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Dossier : 2007‑1132(IT)G

ENTRE :

 

ELLEN REMAI, EN SA QUALITÉ D’EXÉCUTRICE

TESTAMENTAIRE DE LA SUCCESSION DE FRANK REMAI,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 24 avril 2008, à Calgary (Alberta).

 

Devant : L’honorable juge en chef adjoint E. P. Rossiter

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelante :

MCurtis R. Stewart

MJasmine Sidhu

 

Avocate de l’intimée :

MBonnie Moon

 

____________________________________________________________________

JUGEMENT

       L’appel formé contre la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2001 est accueilli, avec dépens, et la cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformes aux motifs du jugement ci‑joints.

 

       Signé à Charlottetown (Île‑du‑Prince‑Édouard), ce 19jour d’août 2008.

 

« E. P. Rossiter »

Juge en chef adjoint Rossiter

 

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de mai 2009.

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

 

Référence : 2008CCI344

Date : 20080819

Dossier : 2007‑1132(IT)G

ENTRE :

 

ELLEN REMAI, EN SA QUALITÉ D’EXÉCUTRICE

TESTAMENTAIRE DE LA SUCCESSION DE FRANK REMAI,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge en chef adjoint Rossiter

 

Introduction

 

[1]   Appel est interjeté d’une nouvelle cotisation établie le 8 juillet 2005 en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») à l’égard de la succession de Frank Remai.

 

[2]   La nouvelle cotisation donnait suite au rejet, par l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), de crédits pour dons de bienfaisance de 10 500 000 $ déduits en 2001 par le défunt, Frank Remai.

 

[3]   Frank Remai (« Frank ») détenait la totalité des actions d’une société de gestion, F.R. Management (« FRM »). FRM a payé à Frank des frais de gestion sous la forme de billets à ordre portant intérêt, et Frank a fait don de ces billets à ordre à la Fondation Frank et Ellen Remai (la « Fondation »), dont Frank était la tête pensante. La Fondation a vendu les billets à un tiers selon les mêmes conditions que celles des billets ainsi donnés. L’ARC a estimé que la vente était une vente conclue entre parties ayant un lien de dépendance.

 

Les faits

 

[4]   L’appelante et l’intimée ont déposé un exposé conjoint partiel des faits, et l’appelante a produit d’autres preuves par l’entremise de témoins.

 

[5]   Frank et Ellen Remai ont établi la Fondation en 1992 en tant que fondation privée et en tant qu’organisme de bienfaisance enregistré, aux fins de la constitution d’un mécanisme à long terme qui leur permettrait d’exercer leurs activités philanthropiques. Les administrateurs de la Fondation étaient Frank et Ellen Remai et le frère de Frank Remai, Henry Remai. Ellen et Frank étaient les administrateurs actifs de la Fondation; en dernière analyse, Frank était la tête pensante de la Fondation, puisqu’il prenait toutes les décisions. Les dons faits par la Fondation à d’autres organismes de bienfaisance de 1992 à 2004 ont totalisé plus de 4 000 000 $, et le capital de la Fondation n’avait jamais été entamé. Un certain pourcentage ou un contingent de versements établi d’après le capital de la Fondation était versé annuellement. Outre qu’il détenait la totalité des actions de FRM, Frank détenait aussi la totalité des actions de Remai Ventures Inc. (« Ventures ») et il détenait des participations dans plusieurs autres entités dont le bénéfice net, pour certaines d’entre elles, revenait à FRM. Darrell Remai (« Darrell »), un neveu de Frank, était l’actionnaire principal et l’administrateur de Sweet Developments Ltd. (« Sweet »).

 

[6]   Sweet et FRM, par l’entremise d’autres intérêts détenus par Frank, formaient des partenariats et avaient pour activités la mise en valeur et l’exploitation de résidences pour personnes âgées, outre d’autres intérêts commerciaux, dont la gestion de projets, la rénovation et la promotion immobilière.

 

[7]   Le 1er octobre 1999, Sweet et Ventures ont conclu un partenariat en vue de développer et d’exploiter un centre pour personnes âgées à Regina (Saskatchewan). Après cette date, les deux sociétés ont également développé trois autres centres pour personnes âgées, un à Swift Current, un deuxième à Yorkton et un troisième à Moose Jaw, en Saskatchewan.

 

[8]   Sweet était l’entrepreneur général dans la mise sur pied de ces centres pour personnes âgées et détenait une participation de 25 p. 100 dans Ventures, mais Sweet construisait aussi, et remettait à neuf, avec et pour Frank, de nombreux immeubles, y compris des condominiums, dans lesquels la société détenait ou non des participations. À l’évidence, il régnait entre Darrell et Frank une grande confiance, qui s’est intensifiée au fil du temps à mesure qu’ils joignaient leurs efforts dans des entreprises communes.

 

[9]   Le 31 décembre 1998, FRM a émis un billet à ordre de 4 000 000 $ portant intérêt (le « billet de 1998 ») en faveur de Frank, à titre de frais de gestion. Frank a fait don du billet de 1998 à la Fondation, et la Fondation lui a remis un reçu selon un montant de 4 000 000 $. Le reçu fut joint à la déclaration de revenu T1 de 1998 de Frank Remai, comme justification d’un crédit d’impôt pour don de bienfaisance.

 

[10]  Le 31 décembre 1999, une opération semblable a eu lieu, cette fois pour la somme de 6 500 000 $ (le « billet de 1999 »). Frank a fait don du billet de 1999 à la Fondation, et il a demandé un crédit d’impôt pour don de bienfaisance de 6 500 000 $ dans sa déclaration de revenu T1 de 1999.

 

[11]  L’ARC a refusé les crédits d’impôt pour dons de bienfaisance ainsi demandés, au motif que, selon le budget fédéral de 1997, les billets de 1998 et de 1999 étaient des titres non admissibles, car il s’agissait de créances sur une personne avec laquelle Frank avait un lien de dépendance. Des opérations semblables effectuées par Frank antérieurement à 1998 avaient été admises par l’ARC, mais des modifications apportées à la Loi avaient rendu non conformes les opérations faites en 1998 et en 1999. Frank s’est opposé aux cotisations, un avis de ratification a été signifié, mais il n’y a pas eu de recours additionnel.

 

[12]  Le 4 juillet 2001, par accord de vente d’actifs, la Fondation a vendu les billets de 1998 et de 1999 (ainsi que d’autres billets) à Sweet, pour un billet à ordre assorti du même taux d’intérêt et représentant le total des billets, plus les intérêts courus.

 

[13]  Les taux d’intérêt applicables aux billets de 1998 et de 1999 étaient les taux affichés de l’ARC, mais ils étaient plus élevés que le taux requis de décaissement appliqué par la Fondation, de telle sorte que la Fondation disposerait toujours d’une trésorerie suffisante pour pouvoir répondre au contingent de versements annuel sans entamer son capital. La Fondation ne comptabilisait pas de frais administratifs, car ces frais étaient supportés par FRM, ou personnellement par Frank.

 

[14]  Il y eut plus tard d’autres opérations, semblables pour l’essentiel à l’opération susmentionnée, mais elles sont sans effet sur les points soumis à la Cour.

 

[15]  Ron Grozell, un comptable agréé (« Grozell »), fut, de 1985 jusqu’au 31 décembre 2004, le directeur financier du groupe de sociétés de Frank. Il avait une connaissance intime des affaires financières du groupe Remai, puisqu’il s’occupait des aspects suivants : la communication de l’information financière, les questions bancaires, les questions de financement et la production des déclarations de revenu. Il s’était occupé aussi des déclarations personnelles de revenu de Frank et d’Ellen Remai tout au long de cette période. Une expertise comptable externe était mise à contribution lorsque les établissements bancaires l’exigeaient.

 

[16]  Selon Grozell, la raison pour laquelle Frank avait fait don des billets de 1998 et de 1999, ainsi que d’autres billets, était double : (1) constituer le capital de la Fondation et (2) permettre à Frank d’obtenir un reçu pour don de bienfaisance.

 

[17]  Lorsque Grozell a produit les déclarations T1 de 1998 et de 1999 de Frank, où étaient demandés les crédits d’impôt pour dons de bienfaisance au titre des billets de 1998 et de 1999, il croyait que les dons étaient validement déduits parce qu’il s’était conformé, durant les années antérieures, au mécanisme existant. Cependant, le budget fédéral de 1997 avait modifié le recours aux crédits pour dons de bienfaisance. Grozell avait alors exploré les moyens de résoudre le problème fiscal soulevé par le don des billets de 1998 et de 1999, estimant finalement que la question pouvait être réglée si la Fondation vendait les billets à une entité sans lien de dépendance.

 

[18]  À cette fin, Grozell avait exploré deux solutions. La première consistait pour FRM à emprunter à une banque (HSBC) des fonds pour acquitter les billets détenus par la Fondation; la banque avait donné son accord, mais la Fondation allait devoir déposer la même somme dans un CPG à la même banque. FRM paierait à la banque, pour le prêt, un taux d’intérêt supérieur à celui qu’elle payait sur les billets. La Fondation recevrait encore ses 4,5 p. 100 sur le CPG pour permettre à la Fondation d’atteindre le contingent de versements sans qu’elle entame son capital – l’écart des taux d’intérêt allait coûter environ 40 000 $ par année à FRM, un coût qui serait répercuté sur la Fondation. La deuxième solution, plus favorable, consistait pour la Fondation à vendre les billets de 1998 et de 1999 à une entité sans lien de dépendance telle que la société personnelle de Grozell, Big Sky Drilling Ltd. (« Big Sky »). Big Sky n’avait pas les moyens financiers requis pour conclure un prêt sans recours avec FRM, et Sweet fut donc invitée à intervenir dans l’opération.

 

[19]  Grozell était d’avis que Sweet, la Fondation et Frank étaient des parties sans lien de dépendance. Il savait que Sweet avait les moyens financiers de conclure l’affaire, même si c’était un prêt sans recours, et, selon lui, Sweet ne courait aucun risque dans l’opération. Grozell avait acquis de Darrell, en mars 2001, une participation de 10 p. 100 dans Sweet.

 

[20]  Une rencontre informelle a eu lieu entre Frank, Grozell et Darrell. La discussion a porté notamment sur les difficultés de Frank au chapitre de la déductibilité fiscale des billets de 1998 et de 1999. Sweet a obtenu de ses avocats et de ses comptables un avis indépendant. Il y a eu au moins une autre rencontre, au cours de laquelle Grozell informa Sweet que l’opération était sans risque étant donné la solide position financière de FRM. Si la Fondation n’acceptait pas de conclure l’opération avec Sweet, alors, selon Grozell, il faudrait recourir à la première solution, qui consistait à financer par l’entremise d’une banque le paiement des billets détenus par la Fondation.

 

[21]  L’opération exigeait donc que les billets de 1998 et de 1999 ainsi donnés à la Fondation soient vendus à Sweet, la Fondation recevant de Sweet, à titre de paiement, un billet à ordre assorti des mêmes conditions. Sweet n’a pas proposé que : (1) le taux d’intérêt sur son billet soit différent du taux d’intérêt sur les billets de 1998 et de 1999; (2) le montant de son billet soit différent de celui des billets de 1998 et de 1999; (3) il y ait un écart de taux d’intérêt entre ce billet à ordre et les billets de 1998 et de 1999; ni que (4) une commission ou rémunération lui soit versée pour sa participation à l’opération. Selon Grozell, la Fondation avait l’obligation morale de faire d’un titre par ailleurs non admissible un titre admissible de telle sorte que soit résolu le problème fiscal de Frank. L’opération ne présentait aucun avantage financier pour Sweet, mais elle offrait à Sweet l’occasion de consolider ses relations d’affaires avec le groupe Remai.

 

Les points litigieux

 

[22]  Deux points sont soumis à l’examen de la Cour :

 

1.           Selon l’alinéa 251(1)c) de la Loi, l’appelante et Sweet ont‑elles traité sans lien de dépendance lorsque Sweet a acheté à la Fondation les billets de 1998 et de 1999 et, plus précisément, ont‑elles traité sans lien de dépendance avant, durant et immédiatement après l’opération conclue le 4 juillet 2001?

 

2.           Si la relation entre l’appelante et Sweet était une relation entre des parties sans lien de dépendance, l’article 245 de la Loi (la RGAÉ) s’applique‑t‑il à l’opération en cause?

 

Le droit et l’analyse

 

(1)   Le paragraphe 251(1) de la Loi

 

[23]  L’appelante a appelé l’attention de la Cour sur ce qu’elle a qualifié de question technique. Le paragraphe 251(1) de la Loi prévoit ce qui suit :

 

ARTICLE 251 : Lien de dépendance.

 

(1)   Pour l’application de la présente loi :

 

 

a) des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

 

b) un contribuable et une fiducie personnelle (sauf une fiducie visée à l’un des alinéas a) à e.1) de la définition de «fiducie » au paragraphe 108(1)) sont réputés avoir entre eux un lien de dépendance dans le cas où le contribuable, ou une personne avec laquelle il a un tel lien, aurait un droit de bénéficiaire dans la fiducie si le paragraphe 248(25) s’appliquait compte non tenu de ses subdivisions b)(iii)(A)(II) à (IV);

 

c) en cas d’inapplication de l’alinéa b), la question de savoir si des personnes non liées entre elles n’ont aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait.

 

[24]  L’alinéa 251(1)a) parle de « personnes liées ». L’appelante et l’intimée reconnaissent que les parties à l’opération ne sont pas des personnes liées, et l’alinéa 251(1)a) ne s’applique donc pas.

 

[25]  L’alinéa 251(1)b) n’est évidemment pas applicable d’après les faits soumis à la Cour. Il nous reste donc l’alinéa 251(1)c), qui parle simplement d’un cas où l’alinéa b) ne s’applique pas. Comme nous l’avons vu, l’alinéa b) ne s’applique pas compte tenu des faits soumis à la Cour. Si l’alinéa 251(1)c) ne s’applique pas, au motif qu’il n’est applicable que si l’alinéa b) ne s’applique pas, alors il n’y a aucune question que la Cour doive trancher, parce que, par exclusion, les parties doivent traiter l’une avec l’autre sans lien de dépendance.

 

[26]  L’existence d’une difficulté était évidemment admise en ce qui concerne cette disposition particulière, puisque le Parlement est actuellement saisi du projet de loi C‑10, qui propose la modification de l’alinéa 251(1)c), applicable après le 23 décembre 1998, afin de [traduction] « préciser qu’il s’applique à toute situation où les alinéas a) et b) ne s’appliquent pas ». Le projet de loi C‑10 n’a pas reçu la sanction royale et la modification proposée n’a donc pas force de loi. La modification proposée elle‑même et la note explicative donnent du poids à l’argument de l’appelante selon lequel l’alinéa 251(1)c) de la Loi est inapplicable en l’espèce. La disposition, dans son libellé actuel, ne présente aucune ambiguïté, et je ne lui donnerai certainement pas, avant le temps, le sens que le législateur voudrait lui donner. L’appelante et l’intimée reconnaissent que les parties à l’opération ne sont pas des personnes liées, et donc l’alinéa 251(1)a) ne s’applique pas. Les faits n’autorisent pas l’application de l’alinéa 251(1)b), et cet alinéa ne s’applique donc pas. L’alinéa 251(1)c) ne s’applique pas puisque l’alinéa 251(1)b) n’est pas applicable, et, par conséquent, les parties traitent donc sans lien de dépendance.

 

(2)   L’existence d’un lien de dépendance

 

[27]  Pour le cas où je ferais fausse route dans ma manière d’interpréter l’applicabilité de l’alinéa 251(1)c), je me demanderai maintenant si l’opération en cause était une opération entre parties sans lien de dépendance. Pour cela, il faut répondre aux questions suivantes :

 

1.           Un seul cerveau dirigeait‑il les négociations pour les deux parties à l’opération?

 

2.           Les parties à l’opération agissaient‑elles de concert, sans intérêts distincts?

 

3.           L’une des parties à l’opération exerçait‑elle un contrôle effectif sur l’autre?

 

[28] Dans l’arrêt R. v. McLarty, 2008 D.T.C. 6354, la Cour suprême du Canada a fait sienne l’approche analytique adoptée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Peter Cundill & Associates Ltd. v. The Queen, 91 D.T.C. 5543 (CAF). La Cour suprême écrivait notamment ce qui suit :

 

62 Le bulletin d’interprétation IT‑419‑R2 de l’Agence du revenu du Canada intitulé « Sens de l’expression ‘sans lien de dépendance’ » (8 juin 2004) énonce une méthode pour déterminer s’il existe ou non un lien de dépendance entre les parties à une opération. La réponse dépendra des faits de chaque affaire. Les tribunaux ont toutefois élaboré et accepté des critères utiles : voir par exemple Peter Cundill & Associates Ltd. c. La Reine, [1991] 1 C.T.C. 197 (C.F. div. 1re inst.), conf. par [1991] 2 C.T.C. 221 (C.A.F.). Le bulletin indique ce qui suit :

 

22. En proposant des critères généraux pour déterminer si, pour une opération donnée, des personnes non liées ont entre elles un lien de dépendance ou non, il faut tenir compte du fait qu’il est impossible d’élaborer des lignes directrices prévoyant toutes les situations. Chaque transaction ou série de transactions donnée doit être examinée individuellement. Vous trouverez ci‑après les lignes directrices générales de l’ARC ainsi que des commentaires particuliers à propos de certaines relations.

 

23. Les tribunaux ont, de manière générale, appliqué les critères suivants pour déterminer si une transaction avait été réalisée entre des personnes « sans lien de dépendance » :

 

·        un seul cerveau dirige les négociations pour les deux parties à une transaction;

·        les parties à une transaction agissent de concert sans intérêts distincts;

·        il y a exercice effectif (de fait) du contrôle.

 

       « Seul cerveau »

 

[29]  Pour savoir si un seul cerveau dirigeait les négociations pour les deux parties à l’opération, il faut non seulement s’intéresser à la période qui a suivi immédiatement l’opération, mais également aux faits antérieurs, concomitants et postérieurs.

 

[30]  Frank contrôlait FRM et il était la tête pensante de la Fondation. Malgré ses relations d’affaires avec Sweet, il n’est pas établi qu’il exerçait un contrôle direct ou indirect sur Sweet. Il n’a pas été prouvé que FRM ou Frank détenait une participation dans Sweet, ni que Sweet était la débitrice de FRM ou de Frank, et il n’a pas été établi que Frank était un dirigeant ou administrateur de Sweet. Cependant, la preuve a montré que Sweet serait naturellement favorable à des relations d’affaires avec Frank en raison des entreprises auxquelles ils avaient ensemble participé par le passé, et en raison de la possibilité pour eux de participer ensemble à des occasions d’affaires dans l’avenir. Avant l’opération, un genre de désaccord avait surgi entre Frank et Sweet à propos de la gestion d’un certain projet auquel tous deux avaient été mêlés.

 

[31]  La preuve a révélé que Darrell était un homme d’affaires indépendant qui veillait à ses propres intérêts commerciaux, séparément de Frank et de son groupe de sociétés, et qu’il prenait toutes les décisions se rapportant à Sweet.

 

[32]  La manière dont l’opération a pris naissance, puis s’est réalisée, n’est pas sans intérêt. Grozell avait proposé les solutions qui s’offraient pour que les billets de 1998 et de 1999 deviennent des titres admissibles, à savoir l’une des trois possibilités suivantes :

 

1.           un financement par l’entremise d’une banque;

2.           une vente à sa propre société Big Sky;

3.           une vente à Sweet.

 

Puisqu’une opération par l’entremise d’une banque allait entraîner une réduction de 40 000 $ par année du revenu de la Fondation, et puisque la société de Grozell n’avait pas les moyens financiers de conclure un prêt sans recours, la décision fut prise de s’adresser à Sweet. Sweet a examiné la proposition, même si elle n’allait en tirer aucun avantage financier, que ce soit un écart de taux d’intérêt entre son billet à ordre et les billets de 1998 et de 1999, ou une autre contrepartie financière. Sweet avait fait des affaires avec le groupe de Frank auparavant et pouvait compter en faire d’autres à l’avenir. Sweet a obtenu un avis indépendant concernant l’opération. C’est Sweet qui a pris la décision d’aller de l’avant et personne d’autre. D’autres solutions s’offraient à la Fondation, mais elles étaient un peu plus coûteuses. Sweet aurait pu refuser le marché, mais elle ne l’a pas fait. Les deux parties ont abordé l’opération selon une perspective propre à chacune d’elles, en fonction de leurs intérêts propres, et elles ont pris chacune leur décision, après que Sweet eut considéré les risques de l’opération ainsi que la légalité de celle‑ci. Le fait que Frank ait pu tirer avantage de l’opération ne permet pas de dire qu’un seul cerveau a dirigé les négociations, car il est tout à fait évident que Sweet a pris sa propre décision sur l’opportunité de conclure ou non l’opération.

 

       « Intérêts distincts »

 

[33]  La preuve montre que chacune des parties veillait finalement à ses propres intérêts. La Fondation allait épargner 40 000 $ en frais supplémentaires d’intérêts, des frais qu’il lui aurait fallu payer si l’opération s’était faite par l’entremise d’une institution financière. Simultanément, la Fondation allait résoudre un problème fiscal pour son très estimé et très apprécié bienfaiteur. Si la Fondation pouvait rendre service à son bienfaiteur en l’aidant à résoudre un problème fiscal qui résultait de dons faits à la Fondation et si elle pouvait lui rendre ce service par une opération sans incidence sur sa trésorerie, en évitant d’avoir à débourser 40 000 $ en frais annuels d’intérêts, pourquoi n’irait‑elle pas de l’avant avec l’opération? Simultanément, Sweet ne bénéficiait pas de l’opération sur le plan financier; Sweet était persuadée de la légalité de l’opération, elle ne voyait aucun risque réel dans l’opération et elle pouvait continuer de consolider ses relations d’affaires avec Frank. Sweet a considéré ses propres intérêts. Une grosse somme d’argent allait transiter par son propre compte bancaire, et cela était intéressant parce qu’on aurait alors l’impression que Sweet brassait de grosses sommes. Sweet a obtenu pour l’opération un avis juridique et un avis comptable indépendants, et elle a considéré les effets que l’opération pouvait avoir sur elle. Vu le caractère restreint du risque, elle a décidé d’aller de l’avant.

 

       « Contrôle effectif »

 

[34]  Le juge Bell écrivait ce qui suit, dans la décision Baxter v. The Queen, 2006 D.T.C. 2642, au paragraphe 51 (C.C.I.) (décision confirmée par la Cour d’appel fédérale sur d’autres moyens, 2007 D.T.C. 5199) :

 

[…] Le fait que les parties estimaient avoir établi une relation mutuellement avantageuse tout en agissant dans leurs propres intérêts individuels et qu’elles étaient libres, sans qu’une partie exerce un contrôle sur l’autre, de nouer ou de ne pas nouer cette relation veut dire qu’en fait, il n’existait pas entre elles de lien de dépendance.

 

[35]  Sweet, FRM et Frank entretenaient depuis de nombreuses années des relations mutuellement avantageuses, mais chacun agissait dans ses propres intérêts et était libre de nouer ou non ces relations, sans subir le contrôle des autres.

 

[36]  Je crois que Frank a pu avoir une certaine influence sur Sweet, tout simplement en raison de leurs relations d’affaires, passées et courantes, et en raison de l’envergure financière de Frank; cependant, la question n’est pas de savoir s’il avait quelque influence, mais plutôt de savoir si Sweet subissait l’influence ou le contrôle effectif de Frank. Sweet était une société autonome, qui appartenait à Darrell et que Darrell exploitait, et, même si elle entretenait depuis longtemps des relations d’affaires avec Frank, elle n’était certainement pas dépendante économiquement de Frank ou de son groupe de sociétés. Elle avait développé indépendamment ses propres projets et elle était devenue très prospère. Au surplus, les relations d’affaires entre Sweet et FRM étaient assorties d’une certaine protection, qui leur permettait de mettre fin à leurs relations d’une manière mutuellement avantageuse, au moyen d’une clause de coercition.

 

[37]  Vu la nature de l’opération, qui pour Sweet était essentiellement neutre, le fait que Sweet n’ait pas cherché à obtenir de meilleures conditions est sans véritable conséquence étant donné les relations d’affaires de longue date entre elle et Frank. Il n’y avait pas de rétribution pécuniaire pour Sweet, ce qui, dans des conditions normales, pourrait‑on croire, eût influé sur la décision de Sweet, mais je crois que la décision de Sweet s’explique en partie par les relations d’affaires de longue date entre elle et Frank et par la confiance que l’un avait en l’autre depuis des années. Il ne s’agit tout simplement pas d’un cas où une seule personne dicte les conditions du marché au nom des deux parties – Sweet a analysé l’affaire et a pris sa décision de son propre chef.

 

[38]  L’intimée s’est référée à l’extrait suivant d’un arrêt de la Cour d’appel fédérale, Petro‑Canada v. The Queen, 2004 D.T.C. 6329, où la juge Sharlow écrivait ce qui suit, au paragraphe 55 :

 

Le juge a examiné ces questions implicitement plutôt qu’expressément et il a conclu que les sociétés d’exploration en commun avaient un lien de dépendance lorsqu’elles avaient conclu l’accord visant l’achat et la vente de données sismiques. À mon avis, la preuve justifie cette conclusion. Les termes des opérations ne traduisaient pas des relations commerciales ordinaires entre fournisseurs et acheteurs agissant dans leurs propres intérêts. Les sociétés d’exploration en commun, par exemple, n’ont pas tenté de négocier une ristourne, comme cela eût été normal, selon la preuve, pour des acquisitions aussi volumineuses de données sismiques. Aucune des deux sociétés d’exploration en commun n’agissait indépendamment et dans son propre intérêt lorsqu’elle a conclu les opérations. Les modalités de l’opération étaient en fait dictées conjointement par Petro‑Canada et par Phillips (dans le cas de la SEC Phillips) et conjointement par Petro‑Canada et par CanEagle (dans le cas de la SEC CanEagle). Les sociétés d’exploration en commun, à toutes fins utiles, étaient indifférentes au prix d’achat des données sismiques parce que, quel qu’il fût, les actionnaires veilleraient à ce que ce prix d’achat soit financé. Tout allégement fiscal se rapportant au coût des données sismiques serait transféré à Petro‑Canada au moyen d’une renonciation.

 

[39]  Cet extrait pourrait sembler applicable à la présente espèce, mais Sweet avait deux actionnaires : Darrell et un actionnaire détenant une participation minoritaire de 10 p. 100, Grozell. La contrepartie reçue par Sweet dans l’opération était l’assurance de la poursuite de ses relations d’affaires avec Frank, des relations qu’elle chérissait. Les actions de ces entités n’étaient pas négociées en bourse. Les entités remplissaient leurs obligations envers leurs actionnaires, et ce sont les actionnaires eux‑mêmes qui avaient mené les négociations.

 

[40]  Appliquant le critère à trois volets exposé dans l’arrêt Peter Cundill & Associates Ltd. v. The Queen, précité, un critère qui permet de dire s’il y a ou non opération entre parties sans lien de dépendance, j’arrive à la conclusion, en me fondant sur la preuve, que les parties n’avaient entre elles aucun lien de dépendance. Vu cette conclusion, le seul point restant que doit décider la Cour est la question de la RGAÉ.

 

(3)   La règle générale anti‑évitement (« RGAÉ »)

 

[41]  L’arrêt Canada Trustco Mortgage Company v. R., 2005 DTC 5523 (CSC), est l’arrêt de principe en ce qui concerne la RGAÉ. L’application de la RGAÉ est subordonnée à trois conditions.

 

1.           Déterminer s’il existe un « avantage fiscal » découlant d’une opération, selon les paragraphes 245(1) et (2) de la Loi.

 

2.           Déterminer si l’opération est une opération d’évitement selon le paragraphe 245(3) de la Loi, c’est‑à‑dire une opération dont il n’est pas raisonnable de considérer qu’elle est « principalement effectuée pour des objets véritables – l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable ».

 

3.           Déterminer s’il y a eu évitement fiscal abusif en ce sens qu’il n’est pas raisonnable de conclure qu’un avantage fiscal serait conforme à l’objet ou à l’esprit des dispositions, si ce n’est pour obtenir un avantage fiscal.

 

Ces trois conditions doivent être remplies avant que la RGAÉ puisse être appliquée pour refuser l’avantage fiscal.

 

       Avantage fiscal

 

[42]  Il a été admis par l’appelante qu’un avantage fiscal a découlé de l’opération, selon les paragraphes 245(1) et (2) de la Loi.

 

       Opération d’évitement

 

[43]  L’opération en cause a eu lieu en juillet 2001, date à laquelle les billets de 1998 et de 1999 de FRM furent vendus par la Fondation à Sweet en échange de billets à ordre émis pour la même somme et portant le même taux d’intérêt. L’opération n’a pas été effectuée principalement pour un objet véritable, si ce n’est l’obtention d’un avantage fiscal. Il n’y a aucun doute dans mon esprit que l’opération a été effectuée pour procurer à Frank un avantage fiscal, avantage qu’il pensait avoir lorsqu’il a fait don des billets de 1998 et de 1999 à la Fondation. La question est de savoir si l’opération a été entreprise ou effectuée principalement pour un objet véritable autre que l’obtention d’un avantage fiscal. L’opération aurait‑elle eu lieu si Frank ne voulait pas obtenir les crédits d’impôt pour dons de bienfaisance au titre des billets de 1998 et de 1999? La réponse à cette question est négative. Il n’y avait rien dans cette opération pour la Fondation. Il n’a pas été établi que le bienfaiteur de la Fondation allait mettre fin à ses dons annuels. Frank était la Fondation; il était sa tête pensante et son bienfaiteur. La Fondation avait essentiellement deux choix quant à la manière dont elle pouvait se départir des billets. S’entendre avec la banque HSBC, ou s’entendre avec Sweet. La Fondation n’avait jamais effectué d’opération semblable, alors pourquoi l’effectuait‑elle maintenant? La seule raison pour laquelle la Fondation a conclu l’opération était de régler les problèmes fiscaux de Frank qui résultaient des dons, et peut‑être aussi de s’acquitter d’une obligation morale de faire bénéficier son bienfaiteur d’un allègement fiscal. Le juge Bowman, avant qu’il devienne juge en chef de la Cour, écrivait ce qui suit, au paragraphe 23 de la décision Jabs Construction Limited v. The Queen, 99 D.T.C. 729 (C.C.I.) :

 

Le ministre a établi des cotisations d’impôt de la manière énoncée au début des présents motifs, en prenant comme hypothèse que le transfert à la Felsen n’était pas valide, que le gain en capital sur la vente à la Callahan appartenait à l’appelante, que les intérêts payés à la Felsen n’étaient pas déductibles et que, de toute façon, l’article 245 s’appliquait. Le ministre voit toute la série d’opérations comme une forme complexe et sinistre d’évitement fiscal. Pour les raisons qui suivent, je ne vois pas les choses de cette manière. Il s’agit à mon avis d’un plan sensé, conçu avec soin, qui a été exécuté en conformité avec les dispositions expresses de la Loi et qui visait la réalisation des objectifs globaux de bienfaisance de M. et Mme Jabs. [Non souligné dans l’original].

 

Puis le juge Bowman poursuivait ainsi, au paragraphe 46 :

 

L’application de cet article exige qu’il y ait une opération d’évitement, soit une opération donnant lieu à un « avantage fiscal » au sens de la définition de cette expression. Il est vrai que, par suite de la donation à la Felsen, l’appelante n’a pas eu à payer d’impôt sur le gain en capital qu’elle aurait réalisé si elle avait vendu les biens elle‑même à la Callahan. Si tel était l’avantage fiscal sur lequel se fondait l’intimée, toute donation à un organisme de bienfaisance selon un montant « indiqué » inférieur à la juste valeur marchande en vertu du paragraphe 110.1(3) serait une opération d’évitement. De telles donations sont toutefois précisément ce qu’envisage le paragraphe 110.1(3). Je ne vois pas comment l’utilisation d’une disposition expresse de la Loi permettant de mitiger les attributs fiscaux d’un don de bienfaisance peut, même en faisant un effort d’imagination, être considérée comme un abus dans l’application des dispositions de la Loi au sens du paragraphe 245(4). Il s’agit là simplement d’une utilisation d’une disposition de la Loi aux fins visées — et non d’un abus. [Non souligné dans l’original].

 

[44]  D’après la preuve soumise à la Cour, il y a, derrière cette série particulière d’opérations, des raisons à la fois fiscales et non fiscales. Les raisons fiscales ont été expliquées. Il y avait la possibilité pour Frank d’obtenir des crédits d’impôt pour le don des billets. Les raisons non fiscales sont le fait que la vente des billets de 1998 et de 1999 par la Fondation permettait de réaliser les objectifs philanthropiques de la Fondation en lui donnant la possibilité d’avoir davantage de fonds à diriger vers l’œuvre de bienfaisance que si l’opération avait été effectuée par l’entremise de HSBC. La Fondation voulait aussi s’assurer que son bienfaiteur était satisfait, puisqu’elle lui avait déjà délivré des reçus pour dons de bienfaisance au titre des billets de 1998 et de 1999, reçus qui avaient été déclarés non admissibles.

 

[45]  Dans l’arrêt Canada Trustco Mortgage Company, précité, la Cour suprême du Canada a proposé une méthode pour les cas où une opération s’expliquait par des raisons à la fois fiscales et non fiscales. Je n’ai d’autre choix que de conclure, au vu de la preuve, que l’opération a été effectuée principalement pour l’obtention d’un avantage fiscal. J’ai examiné, dans mes observations antérieures, l’opération ainsi que la relation entre les parties, et je ne les examinerai pas à nouveau, si ce n’est pour dire que cette opération n’aurait pas eu lieu, au vu de la preuve, n’eût été la volonté de Frank de bénéficier d’un allègement fiscal pour le don des billets de 1998 et de 1999.

 

    Évitement fiscal abusif

 

[46]  Étant arrivé à la conclusion que cette opération est une opération d’évitement au motif qu’elle n’a pas été effectuée principalement pour un objet véritable si ce n’est l’obtention d’un avantage fiscal, j’examinerai maintenant s’il y a eu évitement fiscal abusif, en ce sens que l’avantage fiscal n’était pas conforme à l’objet ou à l’esprit des dispositions invoquées par l’appelante.

 

[47]  Il a été jugé, dans l’arrêt Canada Trustco Mortgage Company, précité, que la troisième condition doit être établie par le ministre. S’agissant des étapes devant être franchies dans l’analyse, à titre de sommaire, la Cour écrivait ce qui suit, au paragraphe 66 :

 

L’approche relative à l’art. 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu peut se résumer ainsi.

 

1.    Trois conditions sont nécessaires pour que la RGAÉ s’applique :

 

(1)   il doit exister un avantage fiscal découlant d’une opération ou d’une série d’opérations dont l’opération fait partie (par. 245(1) et (2));

 

(2)   l’opération doit être une opération d’évitement en ce sens qu’il n’est pas raisonnable d’affirmer qu’elle est principalement effectuée pour un objet véritable — l’obtention d’un avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;

 

(3)   il doit y avoir eu évitement fiscal abusif en ce sens qu’il n’est pas raisonnable de conclure qu’un avantage fiscal serait conforme à l’objet ou à l’esprit des dispositions invoquées par le contribuable.

 

2.    Il incombe au contribuable de démontrer l’inexistence des deux premières conditions, et au ministre d’établir l’existence de la troisième condition.

 

3.    S’il n’est pas certain qu’il y a eu évitement fiscal abusif, il faut laisser le bénéfice du doute au contribuable.

 

4.    Les tribunaux doivent effectuer une analyse textuelle, contextuelle et téléologique unifiée des dispositions qui génèrent l’avantage fiscal afin de déterminer pourquoi elles ont été édictées et pourquoi l’avantage a été conféré. Le but est d’en arriver à une interprétation téléologique qui s’harmonise avec les dispositions de la Loi conférant l’avantage fiscal, lorsque ces dispositions sont lues dans le contexte de l’ensemble de la Loi.

 

5.    La question de savoir si les opérations obéissaient à des motivations économiques, commerciales, familiales ou à d’autres motivations non fiscales peut faire partie du contexte factuel dont les tribunaux peuvent tenir compte en analysant des allégations d’évitement fiscal abusif fondées sur le par. 245(4). Cependant, toute conclusion à cet égard ne constituerait qu’un élément des faits qui sous‑tendent l’affaire et serait insuffisante en soi pour établir l’existence d’un évitement fiscal abusif. La question centrale est celle de l’interprétation que les dispositions pertinentes doivent recevoir à la lumière de leur contexte et de leur objet.

 

6.    On peut conclure à l’existence d’un évitement fiscal abusif si les rapports et les opérations décrits dans la documentation pertinente sont dénués de fondement légitime relativement à l’objet ou à l’esprit des dispositions censées conférer l’avantage fiscal, ou si ces rapports et opérations diffèrent complètement de ceux prévus par les dispositions.

 

7.    Si le juge de la Cour de l’impôt s’est fondé sur une interprétation correcte des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu et sur des conclusions étayées par la preuve, les tribunaux d’appel ne doivent pas intervenir en l’absence d’erreur manifeste et dominante.

 

[48]  L’arrêt Canada Trustco Mortgage Company, précité, énonce un critère en deux étapes permettant de dire si l’opération d’évitement donnant lieu à l’avantage fiscal constitue un abus :

 

a)       il faut d’abord interpréter les dispositions générant l’avantage fiscal, selon une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique, pour en déterminer l’objet et l’esprit;

 

b)      il faut ensuite examiner les faits pour déterminer si l’opération est conforme ou contraire à l’objet et à l’esprit des dispositions.

 

[49]  La Fondation invoque les alinéas 118.1(18)a) et 118.1(13)a) de la Loi.

 

[50]  La partie applicable de l’alinéa 118.1(18)a) définit ainsi un « titre non admissible » d’un particulier à un moment donné :

 

a) une créance […] dont est débiteur le particulier, sa succession ou une personne ou société de personnes avec laquelle le particulier ou sa succession a un lien de dépendance immédiatement après ce moment;

 

[51]  Le paragraphe 118.1(13) dispose que, lorsqu’un particulier fait don d’un « titre non admissible » au sens du paragraphe 118.1(18), ce don sera réputé ne pas avoir été fait. Par conséquent, en application de l’alinéa 118.1(13)a), le particulier qui donne un titre non admissible n’aurait pas le droit d’inclure le don dans le calcul de son « total des dons de bienfaisance » pour l’année. C’est exactement ce qui s’est produit dans la présente espèce. Toutefois, au paragraphe 118.1(13), il y a des dispositions rédemptrices, en particulier les alinéas 118.1(13)b) et c), lesquels intéressent précisément le montant du don (un titre non admissible antérieur) qui sera inclus dans le calcul du « total des dons de bienfaisance » du particulier pour l’année ultérieure au cours de laquelle le donataire dispose du « titre non admissible ».

 

[52]  J’ai déjà traité du caractère sans lien de dépendance de l’opération en cause et procédé à l’analyse détaillée de cette opération d’après les diverses dispositions, et j’ai donc examiné l’interprétation textuelle des dispositions en cause.

 

[53]  Je dois considérer maintenant les dispositions selon un point de vue contextuel, et je relève alors que les paragraphes 118.1(13) à 118.1(20) sont communément appelés les règles relatives aux titres non admissibles, règles qui ont pour effet de reporter la constatation de certains types de dons faits entre des parties ayant un lien de dépendance. L’alinéa 118.1(18)a) et le paragraphe 118.1(13) font partie de ces règles relatives aux titres non admissibles. Ces dispositions concernent les dons, à des organismes de bienfaisance, de titres non admissibles, ce qui comprend les actions et les titres de créance de personnes avec lesquelles le donateur a un lien de dépendance, en refusant un crédit d’impôt pour don de bienfaisance à moins que certains événements ne surviennent à l’intérieur du délai fixé dans ces dispositions. Il convient de noter aussi que les paragraphes 118.1(16) et (17) traitent des auto‑prêts. Il a été admis par les parties que l’opération en cause ici n’est pas une opération d’auto‑prêt, et les paragraphes 118.1(16) et (17) ne sont donc pas applicables.

 

[54]  À la lecture du paragraphe 118.1(18), il semble que le législateur ne voulait pas que les titres de créance donnés à des organismes de bienfaisance soient tous des titres non admissibles. Un titre de créance entre parties sans lien de dépendance est en fait sanctionné par cette disposition, laquelle se focalise sur la période immédiatement postérieure au don, de même que sur la période antérieure et la période concomitante. On serait donc porté à croire que l’objet de la disposition était que les titres de créance soient détenus par des parties sans lien de dépendance. Je suis déjà arrivé à la conclusion que la vente des billets en cause par la Fondation à Sweet avait été faite par des parties sans lien de dépendance, et il n’y a donc pas de préjudice ou d’abus évident.

 

[55]  Les paragraphes 118.1(13) et (18) semblent donner à entendre que l’objet et l’esprit de ces dispositions sont de reporter la reconnaissance de certains types de dons, à savoir les dons de titres non admissibles, qui comprennent une créance à la personne ayant un lien de dépendance. L’objet et l’esprit des dispositions n’ont pas pour effet de rendre inadmissibles tous les types de titres de créance, et certainement pas les titres de créances détenus par des parties sans lien de dépendance. Ces dispositions rédemptrices constituent des recours intégrés dont l’objet est de favoriser les personnes qui font des dons qui par ailleurs pourraient ne pas donner lieu à des reçus pour dons de bienfaisance légitimes et, si les dispositions réparatrices doivent le moindrement avoir une signification, alors leur existence autorise la conclusion selon laquelle l’objet de la disposition n’est pas de nier la qualité de dons de bienfaisance à tous les titres de créance.

 

[56]  Il semblerait que l’objet déclaré de la reconnaissance, aux alinéas 118.1(13)b) et c), repose sur la conclusion factuelle d’une relation sans lien de dépendance. Ces dispositions portent explicitement sur le montant du don, pour un titre non admissible antérieur, qui sera inclus dans le calcul du total des dons de bienfaisance du particulier pour l’année ultérieure au cours de laquelle le donataire dispose du titre non admissible. Cette disposition envisage l’admissibilité future d’un avantage fiscal.

 

[57]  J’ai déjà dit que l’appelante et Sweet traitaient sans lien de dépendance après l’aliénation des billets de 1998 et de 1999 – il s’agissait d’une relation légale que les parties souhaitaient; pourquoi les tribunaux devraient‑ils intervenir? Appliquant l’approche adoptée dans l’arrêt Canada Trustco Mortgage Company, précité, l’appelante a énoncé ainsi la question principale soulevée dans l’application de la RGAÉ :

 

[traduction] L’appelante a‑t‑elle abusé de la Loi pour corriger un problème alors qu’il existe dans la Loi une manière de corriger le problème selon la modification même qui est à l’origine du problème?

 

L’intimée a cependant fait valoir que les dispositions visent à empêcher quelqu’un de demander un crédit alors qu’il n’a pas perdu l’utilisation des sommes données. L’intimée explique ensuite que, même s’il y a tentative de corriger la situation, le donateur conserve l’utilisation des fonds. Je ne vois aucune mention de l’utilisation des fonds dans l’une quelconque de ces dispositions, et il n’est pas non plus donné à entendre que c’est là la véritable question qui doive être posée ou analysée. J’adopte plutôt la position prise par le juge Bowman dans la décision Jabs Construction Ltd., précitée, où il écrivait que, lorsqu’un contribuable structure une opération pour tirer parti d’une disposition particulière (interprétation non anti‑évitement de la Loi), il n’y a pas d’abus de la Loi.

 

[58]  Je crois que l’observation du juge Bowman est particulièrement à propos dans la présente affaire. J’ai fait une analyse textuelle, contextuelle et téléologique des paragraphes 118.1(13) et 118.1(18), et je crois que cette analyse s’accorde avec la conclusion selon laquelle l’opération dont il s’agit ici n’est pas contraire à l’objet et à l’esprit de ces dispositions. La Loi autorise d’ailleurs explicitement la nature même de l’opération qui a été conclue dans la présente affaire. Elle permet à un titre non admissible de devenir par ailleurs un titre admissible, à l’intérieur d’une certaine période, par vente du titre non admissible à une partie sans lien de dépendance. En concluant l’opération comme elles l’ont fait, les parties donnaient simplement effet à l’objet même pour lequel les dispositions restantes furent insérées. Quant à savoir si le donateur dispose ou non encore des fonds, là n’est vraiment pas la question. Les fonds généraient le même revenu qu’avant l’opération, puisque les taux d’intérêt n’avaient pas véritablement été modifiés.

 

[59]  Tout ce que l’appelante a fait correspondait exactement à ce que la disposition l’autorisait à faire, ni plus ni moins.

 

[60]  Puisque les parties traitaient sans lien de dépendance et puisque la RGAÉ ne s’applique pas, l’appel est accueilli, avec dépens.

 

       Signé à Charlottetown (Île‑du‑Prince‑Édouard), ce 19jour d’août 2008.

 

 

 

 

« E. P. Rossiter »

Juge en chef adjoint Rossiter

 

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de mai 2009.

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :                                  2008CCI344

 

N° DU DOSSIER DE LA COUR :     2007‑1132(IT)G

 

INTITULÉ :                                       ELLEN REMAI, EN SA QUALITÉ D’EXÉCUTRICE TESTAMENTAIRE DE LA SUCCESSION DE FRANK REMAI ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 24 avril 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge en chef adjoint E. P. Rossiter,

                                                         

DATE DU JUGEMENT :                   Le 19 août 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelante :

MCurtis R. Stewart

MJasmine Sidhu

 

Avocate de l’intimée :

MBonnie Moon

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Noms :                    MCurtis R. Stewart

                                                          MJasmine Sidhu

 

                          Cabinet :                  Bennett Jones, s.r.l.

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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