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Dossier : 2006-765(IT)G

ENTRE :

HARISH KADOLA,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de Slrender Kadola (2006-766(IT)G)

le 10 juillet 2008, à Vancouver (Colombie-Britannique).

 

Devant : L’honorable juge B. Paris

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Andrew Davis

Avocate de l’intimée :

Me Johanna Russell

 

 

JUGEMENT

          L’appel formé contre la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, dont l’avis est daté du 4 mai 2005 et porte le numéro 35735, est rejeté, avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Fait à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 22e jour d’août 2008.

 

« B. Paris »

Juge Paris

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour d’octobre 2008.

Sandra de Azevedo, LL.B.


 

 

 

Dossier : 2006-766(IT)G

ENTRE :

SLRENDER KADOLA,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de Harish Kadola (2006‑765(IT)G)

le 10 juillet 2008, à Vancouver (Colombie-Britannique).

 

Devant : L’honorable juge B. Paris

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Andrew Davis

Avocate de l’intimée :

Me Johanna Russell

 

 

JUGEMENT MODIFIÉ

          L’appel formé contre la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, dont l’avis est daté du 4 mai 2005 et porte le numéro 35734 est rejeté, avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

 

Fait à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 27e jour d’août 2008.

 

« B. Paris »

Juge Paris

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour d’octobre 2008.

Sandra de Azevedo, LL.B.


 

 

 

Référence : 2008 CCI 474

Date : 20080822

Dossiers : 2006-765(IT)G

2006-766(IT)G

ENTRE :

HARISH KADOLA

SLRENDER KADOLA,

appelants,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Paris

 

[1]              Le point soulevé dans les présents appels est de savoir si les appelants sont tenus de payer la somme de 66 000 $ conformément à des cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu du paragraphe 160(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[2]              Les appelants, Slrender Kadola et Harish Kadola, sont mère et fils. Des cotisations ont été établies à leur encontre après que Jagir Kadola (mari de Slrender et père de Harish) leur eut transféré sans contrepartie des biens dont la juste valeur marchande était de 66 000 $, alors qu’il avait une dette fiscale dépassant 93 000 $.

 

[3]              Les appelants affirment que les biens leur ont été transférés à titre onéreux, en partie comme remboursement par Jagir d’un prêt que lui avait fait Slrender et en partie comme paiement fait par Jagir pour remplir son obligation légale de subvenir aux besoins de sa famille.

 

[4]              Les circonstances de la présente affaire sont pour l’essentiel non contestées. Les appelants reconnaissent qu’en 2002, 2003 et 2004, Jagir a remis à Slrender 37 chèques totalisant 66 000 $, que Slrender a déposés dans un compte de la CIBC qui avait été ouvert le 14 décembre 2000 par Harish, alors âgé de 13 ans. En octobre 2003, Slrender s’est ajoutée au compte en tant que titulaire conjointe du compte avec Harish. En 2002, 2003 et 2004, Slrender a retiré les 66 000 $ du compte bancaire. Il a aussi été admis que Jagir avait, pour chacune de ces années, une dette fiscale non inférieure à 93 578,53 $ au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[5]              En 2002, Jagir et Slrender vivaient avec leurs quatre enfants et avec la mère de Jagir dans une maison dont la mère de Jagir était propriétaire. En février 2002, leur fille aînée Shawna s’est mariée et a quitté le domicile familial. Elle était âgée de 25 ans à l’époque. Leurs deux autres filles avaient respectivement 24 et 18 ans en 2002 et Harish, 15 ans.

 

[6]              Shawna a témoigné que sa mère payait ses dépenses ainsi que celles de ses sœurs et de son frère et qu’elle leur donnait de l’argent de poche, achetait la nourriture pour la famille et payait l’essence pour le véhicule familial. Elle a dit que son père n’assumait aucune des dépenses des enfants.

 

[7]              Shawna et Harish ont tous deux témoigné que le mariage de leurs parents avait échoué, que leur relation était « pratiquement inexistante » et qu’ils faisaient chambre à part.

 

[8]              Harish a aussi témoigné que c’est lui qui avait ouvert le compte bancaire dans lequel les chèques en question avaient été déposés par sa mère, mais qu’il ne savait pas que sa mère utilisait son compte ni qu’elle en était devenue titulaire conjointe. Il a dit qu’il ne savait pas non plus qu’en 2002, 2003 et 2004, sa mère recevait des chèques de son père.

 

[9]              Il a dit qu’il avait ouvert le compte en 2000 pour y déposer l’argent qu’il recevait en cadeaux d’anniversaire, mais qu’il avait cessé d’utiliser le compte six mois ou un an plus tard.

 

[10]         Slrender a témoigné qu’elle avait épousé Jagir en 1974, mais que leur relation s’était dégradée en 2002 et qu’ils faisaient chambre à part. Elle a dit qu’elle faisait la cuisine et le ménage pour la famille tout entière, y compris son mari, même si la famille ne prenait jamais les repas ensemble. Durant les années en cause, elle travaillait dans une boutique de vêtements et gagnait entre 10 et 12 $ l’heure. Elle a dit que Jagir lui donnait de l’argent pour les dépenses familiales et qu’elle employait aussi ce qu’elle gagnait pour payer les factures du ménage. Elle calculait qu’elle dépensait 2 000 $ par mois pour l’alimentation et 4 000 $ par an pour les frais de scolarité de son fils inscrit dans une école privée, et que le mariage de sa fille en 2002 avait coûté 25 000 $. Elle conduisait une Mercedes 2002 pour laquelle son mari avait fait le versement initial, et c’est elle qui se chargeait des mensualités d’environ 800 $.

 

[11]         Slrender a déclaré qu’elle avait employé les 66 000 $ provenant des chèques que Jagir lui avait remis pour payer les provisions, les factures du ménage et les articles destinés aux enfants ainsi que le mariage de sa fille.

 

[12]         Slrender a admis qu’après le 18 juin 2002, elle faisait tous les dépôts et retraits en se servant du compte bancaire de la CIBC que Harish avait ouvert. À ses dires, elle connaissait tous les gens qui travaillaient à la succursale de la CIBC où le compte avait été ouvert et le personnel de la banque la laissait se servir du compte comme elle le voulait. Cependant, en octobre 2003, une caissière qu’elle ne connaissait pas a refusé de la laisser utiliser le compte, à moins qu’elle devienne titulaire conjointe du compte, et elle l’est donc devenue. Elle a dit qu’elle se servait du compte de son fils pour déposer les chèques parce que sa banque [traduction] « n’avait pas coopéré » lorsqu’elle avait voulu les déposer dans son propre compte.

 

[13]         La plupart des chèques étaient certifiés et faits à l’ordre de J. Kadola, mais deux avaient été faits à l’ordre de Damon Consulting, entreprise qui, a dit Slrender, était exploitée par son mari. Plusieurs des chèques étaient tirés sur le compte de Karnail Logistics Ltd., et les chèques restants semblent être des traites bancaires sur lesquelles n’apparaît pas le nom du tireur. Slrender ne savait rien de Karnail Logistics.

 

[14]         Slrender a aussi fait état d’un document que lui avait remis Jagir et qui était censé représenter une garantie et des billets à ordre. Elle a dit que le document avait été rédigé et signé par lui le 19 avril 2000. Ce document contenait ce qui suit :

 

[traduction]

À Slrender Kadola

 

Le présent document constitue une garantie personnelle et un billet à ordre. Si Vertex Transportation ne remboursait pas à Slrender Kadola la somme de 40 000 $ plus les intérêts, je, soussigné, Jagir Kadola, assumerai l’entière responsabilité du remboursement de la somme, avec intérêts, à Slrender Kadola.

 

[15]         Le document porte aussi les signatures de deux témoins dont Slrender a dit qu’ils étaient des amis à elle.

 

[16]         Elle a également fait état d’une lettre adressée par un cabinet d’avocats de Vancouver à Vertex Transportation (Vertex). Il s’agissait d’une mise en demeure que le cabinet d’avocats avait rédigée à sa demande. Cette lettre est la suivante :

 

[traduction]

Dossier n° 1900

 

Le 7 juin 2000

PERSONNEL ET CONFIDENTIEL

                                                                        Par messager

 

Vertex Transportation Services Inc.

12 640, chemin Mitchell

Richmond (C.-B.)

V6V 1M8

 

Aux soins de Jerry Kadola

 

Monsieur,

 

Objet :  Accord de prêt daté du 19 avril 2000

 

Nous sommes les avocats de Slrender Kadola, qui vous a prêté la somme de 40 000 $ avec intérêts au taux annuel de 15 p. 100. Ce prêt est attesté par un billet à ordre payable sur demande et par un accord de prêt, tous deux datés du 19 avril 2000.

 

Conformément aux modalités du billet à ordre et de l’accord de prêt, nous exigeons, par la présente, au nom de notre cliente, le remboursement immédiat du principal du prêt, c’est-à-dire 40 000 $, plus les intérêts au 10 juin 2000, qui se chiffrent à 854,79 $, pour un total de 40 854,79 $, les intérêts quotidiens après le 10 juin 2000 s’élevant à 16,44 $.

 

Veuillez agréer l’expression de nos sentiments distingués.

 

KAMBAS GALBRAITH

Par :

 

Nick Kambas

NK/ml

 

cc         Slrender Kadola

 

[17]         Aucune copie de l’accord de prêt mentionné dans cette lettre n’a été produite, et Slrender a reconnu en contre-interrogatoire qu’elle n’avait jamais prêté d’argent à Vertex, ajoutant que Jagir lui avait donné la garantie après qu’elle l’eut menacé de demander le divorce s’il ne lui donnait pas l’argent qui, selon elle, lui revenait après trente ans de mariage. Elle a dit qu’elle voulait quelque chose qu’elle puisse conserver dans son dossier afin qu’elle puisse obtenir de l’argent de Jagir. Slrender a dit que, lorsqu’elle demandait à Jagir de lui donner l’argent après qu’il lui eut remis ce document, il disait qu’il lui payait son dû en lui donnant de l’argent pour les « frais de la maison ».

 

Dispositions applicables

 

[18]         Le paragraphe 160(1) était ainsi rédigé, pour les années en cause :

 

160. (1) Transfert de biens entre personnes ayant un lien de dépendance. Lorsqu’une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon à l’une des personnes suivantes :

 

a) son époux ou conjoint de fait ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

 

b) une personne qui était âgée de moins de 18 ans;

 

c) une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

 

les règles suivantes s’appliquent :

 

d) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d’une partie de l’impôt de l’auteur du transfert en vertu de la présente partie pour chaque année d’imposition égale à l’excédent de l’impôt pour l’année sur ce que cet impôt aurait été sans l’application des articles 74.1 à 75.1 de la présente loi et de l’article 74 de la Loi de l’impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts revisés du Canada de 1952, à l’égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés ou des biens y substitués ou à l’égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens;

 

e) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des montants suivants :

 

(i) l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

 

(ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l’année d’imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années;

 

aucune disposition du présent paragraphe n’est toutefois réputée limiter la responsabilité de l’auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

 

Les arguments des appelants

 

[19]         Les appelants sont en désaccord uniquement avec la conclusion du ministre selon laquelle les sommes transférées par Jagir à Slrender ne comportaient aucune contrepartie.

 

[20]         L’avocat des appelants a fait valoir que les sommes ainsi transférées par Jagir à Slrender dans la présente affaire visaient notamment à rembourser un prêt. Il a dit que le billet à ordre et la lettre de l’avocat étaient la preuve que Jagir et Slrender avaient conclu un accord de prêt et qu’ils avaient conclu cet accord bien avant que Jagir ait des ennuis avec le fisc et, selon lui, ces documents montraient que Slrender avait obtenu les sommes de Jagir moyennant contrepartie.

 

[21]         L’avocat des appelants a aussi prétendu que les sommes payées par Jagir à Slrender visaient également à satisfaire à l’obligation légale de Jagir de subvenir aux besoins de son épouse et de ses enfants. Il a renvoyé aux articles 88 et 89 de la Family Relations Act, R.S.B.C. 1996, ch. 128, ainsi formulés :

 

[traduction]

Obligation alimentaire envers l’enfant

 

88  (1) Chacun des parents de l’enfant a l’obligation de subvenir aux besoins raisonnables de l’enfant.

 

(2) L’ordonnance enjoignant à l’un des parents de subvenir aux besoins de l’enfant ne modifie pas l’obligation de l’autre parent de subvenir aux besoins de l’enfant ni ne met l’autre parent à l’abri d’une ordonnance semblable.

 

Obligation alimentaire envers le conjoint

 

89  (1) Un conjoint a l’obligation de subvenir aux besoins de l’autre conjoint, compte tenu de ce qui suit :

a) le rôle de chacun des conjoints au sein de la famille;

b) un accord exprès ou tacite entre les conjoints selon lequel l’un a l’obligation de subvenir aux besoins de l’autre;

c) les obligations de garde se rapportant à un enfant;

d) la capacité de l’un ou l’autre des conjoints, ou des deux, de subvenir à leurs propres besoins, et les moyens raisonnables pris par chacun d’eux en ce sens;

e) leur situation économique.

 

(2) Sauf ce que prévoit le paragraphe (1), un conjoint ou ex-conjoint est tenu d’être autosuffisant par rapport à l’autre conjoint ou ex-conjoint.

 

[22]         Selon l’avocat des appelants, Slrender n’était pas informée des ennuis fiscaux de Jagir lorsque celui-ci lui avait remis les chèques, et le couple n’avait pas comploté pour tenter de faire obstacle aux prétentions de la Couronne à l’égard des biens de Jagir. L’avocat a dit que les sommes payées par Jagir n’allaient pas au‑delà de ce qui était nécessaire pour subvenir aux besoins de sa famille et qu’elles avaient été payées moyennant contrepartie, conformément aux dispositions de la Family Relations Act.

 

[23]         L’avocat s’est fondé sur trois jugements de la Cour, Michaud c. R., 1998 CCI 971312, 99 DTC 43, Dupuis v. The Queen, 93 DTC 723, et Ferracuti c. R., 1998 CCI 96770, 99 DTC 194, où il fut jugé que les sommes versées par un conjoint à l’autre ou pour l’avantage de l’autre dans l’accomplissement d’une obligation légale de subvenir aux besoins du conjoint ou de la famille avaient été versées moyennant contrepartie.

 

[24]         L’avocat a aussi attiré mon attention sur un autre jugement de la Cour, Raphael c. La Reine, 2000 CCI 982777, 2000 DTC 2434. Dans cette affaire, le juge Mogan a estimé qu’aucune contrepartie n’avait été donnée par un conjoint à qui un bien avait été transféré par l’autre conjoint pour cause d’obligation de subvenir aux besoins de son conjoint. Un appel a été interjeté devant la Cour d’appel fédérale, mais ce point n’a pas été plaidé, et l’appel a été tranché sur d’autres moyens. Selon l’avocat des appelants cependant, la Cour d’appel fédérale s’est distanciée des observations du juge de première instance se rapportant à la question de savoir si l’accomplissement d’une obligation alimentaire constituait une contrepartie. Il a renvoyé au paragraphe 12 des motifs de la Cour d’appel fédérale :

 

Toutefois, il ne faut pas considérer que nous souscrivons à toutes les remarques que le juge de la Cour de l’impôt a faites au sujet de la question de savoir si une contrepartie peut être donnée entre le mari et sa conjointe de façon à empêcher l’application du paragraphe 160(1).

 

Analyse

 

[25]         S’agissant du premier argument des appelants, je suis d’avis qu’on n’a pas démontré qu’une partie des sommes que Slrender a reçues de Jagir entre 2002 et 2004 représentait le remboursement d’un prêt. L’appelante a reconnu qu’elle n’avait pas prêté d’argent à Vertex, et il n’a pas été prouvé que Jagir avait personnellement emprunté de l’argent à Slrender. L’avocat des appelants a maintenu que le billet à ordre et la mise en demeure avaient été rédigés avant que Jagir ne devienne endetté envers le fisc, mais c’est en 1998 qu’une première cotisation a été établie à l’encontre de Jagir au titre de sa responsabilité d’administrateur. Dans ces conditions, la promesse de remboursement d’un prêt qui, cela est admis, n’a jamais eu lieu est très suspecte et, selon toutes les apparences, constitue une tromperie.

 

[26]         Même si j’étais enclin à admettre l’explication donnée par Slrender concernant l’établissement du billet à ordre, son explication ne me convainc pas qu’elle a donné une contrepartie pour le billet, et les sommes versées conformément au billet ne l’auraient donc pas été moyennant contrepartie.

 

[27]         Je suis d’avis que le second argument de l’appelante n’est pas lui non plus recevable. J’ai connaissance des jugements contradictoires rendus par la Cour sur la question de savoir si des sommes payées par un conjoint à l’autre conjoint, ou pour l’avantage de l’autre conjoint, pour subvenir aux besoins de la famille, sont payées moyennant contrepartie. La jurisprudence applicable a été examinée en détail par le juge Archambault dans la décision Tétrault c. R., 2004 CCI 332, et je souscris à ses conclusions, aux paragraphes 47 à 50, dont voici le texte :

 

[47] La contribution aux charges du mariage est, à mon avis, de la nature d’une donation par laquelle un bien est donné sans aucune contrepartie27. Cette analyse de l’obligation familiale rejoint celle faite par le juge Mogan dans la décision Raphael, où il est dit « [c]es mêmes obligations familiales ne peuvent toutefois représenter une « contrepartie » au sens de l’article 160 [. . .] » (par. 27 de la décision). Elle rejoint également celle dans Logiudice où l’on précise que le « mot "contrepartie", tel qu’il est utilisé dans le contexte de l’article 160 de la Loi, dans son sens ordinaire, signifie la contrepartie qu’une partie à un contrat donne à l’autre partie en échange du bien transféré » et que le « sous-alinéa 160(1)e)(i) de la Loi vise à protéger les véritables opérations commerciales de l’application de la disposition » (par. 16 de la décision). Elle est conforme aussi à l’analyse faite par le juge Sobier dans la décision Sinnott v. The Queen, précitée au paragraphe 19 (Q.L.), (page 598 DTC) :

 

L’avocate de l’appelante a accordé beaucoup d’importance à l’argument selon lequel une contrepartie avait été donnée à l’égard du transfert. Cependant, quelle était cette contrepartie? Est-il possible de dire que le paiement des dépenses de ménage constitue la contrepartie donnée à l’égard des transferts? Selon le sous‑alinéa 160(1)e)(i), l’auteur et le bénéficiaire du transfert sont solidairement responsables du paiement d’un montant égal à l’excédent de la juste valeur marchande du bien au moment de son transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée à l’égard du bien. Au moment où les transferts ont eu lieu, aucune contrepartie n’a été donnée.

 

[Je souligne.]

 

[48] L’absence d’une contrepartie donnée pour l’exécution de l’obligation familiale explique aisément qu’il soit hautement problématique, sinon impossible, de déterminer quelle serait la JVM du droit du bénéficiaire de recevoir les biens transférés par l’auteur du transfert en vertu de son obligation familiale. En outre, comme le disait le juge Mogan, même si une JVM pouvait être établie, ce droit ne constituerait pas une « contrepartie donnée pour le bien »28.

 

[49] Non seulement cette interprétation m’apparaît plus en harmonie avec le texte de l’article 160 de la Loi, mais elle s’impose en raison du principe d’interprétation de la cohérence et du caractère systématique de la loi29. Il faut tenir compte ici de l’ensemble de l’article 160 pour en déterminer la portée. Or, le paragraphe 160(4)30 de la Loi dispose que la règle de l’alinéa 160(1)e) est sans effet lorsqu’un conjoint transfère des biens à l’autre conjoint à la suite de l’échec du mariage. Aux fins de cette règle, la JVM du bien transféré est réputée être nulle. S’il fallait appliquer le raisonnement adopté dans les décisions Ferracuti, Michaud et Dupuis, il faudrait conclure que le paragraphe 160(4) n’est d’aucune utilité, car, lors d’une séparation31, le droit d’un époux de recevoir une partie du patrimoine de l’autre époux est reconnu par la loi, ici le Code civil, notamment dans les règles sur le partage du patrimoine familial énoncées aux articles 414 et suivants dudit code. Il s’agit donc « d’un transfert de biens [. . . ] fait en exécution [d’une] obligation légale »32. En outre, si le droit de recevoir ces biens en vertu du Code civil constituait une contrepartie dont la JVM est égale à la JVM des biens transférés, il n’aurait pas été nécessaire d’édicter que la JVM des biens transférés est nulle. Au contraire, je crois que le législateur a tenu pour acquis qu’un tel transfert lors d’une séparation constitue un transfert sans contrepartie et, n’eût été le paragraphe 160(4) de la Loi, le bénéficiaire de ce transfert aurait pu être tenu solidairement responsable de toute dette fiscale de l’auteur du transfert.

 

[50] Par conséquent, une conclusion s’impose : le transfert de biens en vertu d’une obligation légale (comme celle en matière de partage du patrimoine familial) constitue un « transfert » aux fins de l’article 160 de la Loi et est assujetti à cet article. Le simple droit d’être le bénéficiaire de cette obligation ne constitue pas une contrepartie donnée. Pareillement, le transfert de biens à l’autre conjoint en exécution d’une obligation familiale constitue un transfert pour lequel aucune contrepartie n’a à être donnée et rien à l’article 160 n’autorise cette Cour à soustraire ce transfert à son application33.

 

_________________________________________________

27 On peut soutenir que, strictement parlant, il manque ici la libéralité nécessaire à l’existence d’une donation. Toutefois, la plupart des gens qui font vie commune contribueraient bien volontiers aux charges du mariage, même en l’absence d’une telle obligation familiale; c’est généralement lors d’une séparation ou d’un divorce que la situation devient conflictuelle et que l’existence d’une telle obligation devient importante.

 

28 Par. 27 de Raphael et le sous-alinéa 160(1)e)(i) de la Loi.

 

29 Voir notamment Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 3e édition, Les Éditions Thémis, Montréal, 1999, aux pages 388 et suivantes.

 

30 Ce paragraphe se lit comme suit :

 

(4) Règles concernant les transferts à un conjoint - Malgré le paragraphe (1), lorsqu’un contribuable a transféré un bien à son conjoint en vertu d’une ordonnance ou d’un jugement d’un tribunal compétent ou en vertu d’un accord écrit de séparation et que, au moment du transfert, le contribuable et son conjoint vivaient séparément par suite de la rupture de leur mariage, les règles suivantes s’appliquent :

 

a) relativement à un bien ainsi transféré après le 15 février 1984 :

 

 (i)         le conjoint ne peut être tenu, en vertu du paragraphe (1), de payer un montant relatif au revenu provenant du bien transféré ou du bien qui y est substitué ou un montant relatif au gain provenant de la disposition du bien transféré ou du bien qui y est substitué,

 

 (ii)       pour l’application de l’alinéa (1)e), la juste valeur marchande du bien au moment du transfert est réputée être nulle;

[...]

 

aucune disposition du présent paragraphe n’a toutefois pour effet de réduire les obligations du contribuable en vertu d’une autre disposition de la présente loi.

 

31 Le transfert après le divorce n’est pas généralement assujetti à l’article 160 puisque le bénéficiaire n’est plus le conjoint de l’auteur du transfert.

 

32 Pour utiliser les mots de la décision Michaud, par. 19 et 20.

 

33 À mon avis, une modification à la Loi, comme celle adoptée par S.C. 1984, chap. 45, par. 65(1), applicable après le 15 février 1984, pour le paragraphe 160(4), serait nécessaire pour soustraire à l’application de l’article 160 les biens transférés en exécution d’une obligation familiale. On pourrait s’inspirer de dispositions comme celles des articles 552 et suivants du Code de procédure civile du Québec, qui énumèrent les choses qui ne peuvent être saisies, notamment « la nourriture, les combustibles, le linge et les vêtements nécessaires à la vie du ménage ».

 

[28]         Même si j’avais admis que les sommes payées par un conjoint en vertu de son obligation juridique de payer sa part des dépenses familiales sont des transferts effectués moyennant contrepartie, il ne m’aurait malgré cela pas été possible, au vu de la preuve qui m’a été soumise, de dire quelle portion des sommes transférées à Slrender par Jagir a été employée par elle pour payer des dépenses que Jagir était tenu de partager en vertu des dispositions de la Family Relations Act.

 

[29]         Je relève d’abord que bon nombre des dépenses qu’elle a payées sembleraient avoir profité également à tous les membres de la famille, y compris les enfants adultes de Slrender et Jagir, la mère de Jagir et Jagir lui-même. L’avocat des appelants n’a signalé aucun précédent montrant que Jagir avait également une obligation alimentaire envers ces personnes. Aux fins de l’article 88 de la Family Relations Act, la définition du mot « enfant » à l’article 87, comprend [traduction] « une personne qui est âgée de 19 ans ou plus et qui, par rapport à ses parents, n’est pas en mesure, pour cause de maladie, d’invalidité ou autre, de se passer de leurs soins ou de subvenir à ses propres besoins ». Le paragraphe 90(2) de cette Loi dispose qu’un enfant a l’obligation de subvenir aux besoins de son père ou de sa mère lorsque le père ou la mère dépend d’un enfant adulte pour cause de vieillesse, de maladie ou d’infirmité. En l’espèce cependant, il n’a pas été démontré que les enfants adultes n’étaient pas en mesure de se passer des soins de leurs parents ou que la mère de Jagir dépendait de lui pour cause d’âge avancé, de maladie ou d’infirmité.

 

[30]         Par ailleurs, seules quelques-unes des dépenses du ménage et de la famille payées par Slrender sur les sommes transférées ont été quantifiées dans une certaine mesure par elle ou confirmées par d’autres éléments de preuve. Slrender a calculé qu’elle dépensait 2 000 $ par mois pour les provisions et 4 000 $ par an pour les frais de scolarité de Harish, et que le mariage de Shawna lui avait coûté 25 000 $. Quelques relevés de cartes de crédit qui ont été produits en preuve montraient aussi qu’elle payait des mensualités d’environ 800 $ sur la Mercedes-Benz. Elle n’a pas quantifié les autres dépenses qu’elle avait engagées ou payées en 2002, 2003 ou 2004, par exemple le câble, l’électricité ou l’essence. Au cours de son contre-interrogatoire, on a présenté à Slrender un bordereau de retrait concernant le compte bancaire en cause, bordereau qui indiquait qu’une somme de 2 000 $ avait été employée pour l’achat de chèques de voyage en dollars US. Elle a dit qu’elle n’avait aucun souvenir de l’opération ni de ce à quoi la somme avait servi.

 

[31]         Je n’ai donc aucun moyen de dire ce qu’étaient les obligations alimentaires de Jagir ou quel pourcentage des sommes transférées par Jagir à Slrender pouvait se rapporter auxdites obligations alimentaires.

 

[32]         S’agissant de l’appel formé par Harish, je ferais observer que, même s’il n’avait pas connaissance des dépôts faits dans son compte bancaire, cela ne fait pas obstacle à l’application du paragraphe 160(1). Les sommes déposées dans son compte pouvaient être retirées par lui n’importe quand, et aucune contrepartie n’était donnée par lui. Dans un arrêt de la Cour d’appel fédérale, Livingston c. La Reine, 2008 CAF 89, la Cour d’appel a fait les observations suivantes concernant les dépôts faits par une personne dans le compte bancaire d’une autre personne :

 

21 Le dépôt de sommes sur le compte bancaire d’une autre personne constitue un transfert de biens. Rappelons, pour lever toute ambiguïté, que le dépôt de sommes par Mme Davies sur le compte de l’intimée permettait à cette dernière de les en retirer n’importe quand. Le bien transféré était le droit d’exiger de la banque qu’elle remette à l’intimée la totalité des sommes déposées. La valeur de ce droit était la valeur totale desdites sommes.

 


[33]         Pour tous ces motifs, les deux appels sont rejetés, avec dépens.

 

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 22e jour d’août 2008.

 

 

« B.Paris »

Juge Paris

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour d’octobre 2008.

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2008 CCI 474

 

Nos DU DOSSIER DE LA COUR :     2006-765(IT)G

                                                          2006-766(IT)G

 

INTITULÉ :                                       HARISH KADOLA et SLRENDER KADOLA  ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 10 juillet 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge B. Paris

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 22 août 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat des appelants :

Me Andrew Davis

Avocate de l’intimée :

Me Johanna Russell

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                      Me Andrew Davis

 

                          Cabinet :                  Andrew Davis Personal Law Corp.

                                                          Vancouver (Colombie-Britannique)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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