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Dossier : 2007‑1674(EI)

ENTRE :

OLTCPI INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de

OLTCPI Inc. (2007‑1675(CPP)),

le 28 juillet 2008, à Toronto (Ontario)

 

Devant : L’honorable juge suppléant N. Weisman

 

Comparutions :

 

 

Avocats de l’appelante :

Me R. Brendan Bissell et

Me Neil E. Bass

 

 

Avocat de l’intimé :

Me Brandon Siegal

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

          L’appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 25e jour d’août 2008.

 

 

« N. Weisman »

Juge suppléant Weisman

 

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour d’octobre 2008.

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


 

 

 

Référence : 2008 CCI 470

Date : 20080825 

Dossiers : 2007‑1674(EI)

2007‑1675(CPP)

ENTRE :

OLTCPI INC.,

 

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

 

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Weisman

 

[1]     Le commerce de l’appelante, Ontario Long Term Care Providers Inc. (OLTCPI), consiste à recruter des diététistes et des travailleurs sociaux et à faire des achats en gros de fournitures alimentaires et médicales pour sa société liée, Leisureworld Inc., propriétaire de dix‑neuf établissements agréés qui prodiguent des soins de longue durée aux personnes âgées.

 

[2]     Renu Arora est diététiste agréée. En juillet 2005, elle a répondu à une annonce de OLTCPI affichée sur le site Web des diététistes du Canada, annonce dans laquelle OLTCPI disait rechercher un diététiste pour l’établissement de Leisureworld situé sur l’avenue Lawrence, à Toronto. Après avoir rencontré le directeur des services nutritionnels de Leisureworld, elle a signé une formule type d’« accord de consultant » avec OLTCPI, qui précisait qu’elle serait une entrepreneuse indépendante dans sa relation de travail avec OLTCPI. Elle acceptait d’assurer 82 heures de service par mois. Cela lui permettait de consacrer un jour par semaine à la fourniture de services similaires dans un établissement agréé appartenant à Sodexho Extendicare, une concurrente d’OLTCPI. Elle a produit ses déclarations de revenus en tant qu’entrepreneuse indépendante pour la période en cause et elle a déduit toutes ses dépenses admissibles.

 

[3]     Sa relation de travail avec OLTCPI a pris fin le 12 avril 2006 parce qu’elle était enceinte, et elle a plus tard demandé des prestations de maternité en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi[1] (la « Loi sur l’A‑E »). Les prestations lui ont été accordées, et l’intimé a alors prié OLTCPI de verser les arriérés de primes conformément à la Loi, ainsi que les cotisations conformément au Régime de pensions du Canada[2] (le « RPC »), en invoquant le paragraphe 5.(5) de la Loi sur l’A‑E, l’alinéa 6.g) du Règlement sur l’A‑E et l’article 7 du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations (le « RRAPC »)[3], ainsi que le paragraphe 34.(1) du Règlement sur le Régime de pensions du Canada (le « Règlement sur le RPC »). L’appelante fait maintenant appel des cotisations établies.

 

[4]     Le paragraphe 5.(5) de la Loi sur l’A‑E et les dispositions réglementaires susmentionnées prévoient ce qui suit :

 

5.(5)   Règlements incluant une activité commerciale dans les emplois assurables

 

(5) La Commission peut, avec l’agrément du gouverneur en conseil et sous réserve d’une résolution du Parlement à cet effet, prendre un règlement en vue d’inclure dans les emplois assurables l’activité commerciale de toute personne qui exploite une entreprise au sens du paragraphe 248(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

6.        Sont inclus dans les emplois assurables, s’ils ne sont pas des emplois exclus conformément aux dispositions du présent règlement, les emplois suivants :

g)          l’emploi exercé par une personne appelée par une agence de placement à fournir des services à un client de l’agence, sous la direction et le contrôle de ce client, en étant rétribuée par l’agence.

 

7.         L’agence de placement qui procure un emploi assurable à une personne selon une convention portant qu’elle versera la rémunération de cette personne est réputée être l’employeur de celle‑ci aux fins de la tenue des registres, du calcul de la rémunération assurable de la personne ainsi que du paiement, de la retenue et du versement des cotisations exigibles à cet égard aux termes de la Loi et du présent règlement.

 

34. (1) Lorsqu’une personne est placée par une agence de placement pour la fourniture de services ou dans un emploi auprès d’un client de l’agence, et que les modalités régissant la fourniture des services et le paiement de la rémunération constituent un contrat de louage de services ou y correspondent, la fourniture des services est incluse dans l’emploi ouvrant droit à pension, et l’agence ou le client, quel que soit celui qui verse la rémunération, est réputé être l’employeur de la personne aux fins de la tenue de dossiers, de la production des déclarations, du paiement, de la déduction et du versement des contributions payables, selon la Loi et le présent règlement, par la personne et en son nom.

 

[5]     La Cour doit donc trancher les six questions suivantes :

 

1.        Les règlements susmentionnés s’appliquent‑ils aux travailleurs qui sont des entrepreneurs indépendants?

2.       L’appelante était‑elle une agence de placement?

3.       A‑t‑elle placé Mme Arora dans un emploi auprès de sa cliente?

4.       Est‑ce l’appelante ou sa cliente qui rémunérait Mme Arora?

5.       Mme Arora était‑elle sous la direction et le contrôle de la cliente?

6.        Les modalités selon lesquelles Mme Arora fournissait ses services et était rétribuée constituaient‑elles un contrat de louage de services ou correspondaient‑elles à un tel contrat?

 

1.       Entrepreneurs indépendants

 

[6]     L’intention commune des parties était manifestement que Mme Arora soit une entrepreneuse indépendante dans sa relation de travail avec OLTCPI. Elle a signé trois ententes en ce sens durant la période en cause et a confirmé son intention au moment de produire ses déclarations de revenus[4].

 

[7]     Il s’agit de savoir si l’alinéa 6.g) du Règlement sur l’A‑E, reproduit plus haut, s’applique aux entrepreneurs indépendants, ce que pourrait bien être Mme Arora. La réponse est manifestement affirmative. Dans l’arrêt Sheridan c. Canada[5], la Cour d’appel fédérale, interprétant l’alinéa 12.g) du règlement d’application de la Loi sur l’assurance‑chômage[6], alinéa auquel a succédé l’alinéa 6.g) du Règlement sur l’A‑E, a jugé que des infirmières, placées par l’agence appelante dans des hôpitaux qui étaient ses clients, occupaient des emplois assurables, même si elles n’avaient conclu aucun contrat de travail avec l’agence ou avec l’hôpital. Je ne vois aucune différence notable sur ce point entre des infirmières et des diététistes.

 

[8]     La Cour d’appel fédérale s’est fondée sur deux arrêts de la Cour suprême du Canada qui allaient dans le même sens. Dans l’arrêt R. c. Scheer Ltd.[7], le juge Spence, s’exprimant pour la Cour suprême, a écrit ce qui suit : « Je suis donc d’avis que, au moins depuis 1946 jusqu’à ce jour, le Parlement, dans sa législation concernant l’assurance‑chômage, a toujours utilisé le terme “emploi” pour désigner un commerce, un métier ou une occupation et non pas seulement un rapport de commettant à préposé ». La Cour suprême avait finalement jugé que les barbiers, les coiffeurs[8] ou les chauffeurs de taxi[9] étaient compris dans le champ élargi de l’expression « emploi assurable », qu’ils aient ou non conclu un contrat de travail.

 

[9]     Dans l’arrêt Martin Service Station Ltd. c. Canada[10], qui concernait des chauffeurs de taxi, la Cour suprême exposait ainsi son raisonnement à l’appui de la conclusion susmentionnée :

 

[…] si les conditions qui prévalent sont telles que ceux qui sont embauchés par contrat pour exécuter un travail donné sont réduits au chômage, il est de plus probable que ces mêmes conditions privent de travail ceux qui accomplissent le même genre de tâche, mais à leur compte. C’est principalement dans le but de protéger ces derniers du risque de manquer de travail et d’être contraints à l’inactivité que la portée de la législation a été élargie. Qu’ils travaillent à leur propre compte ou en vertu d’un contrat de service, les conducteurs de taxi et d’autobus par exemple sont exposés au risque de manquer de travail.

 

[10]    L’analyse ci‑dessus ne s’applique pas au paragraphe 34.(1) du Règlement sur le RPC, qui requiert de déterminer si les modalités régissant la fourniture des services de Mme Arora et sa rémunération correspondent à un contrat de louage de services. J’évoquerai cet aspect plus loin.

 

2.       Agence de placement

 

[11]    Cette expression est définie dans le Règlement sur le RPC, mais non dans la Loi sur l’A‑E. Le paragraphe 34.(2) du Règlement sur le RPC prévoit ce qui suit :

 

(2)      Une agence de placement comprend toute personne ou organisme s’occupant de placer des personnes dans des emplois, de fournir les services de personnes ou de trouver des emplois pour des personnes moyennant des honoraires, récompenses ou autres formes de rémunération.

 

[12]    On ne m’a mentionné aucun précédent donnant à penser qu’une autre définition devrait être appliquée selon la Loi.

 

[13]    À mon avis, l’appelante a manifestement agi comme agence de placement lorsqu’elle a placé Mme Arora auprès de l’établissement de Leisureworld sur l’avenue Lawrence. M. David Cutler, ancien président de OLTCPI, a reconnu que l’appelante faisait un bénéfice suffisant sur l’écart entre la rémunération versée par elle aux travailleurs qu’elle envoyait chez sa cliente Leisureworld et la facture qu’elle envoyait à la cliente pour ces mêmes travailleurs pour être en mesure de procurer gratuitement des fournitures alimentaires et médicales achetées en gros.

 

[14]    Malgré l’argument contraire de l’appelante, cet ensemble de faits n’est pas assimilable au cas où un entrepreneur s’engage à envoyer du personnel et du matériel sur un chantier pour l’exécution d’un service sous la surveillance d’un entrepreneur général ou d’un architecte. Par ailleurs, la définition ci‑dessus d’une agence de placement n’indique nulle part que le placement de travailleurs dans un emploi doit être l’unique fonction de l’agence.

 

3.       L’appelante a‑t‑elle placé Mme Arora auprès de sa cliente?

 

[15]    Il est on ne peut plus évident que l’appelante a placé Mme Arora auprès de l’établissement de Leisureworld situé sur la rue Lawrence, l’unique objet de l’annonce que Leisureworld avait affichée sur le site Web Les diététistes du Canada étant de combler le poste vacant de sa cliente à cet endroit.

 

4.       Rémunération

 

[16]    L’avocat de l’appelante a reconnu en toute franchise que l’appelante rémunérait Mme Arora, rendant ainsi inutile la production de preuves au regard de ce critère.

 

5.       Mme Arora était‑elle sous la direction et le contrôle de la cliente?

 

[17]    Les établissements de soins de longue durée en Ontario sont étroitement contrôlés par le ministère de la Santé et des Soins de longue durée. Il existe des normes et critères précis pour les services diététiques, ce qui englobe la planification des menus, la préparation alimentaire, le service des repas, les soins nutritionnels, les surveillants des services alimentaires, les manipulateurs d’aliments et les diététistes. Il existe aussi des directives précises régissant sept aspects du domaine de responsabilité des diététistes. En outre, Leisureworld a sa propre « description d’emploi du diététiste clinique », qui comprend non seulement les lignes directrices du ministère, mais aussi certaines lignes directrices de Leisureworld, notamment : [traduction] « élabore et applique des programmes éducatifs pour le personnel diététiste et infirmier, en conduisant un minimum de deux perfectionnements par an à l’intention du personnel; sert de ressource pour l’établissement; participe au Comité de la pharmacie et de la thérapeutique; rencontre une fois par mois l’administrateur de l’établissement ».

 

[18]    Par ailleurs, Mme Arora, qui a été un témoin crédible, a établi que, même si personne ne dirigeait ou contrôlait la manière dont elle devait accomplir ses activités spécialisées, l’administrateur de l’avenue Lawrence l’obligeait à faire des audits et à présenter des rapports, fonctions qui soit constituaient des mesures de réduction des coûts, soit relevaient de la responsabilité d’autrui ou rendaient les tâches d’autrui plus faciles. Elle devait rédiger des rapports diététiques et compléter les examens faits pour l’établissement, en expliquant des aspects tels que la consistance, la texture, les diètes pures, les diètes mixtes, les diètes rénales et les besoins en calories. Elle devait s’occuper surtout de patients à haut risque, mais le directeur des services infirmiers l’obligeait à suivre aussi des patients à faible risque ou à risque modéré. Par ailleurs, plutôt que de présenter la facture habituelle indiquant ses heures travaillées, elle devait, en dehors de ses heures de travail, rédiger et présenter à l’administrateur de l’établissement un « rapport de visite du diététiste », qui rendait compte de ses activités pour chaque minute de chaque jour.

 

[19]    Priée de préciser si le directeur des services infirmiers pouvait lui dire quoi faire, elle a répondu : [traduction] « Je suppose que non, il me demandait de faire des choses pour eux. Je ne savais pas si je pouvais refuser. Je ne voulais pas savoir si le fait de refuser pouvait conduire à mon renvoi ».

 

[20]    S’agissant de la direction et du contrôle, je suis d’avis que l’administration de l’établissement de l’avenue Lawrence où Mme Arora travaillait exerçait un contrôle effectif sur elle. Si l’administration s’était plainte auprès de OLTCPI que Mme Arora était indisciplinée, qu’elle ne se conformait pas aux lignes directrices du ministère ou de l’établissement ou n’accomplissait pas les tâches accessoires qu’on lui demandait d’accomplir, alors OLTCPI, qui exerçait un contrôle de droit, pouvait la renvoyer. Par ailleurs, selon moi, puisque Mme Arora avait peur de savoir ce qu’elle risquait si elle désobéissait à des ordres qui dépassaient son mandat, un lien de subordination existait, ce qui est un élément constitutif du contrôle.

 

6.       Modalités correspondant à un contrat de louage de services

 

[21]    Cet aspect, qui est requis par le paragraphe 34.(1) du Règlement sur le RPC, suppose l’examen de la relation globale des parties à l’aide du quadruple critère exposé dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R.[11], qui permet de dire s’il existe ou non un contrat de louage de services. Les quatre éléments du critère sont le degré de contrôle, la propriété des instruments de travail, les chances de réaliser un bénéfice et les risques de perte.

 

[22]    J’ai déjà conclu que, vu le facteur de la direction et du contrôle, les modalités de la relation de travail entre Mme Arora et Leisureworld durant la période considérée signalaient l’existence d’un lien de subordination.

 

[23]    S’agissant des instruments de travail, la preuve montre que le seul instrument important mis à la disposition de Mme Arora était l’établissement de l’avenue Lawrence, où ses patients résidaient, outre un bureau équipé d’un ordinateur contenant les diagrammes médicaux, les antécédents et les besoins alimentaires de ses patients. Mme Arora ne fournissait que son véhicule, pour se rendre sur les lieux, et son savoir‑faire.

 

[24]    Cette situation soulève la question de savoir si des installations et un savoir‑faire constituent des instruments de travail. S’agissant des installations, dans l’arrêt Hennick c. Canada[12], le payeur, le Royal Conservatory of Music, fournissait à ses professeurs les locaux nécessaires pour leurs bureaux ainsi que les studios pour les leçons de piano. La Cour d’appel fédérale a écrit ce qui suit, au paragraphe 8 de l’arrêt : « En ce qui concerne la deuxième partie du critère, à savoir la propriété des instruments de travail, le juge de la Cour de l’impôt a conclu, avec raison à notre avis, qu’étant donné que l’intimée donnait la plupart de ses leçons dans les locaux de l’intervenant, sa situation ressemblait davantage à celle d’un employé. » Cette conclusion contraste avec la conclusion tirée dans l’arrêt Wolf c. Canada[13]. Dans cette affaire, un ingénieur‑conseil devait travailler dans les locaux du payeur, Canadair, pour pouvoir interagir avec les autres personnes de cet endroit. La Cour d’appel fédérale s’est exprimée ainsi, au paragraphe 84 : « À mon avis, les instruments de travail nécessaires pour l’exécution du travail de l’appelant constituent un facteur neutre. Il fallait que l’appelant travaille dans les locaux de Canadair avec l’ordinateur et les archives de Canadair, qu’il soit un employé ou un entrepreneur indépendant ». Il me semble que Mme Arora était elle aussi obligée de travailler dans les locaux de Leisureworld sur l’avenue Lawrence, parce que c’est là que ses patients se trouvaient de même que les ordinateurs contenant leurs diagrammes, leurs antécédents et leurs besoins alimentaires. Elle avait besoin de son véhicule pour se rendre dans les locaux de l’avenue Lawrence, mais il s’agit d’un facteur neutre dans la présente espèce puisque nombreux sont les travailleurs qui utilisent également leurs voitures pour se rendre à leur travail.

 

[25]    S’agissant du savoir‑faire, la Commission de révision de l’impôt avait, dans deux décisions, jugé que le savoir‑faire professionnel peut être considéré comme un instrument de travail. Dans la décision Latimer v. M.N.R.[14], le juge‑arbitre écrivait ce qui suit : [traduction] « il convient d’admettre que, bien qu’elles puissent avoir plus d’application dans un contexte commercial ou industriel, dans la mesure où les compétences professionnelles de l’appelant pouvaient être considérées comme des “instruments de travail”, il était en possession de tels instruments ». Dans la décision Brandes v. M.N.R.[15], qui concernait un réalisateur, la Commission écrivait que [traduction] « l’expérience de l’appelant, son intelligence et ses capacités d’organisation constituent ses principaux instruments de travail ».

 

[26]    Une opinion plus contemporaine est exprimée dans l’arrêt Wolf, où la Cour d’appel a écrit ce qui suit, au paragraphe 82 :

 

Ce facteur concerne la personne qui, de l’employeur ou du travailleur, possède les biens ou le matériel nécessaires pour exécuter le travail. Traditionnellement, si le travailleur détient ou contrôle les biens et s’il est responsable de leur fonctionnement et de leur entretien, il est probablement considéré comme un entrepreneur indépendant. Par ailleurs, si l’employeur possède le matériel, le travailleur sera probablement considéré comme un employé.

 

[27]    Les instruments de travail, selon l’arrêt Wolf, sont les biens et le matériel. On peut tirer la même conclusion de l’arrêt Precision Gutters Ltd. c. Canada[16], où les instruments des poseurs de gouttières sont décrits comme « des perceuses et des mèches, des scies et des lames, du contreplaqué, de courtes échelles, des leviers, des galons de mesure et des marteaux ». Aucun de ces deux arrêts n’exclut explicitement les connaissances professionnelles, l’expérience, l’intelligence et les capacités d’organisation en tant qu’instruments de travail, mais je n’ai connaissance d’aucun précédent faisant autorité, depuis 1983, qui les considère tels. Le facteur relatif aux instruments de travail est donc neutre.

 

[28]    Elle ne courait non plus aucun risque de perte en tant que diététiste de l’établissement. Lorsqu’on lui a demandé quelles dépenses elle déduisait dans sa déclaration de revenus, elle a admis en toute franchise que sa cotisation de membre des divers organismes représentant les diététistes, y compris son assurance responsabilité civile, ne totalisait qu’environ 1 000 $ par année. Ses principales dépenses déductibles concernaient son véhicule, l’essence, l’huile, les réparations et l’assurance, pour un total d’environ 3 000 $ par année.

 

[29]    S’agissant de ses chances de réaliser un bénéfice, elle travaillait comme diététiste simultanément pour deux organismes concurrents. Cela montre en général que le travailleur est un entrepreneur indépendant. En revanche, elle était rémunérée à l’heure, selon un tarif qui était fixé par l’appelante et fonction de son expérience. Le tarif n’était pas négocié, et il n’était pas calculé par Mme Arora de manière à amortir les coûts fixes et variables de l’exercice de sa profession et à réaliser un profit. Nous pouvons dire, d’après l’arrêt Hennick, que ce genre de rémunération horaire ne donne pas lieu à un profit. Elle était libre de trouver un remplaçant si pour quelque raison elle ne pouvait accomplir ses tâches, et elle pouvait théoriquement réaliser un profit ou essuyer une perte en fonction de ce qu’il lui fallait alors payer à son remplaçant. En fait, cela n’était arrivé qu’une fois, et Leisureworld avait alors trouvé le remplaçant et l’avait rémunéré.

 

[30]    Il y avait une travailleuse sociale appelée Mary Vary qui avait quitté Leisureworld pour ouvrir à son propre compte une agence de placement. Elle avait pourvu en personnel les locaux de Leisureworld situés à Almira et à Brantford et avait par la suite élargi ses activités pour répondre également aux besoins d’autres établissements de soins de longue durée. Elle facturait ses services à Leisureworld, répondait des services qu’elle fournissait, engageait ses propres employés et pouvait réaliser un profit grâce à une bonne gestion, ou essuyer une perte si pour quelque raison les affaires déclinaient. On est bien loin du mode d’opération de Mme Arora en tant qu’entrepreneuse indépendante. L’absence d’une possibilité de réaliser un profit montre donc également qu’elle était une employée durant la période en cause.

 

[31]    L’intention commune des parties était manifestement que Mme Arora serait une entrepreneuse indépendante, mais trois des quatre critères de l’arrêt Wiebe Door indiquent de façon concluante que les modalités de sa relation de travail avec Leisureworld s’apparentaient à celles d’un contrat de louage de services. Le critère des instruments de travail a donné un résultat neutre. Dans ces conditions, on ne saurait accorder un grand poids à l’intention commune des parties[17].

 

[32]    L’appelante ne s’est pas acquittée de son fardeau de réfuter les hypothèses énoncées dans les réponses du ministre à ses avis d’appel, hypothèses qui doivent être tenues pour avérées aussi longtemps que l’appelante n’en a pas prouvé la fausseté[18].

 

[33]    J’ai examiné tous les faits avec les parties et avec les témoins appelés au nom des parties pour témoigner la première fois sous serment, et je n’ai pas constaté de faits nouveaux, ni aucun élément montrant que les faits déduits ou invoqués par le ministre ne correspondaient pas à la réalité ou avaient été mal évalués ou mal compris. Les décisions du ministre sont objectivement raisonnables. Mme Arora a été placée par OLTCPI, agissant comme agence de placement, dans l’établissement de Leisureworld situé sur l’avenue Lawrence, et elle était sous la direction et le contrôle du client d’OLTCPI, et c’est OLTCPI qui la rémunérait. Les modalités régissant la fourniture de ses services et le paiement de sa rémunération correspondaient à un contrat de louage de services. Mme Arora se trouvait donc dans un emploi assurable visé par l’alinéa 6.g) du Règlement sur l’A‑E, et dans un emploi ouvrant droit à pension, en applicaiton du paragraphe 34.(1) du Règlement sur le RPC.

 

[34]    Finalement, les deux appels seront rejetés et les décisions du ministre seront confirmées.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 25e jour d’août 2008.

 

« N. Weisman »

Juge suppléant Weisman

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour d’octobre 2008.

Sandra de Azevedo, LL.B.


 

 

RÉFÉRENCE :

2008 CCI 470

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :

2007‑1674(EI) et

2007‑1675(CPP)

 

INTITULÉ :

OLTCPI Inc. et

Le Ministre du Revenu national

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 juillet 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge suppléant N. Weisman

 

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 25 juillet 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelante :

Me R. Brendan Bissell et

Me Neil E. Bass

 

Avocat de l’intimé :

Me Brandon Siegal

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelante :

 

Nom :

Fraser Milner Casgrain LLP

 

Toronto (Ontario)

 

Pour l’intimé :

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] L.C. 1996, ch.. 23.

[2] L.R.C. 1985, ch. C‑8, modifié.

[3] DORS/97‑33.

[4] Ambulance Saint‑Jean c. Canada (M.R.N.), [2004] A.C.F. n° 1680. (CAF); Combined Insurance Co. of America c. Canada (Ministre du Revenu national ‑ M.R.N.), [2007] A.C.F. n° 124, paragraphe 75 (C.A.F.)

[5] [1985] A.C.F. n° 230

[6] L.R.C. 1985, ch. U‑1

[7] [1974] R.C.S. 1046

[8] Mentionnés aujourd’hui dans l’alinéa 6.d) du Règlement sur l’A‑E.

[9] Mentionnés aujourd’hui dans l’alinéa 6.e) du Règlement sur l’A‑E.

[10] [1977] 2 R.C.S. 996

[11] (1986) 87 DTC 5025 (C.A.F.)

[12] [1995] A.C.F. n° 294 (C.A.F.)

[13] [2002] A.C.F. n° 375 (C.A.F.)

[14] 77 DTC 84

[15] 83 DTC 158

[16] [2002] A.C.F. n° 771, paragraphe 23 (C.A.F.)

[17] The Royal Winnipeg Ballet c. M.R.N., [2006] A.C.F. n° 339 (C.A.F.)

[18] Elia c. Canada, [1998] A.C.F. n° 316 (C.A.F.)

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