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Dossier : 2005-3701(IT)G

ENTRE :

VALERIE GAIL ROSE,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 8 juin 2007, à Regina (Saskatchewan).

 

Devant : L’honorable juge G. A. Sheridan

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Gregory A. Swanson

 

 

Avocate de l’intimée :

Me Anne Jinnouchi

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

Conformément aux motifs de jugement ci‑joints, l’appel de la cotisation numéro 27301 établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu est accueilli, avec dépens, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que Hally Rose n’a pas transféré à l’appelante son intérêt bénéficiaire dans la propriété sise au 3306, rue Carnegie, à Regina, en Saskatchewan.

 

          Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de novembre 2007.

 

 

« G. A. Sheridan »

Juge Sheridan

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de décembre 2007.

 

Johanne Brassard, trad. a.


 

 

Référence : 2007CCI657

Date : 20071101

Dossier : 2005-3701(IT)G

ENTRE :

VALERIE GAIL ROSE,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Sheridan

 

[1]     L’appelante, Valerie Gail Rose, interjette appel de la cotisation établie par le ministre du Revenu national en vertu du paragraphe 160(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, lequel est rédigé comme suit :

 

Transfert de biens entre personnes ayant un lien de dépendance

 

            160(1) Lorsqu’une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon à l’une des personnes suivantes :

 

a)         son époux ou conjoint de fait ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

 

b)         une personne qui était âgée de moins de 18 ans;

 

c)         une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

 

les règles suivantes s’appliquent :

 

d)         le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d’une partie de l’impôt de l’auteur du transfert en vertu de la présente partie pour chaque année d’imposition égale à l’excédent de l’impôt pour l’année sur ce que cet impôt aurait été sans l’application des articles 74.1 à 75.1 de la présente loi et de l’article 74 de la Loi de l’impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts révisés du Canada de 1952, à l’égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés ou des biens y substitués ou à l’égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens;

 

e)         le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des montants suivants :

 

(i)         l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens         au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce         moment de la contrepartie donnée pour le bien,

 

(ii)                le total des montants dont chacun représente un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l’année d’imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années;

 

aucune disposition du présent paragraphe n’est toutefois réputée limiter la responsabilité de l’auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

 

[2]     Sauf pour ce qui est de l’interprétation du mot [traduction] « transféré » au paragraphe 10a), les faits présumés par le ministre au paragraphe 10 de la réponse à l’avis d’appel ne sont pas contestés. Ce paragraphe est rédigé comme suit :

 

[traduction]

 

10. Pour établir et ratifier la cotisation no 27301, le ministre a présumé les faits suivants :

 

a)       Le 19 octobre 2004, Hally Rose a transféré à l’appelante la propriété sise au 3306, rue Carnegie, à Regina, en Saskatchewan (la « propriété »).

 

b)      Hally Rose est le mari de l’appelante.

 

c)       À toutes les époques pertinentes, la propriété servait de résidence familiale à l’appelante et à Hally Rose.

 

d)      À toutes les époques pertinentes, l’appelante et Hally Rose avaient un lien de dépendance.

 

e)        À la date du transfert, la juste valeur marchande de la propriété se chiffrait à 140 000 $.

 

f)       À la date du transfert, ou vers cette date, la propriété était grevée d’une hypothèque de 110 000 $.

 

g)        L’appelante n’a fourni aucune contrepartie.

 

h)       À l’égard de l’année d’imposition 2004 et des années d’imposition antérieures, le total de tous les montants que Hally Rose était tenu de payer en vertu de la Loi s’établissait à 57 302,89 $.

 

i)        Hally Rose a fait une cession de faillite le 29 juin 2005 [modifiée sur consentement au procès].

 

[3]     L’appelante et son mari, Hally Rose, ont tous les deux témoigné à l’audience. Leur témoignage était tout à fait digne de foi. Ils ont répondu à des questions d’ordre juridique souvent complexes au mieux de leur jugement et sans détour.

 

[4]     L’intimée a fait comparaître Joan Selinger, agente de recouvrement à l’Agence du revenu du Canada (ARC) qui, à toutes les époques pertinentes visées par l’appel, était chargée du recouvrement des montants d’impôt non payés par Hally Rose. Mme Selinger a également témoigné avec franchise.

 

[5]     À l’audience, Valerie et Hally Rose ont témoigné qu’ils étaient mariés depuis environ 34 ans et que, depuis 23 ans, ils habitaient la maison du 3306, rue Carnegie. En 2004, Hally Rose, qui était monteur de charpente de son métier, connaissait de graves difficultés financières et accusait du retard dans le paiement de ses impôts. Il collaborait avec Mme Selinger pour réduire son endettement au moyen d’une entente de paiements réguliers établie avec l’ARC. En septembre 2004, toutefois, sa situation s’était aggravée. Hally Rose avait alors de nombreux tracas, dont les menaces de poursuite judiciaire d’un client mécontent du nom de Holyoak. Espérant repousser ce qu’il considérait comme la [traduction] « réclamation peu sérieuse » de Holyoak, Hally Rose a eu l’idée, d’une certaine manière, de faire disparaître son nom du titre de propriété de la résidence familiale. Par conséquent, un transfert[1] a été exécuté et enregistré au bureau d’enregistrement des titres de biens‑fonds de la province de la Saskatchewan, l’appelante devenant alors la seule propriétaire inscrite de la résidence de la rue Carnegie.

 

[6]     À peu près à la même période, Joan Selinger avait préparé les documents[2] nécessaires à l’enregistrement d’un privilège sur la résidence de la rue Carnegie, pour le compte de l’ARC. Elle s’est alors rendu compte que le nom de Hally Rose ne figurait plus sur le titre, un fait qu’il a d’ailleurs aussitôt confirmé lorsqu’elle l’a interrogé à ce sujet, comme en fait foi l’interrogatoire principal de Hally Rose :

         

          [traduction]

 

Q         À qui aviez‑vous parlé au sujet – parlé de mettre la maison – de transférer le titre de la maison au nom de Valerie seulement?

 

R          J’avais un bon rapport avec une dame à Revenue Canada, Joan Selinger –

 

Q         Mmhmm.

 

R          – et j’essayais tout le temps de lui faire savoir ce que je faisais et comme je – nous nous efforcions de faire les versements au gouvernement pour les remises et la TPS, et – et j’ai – j’ai effectivement dit à Joan que j’avais fait modifier le titre de la maison et elle était très en colère contre moi, et maintenant je comprends pourquoi.

 

Q         Joan Selinger est‑elle ici aujourd’hui?

 

R          Oui.

 

Q         Vous a‑t‑elle déjà expliqué pourquoi elle était en colère contre vous parce que vous aviez fait ça?

 

R          Oui, elle a dit que – qu’elle ne pouvait plus rien faire maintenant et que je n’aurais pas dû – elle a dit que je n’aurais pas dû faire ça parce que le gouvernement en déduirait que j’essayais de le frauder ou que j’essayais de -- elle n’a peut‑être pas dit « frauder », mais que j’essayais d’éviter de faire les versements, de verser les montants que je lui devais.

 

Cela n’annonçait rien de bon[3].

 

[7]     Plus tard, au contre‑interrogatoire, Hally Rose a donné d’autres explications :

 

[traduction]

 

Q         Avant le transfert, étiez‑vous au courant, que l’Agence du revenu du Canada allait enregistrer un droit réel sur votre maison? Étiez‑vous au courant que –

 

R          Non.

 

Q         – qu’elle pourrait le faire?

 

R          Non.

 

Q         L’idée que l’Agence pourrait le faire ne vous est‑elle pas venue à l’esprit, étant donné que Brian Holyoak se proposait de le faire?

 

R          Bien, Joan – Joan m’a – m’a longuement reproché d’avoir fait ce que j’ai fait et je sais maintenant que c’était une erreur, mais --

 

Q         Non, je vous demandais si l’idée que l’Agence du revenu du Canada pouvait enregistrer un privilège sur votre maison vous avait traversé l’esprit –

 

R          Non.

 

Q         – relativement aux impôts sur le revenu, étant donné que –

 

R          Je n’ai jamais –

 

Q         – Brian [Holyoak] l’a fait?

 

R          Non, je l’ai fait sans hésiter parce que je croyais qu’en étant en communication avec l’Agence du revenu aussi souvent que je l’étais – en fait, je parlais à Joan presque toutes les semaines ou toutes les deux semaines, et je – je ne pensais pas que cela se produirait, mais vraiment pas.

 

Q         Et simplement pour clarifier la question, vous avez dit que – à propos de l’Agence du revenu du Canada, avez‑vous informé l’Agence, avant de procéder au transfert, que vous alliez transférer votre droit de propriété?

 

R          Non, je --

 

Q         Non? Vous avez avisé l’Agence après avoir transféré la propriété –

 

R          Oui, c’était –

 

Q         – vous avez dit à Mme Selinger --

 

R          Oui.

 

Q         – que vous aviez transféré la propriété?

 

R          (Le témoin fait signe que oui.)

 

Q         Et, à ce moment‑là, vous avez dit à Mme Selinger que vous aviez transféré la propriété parce qu’un créancier potentiel, en l’occurrence Brian Holyoak, se proposait d’enregistrer un privilège sur votre propriété?

 

R          C’est exact. Je crois que, à ce moment‑là, nous faisions toujours – je faisais toujours les versements lorsque je l’ai dit à Joan. J’essayais encore – j’essayais encore de me sortir de la fâcheuse position dans laquelle je m’étais enlisé[4].

 

[8]     Le témoignage de Mme Selinger à l’interrogatoire principal concordait avec celui de Hally Rose. Je reproduis ci­‑dessous un extrait de ce témoignage :

 

          [traduction]

 

Q         D’accord. Donc après avoir certifié la dette, qu’avez‑vous alors fait?

 

R          Le nous devons attendre que le certificat revienne de la direction générale. Puis nous devons procéder à l’enregistrement selon la PPSA. C’est donc ce que j’aurais fait à son retour et je crois que c’était vers le 5 octobre – non, le 5 novembre parce qu’il est la certification a eu lieu le 5 octobre. Le 5 novembre, nous avons procédé à l’enregistrement selon la PPSA, et nous avons ensuite utilisé ces deux documents pour les rattacher au bien‑fonds, mais, à ce moment‑là, il n’était pas possible de les rattacher. Nous avons fait une recherche. La raison était que le titre avait été transféré. J’ai téléphoné à Hally pour lui demander pourquoi le titre avait été transféré. Il m’a expliqué que c’était pour éviter un créancier. Et alors nous avons dû procéder selon l’article 160 compte tenu du fait que la propriété avait été transférée.

 

Q         Et quelle a été la conversation que vous avez eue? Vous avez dit – il a expliqué qu’il avait transféré la propriété parce qu’un créancier lui courait après ou –

 

R          Oui.

 

Q         allait enregistrer un privilège sur sa maison?

 

R          Oui[5].

 

 

[9]     En conséquence de tout cela, le ministre a établi une cotisation à l’égard de l’appelante en vertu du paragraphe 160(1) de la Loi.

 

[10]    Dans Logiudice v. Her Majesty the Queen[6], le juge Bowie a expliqué l’objet du paragraphe 160(1) en ces termes :

 

[…] L’article 160 vise de toute évidence à empêcher les contribuables de se soustraire à leur obligation fiscale ainsi qu’aux intérêts et aux pénalités prévus par les dispositions de la Loi en plaçant les biens exigibles entre les mains de parents ou d’autres personnes avec lesquels ils ont un lien de dépendance, et donc hors de la portée immédiate du percepteur d’impôt. [Non souligné dans l’original.]

 

[11]    La question de savoir si un « transfert » a été effectué dépend de la situation en cause :

         

[traduction]

[...]

 

Le mot « transfert » n’est pas un terme technique et n’a pas de sens technique. Il n’est pas nécessaire qu’un transfert de biens d’un mari à sa femme revête une forme particulière ou qu’il soit fait directement. Il suffit que le mari se dépossède du bien et qu’il en remette la possession à sa femme, c’est‑à‑dire qu’il lui cède la propriété[7]. […]

 

[12]    De la même manière, il n’y a pas qu’une seule façon de démontrer qu’un intérêt bénéficiaire a été conservé. La question de savoir si un transfert a effectivement eu lieu est une question de fait dans chaque cas. La crédibilité de l’auteur du transfert et du bénéficiaire n’est pas sans importance dans la détermination de cette question, comme le démontrent les décisions citées par les avocats dans leur analyse de la jurisprudence[8].

 

[13]    Trois des quatre éléments exigés[9] au paragraphe 160(1) ont été admis : l’appelante et Hally Rose avaient un lien de dépendance; le bien a été transféré à titre gratuit; Hally Rose était tenu de payer de l’impôt au moment du transfert. Il n’est pas contesté que Hally Rose a transféré le titre légal de la maison de la rue Carnegie à l’appelante. La seule question à trancher est de savoir s’il y a eu « transfert » de l’intérêt bénéficiaire de Hally Rose dans la propriété; à savoir s’il s’est départi de cet intérêt pour le céder à l’appelante[10].

 

[14]    Il incombe à l’appelante de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que Hally Rose ne lui a pas transféré son intérêt bénéficiaire dans la maison de la rue Carnegie. L’avocate de l’intimée, qui a qualifié de [traduction] « mince » la preuve présentée à l’appui de la position de l’appelante, a soutenu que celle‑ci n’avait pas réussi à s’acquitter du fardeau de présentation. À l’appui de sa prétention, l’avocate a souligné le fait que l’appelante et Hally Rose ont tous les deux reconnu qu’ils n’avaient pas eu, à l’époque du transfert, de véritables discussions sur les conditions suivant lesquelles le transfert du titre serait effectué, qu’ils ne connaissaient pas la signification de termes juridiques, tels que « fiducie nue » pour décrire la nature de la transaction, avant qu’ils ne consultent leur avocat à propos de leur appel en matière d’impôt et que, par cette modification au titre, Hally Rose entendait contrecarrer les plans de Holyoak, qui cherchait à le poursuivre. L’avocate a fait valoir que l’existence d’une intention générale de faire obstacle à l’intérêt des créanciers, particulièrement l’ARC, pouvait être inférée de ce dernier point. Finalement, l’avocate a fait état des incompatibilités entre le témoignage de Hally Rose à l’audience et les renseignements contenus dans les documents de faillite qu’il a fournis sous serment. L’avocate de l’intimée a également invité la Cour à tirer une conclusion défavorable du fait que l’appelante n’a pas appelé le syndic de faillite à comparaître.

 

[15]    En ce qui concerne d’abord la question de la faillite, Hally Rose a déposé un avis de faillite le 29 juin 2005[11]. Dans la section du bilan de réalisation éventuelle de ce document, le mot [traduction] « zéro » apparaît vis‑à‑vis de la rubrique [traduction] « maison ». Cette réponse, selon l’avocate de l’intimée, contredit le témoignage de Hally Rose à l’audience, suivant lequel il avait conservé un intérêt bénéficiaire dans la maison. L’avocate a allégué qu’il ne pouvait gagner sur les deux tableaux : l’omission d’inclure dans la procédure de faillite son intérêt bénéficiaire dans la résidence familiale n’était pas compatible avec l’allégation ultérieure suivant laquelle il aurait conservé un intérêt bénéficiaire pour l’application de l’article 160 de la Loi.

 

[16]    À mon avis, toutefois, cette description ne dit pas tout. Il est établi que, lorsque Hally Rose a déclaré faillite, l’intérêt conjoint des Rose dans la propriété ne dépassait pas 30 000 $ et que, en vertu de la loi de la Saskatchewan, le foyer conjugal était soustrait à la saisie jusqu’à concurrence de 32 000 $. Je considère comme raisonnable l’explication de Hally Rose suivant laquelle il avait compris de ce que lui avait dit le syndic que, parce que sa part de moitié dans la valeur nette de la maison était trop petite pour être exigible par les créanciers, il n’était pas nécessaire d’inclure la maison de la rue Carnegie dans le bilan de réalisation éventuelle. Je ne considère pas qu’il s’agit là d’une indication de son intention de cacher la vérité aux créanciers, particulièrement si l’on tient compte également des autres renseignements divulgués dans l’avis de faillite :

 

1.       Dans la section du passif de la pièce R-1, Hally Rose a indiqué l’intérêt garanti de la Banque CIBC au montant de 109 000 $, le solde impayé du prêt hypothécaire de la maison de la rue Carnegie.

 

2.       À l’alinéa 9a) de la pièce R-1, il a indiqué que, dans les 12 mois précédant l’avis de faillite, il avait [traduction] « vendu ou aliéné » un bien qu’il a de plus décrit au paragraphe 13 comme suit : [traduction] « En septembre 2004, j’ai transféré ma part de moitié dans la résidence à ma conjointe. Aucun produit net n’a été réalisé. »

 

[17]    En ce qui a trait au fait que le syndic n’a pas été assigné comme témoin, même s’il aurait été utile de l’entendre, la force de la preuve documentaire et des témoignages de l’appelante et de Hally Rose était suffisante pour contrecarrer toute conclusion défavorable qui aurait pu autrement être tirée.

 

[18]    En ce qui a trait maintenant aux faits admis relativement à la modification du titre de la résidence de la rue Carnegie, je ne considère pas le dilettantisme dont aurait fait preuve Hally Rose dans ses efforts en vue d’empêcher Holyoak de le poursuivre comme allant de pair avec un stratagème délibéré visant à faire obstacle aux réclamations légitimes des créanciers. Après avoir entendu les témoignages de l’appelante et de Hally Rose sur ce point, je suis convaincue qu’il ne visait certainement pas à éviter de payer ses arriérés d’impôt à l’ARC. Conclure autrement serait incompatible avec leur témoignage et avec celui de Mme Selinger, qui a déclaré que, tout au long de la période pertinente, Hally Rose avait collaboré avec elle dans une tentative sincère de rembourser sa dette d’impôt. La franchise avec laquelle il a informé Mme Selinger de la modification du titre et des raisons sous‑jacentes laisse difficilement entrevoir l’intention de contrecarrer les efforts que l’ARC déployait en vue de recouvrer les impôts dus. Hally Rose croyait à tort et, certains diraient avec naïveté, que l’ARC ne chercherait pas à enregistrer un privilège sur la propriété. Plus astucieuse que Hally Rose quant aux ramifications juridiques possibles de ses actions, Mme Selinger, comme l’a déclaré Hally Rose, lui a [traduction] « longuement reproché » ce qu’il avait fait, une réaction qui, au niveau du ministère, s’est manifestée sous la forme d’une nouvelle cotisation établie en vertu de l’article 160 à l’égard de l’appelante. Ce n’est qu’à ce moment que Hally Rose a commencé à prendre conscience des conséquences de ses actions concernant l’affaire Holyoak.

 

[19]    Sa réaction plutôt tardive avait tout à voir avec son manque général de connaissances et d’expertise dans les affaires juridiques, un facteur qui explique également pourquoi lui et l’appelante n’ont jamais discuté de l’établissement d’une « fiducie nue » ni négocié, suivant certaines formalités, les conditions qui régiraient le transfert de la propriété établie à leurs deux noms au seul nom de l’appelante. Les faits qu’ils ont reconnus à cet égard ont rendu leur témoignage plus crédible, en leur donnant une apparence de vraisemblance que l’on ne trouvait pas, par exemple, dans la décision (Rochelle) Moss v. Her Majesty the Queen[12]. Dans cette affaire‑là, le juge Sarchuk a rejeté, dans un langage plutôt catégorique, le témoignage de la contribuable et de son mari concernant une entente de fiducie alléguée. Il s’est exprimé en ces termes :

 

[15]      La deuxième thèse avancée par l’appelante est qu’elle était simplement non pas propriétaire bénéficiaire, mais propriétaire en common law des dépôts en cause. Les faits n’étayent pas cette assertion. À partir de 1988, l’époux de l’appelante, avec l’entière collaboration de cette dernière, a pris des mesures pour contrecarrer ses créanciers en transférant valablement ses actifs à l’appelante (y compris ses profits provenant de ses projets de construction). Telle était la seule motivation sous‑jacente aux mesures qu’ils ont prises. Je ne crois pas leur témoignage selon lequel on avait discuté de la nature de certains de ces fonds et selon lequel, plus particulièrement, ces fonds devaient être détenus en fiducie et ne servir à aucune fin autre que le paiement de fournisseurs et d’ouvriers. Si l’époux de l’appelante avait voulu se conformer aux exigences de la LPC, il aurait pu aisément le faire en ouvrant à la banque un compte « en fiducie » distinct. Vu l’objet sous‑jacent au transfert de son argent dans le compte bancaire de l’appelante, je suis convaincu qu’il s’est bel et bien départi comme il l’entendait de tout droit de bénéficiaire dans ces fonds de manière qu’aucun créancier ne puisse facilement les saisir.

 

[...]

 

[18]      Le témoignage de l’appelante et celui de son époux[13] étaient souvent déraisonnables, sinon improbables. Dans le présent appel, l’appelante a dit à plusieurs occasions qu’elle n’utilisait jamais pour des choses personnelles une part quelconque des fonds déposés dans son compte par son époux. Elle a dit que son budget de dépenses du ménage était tel qu’elle n’aurait pas eu besoin d’utiliser une partie de ces fonds et qu’elle était convaincue n’avoir même pas accidentellement « dépensé une partie de ces fonds ». L’appelante a aussi affirmé, précisément à l’égard des fonds reçus de Mme Baron et de M. Forsyth par son époux, que ces fonds « ont service intégralement à construire lesdites maisons ». Ces assertions sont tout simplement fausses et ont en fait été contredites par le témoignage de l’époux de l’appelante et par les témoignages de clients de ce dernier. Le témoignage de l’appelante selon lequel ses dépenses personnelles, y compris les paiements hypothécaires, étaient d’environ 3 000 $ par mois est également douteux. Des sommaires qui avaient été établis par son comptable et qui ont été produits lors de l’interrogatoire préalable indiquent que les dépenses mensuelles moyennes avoisinaient plutôt les 7 000 $, et l’explication fournie n’était étayée d’aucune preuve directe et est à mon avis simplement indéfendable[14].

 

[20]    Aucun des qualificatifs employés par le juge Sarchuk pour décrire la preuve de M. et Mme Moss ne s’applique aux témoignages des Rose. Pour ce qui est de leur crédibilité, leur témoignage se situe à l’autre extrémité du continuum. Même s’ils n’ont pas articulé leurs intentions avec une rigueur juridique, je suis convaincue que, au moment où la modification a été apportée au titre, Hally Rose et l’appelante comprenaient très bien qu’ils ne faisaient qu’un changement de nom. Leur intention, qui a toujours été que Hally Rose conserve son intérêt bénéficiaire dans la résidence de la rue Carnegie, est démontrée par le fait qu’il a continué d’y habiter et de contribuer financièrement, comme il l’avait toujours fait, à l’entretien de la résidence. Même si je conviens avec l’avocate de l’intimée qu’il est possible de se départir de la propriété bénéficiaire sans abandonner la possession[15] de la propriété, la conservation de la possession peut néanmoins être un indice de la conservation de l’intérêt bénéficiaire. Compte tenu des faits de la présente affaire, le fait que Hally Rose ait continué à habiter la résidence de la rue Carnegie était un autre facteur révélant que ce dernier et l’appelante voulaient qu’il conserve son intérêt bénéficiaire dans la propriété.

 

[21]    À propos des charges, l’avocate de l’intimée a également allégué que le revenu inscrit dans les déclarations fiscales de Hally Rose pour les années 2004 et 2005 était trop petit pour lui permettre de les payer. Cette allégation ne tient pas compte du témoignage de Hally Rose, qui a déclaré que les revenus bruts durant cette période étaient beaucoup plus élevés que le bénéfice réalisé en fin de compte. Puisque ces fonds provenaient de travaux de charpenterie, il les a utilisés pour assurer sa subsistance et il en est résulté, bien entendu, que les créanciers ont cessé d’être payés et que l’entreprise a finalement fait faillite.

[22]    J’accepte sans hésitation le témoignage de l’appelante au contre‑interrogatoire suivant lequel il ne lui serait jamais [traduction] « venu à l’esprit » de disposer de la maison de la rue Carnegie sans obtenir d’abord le consentement de Hally :

           

            [traduction]

 

Q         Mais, étant donné que vous étiez propriétaire unique de la maison, il s’avère donc que vous auriez pu la vendre; n’est‑ce pas exact?

 

R          Non, je n’aurais pas pu vendre la maison.

 

Q         Mais vous étiez la seule personne dont le nom figurait sur le titre de propriété de la maison?

 

R          Sur le titre, mais je n’ai jamais vendu la propriété, et aucun montant d’argent n’a été échangé.

 

Q         Non, je comprends ça, mais vous auriez pu en profiter, étant donné que votre nom figurait sur le titre de propriété, et vendre la propriété ou tenter de la vendre?

 

R          Non, je n’aurais pas fait ça.

 

Q         Vous n’auriez pas fait ça, mais –

 

R          Non.

 

Q         – vous auriez pu le faire, étant que vous –

 

R          Ça ne m’est jamais venu à l’esprit.

 

Q         Alors, quand avez‑vous formulé l’idée ou l’intention de devenir nue‑fiduciaire de la propriété, ou avez‑vous déjà formulé cette intention?

 

R          Non, je n’ai pas formulé cette intention. Je ne savais même pas ce que cela voulait dire jusqu’à ce que je le demande à mon avocat[16].

 

[23]    J’accepte également le témoignage de Hally Rose suivant lequel il ne craignait pas que Valerie tente de disposer de la résidence familiale sans d’abord le consulter. Même si l’avocate de l’intimée a bien raison de dire que, sur papier, l’appelante aurait pu vendre la maison, l’hypothéquer, la louer – la simple réalité est qu’elle ne l’aurait pas fait. Elle et son mari y avaient habité pendant 23 des 34 années de leur mariage, ils avaient travaillé fort avec des moyens modestes pour en acquérir et en conserver la propriété et ils ont fait face ensemble aux difficultés commerciales et financières de Hally. Eu égard à ces circonstances, leur compréhension partagée du fait que le changement de nom dans le titre n’altérait d’aucune façon l’intérêt bénéficiaire de Hally dans la propriété primait sur les simples droits de l’appelante reconnus par la loi.

 

[24]    Je suis convaincue que, à aucune des époques pertinentes visées par l’appel, Hally Rose ne s’est départi de son intérêt bénéficiaire dans la maison de la rue Carnegie, et que cet intérêt n’a pas été conféré à l’appelante. En l’absence de ces éléments, il ne pouvait y avoir eu de « transfert » de propriété au sens du paragraphe 160(1). Par conséquent, l’appel est accueilli, avec dépens, et la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que Hally Rose n’a pas transféré à l’appelante son intérêt bénéficiaire dans la propriété sise au 3306, rue Carnegie, à Regina, en Saskatchewan.

 

          Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de novembre 2007.

 

 

 

 

« G. A. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de décembre 2007.

 

Johanne Brassard, trad. a.


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI657

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2005-3701(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              VALERIE GAIL ROSE c.
SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Regina (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 8 juin 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge G. A. Sheridan

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 1er novembre 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Gregory A. Swanson

 

 

Avocate de l’intimée :

Me Anne Jinnouchi

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :                       

                                                         

                          Nom :                      Me Gregory A. Swanson

                                                         

                          Cabinet :                  Robertson Stromberg Pedersen

                                                          (Regina) Saskatchewan

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Pièce A-3.

 

[2] Pièce R-2.

 

[3] Transcription, page 51, lignes 9 à 25, jusqu’à la page 52, lignes 1 à 10.

[4] Transcription, page 60, lignes 17 à 25, jusqu’à la page 62, lignes 1 à 15.

[5] Transcription, page 95, lignes 6 à 25, jusqu’à la page 96, lignes 1 à 4.

 

[6] 97 DTC 1462 (C.C.I.), à la page 1466.

 

[7] Fasken Estate v. Minister of National Revenue, [1948] C.T.C. 265 (Cour de l’Échiquier), à la page 279.

 

[8] Hurd v. Her Majesty the Queen, [2001] 2 C.T.C. 2489 (C.C.I.), aux paragraphes 4 et 9; Miller v. Minister of National Revenue, [1988] 2 C.T.C. 2106 (C.C.I.), au paragraphe 14; Parker v. Her Majesty the Queen, [2006] 5 C.T.C. 2361 (C.C.I.), aux paragraphes 14 à 21; Burns c. Canada, [2006] A.C.I. no 320, au paragraphe 26.

 

[9] Burns, précitée, au paragraphe 18.

 

[10] Fasken Estate, précité.

 

[11] Pièce R-1.

[12] [2000] 1 C.T.C. 2828.

[13] (Danny) Moss v. Her Majesty the Queen, [2000] 1 C.T.C. 2828, annexe A, dossier (97‑2294(IT)G).

 

[14] (Rochelle) Moss, précitée.

[15] Furfaro-Siconolfi v. Her Majesty the Queen, [1990] 1 C.T.C. 188 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 21.

[16] Transcription, page 45, lignes 8 à 25, jusqu’à la page 46, lignes 1 à 6.

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