous les critères dont celui de la diligence.

[18]          La décision sur opposition en date du 25 novembre 1999 (pièce A-5) se lit comme suit :

Le ministre du Revenu a étudié les faits et motifs énoncés dans votre avis d'opposition et a décidé que :

La cotisation a été établie conformément aux dispositions de la loi notamment, mais sans restreindre la généralité de ce qui précède, en ce que les pénalités et les intérêts ont été imposés en application des dispositions de l'article 280 de la Loi sur la taxe d'accise.

Arguments

[19]          L'avocat de l'appelante soutient que le Ministre n'a pas le pouvoir sous l'article 281.1 de la Loi d'annuler en partie les intérêts et pénalités. Il n'a que le pouvoir de les annuler en totalité. Comme argument subsidiaire, il plaide la diligence raisonnable de l'appelante et en conséquence que les pénalités imposées en vertu de l'article 280 devraient être annulées. Il fait valoir que la diligence raisonnable de l'appelante non seulement a été admise par l'intimée mais aussi que la preuve a confirmé cet état de fait.

[20]          L'avocat de l'appelante s'est référé notamment à l'auteur Patrice Garant, Droit Administratif, 4e éd., 1996, Vol. 1, aux pages 346 et suivantes et à l'auteur Pierre-André Côté, Interprétation des Lois, 3e éd. à la page 349 pour soutenir son affirmation que les termes " en totalité " ou " en partie " ne doivent pas être ajoutés. Je cite ce dernier auteur :

Si la loi est bien rédigée, il faut tenir pour suspecte une interprétation qui conduirait soit à ajouter des termes ou des dispositions, soit à priver d'utilité ou de sens des termes ou des dispositions.

La fonction du juge étant d'interpréter la loi et non de la faire, le principe général veut que le juge doive écarter une interprétation qui l'amènerait à ajouter des termes à la loi: celle-ci est censée être bien rédiger et exprimer complètement ce que le législateur entendait dire: " C'est une chose grave d'introduire dans une loi des mots qui n'y sont pas et sauf nécessité évidente, c'est une chose à éviter ". [Thompson c. Goold & Co., [1910] A.C. 409, 420 (Lord Mersey) (traduction)].

[21]          Il s'est aussi référé à quelques dispositions législatives explicites dont notamment le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu qui se lit comme suit :

Renonciation aux pénalités et aux intérêts — Le Ministre peut, à tout moment, renoncer à tout ou partie de quelque pénalité ou intérêt payable par ailleurs par un contribuable ou une société de personnes en application de la présente loi, ou l'annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

[22]          Quant à son deuxième argument, l'avocat de l'appelante fait valoir que dans les circonstances de diligence raisonnable, les pénalités ne doivent pas être imposées. À cet égard, il s'est référé à la décision de la Cour d'appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Consolidated Canadian Contractors Inc. Ce jugement a été rendu le 29 septembre 1998. Le juge Robertson conclut ainsi :

À la lumière du cadre d'analyse défini dans Sault Ste-Marie et après examen des arguments proposés par le ministre, je ne suis pas convaincu que l'article 280 de la Loi sur la taxe d'accise porte responsabilité absolue. À mon avis, le moyen de défense implicite de diligence raisonnable n'est pas incompatible avec le régime fiscal en question; il ne fait pas échec aux fins qui sous-tendent ce dernier. La présomption de responsabilité stricte n'a pas été réfutée.

[23]          L'avocat de l'appelante s'est aussi référé au mémorandum 16.3.1, intitulé : Réduction des pénalités et des intérêts dans les cas d'opérations sans effet fiscal, émis en septembre 2000. Ce mémorandum remplace le Bulletin d'information B-074. Le paragraphe 9 se lit ainsi :

Dans le cas d'une opération sans effet fiscal où les pénalités et intérêts sont réduits à une pénalité correspondant à 4% de la taxe non perçue et que l'ADRC a déterminé que la personne a exercé une diligence raisonnable, la pénalité restante sera annulée. Pour plus de renseignements sur la diligence raisonnable, voyez l'énoncé de politique P-237, L'acceptation d'une défense basée sur la diligence raisonnable pour une pénalité imposée en vertu du paragraphe 280(1) de la Loi sur la taxe d'accise pour défaut de verser un montant prévu.

[24]          L'intimée soutient que le Ministre a exercé correctement le pouvoir discrétionnaire qui lui est accordé en vertu de l'article 281.1 de la Loi. Il fait valoir que l'appelante n'a pas démontré que dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le Ministre avait agi de mauvaise foi, qu'il n'avait pas tenu compte de tous les faits pertinents et que cette décision du Ministre était contraire à la Loi. Il soutient donc que la Cour n'a pas matière à intervention pour réviser la décision du Ministre. Il s'est référé à cet égard à la décision de la juge Reed de la Cour fédérale de première instance dans Revivo c. Canada, [2000] A.C.F. no 40, et plus particulièrement au paragraphe 6 de cette décision :

La nature de la compétence de la Cour, lorsque celle-ci revoit des décisions du Comité de l'équité, a été décrite par le juge Rouleau dans Kaiser c. Ministre du Revenu national (1995), 93 F.T.R. 66, à la page 68, qui citait le juge McIntyre dans Re Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, à la page 7 :

... C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

[25]          L'avocat de l'intimée s'est aussi référé à une décision que j'ai rendue dans Marée Haute Enr. c. La Reine, [2000] A.C.I. no 3, et plus particulièrement au paragraphe 16 de cette décision :

Je me réfère à l'égard des intérêts, pénalités et article 281.1 de la Loi, aux propos du juge Bowman de cette Cour dans Somnus Enterprises No. 1 Ltd. c. Canada, [1995] A.C.I. no 23 :

Je ne peux non plus l'aider pour ce qui est de l'imposition des intérêts. Des intérêts sont automatiquement exigibles lorsque le montant de la taxe payée est insuffisant. Le seul cas où des intérêts peuvent être réduits ou annulés est celui où le ministre du Revenu national exerce son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'article 281.1 de la Loi sur la taxe d'accise. Je conviens avec l'intimée que la présente cour n'a pas compétence pour examiner l'exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'article 281.1. Notre compétence, tout comme celle de la Cour fédérale, est définie par la loi constitutive de la cour. Il appartient à la Cour fédérale elle-même de déterminer en vertu de la Loi sur la Cour fédérale si cette compétence lui est attribuée.

Cette Cour a nettement compétence, non pas pour examiner l'exercice par le ministre du pouvoir discrétionnaire d'annuler des pénalités et des intérêts en vertu de l'article 281.1 lorsque ces intérêts et pénalités ont par ailleurs été correctement imposés en vertu de la loi, mais plutôt pour déterminer si les pénalités et les intérêts ont été correctement évalués conformément à la loi. En l'espèce, je ne peux rien faire pour les intérêts, mais les pénalités sont une autre affaire. Comme il a été mentionné dans l'affaire Pillar Oilfield Projects Ltd. v. The Queen, [1993] G.S.T.C. 49, rien ne peut justifier l'imposition régulière et automatique de pénalités tout simplement parce qu'un contribuable a incorrectement calculé son impôt. Ces pénalités ne sont pas absolues. Elles sont plutôt strictes, dans le sens où cette expression est utilisée dans la décision La Reine c. Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299, et on peut invoquer à leur égard la défense de diligence raisonnable.

[26]          Dans cette affaire, j'avais adopté la même position que celle des juges de cette Cour voulant que cette Cour n'ait pas de compétence pour réviser le pouvoir discrétionnaire du Ministre, mais j'avais par ailleurs constaté que, de toute façon, la preuve n'avait révélé aucune diligence raisonnable de la part des appelantes.

Conclusion

[27]          L'article 281.1 de la Loi se lit comme suit :

Renonciation ou annulation — intérêts

281.1        (1) Le ministre peut annuler les intérêts payables par une personne en application de l'article 280, ou y renoncer.

Renonciation ou annulation — pénalités

281.1        (2) Le ministre peut annuler la pénalité payable par une personne en application de l'article 280, ou y renoncer.

[28]          L'argument soulevé par l'avocat de l'appelante suppose que le pouvoir d'annuler ou de renoncer aux intérêts et pénalités ne comprend pas de manière implicite le pouvoir d'annuler ou de renoncer à partie des intérêts et pénalités. Or, il s'agit d'une position peut-être trop rigide. Je me réfère à Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 3e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 1996, à la page 350 :

La présomption contre l'addition de mots doit être appliquée avec prudence, car la communication légale est, comme toute autre communication, composée de deux éléments, l'exprès (la formule) et l'implicite (le contexte global de l'énonciation). La présomption étudiée insiste uniquement sur l'élément exprès de la communication. Elle dit que le juge qui ajoute des mots légifère, usurpe la fonction du législateur. Or, dans la mesure où le juge ajoute des mots pour rendre explicite ce qui est implicite dans le texte, on ne peut pas dire qu'il s'écarte de sa mission d'interprète. La question, dans les cas d'espèce, n'est donc pas tellement de savoir si le juge peut ajouter ou non des mots, mais si les mots qu'il ajoute ont un autre effet que d'expliciter l'élément implicite de la communication légale. [On comparera, par exemple, dans l'arrêt R. c. Sommerville, [1974] R.C.S. 387, l'avis dissident du juge Pigeon pour qui le juge ne doit pas ajouter de restrictions à un texte clair (394 et 395) à l'avis majoritaire, selon lequel l'objet de la loi interprétée justifie qu'on restreigne l'application de l'une de ses dispositions en la lisant comme si elle comportait les mots " en vue du commerce "].

                                                                                                [Le souligné est de moi.]

[29]          À mon avis, la position de l'avocat de l'appelante ne va pas non plus dans le sens des objectifs de la Loi. Je me réfère au même ouvrage auquel il s'est référé, soit celui de l'auteur Patrice Garant, Droit Administratif, 4e éd., 1996, Vol. 1, à la page 351 :

La jurisprudence abondante relie essentiellement l'ampleur ou la portée du pouvoir discrétionnaire à une analyse serrée des objectifs poursuivis par le législateur. Suivant la Cour suprême :

On ne peut analyser un pouvoir discrétionnaire sans examiner les objectifs de la loi, et la question importante est de savoir si la présence d'un tel pouvoir se rattache rationnellement à ces objectifs. (Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3, 73)

[30]          Les objectifs poursuivis par le législateur sont des objectifs d'équité et peuvent difficilement être de la nature de tout ou rien. Je suis d'avis que l'interprétation faite par le Ministre de son pouvoir discrétionnaire qui lui permettrait de remettre les pénalités et intérêts en tout ou partie, est plus en conformité avec les objectifs du législateur que celle radicale proposée par l'avocat de l'appelante, proposition qui peut devenir dangereuse même pour l'appelante; car la proposition de l'avocat veut que la totalité des pénalités soit annulée, mais le résultat pourrait être à l'inverse et rien du tout. Le Ministre en conformité avec les principes de la justice naturelle s'est établi des critères qui lui permettent d'exercer son pouvoir discrétionnaire de manière objective et impartiale et ce pouvoir discrétionnaire en est un de tout ou en partie.

[31]          Tout en m'ayant cité les décisions de la Cour fédérale concernant l'exercice du pouvoir discrétionnaire en vertu de la Loi, l'avocat de l'intimée n'a pas soulevé le manque de compétence de cette Cour pour réviser cet exercice. Il s'en est tenu à l'argument que le Ministre avait exercé son pouvoir conformément aux principes exprimés par la jurisprudence à laquelle il s'est référé.

[32]          Mon analyse des dispositions de la Loi concernant cette discrétion ministérielle me confirme qu'il avait raison de ne pas soulever le point de manque de compétence de notre Cour. Ainsi que je l'ai déjà mentionné aux paragraphes 25 et 26 de ces motifs, il semblait accepté par la jurisprudence que notre Cour ne pouvait pas réviser le pouvoir discrétionnaire du Ministre exercé en vertu de l'article 281.1 de la Loi. Après lecture attentive de la Loi, je crois que ce n'est pas le cas. Une disposition apparemment analogue, mais en fait différente de la Loi de l'impôt sur le revenu a amené une certaine confusion.

[33]          En vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, le Ministre exerce un pouvoir discrétionnaire similaire concernant les pénalités et les intérêts. La décision du Ministre à la suite de cet exercice s'exprime par une cotisation selon le paragraphe 220(3.7) de cette même loi. Cette cotisation n'est pas sujette au processus d'appel devant notre Cour selon le paragraphe 165(1.2) de cette même loi. En conséquence, c'est la Cour fédérale qui a compétence en vertu des pouvoirs de sa loi constitutive. J'ai déjà fait l'analyse du manque de compétence de cette Cour pour réviser l'exercice du pouvoir discrétionnaire du Ministre dans Gretillat c. La Reine, 98 DTC 1483 à la page 1486.

[34]Sous la Loi, la disposition qui prévoit la renonciation par le Ministre des intérêts et pénalités, est prévue par l'article 281.1. En vertu du paragraphe 296(1) de la Loi, le Ministre peut établir une cotisation à la suite de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. La procédure de l'opposition est prévue à l'article 301 et il n'y a pas d'exception pour les cotisations établies à la suite de l'exercice du pouvoir discrétionnaire du Ministre. La procédure de l'appel est à l'article 302 et c'est cette Cour qui entend les appels des cotisations sous la Loi. Donc, l'exercice du pouvoir discrétionnaire du Ministre est sujet à révision par cette Cour.

[35]          La position de l'intimée reposait uniquement sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre en conformité avec les critères établis. Toutefois, l'établissement de ces critères avait été fondé sur une notion erronée du droit, soit que la Loi ne permettait pas une défense de diligence raisonnable à l'encontre de l'imposition d'une pénalité en vertu de l'article 280 de la Loi. Le Ministre a modifié son mémorandum en septembre 2000 tel que mentionné au paragraphe 23 de ces motifs. Il est donc surprenant que l'avocat de l'intimée n'ait pas pris en compte cette modification et surtout n'ait pas pris en compte l'effet de la décision de la Cour d'appel fédérale dans Consolidated (précitée), lors de sa plaidoirie.

[36]          En ce qui concerne la justesse de l'exercice du pouvoir discrétionnaire du Ministre je dois constater qu'il n'y a pas eu de débat judiciaire sur l'impact d'une erreur de droit causée par une décision judiciaire postérieure et à l'exercice de la discrétion ministérielle et à la cotisation qui s'ensuit. Il me serait dans ces circonstances difficile de trancher à savoir si le Ministre a ou non correctement exercé son pouvoir discrétionnaire bien que cette Cour a un tel pouvoir de révision pour les raisons que j'ai exprimées aux paragraphes 31 à 34 de ces motifs.

[37]          Les pénalités qui ont été l'objet de la discrétion du Ministre ont été imposées en vertu de l'article 280 de la Loi. Je préfère me limiter à cet aspect. La diligence raisonnable de l'appelante n'a pas été mise en doute par l'intimée et la preuve l'a confirmée. C'est un principe de droit bien reconnu que l'ignorance des lois n'est pas une excuse à l'encontre de l'application de ces dernières. Toutefois, elle est un élément qui peut être pris en compte dans l'imposition des pénalités si la preuve révèle par ailleurs qu'il y a eu diligence raisonnable. Je suis d'avis que l'imposition des pénalités en vertu de l'article 280 doit être annulée, en vue de la diligence raisonnable exercée par l'appelante dans l'exercice de ses devoirs sous la Loi.

[38]          L'appel est accueilli pour réduire à néant l'imposition des pénalités.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de juillet 2001.

" Louise Lamarre Proulx "

J.C.C.I.

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