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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

1999-4849(IT)I

 

ENTRE :

 

WERNER KELLER,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

Appel entendu le 28 mai 2002, à Windsor (Ontario), par

 

l'honorable juge Gerald J. Rip

 

Comparutions

 

Avocat de l'appelant :                Me Craig J. Allen

 

Avocate de l'intimée :                Me Justine Malone

 

 

JUGEMENT

 

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1996 est rejeté.


Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de juin 2002.

 

 

« Gerald J. Rip »

J.C.C.I.


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20020626

Dossier: 1999-4849(IT)I

 

ENTRE :

 

WERNER KELLER,

 

appelant,

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Rip

 

[1]     Les faits de l’appel en l’instance, interjeté par M. Werner Keller à l’encontre d’une cotisation établie à son égard pour l’année 1996, ne sont pas contestés. À l’audience, l’avocat de M. Keller a indiqué que la seule question à trancher dans la matinée était celle de savoir si les dispositions de l’article 118(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») portent atteinte aux droits garantis à l’appelant par le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »). J’ai convenu que, si je répondais par l’affirmative à cette question, j’entendrais les plaidoiries à une date ultérieure pour trancher la question de savoir si cette violation pouvait être justifiée dans une société libre et démocratique en vertu de l’article 1 de la Charte.

 

[2]     À tous les périodes pertinentes, l’appelant et son épouse étaient légalement séparés (aucune preuve n’a été produite établissant qu’ils avaient divorcé et précisant la date du divorce.) M. et Mme Keller ont conclu une entente de séparation (« l’entente »), entrée en vigueur en février 1996 par laquelle ils convenaient d’exercer conjointement l’autorité parentale sur leurs trois enfants et M. Keller s’engageait à verser à Mme Keller une pension alimentaire de 1 000 $ par mois. Dans une ordonnance (« l’ordonnance ») datée du 29 mai 1996, la Cour de l’Ontario (Division générale), a ordonné à M. Keller de payer à Mme Keller, à titre provisoire, une pension alimentaire de 1 400 $ par mois pour les trois enfants, à compter du 1er juin 1996.

 

[3]     Dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 1996, l’appelant a demandé la déduction d’un montant de 13 800 $ au titre de la pension alimentaire versée à Mme Keller pour les trois enfants en conformité avec l’entente et l’ordonnance. Il a aussi demandé un crédit d’impôt relativement à sa fille en vertu de l’alinéa 118(1)b) de la Loi.

 

[4]     Une entente de séparation finale (« l’entente finale »), datée du 30 septembre 1997, établissait un régime de garde partagé des enfants. Elle précisait notamment que les parents se partageaient la garde physique des enfants et assuraient leur éducation à parts égales. Chaque parent [TRADUCTION] « continu[ait] de prendre une part active dans la vie de chaque enfant afin de lui procurer un environnement moral, social, économique et éducatif sûr et de lui offrir le même soutien qu’auparavant ». Chaque parent a délégué le soin physique des enfants à l’autre parent. À tous autres égards, les modalités de l’ordonnance du 29 mai 1996 continuaient de s’appliquer. M. Keller a indiqué, dans le cadre de son témoignage, que durant l’année 1996 et les années subséquentes, Mme Keller et lui avaient se sont partagé également la garde et le soin des enfants. L’entente finale se trouve en fait à avoir confirmé les dispositions que les parents avaient prises pour l’éducation de leurs enfants depuis leur séparation et qu’ils entendaient continuer d’appliquer dans les années futures. Les enfants, y compris la fille relativement à laquelle l’appelant demandait un crédit d’impôt, passaient autant de temps chez leur père que chez leur mère et chaque parent subvenait aux besoins des enfants dans sa résidence respective.

 

[5]     Je fais observer que, d’après la réponse modifiée à l’avis d’appel, le ministre du Revenu national (le « ministre ») s’est notamment appuyé sur les hypothèses suivantes pour établir la cotisation à l’égard de l’appelant :

 

          [TRADUCTION]

 

k)     dans l’année d’imposition 1996, l’ex‑épouse de l’appelant avait trois personnes à charge admissibles aux termes de l’article 122.2 de la Loi;

 

(l)         à toutes les périodes pertinentes, l’appelant n’avait pas de personnes à charge admissibles aux termes du paragraphe 122.2(2) de la Loi;

 

et il a conclu, en se fondant sur le revenu de chacun, que M. et Mme Keller étaient tous les deux admissibles à un crédit d’impôt égal à zéro[1].

 

[6]     À ce que je peux voir, l’article 122.2 de la Loi a été abrogé par L.C. 1994, ch. 7, annexe VII, paragraphe 10(2), applicable avec effet rétroactif à l’année 1993 et aux années d’imposition subséquentes. Je ne comprends pas comment il se fait que le ministre a tenu compte de cette disposition pour établir la cotisation. Les hypothèses énoncées au paragraphe 17 de la réponse modifiée à l’avis d’appel ne renvoient pas au paragraphe 118(5) de la Loi, soit la disposition, avec l’article 15 de la Charte, sur laquelle les observations des parties sont fondées. L’avocat de l’appelant n’a pas attiré mon attention sur ce point. Je note toutefois que, dans la partie B de la réponse modifiée à l’avis d’appel intitulée « Question à trancher », l’intimée a supprimé toutes les références aux dispositions de la Loi qui se trouvaient dans la réponse initiale, sauf celles relatives au paragraphe 118(5) de la Loi et à l’article 15 de la Charte. Il n’y a aucune mention de l’alinéa 118(1)b) dans la réponse modifiée à l’avis d’appel ou même, dans l’avis d’appel. Dans les circonstances, il aurait aussi fallu supprimer la plupart des hypothèses de fait ainsi que la partie C de la réponse modifiée à l’avis d’appel intitulée « Dispositions législatives, motifs invoqués et redressement demandé ». L’avis d’appel de l’appelant n’est guère  plus utile. La plupart des faits qui y sont allégués se rapportent à l'échange de correspondance entre l’appelant et Revenu Canada et l’avis ne renvoie à aucune disposition législative au soutien de l’appel. L’appelant prétend effectivement qu’il est admissible à « l’équivalent du montant pour conjoint » et à un certain nombre d’autres crédits[2].

 

[7]     Les dispositions pertinentes de l’alinéa 118(1)b)[3] et du paragraphe 118(5) de la Loi sont libellées comme suit :

 

(1)  Le produit de la multiplication du total des montants visés aux alinéas a) à d) par le taux de base pour l'année est déductible dans le calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d'imposition :

A X B

 

où :

 

A        is the appropriate percentage for the year, and

B        is the total of,

 

. . .

 

b) si le particulier n'a pas droit à la déduction prévue à l'alinéa a) et si, à un moment de l'année :

 

(i) d'une part il n'est pas marié ou, s'il l'est, ne vit pas avec son conjoint ni ne subvient aux besoins de celui-ci, pas plus que son conjoint ne subvient à ses besoins,

 

(ii) d'autre part, il tient, seul ou avec une ou plusieurs autres personnes, et habite un établissement domestique autonome où il subvient réellement aux besoins d'une personne qui, à ce moment, remplit les conditions suivantes :

 

(A) elle réside au Canada, sauf s'il s'agit d'un enfant du particulier,

 

(B) elle est entièrement à la charge soit du particulier, soit du particulier et d'une ou plusieurs de ces autres personnes,

 

(C) elle est liée au particulier,

 

[. . .]

 

           (5) Aucun montant n'est déductible en application du paragraphe (1) relativement à une personne dans le calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d'imposition si le particulier, d'une part, est tenu de payer une pension alimentaire au sens du paragraphe 56.1(4) à son conjoint ou ancien conjoint pour la personne et, d'autre part, selon le cas :

 

a) vit séparé de son conjoint ou ancien conjoint tout au long de l'année pour cause d'échec de leur mariage;

 

b) demande une déduction pour l'année par l'effet de l'article 60 au titre de la pension alimentaire versée à son conjoint ou ancien conjoint.

 

[8]     On dit souvent de l’alinéa 118(1)b) que c’est « l’équivalent du montant pour conjoint » ou « l’équivalent du montant pour personne mariée ».

 

[9]     Le paragraphe 15(1)de la Charte dit ceci :

 

15. (1) La Loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

 

[10]    L’appelant prétend que le paragraphe 118(5) de la Loi viole les droits à l’égalité garantis par le paragraphe 15(1) de la Charte étant donné que le paragraphe 118(5) l’empêche de demander une déduction pour sa fille au seul motif qu’il a le droit de déduire les montants versés au titre de la pension alimentaire en vertu du paragraphe 60b) de la Loi. Il soutient que le refus de l’équivalent du montant pour conjoint aux personnes qui versent une pension alimentaire pour enfants, et qui sont la plupart du temps des hommes, sans tenir compte de toute autre considération est une mesure discriminatoire. L’appelant affirme en outre que le groupe de comparaison[4], eu égard aux faits de l’appel, c’est son épouse, qui a obtenu le crédit prévu à l’alinéa 118(1)b).

 

[11]    Avant d’aller plus loin, je souhaite citer à l’appelant les propos tenus par le juge Lebel (dissident en partie) dans l’affaire Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission)[5] pour rappeler « [...] parties que les affaires ne peuvent pas toutes être plaidées sur le fondement de la Charte ». La Cour canadienne de l’impôt la Cour d’appel fédérale ont entendu plusieurs où des appelants, s’appuyant sur des faits semblables à ceux de l’affaire en cause en l’espèce, ont échoué dans leur tentative d’établir que le paragraphe 118(5) de la Loi contrevenait au paragraphe 15(1) de la Charte.

 

[12]    Dans l'affaire Werring c. Canada[6], mon défunt collègue, le juge Sobier, a conclu que l’article 118 de la Loi n’était pas discriminatoire à l’endroit d’un groupe de personnes désavantagées. Comme dans l’appel en l’instance, l’appelant, M. Werring, demandait l’équivalent du montant du conjoint pour l’un de ses fils. Sa demande a été rejetée, à l’instar de celle de M. Keller, au motif qu’il avait le droit de déduire les montants versés à son épouse au titre de la pension alimentaire : paragraphe 118(5). Le juge Sobier a conclu que M. Werring et son épouse recevaient des avantages équivalents à ceux dont bénéficiaient les autres couples en vertu de l’article 118. Le paragraphe 118(5) les empêchait tout simplement de recevoir des avantages supérieurs. Les conjoints ayant la garde de leurs enfants qui versaient une pension alimentaire ne constituaient pas un groupe distinct et ils n’étaient pas désavantagés. Aucun droit à l’égalité n’avait été violé.

 

[13]    Dans l’affaire Nelson c. Canada[7], l’appelant et son ex‑épouse avaient la garde partagée de leurs deux enfants. En vertu de leur entente de séparation, l’appelant payait une pension alimentaire à son épouse pour les deux enfants. Il en a demandé la déduction en vertu du paragraphe 60b) de la Loi. Il a aussi réclamé l’équivalent du montant pour conjoint en vertu du paragraphe 118(1) de la Loi. Le ministre a refusé ce montant en vertu du paragraphe 118(5). L’appelant a interjeté appel devant la Cour canadienne de l’impôt, faisant valoir que les paragraphes 118(1) et (5) étaient discriminatoires à son endroit et qu’ils contrevenaient dès lors au paragraphe 15(1) de la Charte. Le juge Brulé a déterminé que les paragraphes 118(1) et (5) n’étaient nullement discriminatoires à l’endroit de l’appelant.

 

[14]    La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision rendue par le juge Brulé dans l’affaire Nelson. Le juge Sharlow a fait observer ce qui suit :

 

[par. 11] [...] Je dirais que, dans le cas de M. Nelson, le groupe de référence à retenir est celui d’un parent célibataire qui vit avec un enfant et subvient à ses besoins en vertu d’un accord de garde partagée conclu avec l’autre parent de l’enfant, mais qui n’a pas l'obligation juridique de payer à l’autre parent une pension alimentaire pour l’enfant

 

[par. 12]         À mon avis, le traitement distinct établi par le paragraphe 118(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu n’est pas fondé sur l'un des motifs énumérés au paragraphe 15(1) de la Charte ou sur un motif analogue. Le paragraphe 118(5) n’établit pas une distinction entre M. Nelson et le groupe de référence au titre de caractéristiques personnelles, et il ne met pas en jeu la vocation du paragraphe 15(1) de la Charte à corriger des écarts tels que les préjugés, les stéréotypes et les handicaps historiques. L’application du paragraphe 118(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu n’offense pas non plus la dignité, la valeur intrinsèque ou l'amour‑propre de M. Nelson. Par conséquent, le traitement distinct qui résulte du paragraphe 118(5) n’est pas discriminatoire au sens de la Charte.

 

[par. 13]         Le postulat qui sous‑tend l’argument de M. Nelson est que le législateur fédéral devrait offrir le même allégement fiscal à tous les parents célibataires qui subviennent aux besoins de leurs enfants en vertu d’un accord de garde partagée. Il s’agit là sans doute d’un objectif louable de politique publique, mais ce n’est pas un objectif qui puisse être avancé dans une demande fondée sur le paragraphe 15(1) de la Charte. M. Nelson ne peut que s’en remettre au législateur fédéral.

 

[15]    Dans l’affaire Nixon c. Canada[8], le juge Bell de la Cour s’est appuyé sur la décision rendue par la Cour canadienne de l’impôt dans l’affaire Nelson pour conclure que les paragraphes 118(1) et (5) de la Loi n’étaient pas discriminatoires à l’endroit de l’appelant. En particulier, les contribuables masculins divorcés qui ont la garde partagée de leurs enfants avec leur ex‑conjointe ne sont pas compris dans un des groupes énumérés au paragraphe 15(1) de la Charte ni dans un groupe analogue.

 

[16]    L’appelant a présenté des observations dans lesquelles il fait falloir de manière énergique que les décisions antérieures de la Cour et de la Cour d’appel fédérale, en particulier la décision rendue dans l’affaire Nelson, n’étaient plus pertinentes par suite de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l’Immigration)[9]. Dans l’arrêt Law, la Cour suprême du Canada a déclaré que les tribunaux qui sont appelés à se prononcer sur une allégation de discrimination fondée sur le paragraphe 15(1) de la Charte devaient se poser les questions suivantes :

 

(i)       La loi contestée a) établit-elle une distinction formelle entre le demandeur et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou b) omet-elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui-ci et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles?

 

(ii)      Le demandeur fait-il l'objet d'une différence de traitement fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues?

 

et

 

(iii)     La différence de traitement est-elle discriminatoire en ce qu'elle impose un fardeau au demandeur ou le prive d'un avantage d'une manière qui dénote une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou qui a par ailleurs pour effet de perpétuer ou de promouvoir l'opinion que l'individu touché est moins capable ou est moins digne d'être reconnu ou valorisé en tant qu'être humain ou que membre de la société canadienne, qui mérite le même intérêt, le même respect et la même considération?[10]

 

[17]    Dans son mémoire, l’appelant affirme que [TRADUCTION] « là où l’arrêt Law innove surtout c’est en reformulant les questions que les tribunaux doivent se poser pour déterminer le bien‑fondé des prétentions fondées sur l’article 15 » L’appelant précise que [TRADUCTION] « les éléments essentiels, qui mettent l’accent sur la dignité humaine, peuvent être résumés de la manière suivante :

 

·     L’article 15 a pour but de prévenir les atteintes à la dignité humaine et à la liberté du fait d’un désavantage, d’un stéréotype ou d’un préjudice et de faire en sorte que tous soient reconnus également en droit comme des êtres humains méritant un traitement égal;

 

·  Étant donné que l’égalité est une notion comparative, il est nécessaire d’établir des groupes de comparaison pertinents; compte tenu du(des) motif(s) de discrimination allégué(s), un tribunal peut définir plus précisément le groupe de comparaison applicable à un demandeur, s’il se révèle qu’il n’est pas suffisant ou qu’il est erroné;

 

·  Les facteurs contextuels qui permettent de déterminer si la loi porte atteinte à la dignité d’un demandeur doivent être évalués, en adoptant en premier lieu le point de vue du demandeur et, pour s’assurer que ses prétentions sont fondées sur des considérations objectives, en adoptant le point de vue d’une personne raisonnable dont la situation cadre avec celle du demandeur, qui tient compte de ces facteurs contextuels;

 

·  La liste des facteurs contextuels que peut invoquer un demandeur en vertu du paragraphe 15 pour montrer qu’une loi porte atteindre à la dignité humaine n’est pas exhaustive;

 

·  Les considérations d’ordre contextuel dont il convient de tenir compte pour déterminer s’il y a eu violation de l’article 15 englobent :

        a) l’effet de la loi contestée, qui revêt toujours une importance primordiale; et b) l’importance du lien, le cas échéant, qui existe entre le ou les motifs invoqués et la situation réelle du demandeur. La discrimination étant plus difficile à établir dans la mesure où la loi tient compte de ces circonstances d’une manière qui respecte le demandeur;

 

·  L’obligation pour le demandeur d’établir qu’il y a eu violation de l’article 15 ne signifie pas qu’il doit prouver qu’on a porté atteinte à sa dignité humaine ou à sa liberté; le fait qu’une distinction soit fondée sur au moins un des motifs énumérés à l’article 15 suffira souvent à faire la preuve de la violation en ce sens qu’il sera manifeste, par la connaissance judiciaire et la logique, que cette distinction est discriminatoire. »

 

[18] Je ne partage pas le point de l’appelant selon lequel, en statuant sur l’affaire Law, la Cour suprême a adopté de nouveaux critères pour définir ce qui constitue de la discrimination en vertu de l’article 15 de la Charte. La Cour suprême s’est appuyée sur ses décisions antérieures, pour énoncer des règles servant, sinon à simplifier, du moins à expliquer et préciser la marche à suivre pour statuer sur les prétentions fondées sur l’article 15 de la Charte. L’arrêt Law n’ajoute rien qui puisse être de quelque secours à l’appelant.

 

[19]    L’appelant soutient que le motif analogue qui s’applique à lui et qui fait les paragraphes 118(1) et (5) sont discriminatoires à son endroit est celui de « la famille ou de la qualité parentale ». Il prétend en outre que c’est son épouse séparée ou divorcée qui est le groupe de comparaison pertinent.

 

[20]    Dans l’arrêt Law, le juge Iacobucci a fait observer ce qui suit :

 

La garantie d'égalité est un concept relatif qui, en dernière analyse, oblige le tribunal à cerner un ou plusieurs éléments de comparaison pertinents. C'est généralement le demandeur qui choisit la personne, le groupe ou les groupes avec lesquels il désire être comparé aux fins de l'analyse relative à la discrimination. Cependant, lorsque la qualification de la comparaison par le demandeur n'est pas suffisante, le tribunal peut, dans le cadre du ou des motifs invoqués, approfondir la comparaison soumise par le demandeur lorsqu'il estime justifié de le faire.  Pour déterminer quel est le groupe de comparaison pertinent, il faut examiner l'objet et les effets des dispositions législatives et tenir compte du contexte dans son ensemble.[11]

 

 

[21]    Le groupe de comparaison proposé par l’appelant n’est pas suffisant. Le refus de l’équivalent du montant pour conjoint n’est pas fondé sur le sexe du contribuable ou sa qualité parentale, mais sur le fait qu’il a versé une pension alimentaire et qu’on lui a accordé une déduction à ce titre. Le groupe de comparaison pertinent est le même que celui défini par le juge Sharlow dans l’arrêt Nelson, à savoir un parent célibataire qui vit avec un enfant et subvient à ses besoins  en vertu d’un accord de garde partagée conclu avec l’autre parent de l’enfant, mais qui n’a pas l’obligation juridique de payer à l’autre parent une pension alimentaire pour l’enfant.

 

[22]    On a admis que les paragraphes 118(1) et (5) de la Loi établissent une distinction entre des contribuables. Dans l’arrêt Nelson, la Cour d’appel fédérale a admis que le paragraphe 118(5) établissait une distinction entre l’appelant et le groupe de comparaison défini.

 

[23]    Dans l'affaire Schachtschneider c. Canada (C.A.)[12], la Cour d’appel fédérale a aussi statué que l’équivalent du montant pour conjoint créait une distinction : « Il ne fait aucun doute qu’un crédit d’impôt est un avantage conféré par la loi, et il ne fait aucun doute que le paragraphe 118(1) accorde à un couple contribuable non marié qui a un enfant un avantage supérieur à celui dont bénéficie un couple marié dont les circonstances sont les mêmes [...][13].

 

[24]    En conséquence, l’argumentation de l’appelant apporte des réponses positives aux questions qui figurent dans la première partie de l’analyse de l’article 15 que l’on trouve dans l’arrêt Law. Les paragraphes 18(1) et (5) de la Loi établissent une distinction entre les contribuables. Il reste à déterminer si l’appelant fait partie d’un groupe qui présente les caractéristiques énumérées au paragraphe 15(1) de la Charte ou des caractéristiques analogues.

 

[25]    La question de savoir ce qui constitue un motif analogue doit être tranchée en tenant compte de l’objet de l’article 15 après avoir déterminé si le motif invoqué est analogue à ceux qui sont mentionnés dans la disposition. Parmi les facteurs qui sont pris en considération pour déterminer si un motif est analogue, il y a la question de savoir si la caractéristique personnelle en est une qui ne peut pas être modifiée sans que la personne perde son intégrité et celle de savoir si les personnes qui possèdent cette caractéristique ont historiquement fait l’objet de discrimination. Dans l'affaire Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien)[14], les juges McLachlin et Bastarache, s’exprimant pour la majorité, ont fait observer ce qui suit :

 

En conséquence, quels sont les critères qui permettent de qualifier d’analogue un motif de distinction? La réponse est évidente, il s'agit de chercher des motifs de distinction analogues ou semblables aux motifs énumérés à l'art. 15 — la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques. Il nous semble que le point commun entre ces motifs est le fait qu'ils sont souvent à la base de décisions stéréotypées, fondées non pas sur le mérite de l'individu mais plutôt sur une caractéristique personnelle qui est soit immuable, soit modifiable uniquement à un prix inacceptable du point de vue de l'identité personnelle. Ce fait tend à indiquer que l'objet de l'identification de motifs analogues à la deuxième étape de l'analyse établie dans Law est de découvrir des motifs fondés sur des caractéristiques qu'il nous est impossible de changer ou que le gouvernement ne peut légitimement s'attendre que nous changions pour avoir droit à l'égalité de traitement garantie par la loi. Autrement dit, l'art. 15 vise le déni du droit à l'égalité de traitement pour des motifs qui sont immuables dans les faits, par exemple la race, ou qui sont considérés immuables, par exemple la religion. D'autres facteurs, que la jurisprudence a rattachés aux motifs énumérés et analogues, tel le fait que la décision produise des effets préjudiciables à une minorité discrète et isolée ou à un groupe qui a historiquement fait l'objet de discrimination, peuvent être considérés comme émanant du concept central que sont les caractéristiques personnelles immuables ou considérées immuables, caractéristiques qui ont trop souvent servi d'ersatz illégitimes et avilissants de décisions fondées sur le mérite des individus.[15]

 

[26]    L’obligation de verser une pension alimentaire pour enfants n’est pas une caractéristique immuable ou considérée immuable comme la race ou la religion. Qui plus est, les parents ayant la garde partagée des enfants qui sont tenus de payer une pension alimentaire pour enfants ne constituent pas un groupe discret ou une minorité isolée non plus qu’un groupe qui a historiquement fait l’objet de discrimination dans la société. Les paragraphes 118(1) et (5) de la Loi n’établissent pas une distinction entre l’appelant et le groupe de comparaison en fonction de caractéristiques personnelles ou de l’application stéréotypée d’un groupe présumé ou de caractéristiques personnelles et ils ne mettent pas en jeu la vocation de l’article 15 de la Charte à corriger les écarts tels que les préjugés, les stéréotypes et les désavantages historiques. L’application du paragraphe 118(5) n’offense pas non plus la dignité, la valeur intrinsèque ou l’amour‑propre de l’appelant. L’appelant n’est pas l’objet d’un traitement distinct pour l’un, voire plusieurs des motifs énumérés et analogues. Par conséquent, le paragraphe 118(5) de la Loi ne contrevient pas à l’article 15 de la Charte.

 

[27]    L'appel est rejeté.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de juin 2002.

 

 

« Gerald J. Rip »

J.C.C.I.


 



[1] Le ministre a aussi tenu pour acquis que l’appelant n’avait pas de personnes à charge admissibles aux termes de l’article 122.5 de la Loi aux fins du crédit de taxe sur les produits et services.

[2] Les autres crédits auxquels l’appelant prétend avoir comprennent un crédit de taxe sur les produits et services en vertu de l’article 122.5 de la Loi et la prestation fiscale pour enfants en vertu de la sous‑section a.1 de la Loi. Ces prétentions auraient été abandonnées à l’audience. L’intimée avait fait valoir que l’appelant avait omis de déposer un avis d’opposition à une cotisation refusant la prestation fiscale pour enfants.

[3] Dans la réponse modifiée à l’avis d’appel, l’intimée s’est appuyée par erreur sur l’alinéa 118(1)a) de la Loi, entre autres choses, plutôt que sur l’alinéa 118(1)b).

[4] The Shorter Oxford English Dictionary definit le terme « comparator » [comparaison] de la manière suivante : [TRADUCTION] un instrument de comparaison, p.ex. des barres d’à peu près égale longueur » Le terme est entré récemment dans le vocabulaire juridique canadien; en autant que je me souvienne, le terme a été utilisé pour la première fois par la Cour divisionnaire de l’Ontario dans l’affaire Haldimand-Norfolk (Regional Municipality) Commissioners of Police v. O.N.A., [1989] O.J. No. 1995. La Cour suprême du Canada semble l’avoir utilisé pour la première fos dans l’affaire Miron v. Trudel, [1995] 2 S.C.R. 418, para. 85. (Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418, par. 85.). Dans l'arrêt Office canadien de commercialisation des oeufs c. Richardson [1998] 3 R.C.S. 157, par. 125, la juge McLaughlin (tel était alors son titre), appuyée par le juge Major, a expliqué dans son opinion dissidente que « comme pour toute analyse en matière de discrimination, la clé consiste à déterminer quels sont les éléments de comparaison appropriés — qui sont les « autres », ceux avec lesquels l’individu a le droit d’être sur un pied d’égalité, par rapport auxquels il a le droit de ne pas être désavantagé. » En général, le terme « comparator » est utilisé dans les affaires d’équité salariale. Il ne semble pas avoir été utilisé par les tribunaux américains, mais il est souvent appliqué dans les pays du Commonwealth depuis le milieu des années 1990.

[5] [2000] 2 R.C.S. 307, par. 188.

[6] [1997] A.C.I. no 361 (Q.L.).

[7] [1999] A.C.I. no 373, confirmé par [2000] A.C.F. no 1613 (C.A.F.) (Q.L.).

[8] [1999] A.C.I. no 885 (QL).

[9] [1999] 1 R.C.S. 497.

[10] Ibid par. 88.

[11] Ibid par. 88.

[12] [1994] 1 C.F. 40 .

[13] Ibid par. 12.

[14] [1999] 2 R.C.S. 203.

[15] Ibid paragraphe 13.

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