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Dossier : 2007-3963(EI)

ENTRE :

PEINTURES CYCLONES INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

Appel entendu et jugement rendu sur le banc le 7 août 2008,

à Québec (Québec)

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Jérôme Carrier

 

Avocate de l'intimé :

Me Anne Poirier

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance‑emploi (la « Loi ») est accueilli et la décision du ministre du Revenu national est infirmée étant donné que le travail exécuté par madame Isabelle Duval, madame Nicole Tremblay et monsieur Pascal Bien, du 1er janvier 2006 au 28 février 2007 pour la société Peinture Cyclone inc., n’était pas assurable, la preuve ayant établi qu’il s’agissait plutôt d’emplois exclus des emplois assurables en vertu de l’alinéa 5(2)i) de la Loi, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de septembre 2008.

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif

 


 

 

 

 

Référence : 2008 CCI 484

Date : 20080925

Dossier : 2007-3963(EI)

ENTRE :

 

PEINTURES CYCLONES INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Tardif

 

[1]              Il s’agit d’un appel interjeté par la société Peinture Cyclone inc. qui concerne le travail exécuté par madame Isabelle Duval, madame Nicole Tremblay et monsieur Pascal Bien (les « travailleurs ») du 1er janvier 2006 au 28 février 2007.

 

[2]              Nous reproduisons ci les faits énoncés dans la Réponse à l’avis d’appel, ainsi que les mentions d’admission ou de négation fournis par l’appelante :

 

5  a)    l’appelante a été constituée en société le 30 juillet 1992; (admis)

 

b)   la place d’affaires de l’appelante est située à Valcourt et est la propriété de l’appelante; (admis)

 

c)   l’appelante exploite une usine de peinture qui fait l’application de revêtement liquide (métal et plastique) sur des pièces industrielles; (admis)

 

d)   l’appelante est exploitée à l’année longue et connaît généralement, pas à date fixe, deux périodes plus achalandées; (admis)

 

e)   l’appelante embauche entre 20 et 25 employés, tous à temps plein; (admis)

 

f)    les heures d’affaires de l’appelante sont du lundi au jeudi de 7 h 30 à 17 h et les employées de l’usine doivent demeurer disponibles le vendredi, de 7 h 30 à 12 h pour compléter certains contrats; (admis)

 

g)   les employés de l’appelante travaillent entre 36 et 40 heures par semaine; (admis)

 

h)   en 2006, le chiffre d’affaires de l’appelante se situait à environ 1 100 000 $; (admis)

 

i)    les travailleurs impliqués rendaient des services à l’appelante en vertu d’une entente verbale et en vertu d’un contrat de louage de service; (admis)

 

ISABELLE DUVAL

j)    Isabelle Duval (la travailleuse) a débuté son travail pour l’appelante, comme étudiante, à l’été 1995 et est devenue gérante de production à temps complet en 1998; (admis)

 

k)   durant la période en litige, la travailleuse rendait des services à titre de directrice de production, des opérations et de la qualité; (admis)

 

l)    à titre de directrice de la production elle planifiait la production, embauchait le personnel, établissait les contacts avec les clients et s’occupait des relations entre les clients et l’appelante; (admis)

 

m)  à titre de directrice de la qualité elle gérait le système ISO en conformité des normes ISO; (admis)

 

n)   à titre des directrice des opérations elle faisait de la recherche de clients, préparait des soumissions, s’occupait du développement des marchés et rédigeait les rapports de recherche et développement; (admis)

 

o)   occasionnellement, en périodes de pointes, la travailleuses pouvait travailler comme manœuvre à l’usine; (admis)

 

p)   la travailleuse rendait ses services à l’usine de l’appelante et occasionnellement, le soir et la fin de semaine, à sa résidence pour compléter ses tâches administratives; (nié)

 

q)   la travailleuse travaillait généralement du lundi au vendredi, de 7 h 30 À 17 h, en moyenne 50 heures pas semaine incluant le soir et fin de semaine; (nié)

 

r)    la travailleuse devait d’être présente au bureau aux heures d’affaires de l’appelante; (nié)

 

s)   les heures de travail de la travailleuse n’étaient pas comptabilisées par l’appelante; (admis)

 

t)    comme pour tous les employés de l’appelante, la travailleuse bénéficiait d’une assurance groupe couvrant l’assurance salaire, l’assurance médicaments et maladie; (admis)

 

u)      la travailleuse bénéficiait aussi de 4 semaines de vacances payées; (admis)

 

v)      de plus, la travailleuse recevait un boni hebdomadaire de l’appelante à titre de directrice de la qualité; (admis)

 

w)     durant la période en litige, la travailleuse recevait une rémunération fixe de 731, 50 $ brut par semaine et un boni fixe de 222, 15 $ brut par semaine pour un total de 953, 65 $ brut par semaine; (admis)

 

x)      comme pour tous les autres employés, elle était rémunérée par dépôt direct; (admis)

 

y)      pour le bon fonctionnement des opérations, la travailleuse devait aviser l’appelante en cas d’absence; (nié)

 

z)             dans l’accomplissement de ses tâches, la travailleuse utilisait les équipements et le matériel de l’appelante et occasionnellement son automobile; (nié)

 

aa)         dans le cadre de son travail pour l’appelante, la travailleuse n’avait aucune dépense à engager; (nié)

 

bb)        durant la période en litige, la travailleuse était tenu de rendre personnellement ses services à l’appelante; (admis)

 

cc)         la travailleuse ne partageait pas les chances de profits et les risques de pertes de l’entreprise de l’appelante; (nié)

 

dd)    la travailleuse faisait partie du conseil de gestion de l’entreprise de l’appelante et à ce titre, elle devait participer aux réunions hebdomadaires; par contre, elle ne détenait aucune action, de poste ou de charge au sein de l’entreprise de l’appelante. (admis)

 

PASCAL BRIEN

 

ee)    Pascal Brien, le travailleur, a débuté son travail pour l’appelante en 1992, dès l’ouverture; (admis)

 

ff)            durant la période en litige, le travailleur occupait le poste de contremaître-superviseur; (admis)

 

gg)         la principale tâche du travailleur consistait à superviser de 7 à 8 employés dans le secteur du plastique; (admis)

 

hh)         le travailleur dirigeait les employés en fonction des tâches à accomplir, il vérifiait le travail effectué en rapport à la norme ISO, calculait le temps des employés et assistait aux réunions hebdomadaires; (admis)

 

ii)             le travailleur pouvait aussi rendre des services à titre de peintre en remplacement de peintres absents; (admis)

 

jj)      le travailleur rendait ses services uniquement à l’usine de l’appelante; (admis)

 

kk)        le travailleur travaillait du lundi au vendredi, entre 7 h 30 et 17 h et environ 3 soirs par semaine entre 17 h et 19 h; (nié)

 

ll)             le travailleur prétend qu’il n’avait aucun horaire de travail à respecter mais il se devait d’être présent aux heures d’affaires de l’appelante; (admis)

 

mm)     les heures de travail du travailleur n’étaient pas comptabilisées par l’appelante; (admis)

 

nn)         comme pour tous les employés de l’appelante, le travailleur bénéficiait d’une assurance groupe couvrant l’assurance salaire, l’assurance médicaments et maladie; (admis)

 

oo)        le travailleur bénéficiait aussi de 4 semaines de vacances payées;

 

pp)        durant la période en litige, le travailleur recevait une rémunération fixe de 700 $ brut par semaine; (admis)

 

qq)        comme pour tous les autres employés, il était rémunéré par dépôt direct;

 

rr)           dans l’accomplissement de ses tâches, le travailleur utilisait les équipements et le matériel de l’appelante; (admis)

 

ss)          durant la période en litige, le travailleur était tenu de rendre personnellement ses services à l’appelante; (admis)

 

tt)            le travailleur ne partageait pas les chances de profits et les risques de pertes de l’entreprise de l’appelante; (nié)

 

uu)         dans le cadre de son travail pour l’appelante, le travailleur n’avait aucune dépense à engager; (nié)

 

vv)    le travailleur faisait partie du conseil de gestion de l’entreprise de l’appelante et à ce titre, il devait participer aux réunions hebdomadaires; par contre, il ne détenait aucune action, de poste ou de charge au sein de l’entreprise de l’appelante. (admis)

 

NICOLE TREMBLAY

 

ww)  Nicole Tremblay, la travailleuse, a débuté pour l’entreprise de l’appelante le 10   février 2004; (admis)

 

xx)         la travailleuse occupait le poste d’adjointe administratrice; (admis)

 

yy)         les principales tâches de la travailleuse consistaient à s’occuper de la comptabilité, de la tenue informatisée des livres comptables et d’agir à titre de superviseure adjointe du côté plastique; (admis)

 

zz)          la travailleuse s’occupait aussi des remises gouvernementales, des assurances collectives, de la CSST et d’effectuer les commandes auprès de fournisseurs; (admis)

 

aaa)   de plus, la travailleuse pouvait effectuer diverses tâches à l’usine telles que la supervision d’employés, l’inspection et l’emballage; (admis)

 

bbb)  la travailleuse rendait ses services au bureau du l’appelante et occasionnellement à l’usine et chez elle; (nié)

 

ccc)     la travailleuse travaillait généralement du lundi au vendredi, de 7 h 45 à 17 h; (nié)

 

ddd) même si elle a déjà mentionné qu’elle faisait 38,5 heures par semaine, des les faits, elle précise qu’elle faisait toujours entre 50 et 55 heures par semaine; (admis)

 

eee)   la travailleuse devait d’être présente au bureau aux heures d’affaires de l’appelante; (nié)

 

fff)     les heures de travail de la travailleuse n’étaient pas comptabilisées par l’appelante; (admis)

 

ggg)   comme pour tous les employés de l’appelante, la travailleuse bénéficiait d’une assurance groupe couvrant l’assurance salaire, l’assurance médicaments et maladie; (admis)

 

hhh)   la travailleuse bénéficiait aussi de 4 semaines de vacances payées; (admis)

 

iii)      durant la période en litige, la travailleuse recevait une rémunération fixe de 654 $ brut par semaine; (admis)

 

jjj)     comme pour tous les autres employés, elle était rémunérée par dépôt direct; (admis)

 

kkk)  pour le bon fonctionnement des opérations, la travailleuse devait aviser l’appelante en cas d’absence; (nié)

 

lll)      dans l’accomplissement de ses tâches, la travailleuse utilisait les équipements et le matériel de l’appelante; (admis)

 

mmm)   dans le cadre de son travail pour l’appelante, la travailleuse n’avait aucune dépense à engager; (nié)

 

nnn)   la travailleuse prétend qu’elle n’était pas supervisée dans son travail, mais elle devait donner un suivi de son travail à l’appelante; (nié)

 

ooo)  durant la période en litige, la travailleuse était tenu de rendre personnellement ses services à l’appelante; (admis)

 

ppp)  la travailleuse ne partageait pas les chances de profits et les risques de pertes de l’entreprise de l’appelante; (nié)

 

qqq)  la travailleuse faisait partie du conseil de gestion de l’entreprise de l’appelante et à ce titre, elle devait participer aux réunions hebdomadaires; par contre, elle ne détenait aucune action, de poste ou de charge au sein de l’entreprise de l’appelante. (admis)

 

      6.   a)   M. André Brien était l’unique actionnaire de l’appelante. (admis)

            b)   Nicole Tremblay est la conjointe de M. André Brien. (admis)

            c)   Pascal Brien est le fils d’André Brien. (admis)

            d)   Isabelle Duval est la conjointe de Pascal Brien et la belle-fille d’André Brien. (admis)

e)   Nicole Tremblay, Isabelle Brien et Pascal Brien sont liés à une personne qui contrôle l’appelante. (admis)

 

  Isabelle Duval

7.      a)   De par son expérience, sa formation en cours d’emploi et ses fonctions, Mme Isabelle Duval n’avait pas besoin d’un haut besoin de supervision, mais l’appelante pouvait exercer ce droit en tout temps; (nié)

 

b)   malgré un prétendu horaire flexible, à titre de directrice de la production, Mme Duval devait travailler dans les locaux de l’appelante, aux heures d’affaires de l’appelant et selon les besoins de l’appelante; (nié)

 

c)   tout comme les autres travailleurs de l’appelante, Mme Duval n’avait pas à assumer de dépenses ni à fournir des outils ou de l’équipement dans l’exercice de ses fonctions; (nié)

 

d)      Mme Duval recevait une rémunération hebdomadaire fixe, comparable au salaire annuel médian versé à une directrice de la fabrication dans la région de l’Estrie; (nié)

 

 

e)      durant la période en litige, la durée de l’emploi de Mme Duval correspondait aux besoins réels de l’appelante tout comme il aurait été pour une personne étrangère; (nié)

 

f)        l’entreprise de l’appelante fonctionnait à l’année et les fonctions de Mme Duval étaient directement reliées aux activités de l’appelante démontrant l’importance et la nécessité d’un tel emploi au sein de l’entreprise pour son bon fonctionnement; (admis)

 

Pascal Brien

 

g)      De par son expérience, sa formation en cours d’emploi et ses fonctions, M. Pascal Brien n’avait pas besoin d’un haut besoin de supervision, mais l’appelante pouvait exercer ce droit en tout temps et M. André Brien, unique actionnaire de l’appelante, a précisé qu’il avait le pouvoir de supervision et qu’il avait ou possédait la décision finale; (nié)

 

h)      malgré un prétendu horaire flexible, à titre de contremaître-superviseur, M. Brien devait travailleur dans les locaux de l’appelante, aux heures d’affaires de l’appelante et selon les besoins de l’appelante; (nié)

 

i)        l’appelante embauchait un autre contremaître-superviseur, non lié à l’appelante, dans le secteur métal. Ce dernier occupait des fonctions similaires à celles de M. Brien, il faisait entre 36 et 40 heures par semaine et bénéficiait des même avantages sociaux que tous les employés de l’usine; (nié)

 

j)        tout comme les autres travailleurs de l’appelante, M. Brien n’avait pas à assumer de dépenses ni à fournir des outils ou de l’équipement dans l’exercice de ses fonctions; (nié)

 

k)      M. Brien recevait une rémunération hebdomadaire fixe, comparable au salaire annuel médian versé à un surveillant dans la fabrication d’autres produits métalliques dans la région de l’Éstrie; (nié)

 

l)        le contremaître-superviseur, non lié à l’appelante, a reçu une rémunération totalisant 34 785 $ en 2006 tout en effectuant moins d’heures que M. Brien (qui a reçu 39 558 $); (admis)

 

m)    durant le période en litige, la durée de l’emploi de M. Brien correspondait aux besoins réels de l’appelante tout comme il aurait été pour une personne étrangère; (nié)

 

Nicole Tremblay

 

h)      De par son expérience, sa formation en cours d’emploi et ses fonctions, Mme Nicole Tremblay n’avait pas besoin d’un haut besoin de supervision, mais l’appelante pouvait exercer ce droit en tout temps M. André Brien, unique actionnaire de l’appelante, a précisé que Mme Tremblay le mettait au courant de la situation financière à chaque réunion hebdomadaire et qu’elle devait l’aviser pour les achats importants; (nié)

 

i)        malgré un horaire flexible, à titre d’adjointe administratrice et superviseure adjointe, Mme Tremblay devait travailler dans les locaux de l’appelante, aux heures d’affaires de l’appelante et selon les besoins de l’appelante; (nié)

 

j)        tout comme les autres travailleurs de l’appelante, Mme Tremblay n’avait pas à assumer de dépenses ni à fournir des outils ou de l’équipement dans l’exercice de ses fonctions; (nié)

 

 

k)      Mme Duval recevait une rémunération hebdomadaire fixe, comparable au salaire annuel médian versé à un commis de soutien administratif dans la région de l’Estrie; (nié)

 

l)        durant la période en litige, la durée de l’emploi de Mme Tremblay correspondait aux besoins réels de l’appelante tout comme il aurait été pour une personne étrangère; (nié)

 

m)    l’entreprise de l’appelante fonctionnait à l’année et les fonctions de Mme Tremblay étaient directement reliées aux activités de l’appelante démontrant l’importance et la nécessité d’un tel emploi au sein de l’entreprise pour son bon fonctionnement. (admis)

 

[3]              Les personnes concernées par l’appel ont témoigné dans l’ordre suivant :  

monsieur André Brien, propriétaire unique de la totalité des actions de l’appelante, mesdames Isabelle Duval et Nicole Tremblay, ainsi que monsieur Pascal Brien, tous trois travailleurs dont le travail a fait l’objet de la décision dont il est fait appel.

 

[4]              Pour conclure qu’il s’agissait de contrats de travail assurables, l’intimé a notamment pris en compte les faits énumérés à la pièce A‑1, c’est-à-dire le formulaire C.P.T. 100, et qui sont numérotés de 1 à 98; il s’agit là des faits colligés par la personne responsable de l’appel lors de son enquête et à partir desquels la décision dont il est fait appel a été rendue.

 

[5]              Les faits admis constituent une toile de fond décrivant assez bien le genre d’activité et la façon dont le travail en question était effectué. Le litige découle de l’interprétation de certains faits mais aussi de l’importance ou de la pertinence des explications soumises à l’analyste lors de la révision et qui ont été réaffirmées lors de l’audience. L’intimé a fait valoir que le témoignage des travailleurs et du seul actionnaire ne faisait essentiellement que reprendre les faits décrits par l’agente des appels à la pièce A‑1 et qu’il n’y avait pas de motifs justifiant la révision de la décision.

 

[6]              Après la présentation de la preuve de l’appelante, j’ai indiqué aux parties que je concluais que les témoins avaient témoigné d’une manière très crédible; l’intimé a aussitôt fait valoir, avec raison d’ailleurs, que la décision dans un dossier de cette nature ne devait pas être prise seulement en fonction de la crédibilité.

 

[7]              Toutefois, à partir du moment où je suis convaincu que les explications des témoins sont crédibles, il en découle que je conclus que l’interprétation de certains faits lors de l’analyse a été effectuée d’une manière douteuse et que la personne responsable du dossier leur a donné une importance secondaire.

 

[8]              Colliger tous les faits est une chose, mais ne pas tenir compte de certaines nuances, nombreuses en l’espèce, peut biaiser la conclusion ou la rendra déraisonnable ou inadéquate.

 

[9]              L’exercice d’un pouvoir discrétionnaire sous-entend la capacité et la volonté de tenir compte de nombreux détails qui ont des effets considérables sur la conclusion qui doit s’en dégager.

 

[10]         Si ce n’était pas le cas, il suffirait de se doter d’un bon logiciel et d’appuyer sur un bouton pour obtenir la conclusion; il ne s’agirait plus d’une question de discrétion, mais d’une opération. Le dictionnaire Larousse définit le mot discrétion comme suit : « 1. Attitude de qqn qui ne veut pas s’imposer 2. Caractère de ce qui n’attire pas l’attention… 3. Aptitude à garder le silence ». Quant au dictionnaire le Petit Robert, il indique « discernement, pouvoir de discerner ».

 

[11]         En l’espèce, de nombreux détails ont été occultés de l’analyse, la conséquence étant que la conclusion retenue est manifestement déraisonnable. En effet, certains éléments de preuve déjà établis d’une manière très prépondérante discréditent l’analyse à l’origine de la détermination.

 

[12]         Je crois qu’il est important d’énumérer quelques-uns de ces éléments de preuve :

·        Salaire tout à fait déraisonnable eu égard aux nombreuses tâches secondaire s’ajoutant aux tâches principales, ce qui a permis à l’agente des appels de faire des comparaisons au moyen d’un logiciel;

 

·        Diminutions de salaire touchant exclusivement les travailleurs concernés par l’appel;

 

·        Absence totale de possibilité de récompense des travailleurs pour leur zèle, leur dévouement et leur empressement, ce que des tiers n’auraient jamais accepté;

 

·        Isabelle Duval a refusé une offre de salaire représentant le double de son salaire, et cela en échange d’une charge de travail moins lourde ce qu’un tiers sans lien de dépendance n’aurait évidemment pas accepté;

 

·        Ascendant évident d’Isabelle Duval sur l’actionnaire unique quant à la gestion de l’entreprise. Nicole Tremblay, quant à elle bénéficiait de l’estime et du respect de l’actionnaire unique, ce qui lui permettait d’exercer une certaine influence qu’un tiers sans lien de dépendance n’aurait pas pu faire.

 

·        La rémunération était fixée en fonction de considérations essentiellement familiales.

 

·        Isabelle Duval a reçu une prime liée à son rendement qui a été révisée à cause de son fardeau fiscal et qu’elle a partagé avec son conjoint.

 

·        Quant à Nicole Tremblay, elle a affirmé [ (je rappelle que l’intimé a admis que la crédibilité n’était pas en cause, ajoutant qu’il y avait autre chose que la crédibilité) « C’est sûr que je profitais d’un statut particulier du fait d’être la conjointe d’André Brien, propriétaire de la totalité des actions de l’entreprise ».]

 

·        Nicole Tremblay a indiqué que son statut de conjointe de l’actionnaire principal lui procurait des avantages, mais également des inconvénients; elle a fait référence au fait que ses heures de travail était calquées sur celles de son conjoint; s’il quittait le travail, elle le suivait, etc.

 

·        À de nombreuses reprises, il a été allégué que les personnes concernées par l’appel étaient toutes préoccupées par le succès de l’entreprise, et ce au détriment de leur qualité de vie.

 

·        Refus par Isabelle Duval d’une offre qui lui aurait permis de doubler son salaire (la crédibilité n’est toujours pas en cause). Raison du refus : l’entreprise était sa passion, elle voulait la voir se développer. Je rappelle que la personne qui a refusé l’offre n’était pas actionnaire et n’avait aucune garantie de pouvoir le devenir.

 

[13]         Pareils comportements peuvent s’expliquer si les personnes en question sont actionnaires ou si elles sont assurées de le devenir éventuellement ce qui, en l’espèce, n’était pas le cas.

 

[14]         En l’espèce, l’entreprise était exploitée dans un contexte familial où régnait la confiance et où la rigidité n’avait pas sa place.

 

[15]         L’encadrement du travail était principalement façonné par les liens familiaux, au point où certaines réalités du monde des affaires étaient totalement absentes.

 

[16]         Les faits et éléments susceptibles de valider la conclusion retenue sont indiqués ou allégués comme s’il s’agissait de données fiables et incontestables.

 

[17]         Par contre, lorsque l’agente des appels abordait des faits susceptibles de mettre en doute la conclusion manifestement privilégiée, elle employait des expressions comme « il ou elle affirme », « selon madame ou monsieur », « elle ou il indique », laissant ainsi croire qu’il pouvait s’agir d’une demi-vérité, d’une interprétation tendancieuse ou douteuse. Le paragraphe 13 du compte rendu CPT‑110 est très éloquent à cet effet. Le texte est le suivant :

 

13.       Isabelle Duval a débuté pour l’entreprise comme étudiante à l’été 1995. En 1998 Elle a débuté à temps complet comme gérante de production. Par la suite avec l’expérience, ses tâches ont évoluées et elle est devenue directrice de production, opérations et qualité. Selon Isabelle Duval son poste est le pivot de l’entreprise.

 

[Je souligne.]

 

[18]         La preuve a établi d’une manière déterminante et sans aucun équivoque qu’Isabelle Duval était le pivot de l’entreprise. Il ne s’agissait aucunement d’une interprétation subjective, intéressée et douteuse.

 

[19]         Pour sa part, l’agente des appels a réitéré son scepticisme au paragraphe 14 de l’Avis où elle affirme :

 

14.       Pour la période en litige, ses tâches étaient les suivantes : comme directrice de production elle planifie la production, embauche le personnel, établie les contacts avec les clients, s’occupe des relations clients versus la compagnie. À titre de directrice de la qualité, elle gère le système ISO en conformité des normes ISO et à titre de directrice des opérations, elle s’occupe de la prospection des clients, des soumissions, du développement des marchés et de la recherche et développement. La travailleuse fait aussi du travail de manœuvre à l’usine dans les périodes de pointes. Selon Isabelle Duval son travail consiste à faire tourner l’entreprise. Elle occupe toujours le même poste et effectue les mêmes tâches présentement.

 

[Je souligne.]

 

[20]         Cette façon de présenter les faits est certainement révélatrice quant à l’esprit qui existait au moment de la rédaction du compte rendu des différentes conversations téléphoniques.

 

[21]         Outre cette approche tout à fait inappropriée, j’ai également constaté plusieurs mauvaises interprétations et faussetés. J’ai relevé notamment l’affirmation suivante :

 

9.         André Bien, le président et seul actionnaire de la compagnie gère l’entreprise en s’associant des aides. Ainsi les grandes décisions opérationnelles sont prises en consultation, lors de la réunion hebdomadaire, mais l’aval final est donné par André Brien. La gestion des activités quotidiennes de l’entreprise est faite par la directrice de production, opérations et qualité.

[Je souligne.]

 

[22]         Or, la preuve a établi qu’il n’y avait aucune ou formalité régissant les réunions de gestion, et que l’actionnaire unique ne procédait pas par consultation, mais qu’il s’en remettait à sa conjointe et à son fils en qui il avait totalement confiance au point où on peut affirmer que madame Isabelle Duval était l’âme dirigeante de l’entreprise.

 

[23]         Au paragraphe 15 de l’Avis, elle écrit « À l’occasion est effectue du travail chez elle, le soir et la fin de semaine pour compléter les tâches administratives, comme la planification du travail, terminer des soumissions et compléter des rapports. » Or la preuve a plutôt établi qu’il ne s’agissait pas là de choses occasionnelles, mais très fréquentes.

 

[24]         Au paragraphe 16 de l’Avis, il est écrit : « … Elle effectue en moyenne 50 heures de travail … ». Or, la preuve ne permet pas de faire une pareille affirmation.

 

[25]         Au paragraphe 17 de l’Avis, elle utilise encore l’expression « à l’occasion », alors qu’encore là la preuve a établi un fait qui se produisait très souvent.

 

[26]         Au paragraphe 19 de l’Avis, on peut lire que toutes les dépenses sont remboursées. Cette affirmation a été contredite par la preuve.

 

[27]         Au paragraphe 20 de l’Avis, il est écrit : « … Elle n’a jamais fourni de services sans être payée ». Cette affirmation est totalement mensongère.

 

[28]         Le contenu des paragraphes 23, 24, 28, 30 et 31 ne correspondent pas avec la preuve soumise à la Cour.

 

[29]         Il y a là suffisamment de matière pour conclure que l’analyse qui a précédé la décision était entachée par une approche biaisée et manifestement déraisonnable dans les circonstances, ce qui vicie la décision.

 

[30]         Il s’agit d’un dossier illustrant remarquablement bien comment un lien de dépendance peut influencer d’une manière déterminante la façon d’effectuer un travail. Le législateur aurait pu s’inspirer de ce dossier pour édicter le texte de l’alinéa 5(2)i) de la Loi.

 

[31]         Des tiers n’acceptent généralement pas de travailler sans rémunération, de travailler durant leurs vacances, de ne pas se faire rembourser certaines dépenses, d’être disponibles 7 jours sur 7, de travailler régulièrement après les heures normales sans rémunération adéquate ou sans garantie formelle de voir, un jour, leurs efforts récompensés.

 

[32]         Ce dossier illustre bien comment une entreprise familiale peut fonctionner selon des normes particulières qui n’ont rien de comparables avec le monde des affaires où, normalement, les personnes faisant affaires entre elles n’ont pas de lien de dépendance.

 

[33]         Ce dossier illustre également très bien à quel point les analyses sont souvent façonnées dans le but évident de favoriser la perception des cotisations du programme de l’assurance‑emploi.

 

[34]         En outre, il est étonnant de constater l’élasticité des critères d’application pourtant assez précis quand le paiement de prestations est en jeu. D’ailleurs, il arrive qu’un dossier contenant des faits semblables fasse l’objet d’une décision inverse.

 

[35]         En l’espèce, la prépondérance de la preuve a établi que la conclusion retenue était manifestement déraisonnable et découlait manifestement de la volonté évidente de justifier une décision pré-établie.

 

[36]         Il y a donc lieu de l’annuler et de conclure que le travail effectué par les personnes visées. soit madame Isabelle Duval, madame Nicole Tremblay et monsieur Pascal Bien, doit être exclu des emplois assurables, le tout conformément aux dispositions prévues par l’alinéa 5(2)i) de la Loi.

 

[37]         L’appel est accueilli.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de septembre 2008.

 

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif

 


RÉFÉRENCE :                                  2008 CCI 484

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2007-3963(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              PEINTURES CYCLONES INC. ET M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 7 août 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Alain Tardif

 

DATE DES MOTIFS :                       le 25 septembre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Jérôme Carrier

 

Avocate de l'intimé :

Me Anne Poirier

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante:

 

                     Nom :                            Me Jérôme Carrier

                 Cabinet :                           Avocat – Lévis (Québec)

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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