Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Dossier : 2008‑351(IT)I

ENTRE :

WILLIAM REEL,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu les 5 et 8 août 2008, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable Gerald J. Rip, juge en chef

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Avocat pour l’intimée :

Me Justin Kutyan

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel formé contre la cotisation établie en application de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2003 est rejeté.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour d’août 2008.

 

 

« Gerald J. Rip »

Le juge en chef Rip

 

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de septembre 2008.

 

Christian Laroche, juriste-traducteur


 

 

 

 

Référence : 2008 CCI 468

Date : 20080818

Dossier : 2008‑351(IT)I

ENTRE :

WILLIAM REEL,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge en chef Rip

 

[1]              Le point en litige soulevé dans le présent appel est de savoir si le ministre du Revenu national a eu raison d’imposer à William Reel la pénalité prévue par le paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu[1] (la Loi). M. Reel ne conteste pas qu’il a omis d’inclure la somme de 38 464 $ dans son revenu de l’année 2003; il est cependant d’avis qu’il ne l’a pas fait sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde dans l’accomplissement d’une obligation imposée par la Loi.

 

[2]              M. Reel a quitté l’université en 1994 au bout de trois ans pour trouver un emploi. Son travail a surtout consisté à faire de la vente. En 2002, lui et Joseph Quinto ont constitué la société Intellistor Solutions Corporation, qui, selon M. Reel, faisait la vente d’unités de sauvegarde sur bande pour ordinateur. Chacun d’eux détenait 50 p. 100 d’Intellistor, et ils étaient ses administrateurs. M. Quinto était président, M. Reel était vice‑président. La clôture de l’exercice de la société était le 31 juillet.

 

[3]              Le rôle de M. Reel dans la société était [traduction] « strictement limité aux ventes », a‑t‑il déclaré. M. Quinto s’occupait lui aussi des ventes, mais il faisait aussi la comptabilité. M. Reel a expliqué que les pièces comptables étaient conservées dans un logiciel, Quick Books, qui se trouvait sur l’ordinateur de M. Quinto. Les factures, les comptes clients, les pièces à produire, se rappelait‑il, se trouvaient tous sur l’ordinateur de M. Quinto. M. Reel a déclaré qu’il ne connaissait pas le mot de passe nécessaire pour accéder à ce qui se trouvait dans l’ordinateur.

 

[4]              M. Reel passait en revue [traduction] « régulièrement » les [traduction] « chiffres des ventes » de la société et d’autres questions financières. Tous les chèques, y compris les chèques faits payables à leur ordre, étaient signés à la fois par M. Reel et par M. Quinto.

 

[5]              Intellistor ne payait pas de salaires à M. Reel et à M. Quinto; tous deux recevaient des [traduction] « honoraires de consultant » lorsque la société disposait de fonds suffisants pour les payer. Ils [traduction] « essayaient de tirer » 6 000 $ par mois chacun, mais la décision concernant la somme que chacun d’eux recevrait au cours d’un mois donné était subordonnée à la nécessité de laisser suffisamment d’argent dans la société pour assurer son fonctionnement. Certains mois, ils ne recevaient pas d’honoraires.

 

[6]              L’intimée a produit des copies des chèques remis à M. Reel, ainsi que les imprimés d’un [traduction] « compte QuickReport » pour les exercices 2003 et 2004 d’Intellistor. Durant la période allant de janvier 2003 au 31 juillet 2003, au cours de l’exercice 2003 de la société, la société a versé à M. Reel des honoraires de consultant se chiffrant à 50 852,57 $. Durant la période allant du 5 août 2003 au 23 octobre 2003, au cours de l’exercice 2004 de la société, la société a versé à M. Reel des honoraires de consultant se chiffrant à 23 413,75 $, soit un total de 74 266,32 $ pour l’année civile 2003. Intellistor déduisait les dépenses d’entreprise.

 

[7]              Dans le QuickReport, les honoraires de consultant étaient répartis en plusieurs catégories : « Joe Quinto », « Maria Quinto », « Will Reel » et [traduction] « autres ». (Durant les exercices 2003 et 2004, il y a eu des ajouts aux honoraires de consultant au titre de sommes dues par les deux actionnaires.)

 

[8]              Dans sa déclaration de revenus de 2003, M. Reel a déclaré un revenu de 35 852 $ reçu d’Intellistor. M. Quinto [traduction] « avait traité » les chèques. M. Reel a reconnu qu’il savait combien il recevait au cours d’un mois donné. Il a dit : « [N]ous savions que nous devions […] déclarer notre revenu et payer l’impôt sur notre revenu personnel […] »

 

[9]              Richard Sanders, qui était le comptable d’Intellistor, a également préparé la déclaration de revenus de 2003 de M. Reel. La position adoptée par M. Reel dans l’appel est qu’il n’a commis aucune faute lourde en n’incluant pas dans sa déclaration de revenus de 2003 la somme de 38 414 $ pour honoraires de consultant, parce que M. Sanders savait à combien se chiffraient ses honoraires de consultant reçus d’Intellistor et que c’est M. Sanders qui avait négligé d’inclure tous les honoraires dans sa déclaration de revenus de 2003. M. Reel a dit que, pour la préparation des déclarations de revenus, il s’en remettait à un comptable professionnel qui connaissait ses affaires et les affaires d’Intellistor, le payeur des honoraires de consultant. Si un revenu n’avait pas été déclaré, de dire M. Reel, alors cette omission n’avait pas été délibérée. Il avait eu recours aux services d’un expert‑comptable pour sa déclaration de revenus.

 

[10]         M. Reel avait rencontré M. Sanders pour discuter avec lui à la fois de sa déclaration personnelle de revenus et de celle de la société. M. Reel avait demandé à M. Quinto d’envoyer à M. Sanders les pièces dont celui‑ci avait besoin pour préparer les déclarations de revenus, mais il ne savait pas exactement ce que M. Quinto avait ou n’avait pas envoyé à M. Sanders. Lorsqu’il avait passé en revue sa déclaration personnelle de revenus avec M. Sanders, M. Reel n’avait vérifié la déclaration que pour voir combien il devait en impôts. Il n’y avait pas eu de discussion. Il n’avait pas versé d’acomptes provisionnels durant l’année.

 

[11]         M. Sandeep Kanvinde, un vérificateur de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), a lui aussi témoigné. Au cours d’un audit d’Intellistor à propos de la taxe sur les produits et services, il avait constaté un écart entre les honoraires de consultant déclarés par la société et les honoraires de consultant déclarés par M. Reel. (M. Quinto n’a pas, semble‑t‑il, produit de déclaration de revenus pour 2003.) L’écart était de 107 p. 100, c’est‑à‑dire que la somme non déclarée représentait 107 p. 100 de la somme déclarée.

 

[12]         L’important écart entre la somme déclarée et la somme non déclarée, outre le fait que M. Reel avait signé tous les chèques faits à son ordre, avait conduit M. Kavinde à recommander une pénalité selon le paragraphe 163(2). À son avis, les administrateurs avaient la responsabilité des sommes payées et ils avaient une connaissance personnelle des paiements effectués.

 

[13]         Lorsque M. Kavinde avait eu un entretien avec M. Reel, Intellistor avait cessé ses activités. Il a reconnu que M. Reel avait coopéré dans l’audit de la société et dans son audit personnel. Les documents furent [traduction] « volontiers » remis à l’ARC.

 

[14]         L’intimée reconnaît que M. Reel n’a pas sciemment fait un faux énoncé ou une omission dans sa déclaration de revenus de 2003. Il n’y a pas eu intention délibérée de tromper l’ARC.

 

[15]         Le point en litige est de savoir si, au vu des faits qui m’ont été soumis, la non‑déclaration d’un revenu par M. Reel peut être attribuée à une faute lourde de sa part.

 

[16]         L’avocat de l’intimée a fait valoir que M. Reel avait délibérément négligé de reconnaître que son revenu était bien supérieur à celui qu’il avait déclaré. M. Reel avait travaillé pour plusieurs entreprises et il avait fait des études de niveau universitaire. Intellistor exploitait une petite entreprise, et M. Reel était l’un de ses deux actionnaires et administrateurs. M. Reel n’avait qu’une source de revenus. Il signait les chèques pour la société. Il déposait dans son compte bancaire personnel les chèques qu’il recevait à titre d’honoraires de consultant. Il était, ou aurait dû être, informé de son revenu.

 

[17]         M. Reel, d’expliquer l’avocat de l’intimée, semble avoir été plus soucieux de générer des revenus pour Intellistor que de s’acquitter de ses obligations fiscales personnelles.

 

[18]         Dans son témoignage, M. Reel a souligné qu’il n’avait pas accès aux documents comptables d’Intellistor, en particulier à l’information se trouvant sur l’ordinateur de M. Quinto. Cependant, l’avocat de l’intimée a fait une distinction entre les documents comptables de la société et les documents personnels de M. Reel. Selon l’avocat, quelqu’un d’autre était peut‑être à blâmer pour les comptes d’Intellistor, mais, pour ce qui le concernait personnellement, M. Reel savait [traduction] « combien il touchait ». Il savait combien il dépensait et il devait savoir le revenu qu’il gagnait pour financer ses dépenses.

 

[19]         Le juge Strayer expliquait, dans la décision Venne c. La Reine[2], que « [l]a "faute lourde" doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu’un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la Loi ».

 

[20]         M. Reel n’était pas outre mesure préoccupé par le revenu qui devait être déclaré. Lorsqu’il avait rencontré M. Sanders, tout ce qu’il voulait savoir, c’était combien il devait payer en impôts pour l’année 2003. Il était à l’évidence très satisfait du montant relativement faible d’impôt qu’il devait payer. Il n’a pas, semble‑t‑il, passé en revue la déclaration de revenus, ni n’a demandé à M. Sanders de le renseigner sur la déclaration. M. Reel ne s’est nullement soucié de ce qui figurait dans sa déclaration de revenus.

 

[21]         Dans la décision DeCock c. M.R.N.[3], j’écrivais qu’un homme d’affaires qui connaît ses sources de revenus ne saurait se dégager de l’éventualité d’une pénalité selon le paragraphe 163(2) parce qu’il confie ses affaires fiscales à un professionnel et accepte aveuglément, sans poser de questions, ce qu’a fait le professionnel.

 

[22]         M. Reel impute à son comptable, M. Sanders, la non‑déclaration de son revenu. M. Reel ne savait pas quels renseignements M. Sanders lui avait demandés, et quels renseignements il avait pu lui communiquer, directement ou par l’entremise de M. Quinto.

 

[23]         M. Kavinde a témoigné que l’audit de M. Reel avait eu pour origine le fait qu’Intellistor avait déduit des paiements d’honoraires de consultant qui dépassaient ce que M. Reel avait déclaré. Compte tenu de la décision Udell c. M.R.N.[4], cela m’autorise‑t‑il à dire que M. Reel a communiqué à M. Sanders les renseignements requis?

 

[24]         Dans la décision Udell, l’appelant portait habituellement des inscriptions fidèles dans son livre comptable préimprimé et confiait à un expert‑comptable la tâche de préparer ses déclarations de revenus. Transposant les chiffres de M. Udell dans ses feuilles de travail, le comptable avait commis plusieurs erreurs dont il fut admis qu’elles résultaient d’une faute lourde.

 

[25]         On ne sait pas ce qui fut à l’origine ici de la non‑déclaration du revenu. L’omission était‑elle attribuable à une faute lourde de M. Sanders, ou l’information qui lui fut communiquée était‑elle douteuse? M. Sanders n’a pas témoigné. J’ai informé M. Reel que j’étais disposé à ajourner l’instruction de son appel s’il souhaitait appeler M. Sanders à témoigner; M. Reel a répondu qu’il souhaitait que l’instruction se poursuive.

 

[26]         Le juge en chef Bowman écrivait ce qui suit :

 

Pour établir la distinction entre la faute « ordinaire » ou la négligence et la faute « lourde », il faut examiner plusieurs facteurs. Un de ces facteurs est bien entendu l’importance de l’omission relative au revenu déclaré. Il y a aussi la faculté du contribuable de découvrir l’erreur, ainsi que le niveau d’instruction du contribuable et son intelligence apparente. Il n’existe aucun facteur qui soit prédominant. Il faut accorder à chacun des facteurs le poids qu’il convient dans le contexte de l’ensemble de la preuve[5].

 

[27]         Dans le présent appel, nous avons affaire à une personne intelligente qui a négligé de révéler 107 p. 100 de son revenu, un revenu qui lui a été versé au moyen de chèques signés par lui. Comme l’écrivait le juge en chef Bowman dans la décision DaCosta, un appelant ne saurait « signer nonchalamment sa déclaration et passer outre à l’omission »[6] de sommes que, dans la présente affaire, il s’était versées à lui‑même. C’est là davantage qu’une faute ordinaire.

 

[28]         L’appel est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour d’août 2008.

 

 

« Gerald J. Rip »

Le juge en chef Rip

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de septembre 2008.

 

Christian Laroche, juriste-traducteur


 

 

RÉFÉRENCE :                                  2008 CCI 468

 

 

DOSSIER DE LA COUR :                 2008‑351(IT)I

 

 

INTITULÉ :                                       WILLIAM REEL c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

 

DATES DE L’AUDIENCE :               Les 5 et 8 août 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable Gerald J. Rip, juge en chef

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 18 août 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Avocat de l’intimé :

Me Justin Kutyan

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                     

 

                          Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1]           Le paragraphe 163(2) prévoit notamment ce qui suit :

 

(2) Faux énoncés ou omissions — Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité […]

(2) False statements or omissions — Every person who, knowingly, or under circumstances amounting to gross negligence, has made or has participated in, assented to or acquiesced in the making of, a false statement or omission in a return, form, certificate, statement or answer (in this section referred to as a "return") filed or made in respect of a taxation year for the purposes of this Act, is liable to a penalty . . .

 

[2]           84 D.T.C. 6247, p. 6256 (CFPI).

[3]           84 D.T.C. 1523, p. 1528.

[4]           70 D.T.C. 6019.

[5]           DaCosta c. La Reine, 2005 CCI 545, paragraphe 11.

[6]           Paragraphe 12.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.