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Dossier : 2007-2815(IT)I

ENTRE :

SIMONE SHERMAN,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 11 juin 2008, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge J.E. Hershfield

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

MDavid M. Sherman

 

Avocate de l’intimée :

MBonnie Boucher

____________________________________________________________________

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’égard de la nouvelle cotisation établie sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu relativement à l’année d’imposition 2004 est accueilli, avec dépens, et la nouvelle cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux motifs énoncés dans les motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 5jour de septembre 2008.

 

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour d’octobre 2008.

 

D. Laberge, LL.L.


 

 

 

 

Référence : 2008CCI487

Date : 20080905

Dossier : 2007-2815(IT)I

ENTRE :

SIMONE SHERMAN,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Hershfield

 

[1]     Lorsqu’elle a déclaré son revenu pour l’année d’imposition 2004, l’appelante a formulé une objection au sujet d’un renseignement figurant sur le feuillet T4 délivré par son employeur, l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »). Ce feuillet fait état d’un revenu d’emploi de 169 891,16 $. L’appelante a déclaré une somme moindre, mais elle a précisé dans sa déclaration pour l’année  2004 la raison pour laquelle elle avait agi ainsi. L’ARC n’a pas jugé valable cette raison et elle a établi une cotisation fondée sur la somme totale mentionnée dans le feuillet T4.

 

[2]     La somme incluse dans le salaire à laquelle s’oppose l’appelante se chiffre à 18 787,30 $. Elle soutient qu’elle n’a jamais reçu cette somme et que celle‑ci n’aurait donc pas dû être incluse à titre de revenu d’emploi.

 

[3]     La somme en litige (18 787,30 $) découle de sommes que l’appelante a reçues de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (la « CSPAAT ») de l’Ontario pendant la période du 4 mars 1996 au 2 octobre 1996. Par suite d’un accident du travail, elle a cessé de travailler avant cette période, mais elle est retournée au travail le 4 mars 1996. Elle admet avoir en outre reçu de son employeur, du 4 mars jusqu’au 2 octobre 1996, une rémunération pour des services rendus à titre d’employée. Sous réserve d’une déduction compensatoire pour frais médicaux[1], elle reconnaît devoir à la CSPAAT les paiements en trop reçus pendant cette période. J’accepte que le montant des paiements en trop s’élevait à 18 787,30 $ et qu’il s’agit de la somme que l’ARC a retenue et incluse dans le revenu de l’appelante (les « paiements en trop de la CSPAAT »)[2].

 

[4]     Le récit complet des faits ayant mené au paiement de salaire en litige ressemble à un cauchemar vécu par l’appelante. Il suffit de préciser que, en 2004, l’ARC a retenu l’intégralité des paiements en trop versés par la CSPAAT des sommes dues à l’appelante à titre de salaire afin d’acquitter la dette de cette dernière envers Sa Majesté du chef du Canada[3] (désignée aussi comme le gouvernement fédéral ou la Couronne fédérale). L’intimée fait valoir qu’une telle application du salaire de l’appelante constituait une recette pour les besoins de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »).

 

[5]     L’appelante avance qu’elle n’avait aucune dette de cette nature envers Sa Majesté du chef du Canada, que l’ARC n’avait aucun droit de retenir et d’appliquer les sommes qui lui étaient dues à titre de salaire à une somme (qui faisait l’objet de déductions compensatoires) qui lui était due par un tiers (la CSPAAT) et qu’une telle mesure, légale ou non, ne peut de toute façon être considérée comme une « recette » sous forme d’un salaire pour l’application de la Loi. L’appelante soutient en outre que les paiements en trop de la CSPAAT étaient frappés de prescription lorsque l’ARC les aurait censément recouvrés. En conséquence, il n’existait aucun droit de recouvrer les paiements en trop de la CSPAAT par la compensation avec des sommes qui étaient dues à l’appelante à titre de salaire.

 

Le contexte

 

[6]     L’appelante, comptable agréée, a commencé à travailler pour l’ARC en 1985 comme vérificatrice de premier niveau et, peu après, elle a été affectée au service de vérification du commerce électronique. Elle a quitté pour la première fois en juillet 1994 son lieu de travail (situé en Ontario où elle fournissait ses services) en raison d’un accident du travail (tendinite bilatérale du canal carpien qui a fini par atteindre l’épaule, le dos et le haut du corps). Elle a demandé et obtenu des indemnités d’accident du travail de la CSPAAT.

 

[7]     L’appelante est retournée au travail à la fin de 1995 dans un poste à temps partiel qui correspondait selon elle à un emploi de bureau et où elle était supervisée par une personne d’un échelon inférieur au sien. Elle a donc demandé à être rétablie dans son ancien poste. En janvier 1996, un agent de réintégration de la CSPAAT a estimé que l’appelante était en état de reprendre l’emploi qu’elle occupait avant sa blessure, sous réserve de certaines mesures d’adaptation, mais il a également jugé opportun qu’elle jouisse d’une réadaptation professionnelle dans le cadre d’un programme de retour au travail graduel. Elle est effectivement retournée à son ancien poste, mais elle a continué de travailler quatre heures par jour comme il était proposé dans la décision de l’agent de réintégration. En mars 1996, l’ARC a ordonné qu’elle recommence à recevoir des indemnités d’accident du travail (c.‑à‑d. qu’elle a été « radiée des effectifs »). Elle a contesté cette décision et l’ARC a consenti à la « reporter à l’effectif » en décembre 1996, avec plein salaire, rétroactivement à mars 1996. Elle a donc été payée à la fois par la CSPAAT et par l’ARC pendant la période chevauchant celle où elle recevait des indemnités d’accident du travail (soit de mars à octobre 1996).

 

[8]     Ce résumé des événements à l’origine des paiements en trop de la CSPAAT plante le décor de ce que j’ai déjà qualifié de cauchemar vécu par l’appelante. Il s’agit seulement du début d’un long épisode d’une conduite extrême de la part de l’ARC; épisode au cours duquel il n’a jamais été question de tentatives raisonnables pour tenir compte des besoins de l’appelante ou pour favoriser sa réadaptation ni de reconnaissance de ses droits à un plein salaire. De plus, l’ARC, à titre d’employeur de l’appelante, a, au mieux, fait preuve de lenteur à mettre en oeuvre dans le milieu de travail les solutions prescrites par la CSPAAT. En réalité, l’ARC a orchestré une campagne afin de forcer l’appelante à quitter son poste et elle a fait en sorte que les tentatives de retour de cette dernière soient vaines. L’appelante a en fin de compte été congédiée de manière injustifiée[4]. Tous ces événements ont donné lieu à une longue série d’audiences et d’appels exténuants qui a débuté avec la décision rendue par un examinateur indépendant à la fin de 2003. On ne s’est pas initialement conformé à cette décision, mais il n’en demeure pas moins que celle‑ci enjoignait à l’ARC de réintégrer l’appelante dans son emploi et de lui verser des paiements de salaire rétroactifs. C’est sur ces paiements rétroactifs que l’ARC a retenu les paiements en trop de la CSPAAT en 2004. Ce n’est que l’une des nombreuses mesures de ce genre prises dans cette affaire. À titre d’exemples, l’appelante a demandé et obtenu une ordonnance de mandamus sommant l’ARC de se conformer à la décision de l’examinateur indépendant, on a rejeté une demande présentée par l’ARC afin d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision de l’examinateur indépendant et une plainte concernant les droits de la personne a été déposée devant le Tribunal canadien des droits de la personne. Le dernier chapitre de cette regrettable suite d’événements, dont seule une petite partie est relatée ici, se termine par un règlement intervenu en 2006 afin de régler l’ensemble des points en litige[5].

 

[9]     Pendant tout ce temps, la CSPAAT, pour l’essentiel, se lavait les mains de l’affaire. Bien qu’elle ait initialement demandé le remboursement des paiements en trop, la CSPAAT a subséquemment laissé à l’employeur le soin de régler l’affaire. Il semble que la CSPAAT ait cru que les parties avaient convenu que l’ARC recouvrerait les paiements en trop ou, quoi qu’il en soit, que le gouvernement fédéral avait le droit de demander réparation au titre des paiements en trop, comme ce dernier l’alléguait clairement[6].

 

Les thèses des parties

 

[10]    La thèse de l’intimée est exposée dans les hypothèses énoncées au paragraphe 12 de la réponse. Selon l’une des hypothèses, les paiements que la CSPAAT verse aux employés du gouvernement fédéral constituent une indemnité « financée » par ce dernier et non par les organismes comme la CSPAAT, qui se chargent simplement d’administrer ces paiements. On allègue ainsi que le payeur de l’indemnité versée par la CSPAAT est le gouvernement fédéral et que les créances de la CSPAAT sont en réalité des créances du gouvernement fédéral. Évidemment, l’exactitude de cette assertion ne peut simplement être présumée. Il s’agit d’une conclusion juridique découlant de faits et d’interprétations législatives que l’appelante n’a nullement l’obligation de réfuter. À vrai dire, il me semble qu’il incombe à l’intimée de me convaincre de l’exactitude de cette « hypothèse » qui, à première vue, paraît erronée.

 

[11]    L’intimée invoque certaines dispositions de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État, de la Loi de 1997 sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail, du Règlement sur les avances comptables et de la Loi sur la gestion des finances publiques. L’avocate de l’intimée renvoie à ces textes de loi aux paragraphes 12 à 16 de ses observations écrites, lesquels sont ainsi rédigés :

 

[TRADUCTION]

 

12.       Les agents de l’État qui subissent des lésions professionnelles causées lors d’un accident survenu par le fait ou à l’occasion de leur travail peuvent demander une indemnité de cette nature pour les victimes d’accidents du travail et celles qui sont décédées[7], conformément à ce qui est prévu par la législation de la province où l’agent de l’État exerce habituellement ses fonctions[8].

 

13.              En Ontario, la CSPAAT indemnise les agents de l’État blessés puis réclame à l’État ou à l’organisme fédéral qui emploie l’agent blessé, le montant de l’indemnité accordée, plus de légers frais d’administration[9].

 

14.              Les indemnités et frais accordés au titre de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État :

 

c) pour les provinces où les frais de fonctionnement de l’autorité compétente sont assumés par la province ou couverts par les cotisations des employeurs, ou par les deux à la fois, la fraction de ces cotisations que le Conseil du Trésor estime juste et raisonnable;

 

d) pour les provinces où l’autorité expose des dépenses en vue d’aider les victimes à se réadapter ou à faire disparaître tout handicap résultant de leurs blessures, la fraction de ces dépenses que le Conseil du Trésor estime juste et raisonnable;

 

e) les avances comptables — à toute autorité —, pour les dépenses visées aux alinéas c) et d), que le Conseil du Trésor juge utiles[10];

 

peuvent être payés sur le Trésor (le « Trésor »)[11].

 

La CSPAAT « remet à l’employeur tout montant qui lui reste après qu’elle cesse de faire des versements à l’égard du travailleur ou du survivant[12] ».

 

Les avances ou leurs fractions non remboursées, justifiées ou recouvrées conformément aux règlements[13] peuvent être déduites des dettes de Sa Majesté envers leur destinataire ou les héritiers de celui-ci[14].

 

15.              « Le ministre compétent responsable du recouvrement d’une créance […] de Sa Majesté […] peut autoriser, par voie de déduction ou de compensation, la retenue d’un montant égal à la créance sur toute somme due au débiteur ou à ses héritiers par Sa Majesté du chef du Canada[15] ».

 

16.              Le receveur général peut recouvrer les paiements en trop faits sur le Trésor à une personne à titre de salaire, de traitements ou d’allocations (par voie de crédit) en retenant un montant égal sur toute somme due à cette personne par Sa Majesté[16].

 

[12]    On affirme donc que le régime législatif envisage le fait que le destinataire d’indemnités versées par la CSPAAT est le destinataire de paiements ou d’avances de la Couronne fédérale et qu’il est, de ce fait, responsable et endetté envers cette dernière pour l’application du paragraphe 155(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques (la « LGFP »). La disposition invoquée est libellée comme suit :

 

155. (1) Le ministre compétent responsable du recouvrement d’une créance […] de Sa Majesté du chef du Canada […] peut autoriser, par voie de déduction ou de compensation, la retenue d’un montant égal à la créance sur toute somme due au débiteur ou à ses héritiers par Sa Majesté du chef du Canada.

 

[13]    L’intimée s’appuie sur l’article 38 de la LGFP, qui concerne le recouvrement d’avances, et sur l’article 90 de la Loi de 1997 sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail (la « LSPAAT »), qui vise les employeurs mentionnés à l’annexe 2, pour affirmer que l’appelante est endettée envers Sa Majesté du chef du Canada.

 

[14]    L’article 38 de la LGFP est rédigé en ces termes :

 

38. (1) Le Conseil du Trésor peut, par règlement :

a) autoriser l’octroi d’avances sur crédits pour des services déterminés;

b) prévoir le remboursement, la justification et le recouvrement des avances.

Recouvrement

(2) Les avances ou leurs fractions non remboursées, justifiées ou recouvrées conformément aux règlements peuvent être déduites des dettes de Sa Majesté envers leur destinataire ou les héritiers de celui-ci.

 

[15]    Si les sommes reçues par l’appelante de la CSPAAT constituent une avance de Sa Majesté du chef du Canada, l’article 155 de la LGFP s’applique. Dans cette éventualité, la dette aurait été régulièrement recouvrée par l’ARC, comme l’affirme l’intimée.

 

[16]    Quant à l’article 90 de la LSPAAT, il prévoit ce qui suit :

 

Versement de prestations

90.  (1)  Chaque employeur mentionné à l’annexe 2 est personnellement tenu de verser les prestations prévues dans le cadre du régime d’assurance à l’égard des travailleurs qu’il employait à la date de l’accident.

Remboursement

(2)  L’employeur rembourse à la Commission les versements que celle-ci a faits pour le compte de celui-ci dans le cadre du régime d’assurance. Le montant à rembourser est un montant dû à la Commission.

Paiement de la valeur de rachat

(3)  La Commission peut exiger que l’employeur mentionné à l’annexe 2 lui verse un montant égal à la valeur de rachat des versements devant être faits aux termes de la partie VI (versements pour perte de gains et autres pertes) à l’égard d’un travailleur ou d’un survivant.

Idem

(4)  Si le montant est insuffisant pour couvrir la totalité des versements, l’employeur est tenu malgré tout de verser à la Commission toute autre somme nécessaire pour couvrir les versements.

Idem

(5)  La Commission remet à l’employeur tout montant qui lui reste après qu’elle cesse de faire des versements à l’égard du travailleur ou du survivant.

 

[17]    Il semble que les deux parties avaient l’impression que le gouvernement fédéral était un employeur mentionné à l’annexe 2 et que l’article 90 ci‑dessus s’appliquait. Cette disposition impose aux employeurs mentionnés à l’annexe 2 l’obligation de verser des prestations à l’égard des travailleurs qu’ils emploient. Contrairement aux employeurs ordinaires, ceux mentionnés à l’annexe 2 ne versent pas les primes dans un fonds commun pour financer les prestations. Les employeurs mentionnés à l’annexe 2 payent uniquement les coûts réellement engagés pour leurs propres employés. L’intimée soutient que les paragraphes 90(1) et (2) permettent d’affirmer que la CSPAAT agit comme intermédiaire et simple mandataire des employeurs mentionnés à l’annexe 2, lesquels sont les fournisseurs des prestations et non seulement les parties responsables du financement de ces prestations. À ce titre, l’appelante est endettée envers Sa Majesté du chef du Canada, ce qui rend applicable l’article 155 de la LGFP. Dans un tel cas, la dette a été régulièrement recouvrée par l’ARC, comme le fait valoir l’intimée.

 

[18]    Les dispositions de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État (la « LIAÉ ») ont un lien étroit avec cette question de savoir si l’appelante est endettée envers la Couronne fédérale. Elles établissent un régime d’indemnisation à l’intention des travailleurs qu’emploie le gouvernement fédéral, mais elles ne prévoient aucun mécanisme propre d’application de ce régime. Elles délèguent plutôt l’ensemble des questions d’application, qu’il s’agisse des taux, des conditions, des déterminations ou des octrois des indemnités, aux autorités provinciales compétentes en la matière[17]. Ce faisant, le gouvernement fédéral paraît, à première vue, n’être qu’un simple organisme de financement qui permet aux autorités provinciales de verser des indemnités aux agents de l’État. Il ressort toutefois du paragraphe 4(5) et de l’alinéa 4(6)a) de la LIAÉ que le rôle du gouvernement fédéral déborde le cadre de simple organisme de financement. Suivant le paragraphe 4(5), l’indemnité « est versée à l’agent de l’État […] que désigne l’autorité qui a été saisie du cas ». Le fait qu’un organisme provincial soit chargé de désigner le destinataire du versement n’a pas pour effet de l’obliger à faire ce versement. De même, l’alinéa 4(6)a) de la LIAÉ précise que les indemnités financées par le gouvernement fédéral au moyen du Trésor sont celles « accordées au titre de la présente loi » même si, selon l’alinéa 4(6)b), les fonds parviennent aux travailleurs par l’entremise de la CSPAAT.

 

4. (6) Peuvent être payés sur le Trésor :

a) les indemnités et frais accordés au titre de la présente loi;

b) les avances comptables — à toute autorité habilitée par la législation d’une province ou sous le régime de la présente loi à trancher les cas d’indemnisation — jugées utiles par le Conseil du Trésor pour couvrir les indemnités et frais qui peuvent être accordés sous le régime de la présente loi;

 

C’est‑à‑dire que les indemnités reçues par l’appelante n’étaient pas, selon la loi, des indemnités payables sous le régime de la LSPAAT de l’Ontario. Le gouvernement fédéral accorde et finance les indemnités suivant la LIAÉ. Par ailleurs, le paragraphe 4(6) envisage clairement que les organismes provinciaux ne font pas que désigner les destinataires des versements. Suivant cette disposition, les organismes sont les destinataires des fonds payés sur le Trésor à titre d’avances comptables de sorte que, dans les faits, ce sont les organismes provinciaux qui versent les fonds aux employés et justifient les avances.

 

Analyse

[19]    Je vais d’abord me pencher sur le point de savoir si l’appelante peut être considérée comme la destinataire d’une avance comptable versée par Sa Majesté du chef du Canada. L’article 38 de la LGFP et les règlements pris en application de cette disposition prévoient que les avances comptables non justifiées peuvent être déduites des dettes de Sa Majesté du chef du Canada envers leur destinataire.

 

[20]    Bien que l’intimée, au moment d’exiger réparation au titre des paiements en trop versés à l’appelante, ait adopté une approche originale en affirmant qu’elle avait reçu une avance comptable, j’estime que cette approche est dénuée de fondement. Aucune interprétation des dispositions de la LGFP et de ses règlements d’application ne permet de laisser entendre que l’appelante a reçu une avance comptable de Sa Majesté du chef du Canada et qu’elle est donc endettée envers celle‑ci. Le seul lien qui existe entre les avances mentionnées dans ces dispositions et les versements faits à l’appelante se trouve à l’alinéa 4(6)b) de la LIAÉ, lequel prévoit que des avances comptables à une autorité provinciale chargée de l’administration des indemnités accordées aux travailleurs sous le régime de la LIAÉ peuvent être payées sur le Trésor. Le fait que la CSPAAT reçoive des avances comptables de la Couronne fédérale ne signifie pas que les versements faits par la CSPAAT à l’appelante constituent des avances comptables que la Couronne aurait consenties à cette dernière. Financer les indemnités accordées par les employeurs du gouvernement fédéral à leurs employés par l’entremise de la CSPAAT ne donne pas nécessairement à penser que celle‑ci ne joue pas un rôle indépendant lorsqu’elle reçoit des fonds qu’elle verse à titre d’indemnités. Ces indemnités peuvent bien avoir été versées par erreur sans devenir pour autant des avances au sens où l’entend le régime invoqué par l’intimée. Même si la CSPAAT n’est qu’un simple mandataire du gouvernement fédéral au regard des versements en cause, cette relation de mandataire ne pouvait transformer les paiements que la CSPAAT a versés à l’appelante, qui sont de nature indemnitaire, en une avance comptable que lui aurait consentie le gouvernement fédéral. Le fait que la LIAÉ oblige le mandataire à justifier les avances qu’il administre ne permet pas de croire que le destinataire des indemnités a reçu une avance comptable. L’obligation de rendre compte au gouvernement fédéral des avances faites incombe exclusivement à la CSPAAT, soit un mandataire du ministère du Travail de l’Ontario et une entité tout à fait distincte et autonome de quelque organisme ou ministère du gouvernement fédéral[18].

 

[21]    Conclure que le recours à la CSPAAT à titre d’intermédiaire pour la remise des fonds à l’appelante ne change rien au caractère des versements reçus par cette dernière à titre d’indemnités ne revient pas à dire qu’il ne s’agit pas d’indemnités accordées par le gouvernement fédéral à l’appelante. En réalité, il me semble plutôt qu’il s’agit bien d’indemnités de cette nature. Cela ne permet toutefois pas de répondre à la question de savoir si l’appelante avait l’obligation de rendre compte au gouvernement fédéral des sommes qu’elle a reçues par erreur de la CSPAAT.

 

[22]    Cela m’amène à l’examen de l’article 90 de la LSPAAT. Comme il a déjà été signalé, les parties semblent avoir l’impression que le gouvernement fédéral est un employeur mentionné à l’annexe 2. Compte tenu de ce fait, il semble que l’intimée, s’appuyant sur le libellé du paragraphe 90(2), soutient que les indemnités de la CSPAAT sont versées « pour le compte » du gouvernement fédéral. La CSPAAT n’est qu’un simple intermédiaire engagé (par voie législative) par le gouvernement fédéral afin de traiter les demandes d’indemnités pour ses employés. On affirme que ce rôle d’intermédiaire ne change rien aux obligations qui existent entre le fournisseur des indemnités (le gouvernement fédéral) et le destinataire de celles‑ci (l’appelante). Un argument analogue peut être avancé relativement à la LIAÉ, à savoir : en application de la LIAÉ, la CSPAAT n’est que le simple intermédiaire engagé (par voie législative) par le gouvernement fédéral afin de traiter les demandes d’indemnités pour ses employés.

 

[23]    J’ai l’impression que l’intimée s’appuie sur les principes du droit du mandat lorsqu’elle présente cet argument. Selon le droit du mandat, lorsque le mandant (le gouvernement fédéral) autorise un mandataire (la CSPAAT) à traiter avec un tiers, on considère, sous réserve de certaines limites, qu’une relation directe est établie entre le mandant et le tiers. Les obligations découlant de cette relation incombent donc, en temps normal, au mandant et au tiers. En d’autres termes, dans la situation en l’espèce, les obligations liant l’employeur et l’employée devraient être assumées par ces derniers même si la détermination de l’importance de l’obligation (comme le versement erroné d’une indemnité) a été confiée à la CSPAAT à titre de mandataire de l’employeur. Lorsque le rôle du mandataire est imposé par la loi, les limites applicables en matière de droit du mandat n’ont pas à être examinées et il n’y a pas lieu de se demander, par exemple, si l’employé savait ou aurait dû comprendre que l’intermédiaire imposé par la loi jouait un rôle de mandataire. En réalité, il ne devrait même pas être question de restreindre le droit du mandant de recouvrer un quelconque paiement en trop versé par le mandataire intermédiaire.

 

[24]    L’opportunité d’appliquer les principes du droit du mandat dans un contexte législatif est évidemment tributaire du cadre du texte législatif applicable. En ce qui touche l’article 90 de la LSPAAT, je ne suis pas convaincu que cette disposition ait une aussi grande portée. Il s’ensuit que je ne puis nécessairement interpréter le libellé de l’article 90 comme s’il signifiait que les employés des employeurs mentionnés à l’annexe 2 sont responsables envers leur employeur des paiements en trop qui leur sont versés ou que les employés pourraient obliger leur employeur à financer leurs prestations. Bien que le paragraphe 90(2) fasse état de versements faits pour le compte de l’employeur, on ne peut en déduire que l’employeur est nécessairement le fournisseur des prestations dont le financement lui incombe. En d’autres mots, rien ne m’amène à inférer nécessairement qu’il existait en l’espèce une relation s’apparentant à une relation de mandataire. Indépendamment de ce qui précède, je n’ai pas accepté que l’ARC fait partie des employeurs mentionnés à l’annexe 2 et j’estime que les arguments relatifs à la situation de ces derniers sont inutiles.

 

[25]    En d’autres termes, malgré les similitudes existant entre les employeurs mentionnés à l’annexe 2 et le gouvernement fédéral à titre d’employeur régi par la LIAÉ, je conclus que l’assertion selon laquelle le gouvernement fédéral est un employeur mentionné à l’annexe 2 est dénuée de fondement. Les employeurs mentionnés à l’annexe 2 sont énumérés dans le règlement d’application de la LSPAAT. Ce dernier ne fait nullement mention de Sa Majesté du chef du Canada[19]. Au contraire, la jurisprudence à laquelle je renvoie plus loin dans les présents motifs confirme que le rôle joué par la CSPAAT à l’égard du gouvernement fédéral lui est conféré par la LIAÉ et non par la LSPAAT.

 

[26]    Avant de tirer une quelconque conclusion relativement à la résolution de ce point dans le cadre de la LIAÉ, il convient de remarquer que, selon l’approche suivie par l’intimée, il faut nécessairement qu’il y ait eu une recette réputée au titre du salaire retenu de l’appelante et que cette recette doit par conséquent être incluse dans le revenu comme si elle avait été « reçue » au sens de l’article 5 de la Loi. De même, comme je l’ai signalé à l’audience, il faut se demander si un avantage a été conféré à l’appelante par le retrait d’une dette dont elle était redevable et dont la valeur devrait être incluse dans le revenu en application de l’alinéa 6(1)a) de la Loi.

 

[27]    Selon la théorie de la recette réputée, il n’est pas nécessaire que le bénéficiaire reçoive la somme en question. Il suffit qu’il reçoive un avantage équivalent si, par exemple, le paiement est versé au gouvernement sous le régime d’un texte législatif fédéral ou provincial[20]. En l’absence d’un avantage équivalent, comme dans le cas où l’avantage est moindre que la somme invoquée comme reçue, il paraît logique de ne pas considérer que la totalité de la somme a été reçue. En ce sens, il me semble que l’approche relative à l’existence d’un avantage reçu fondée sur l’article 6 soit celle à privilégier. Cependant, cette approche n’a été soulevée ni dans la cotisation, ni dans les actes de procédure, ni par les parties, et elle donne naissance à des questions liées à la valeur qui se révèlent inutiles, ou mieux résolues, dans le cadre d’autres approches. Dans les circonstances, je suis donc persuadé qu’il y a lieu d’écarter les approches fondées sur l’alinéa 6(1)a).

 

[28]    Néanmoins, puisque l’intimée s’appuie, en définitive, sur la doctrine de la recette réputée, il importe de faire certaines observations afin de mettre celle‑ci en perspective. Bien que cette doctrine ait été appliquée de longue date dans de nombreuses affaires fiscales, la plus grande partie de cette jurisprudence est inutile à la lumière des faits en l’espèce. La plus fréquente application de cette doctrine découle d’une disposition législative particulière, à savoir le paragraphe 56(2), lequel a été examiné à différentes occasions et notamment dans la décision Neuman c. M.R.N.[21]. Les différentes façons d’appliquer la doctrine de la recette réputée se fondent sur certains principes, comme l’exigence voulant que le paiement ait été fait à la suite de directives reçues du bénéficiaire admissible, lequel doit pouvoir disposer des fonds en question (ou en avoir la maîtrise), et ces principes se rapportent précisément aux exigences fixées par cette disposition. Dans d’autres situations, les tribunaux, appliquant la doctrine selon la common law, ont conclu que les sommes peuvent être considérées comme si elles étaient reçues de manière réputée si elles sont accessibles au bénéficiaire et que ce dernier refuse de les recevoir[22]. Je l’ai mentionné plus haut, d’autres applications de la doctrine sont possibles, comme dans la décision Morin, où elle a été utilisée relativement à des retenues et à des paiements requis ou autorisés par un texte législatif fédéral ou provincial. À la lumière des faits de la présente affaire, l’intimée peut uniquement invoquer cette dernière façon d’appliquer la doctrine puisque les autres applications ne sont manifestement pas pertinentes en l’espèce.

 

[29]    Cela dit, je reprends l’examen de la question fondamentale soulevée par l’alinéa 4(6)a) de la LIAÉ. Cette disposition confirme que les avantages conférés aux agents de l’État sont accordés au titre de la LIAÉ et qu’il s’agit de ce fait de sommes octroyées par le gouvernement fédéral. La LIAÉ n’est pas uniquement un régime d’indemnisation des travailleurs; c’est un régime d’origine législative dans le cadre duquel Sa Majesté du chef du Canada fournit des prestations aux travailleurs fédéraux. C’est‑à‑dire que le régime législatif d’indemnisation des travailleurs prévu par la LIAÉ laisse effectivement entendre qu’au regard de ce régime tripartite, le gouvernement fédéral est le mandant déclaré et les provinces sont les mandataires chargés de l’application du régime. L’application à ce régime législatif de n’importe quel principe lié au mandat exige, à mon avis, la prise en compte de certaines modalités implicites relativement évidentes, selon ce qui est nécessaire pour que le système fonctionne. Bien qu’il soit expressément prévu que les organismes provinciaux reçoivent du gouvernement fédéral (lequel fournit ces avantages) le financement voulu pour verser les indemnités, il est implicite que les organismes versent les indemnités pour le compte de ce dernier et qu’ils ont le pouvoir de recouvrer en son nom les paiements en trop. Cela ne diminue en rien le pouvoir du gouvernement fédéral de prendre lui‑même des mesures de recouvrement pour son propre compte. De même, la délégation aux organismes du pouvoir de déterminer l’importance de l’obligation (comme dans le cas d’un versement d’indemnité erroné) ne restreint pas le pouvoir du gouvernement fédéral de recouvrer les paiements en trop. Lorsque le rôle de l’organisme, qui est prévu par la loi, consiste strictement à agir à titre d’intermédiaire chargé de l’administration du régime d’indemnisation, il n’y a pas lieu de mettre en doute le pouvoir du fournisseur principal du régime de faire respecter les mesures imposées par les organismes. À ce titre, il existe en l’espèce une dette envers la Couronne fédérale et l’article 155 de la LGFP s’applique.

 

[30]    Cette façon de voir la nature du régime d’indemnisation destiné aux agents de l’État est étayée d’aussi loin que 1943 par l’arrêt Ching v. Canadian Pacific Railway Co.[23] de la Cour suprême du Canada. Dans cette affaire, un employé fédéral avait été blessé par suite de la négligence d’un cheminot et il avait reçu des indemnités d’accident du travail dans le cadre du régime législatif de l’Alberta. Le travailleur a intenté des poursuites contre la compagnie de chemin de fer afin d’obtenir des dommages‑intérêts et cette dernière a contesté l’action en affirmant que la législation albertaine interdisait ce genre de poursuites. La Cour suprême du Canada a conclu que le travailleur était régi par l’ensemble des lois édictées par le Dominion du Canada et non par la province qui administrait ce régime fédéral. En conséquence, il n’était pas interdit au travailleur d’intenter son action[24]. À l’avant‑dernier paragraphe de son jugement, la Cour a conclu que, lorsqu’il traitait du cas de l’appelant dans cette affaire, [traduction] « l’organisme n’agissait pas sous le régime de la loi provinciale, mais bien à titre d’administrateur de la loi fédérale ». De même, en l’espèce, lorsqu’elle a versé les paiements en trop à l’appelante, la CSPAAT agissait sous le régime de la LIAÉ et elle a fait ces paiements à titre d’administratrice d’un régime d’indemnisation fédéral. La dette découlant des paiements en trop est due au gouvernement fédéral et non à l’administrateur du régime.

 

[31]    Une conclusion analogue s’impose à la lumière de l’arrêt Canada Post Corp. v. Smith, [1998] A.O. no 1850[25], rendu par Mme la juge Abella (maintenant juge à la C.S.C.). Dans cette affaire, on a soutenu que la délégation de pouvoirs à des organismes provinciaux dans le cadre de la LIAÉ donnait naissance à une mosaïque de droits incompatibles avec une approche fédérale homogène de l’indemnisation. La juge Abella a conclu que le fait de prévoir des mécanismes administratifs différents avec les diverses provinces avait simplement pour effet d’uniformiser l’indemnisation entre les employés victimes d’un accident du travail dans l’une ou l’autre des provinces, qu’il s’agisse d’un employé du gouvernement fédéral ou provincial. Ce raisonnement qui sous‑tend le régime fédéral étaye, plutôt qu’il n’écarte, l’opinion voulant que le fournisseur des indemnités sous le régime de la LIAÉ soit le gouvernement fédéral malgré le rôle administratif joué par les organismes provinciaux. Il s’ensuit qu’il faut justifier auprès du gouvernement fédéral les paiements versés en trop.

 

[32]    Par conséquent, j’arrive à la conclusion que l’appelante devait à Sa Majesté du chef du Canada le montant des paiements versés en trop par la CSPAAT et que, sous réserve de l’argument subsidiaire avancé par l’appelante, cette somme a été régulièrement retenue par l’ARC en application de l’article 155 de la LGFP et est réputée avoir été reçue par l’appelante conformément aux motifs énoncés dans la décision Morin. Bien qu’il soit possible d’avancer que l’inclusion dans le revenu au titre d’une recette réputée devrait, suivant les motifs énoncés dans Morin, correspondre à la valeur de l’indemnité versée à l’appelante, laquelle indemnité pourrait se révéler nulle si la dette n’est pas susceptible d’exécution, cet argument ne peut être invoqué à l’appui de la diminution de la somme à inclure au moyen de déductions compensatoires. Si l’appelante avait voulu demander des déductions au titre de frais médicaux, elle aurait pu le faire de manière distincte[26]. Quant à la diminution du revenu à inclure pour refléter le discutable avantage d’avoir payé ce que l’on allègue être une dette non exécutoire, les parties ont, semble‑t‑il, considéré la question du délai de prescription de façon différente. Au lieu de réduire le revenu à inclure afin de refléter la valeur de l’avantage, on a plutôt choisi d’insister sur la validité de la retenue et sur l’incidence de cette mesure sur l’inclusion si elle n’était pas légale. Je ne vois pas pourquoi on ne devrait pas adopter également cette approche.

 

La question de la prescription

 

[33]    Comme j’ai conclu que l’appelante était endettée envers Sa Majesté du chef du Canada pour les paiements en trop versés par la CSPAAT, il reste à examiner l’incidence de la loi applicable touchant la prescription en matière d’actions. J’arrive à la conclusion que l’appel de l’appelante doit être accueilli sur ce point. L’exécution de la dette due à la Couronne fédérale au titre des paiements en trop de la CSPAAT était frappée de prescription après six ans[27]. Une fois ce délai expiré, la retenue du salaire pour régler la dette n’était pas légale et la somme ainsi retenue ne peut être considérée comme une recette de l’appelante pour l’application de l’article 5 de la Loi.

 

[34]    La dette remonte à octobre 1996 et une demande de paiement en bonne et due forme a été faite en août 1997 (pièce R‑3, soit une lettre du ministère de la Justice). Même à partir de cette dernière date, l’action au titre de la créance aurait dû être intentée au plus tard en août 2003. La retenue en cause a eu lieu bien après ce moment. Je ne suis saisi d’aucun élément de preuve me permettant de penser qu’il y a eu reconnaissance de dette envers la Couronne fédérale ou que cette dernière a pris une quelconque autre mesure susceptible de faire revivre ou de renouveler la créance de manière à proroger le délai de prescription. En réalité, comme l’a déclaré le témoin de l’intimée, le recouvrement sous le régime de la LGFP aurait dû se faire sur les toutes premières sommes disponibles, à tout le moins sur le plan administratif. Le défaut de prendre une quelconque mesure de recouvrement pendant plus de six ans est plutôt inhabituel.

 

[35]    L’intimée a soutenu que la cause d’action n’était pas survenue [traduction] « ailleurs que dans une province », ce qui revient à dire que le délai de prescription visant les créances de la Couronne ne s’applique pas. On invoque une certaine interprétation de l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif. Cette disposition est ainsi rédigée :

 

Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent lors des poursuites auxquelles l’État est parti pour tout fait générateur survenu dans la province. Lorsque ce dernier survient ailleurs que dans une province, la procédure se prescrit par six ans.

 

[36]    L’intimée me demande effectivement de conclure que la cause d’action n’est assujettie à la prescription ni sous le régime des lois d’une province (vraisemblablement parce qu’on allègue que la dette est due au gouvernement fédéral) ni selon la législation fédérale parce que la cause d’action est survenue dans une province. Je ne puis accepter une telle interprétation.

 

[37]    Si la dette est due à Sa Majesté du chef du Canada, il est impossible que cette dernière puisse invoquer une cause d’action quand bon lui semble. Si la dette est due à Sa Majesté du chef du Canada, on ne peut affirmer que la cause d’action soit survenue dans une province à moins qu’il n’existe avec celle‑ci un lien qui offre au débiteur l’avantage d’un délai de prescription dans cette province. Une cause d’action survenant dans une province doit s’entendre d’une cause d’action à laquelle s’applique un délai de prescription provincial. Aucune autre interprétation de la disposition en cause n’a de sens. L’action ne peut faire l’objet d’aucune prescription. À mon avis, cela ressort sans équivoque de l’arrêt Markevich de la Cour suprême du Canada. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a signalé qu’il importait peu de savoir si l’instance dont il était saisi avait pris naissance dans ou ailleurs que dans une province puisque, dans un cas comme dans l’autre, le délai de prescription était de six ans à partir du moment où la cause d’action était survenue[28]. La Cour suprême laisse donc entendre que l’un ou l’autre délai de prescription doit s’appliquer. Je suis convaincu que l’Ontario n’accorde pas plus de six ans aux créanciers pour intenter des poursuites contre un débiteur lorsque la créance découle de circonstances analogues à celles dont je suis saisi dans le présent appel. En fait, en l’absence d’un délai de prescription particulier, les actions en Ontario se prescrivent par deux ans[29].

 

[38]    Conclure que la dette est frappée de prescription rend son recouvrement par saisie ou par une compensation équivalant à saisie inefficace pour l’application de la doctrine de la recette réputée. En d’autres termes, je ne puis imaginer aucune situation dans laquelle un tel recouvrement, en application de l’article 155 de la LGFP ou autrement, pourrait être considéré comme reçu par l’appelante suivant l’article 5 de la Loi. Arriver à une autre conclusion aurait pour effet de soustraire l’exécution et le recouvrement des créances de la Couronne à l’application des dispositions relatives à la prescription des actions dans le cadre de la Loi. Ce résultat serait manifestement contraire aux principes énoncés dans l’arrêt Markevich. Sur ce fondement, l’appel doit être accueilli.

 

Le règlement[30]

 

[39]    À la lumière des actes litigieux accomplis par les parties à la suite de cette série d’événements regrettables, il n’est pas étonnant que l’ARC et l’appelante, bien qu’étonnamment tard, aient finalement conclu une entente afin de régler l’ensemble des questions en litige. Ce règlement est intervenu à la fin de 2006, bien après que l’ARC a retenu sur le salaire de l’appelante le montant des paiements en trop. Le règlement ne fait aucune mention de ces paiements en trop ni d’une quelconque dette envers la CSPAAT ou la Couronne fédérale. Même si l’appelante s’est engagée à ne poursuivre aucune cause d’action, le règlement ne laisse nullement entendre que l’appelante a recouvré les paiements en trop qui, selon ses allégations, ont été irrégulièrement retenus[31]. Je ne tire aucune inférence de ces événements subséquents, même s’il est possible que la poursuite du présent appel par l’appelante soit contraire aux conditions stipulées dans le règlement. Cette éventualité n’a toutefois aucune incidence sur l’issue de la présente instance.

 

Conclusion

 

[40]    Pour les motifs énoncés, l’appel est accueilli avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5jour de septembre 2008.

 

 

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour d’octobre 2008.

 

D. Laberge, LL.L.


RÉFÉRENCE :                                  2008CCI487

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2007-2815(IT)I

 

INTITULÉ :                                       Simone Sherman et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 11 juin 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge J.E. Hershfield

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 5 septembre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

MDavid M. Sherman

Avocate de l’intimée :

MBonnie Boucher

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :                       

 

                          Nom :                      MDavid M. Sherman

 

                          Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1] Cette déduction visait des frais médicaux passés et futurs découlant de l’accident du travail.

 

[2] L’appelante était quelque peu réticente à reconnaître dans la preuve présentée le montant exact des paiements en trop de la CSPAAT. À mon avis, sa réticence n’est pas suffisante pour réfuter l’hypothèse relative au montant des paiements en trop de la CSPAAT. L’appelante a allégué qu’elle n’a jamais reçu un état de compte approprié de la CSPAAT. Le fait d’affirmer qu’elle [TRADUCTION] « a demandé un état de compte à la CSPAAT, mais que cette dernière ne lui a jamais répondu » ne peut constituer une réponse suffisante à l’hypothèse formulée. L’appelante était, ou aurait dû être, en mesure de faire valoir, sur le fondement de ses propres calculs ou documents, que le montant des paiements en trop était, en réalité, erroné. Elle n’a présenté aucun élément de cette nature me permettant de conclure que la somme invoquée était inexacte. Les circonstances en l’espèce ne l’ont pas libérée de l’obligation qui lui incombait à cet égard. De même, je signale que la pièce A‑7, une lettre écrite en septembre 1997 pour le compte de l’appelante, tend plutôt à établir que la somme en cause est celle avancée par l’intimée. On laisse également entendre dans cette lettre qu’un état de compte a peut‑être réellement été fourni. Il y a en outre la pièce R‑2, soit une lettre de juillet 1997 par laquelle la CSPAAT répond à une lettre visant à obtenir un état de compte relatif aux paiements en trop qu’elle a versés. Cette lettre de la CSPAAT expose effectivement comment les paiements en trop ont été calculés. À l’audience, on a contesté la provenance ainsi que l’admissibilité de cette lettre. Cependant, la source de la lettre (laquelle a été acceptée à titre de pièce tirée du propre recueil de documents de l’appelante produit dans une autre instance) n’était pas en litige et, à ce titre, la lettre a été admise en preuve. Le présent appel a, après tout, été interjeté dans le cadre de la procédure informelle et l’admission de cette pièce tend simplement à confirmer la conclusion, par ailleurs amplement étayée, voulant que l’appelante ne se soit pas acquittée de son fardeau de prouver que le montant des paiements en trop n’était pas celui invoqué par l’intimée.

 

[3] En revanche, on affirme à l’alinéa 12(f) de la réponse à l’avis d’appel qu’une dette est due à l’employeur.

 

[4] Il s’agit des conclusions tirées par un examinateur indépendant à la lumière des circonstances liées à la cessation de l’emploi de l’appelante à l’ARC en 2000.

 

[5] C’est-à-dire que ce règlement a tranché tous les points en litige à l’exception de la question fiscale qui m’est soumise. Même s’il est possible d’avancer que l’entente visait à régler la question fiscale soulevée en l’espèce, cet argument n’est d’aucun intérêt pour moi. Je ne suis nullement lié par une telle entente entre les parties.

 

[6] Une lettre (pièce R-2) de juillet 1997 laisse entendre que la CSPAAT croyait comprendre que les parties avaient convenu que l’appelante rendrait à l’ARC, sur son salaire, les paiements en trop de la CSPAAT. Ce qui signifie que l’ARC avait remboursé la CSPAAT pour ces paiements. Quoi qu’il en soit, on pourrait penser que cette lettre indiquait à quel organisme l’appelante devait rembourser la somme impayée. Même si elle était interprétée comme une directive en ce sens (ce qu’elle n’est pas à mon avis), cette lettre ne saurait, à elle seule, autoriser l’ARC à recouvrer cette somme. Ce pouvoir, s’il existait, devait être conféré ailleurs. La lettre que le ministère de la Justice fédéral a adressée à l’appelante (pièce R‑3, datée d’août 1997, laquelle constitue une demande formelle de remboursement) fait valoir sans équivoque que l’obligation de rendre compte des paiements en trop de la CSPAAT tenait au fait qu’il s’agissait d’une dette envers la Couronne fédérale. Aucune assertion voulant que cette obligation ait découlé d’une quelconque directive de la CSPAAT n’a été formulée.

 

[7] L’intimée invoque la disposition législative suivante à l’appui de cette observation : Loi sur l’indemnisation des agents de l’État, L.R., ch. G-5, art. 2 (« indemnité »).

 

[8] L’intimée invoque la disposition législative suivante à l’appui de cette observation : Loi sur l’indemnisation des agents de l’État, L.R., ch. G-5, art. 4.

 

[9] L’intimée invoque les dispositions législatives suivantes à l’appui de cette observation : Loi sur l’indemnisation des agents de l’État, L.R., ch. G-5, al. 4(6)a) et c).

 

[10] L’intimée invoque les dispositions législatives suivantes à l’appui de cette observation : Loi sur l’indemnisation des agents de l’État, L.R., ch. G-5, al. 4(6)c) à e).

 

[11] Loi sur l’indemnisation des agents de l’État, L.R., ch. G-5, al. 4(6)c) à e).

 

[12] L’intimée invoque la disposition législative suivante à l’appui de cette observation : Loi de 1997 sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail, 1997, ch. 16, ann. A., par. 90(5).

 

[13] L’intimée invoque le texte réglementaire suivant à l’appui de cette observation : Règlement sur les avances comptables, DORS/86-438.

 

[14] L’intimée invoque la disposition législative suivante à l’appui de cette observation : Loi sur la gestion des finances publiques, L.R. 1985, ch. F-11, par. 38(2).

 

[15] L’intimée invoque la disposition législative suivante à l’appui de cette observation : Loi sur la gestion des finances publiques, L.R. 1985, ch. F-11, par. 155(1).

 

[16] L’intimée invoque la disposition législative suivante à l’appui de cette observation : Loi sur la gestion des finances publiques, L.R. 1985, ch. F-11, par. 155(3).

 

[17] Paragraphes 4(2) et 4(3) de la LIAÉ.

 

[18] Politique 12-01-04 de la CSPAAT – annexes 1 et 2.

 

[19] De même, je signale que, dans l’ouvrage intitulé The Practical Guide to Workers’ Compensation Hearings in Ontario (Toronto, Carswell, 1998), au chapitre 12, sous la rubrique 12.2, les auteurs (Richard Anstruther, David P. Craig et Joanne E. Satjos) reconnaissent que les agents de l’État tombent sous le coup de la LIAÉ, et non de la législation ontarienne, malgré le traitement analogue réservé au gouvernement fédéral en sa qualité d’employeur et aux employeurs mentionnés à l’annexe 2.

 

[20] Voir la décision Jean-Paul Morin v. The Queen, [1975] C.T.C. 106.

 

[21] [1998] A.C.S. no 37 (C.S.C.).

 

[22] Voir la décision Assuras c. Canada, 2003 CCI 524, au paragraphe 23. Il faut également établir l’existence d’un paiement à une personne, fait à l’avantage du bénéficiaire, comme, en l’espèce, un paiement de l’employeur à la CSPAAT. Je ne suis saisi d’aucun élément de preuve à cet effet. Voir la décision Markmam v. Minister of National Revenue, 1989 1 C.T.C. 2381, au paragraphe 10.

[23] [1943] 3 D.L.R. 737 (C.S.C.) [Alb.].

 

[24] Il semble que, dans ce cas‑là, l’État ait versé des paiements de salaire en trop que l’organisme albertain a exigés de la compagnie de chemin de fer et a remboursés à l’employeur. Cette mesure de recouvrement à l’endroit d’une partie ayant fait preuve de négligence paraît avoir été prise pour le compte, et à titre d’administrateur, du régime d’indemnisation du gouvernement fédéral. Le fait que la CSPAAT a peut‑être joué un rôle analogue en l’espèce ne me détourne pas de ma conclusion, laquelle est étayée par le raisonnement suivi dans l’arrêt Ching, voulant que la créance en l’espèce soit celle de Sa Majesté du chef du Canada. J’ajoute cependant que le fait que la CSPAAT était dispensée du recouvrement, rôle qu’elle aurait vraisemblablement pu jouer pour le compte du gouvernement fédéral, illustre les tentatives assidues de l’ARC de contrecarrer l’appelante. En effet, empêcher la CSPAAT de recouvrer les paiements en trop à titre de mandataire a obligé l’appelante à continuer d’engager des frais médicaux de façon distincte plutôt qu’à procéder par voie de compensation – acte qui ne peut être reproché qu’à la CSPAAT en sa qualité d’administratrice du régime d’indemnisation.

 

[25] Aux paragraphes 17, 18, 24 et 47.

 

[26] Dans les circonstances, il semble que ces déductions aient été abandonnées dans le cadre du règlement, ce qui donne lieu à une situation inhabituelle. La CSPAAT n’était pas partie à ce règlement. L’appelante se préoccuperait‑elle alors de ce que la CSPAAT pourrait encore la poursuivre pour les paiements en trop? Peut‑être le fait qu’elle n’a pas demandé que la CSPAAT soit partie au règlement met‑il en lumière sa certitude que l’ARC, à titre de partie habilitée à recouvrer les paiements en trop pour le compte du gouvernement fédéral, détenait un pouvoir suffisant pour régler cette question de manière définitive.

 

[27] Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, article 32. Markevich c. Canada, [2003] A.C.S. no 8 (C.S.C.).

[28] Markevich c. R., [2003] A.C.S. no 8 (C.S.C.), aux paragraphes 8 et 9.

 

[29] Loi de 2002 sur la prescription des actions, L.O. 2002, ch. 24., ann. B, article 4.

 

[30] Les parties ont demandé que le règlement soit scellé. À mon sens, aucune valeur sociale impérative suffisamment importante ne me justifie en l’espèce d’écarter ainsi les principes de transparence et d’accessibilité qui prédominent dans notre système juridique.

 

[31] L’avocate de l’intimée a soutenu que les parties avaient discuté de la somme de 18 787,30 $ pendant les négociations relatives au règlement. Elle a laissé entendre que l’ARC avait refusé de reconnaître que la compensation était irrégulière de sorte qu’aucune admission n’a été faite quant à l’inclusion de la somme de 18 787,30 $ dans le règlement. En réalité, on a affirmé que le montant du règlement visait un salaire perdu et non un salaire impayé. Néanmoins, le règlement ne peut être considéré comme une reconnaissance du fait que les paiements en trop ont été « reçus » au moment de la retenue en 2004. Je ne tire du règlement aucune inférence quant au point de savoir si le montant convenu comprenait la somme en litige. Le règlement portait désistement des demandes relatives à l’ensemble des questions en litige, des griefs et des plaintes, y compris ceux contre la CSPAAT. D’innombrables demandes et poursuites éventuellement dispendieuses contre l’ARC ont été abandonnées en contrepartie des modalités prévues par le règlement. La répartition du montant du règlement n’est ni possible, ni, dans tout état de cause, nécessaire.

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