Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Dossiers : 2007-2910(EI), 2007-2911(EI),

2007-2915(EI), 2007-2916(EI),

2007-2917(EI), 2007-2918(EI),

2007-2930(EI)

ENTRE :

NCJ EDUCATIONAL SERVICES LIMITED,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[traduction française officielle]

__________________________________________________________________

Appels entendus à Montréal (Québec), les 14 et 15 février 2008.

 

Devant : L’honorable juge Pierre Archambault

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelante :

Me Stéphane Eljarrat

M. Trevor Rowles (stagiaire en droit)

Avocate de l’intimé :

Me Nadia Golmier

__________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels interjetés à l’égard des décisions prises par le ministre du Revenu national en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi sont rejetés conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mai 2008.

 

« Pierre Archambault »

Juge Archambault

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour d’août 2008.

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


 

 

 

Référence : 2008CCI300

Date : 20080515

Dossiers : 2007-2910(EI), 2007-2911(EI),

2007-2915(EI), 2007-2916(EI),

2007-2917(EI), 2007-2918(EI),

2007-2930(EI)

 

ENTRE :

NCJ EDUCATIONAL SERVICES LIMITED,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[traduction française officielle]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Archambault

 

[1]     NCJ Educational Services Limited (« NCJ ») a interjeté appel de sept décisions prises par le ministre du Revenu national (le « ministre »), selon lesquelles les services fournis par sept travailleurs de NCJ (les « travailleurs ») constituaient des emplois assurables au sens de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi ») au cours des années civiles 2004, 2005 et 2006. Aucun des travailleurs n’est intervenu dans les appels interjetés par NCJ. Ces appels portent sur les travailleurs suivants :

 

Travailleur

Période de travail

Appel

Assia Hamdane

Du 1er novembre 2004 au 16 juin 2005

2007‑2910(EI)

Lara Judd

Du 1er janvier 2004 au 15 juin 2006

2007‑2911(EI)

Ugras Oguz

Du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2006

2007‑2915(EI)

Janet Odell‑Bourke

Du 1er janvier 2004 au 15 juin 2006

2007‑2916(EI)

Ellen Cooper

Du 1er janvier 2004 au 31 mai 2006

2007‑2917(EI)

Shawn Weiland

Du 1er janvier 2004 au 15 juin 2006

2007‑2918(EI)

Andrew Sivilla

Du 1er janvier 2004 au 15 juin 2006

2007‑2930(EI)

 

[2]     Il semble que les décisions relatives aux sept travailleurs découlaient d’une demande de prestations d’assurance‑emploi faite par Mme Hamdane pendant l’été 2005. Aucun des autres travailleurs n’a fait de demande semblable, et, selon Margaret A. Jacobs, la présidente de NCJ, Mme Hamdame était la première travailleuse à demander des prestations d’assurance‑emploi depuis le début des activités de NCJ, le 1er juillet 1980.

 

[3]     Lorsqu’il a pris sa décision à l’égard de Mme Hamdame, le ministre s’est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

 

[TRADUCTION]

 

a)         l’appelante a été constituée en personne morale le 23 juin 1980; (admis)

 

b)         la présidente et l’unique actionnaire de l’appelante est Margaret Jacobs, et celle‑ci détient toutes les actions avec droit de vote de l’appelante; (admis)

 

c)         Margaret Jacobs était habituellement présente dans les locaux de l’appelante; (admis)

 

d)         l’appelante offre des services éducatifs, notamment des services de tutorat, de conseil, de préparation aux examens d’admission et de préparation aux tests normalisés; (admis)

 

e)         les clients de l’appelante sont les parents d’élèves qui fréquentent l’école primaire ou secondaire, le cégep ou l’université; (admis)

 

f)          l’appelante a engagé la travailleuse comme tutrice en vertu d’une convention verbale; (admis)

 

g)         l’appelante considérait la travailleuse comme une entrepreneure indépendante (admis), mais la travailleuse se considérait comme une employée de l’appelante; (nié)

 

h)         la travailleuse fournissait des services de tutorat à des clients de l’appelante dont les enfants étaient des élèves du primaire et du secondaire; (admis)

 

i)          l’appelante obligeait la travailleuse à tenir ses séances de tutorat dans les locaux de l’appelante, lesquels se trouvaient sur le boulevard Maisonneuve, à Westmount[1]; (admis)

 

j)          l’appelante donnait des instructions à la travailleuse quant aux séances de tutorat; les leçons étaient préparées par les enseignants des élèves et tenaient compte des programmes d’apprentissage de ces derniers[2]; (nié)

 

k)         [les clients de] l’appelante indiquai[en]t à la travailleuse le matériel et la matière à aborder pendant les séances de tutorat, de même que la durée des séances[3]; (admis)

 

l)          l’appelante assignait chaque élève à un tuteur; (admis)

 

m)        la travailleuse était tenue de respecter l’horaire de travail que l’appelante établissait [en fonction de la disponibilité du tuteur][4]; (admis)

 

n)         la travailleuse ne pouvait pas modifier son horaire de travail sans obtenir la permission de l’appelante; (nié)

 

o)         l’appelante tenait un registre des heures travaillées par la travailleuse; (nié)

 

p)         la travailleuse préparait une feuille de temps détaillée pour chaque élève, et elle remettait la feuille de temps à l’appelante, qui la comparait alors à son registre des heures travaillées[5]; (admis)

 

q)         l’appelante exigeait que la travailleuse donne elle‑même les séances de tutorat; (nié)

 

r)          la travailleuse avertissait l’appelante quand elle devait s’absenter; (admis)

 

s)         la travailleuse devait fournir des rapports [écrits et][6] oraux sur les progrès des élèves et elle devait fournir des rapports finaux sur les aptitudes des élèves; (nié)

 

t)          l’appelante est responsable de la satisfaction de ses clients; si un élève était insatisfait de son tuteur, l’appelante assignerait l’élève à un autre tuteur; (nié)

 

u)         l’appelante fournissait un lieu de travail à la travailleuse (admis), de même que le mobilier, l’équipement et le matériel dont elle avait besoin pour accomplir ses tâches; (nié)

 

v)         l’appelante mettait à la disposition de la travailleuse une bibliothèque et un ordinateur avec accès Internet; (admis)

 

w)        la travailleuse recevait un salaire horaire de 18 $ (admis) qui avait été fixé par l’appelante; (nié)

 

x)         la travailleuse était payée par chèque toutes les semaines; (admis)

 

y)         la travailleuse n’était pas tenue d’engager des dépenses pour accomplir ses tâches pour l’appelante; (admis)[7]

 

L’agent des appels

 

[4]     L’agent des appels, M. Paul Hyland, a témoigné à la demande de NCJ. Lors de son interrogatoire, il a affirmé que, contrairement à la pratique habituelle en matière d’impôt sur le revenu, le ministre avait pour pratique, à l’étape de l’appel,  de fonder sa décision sur de nouvelles conclusions de fait. Au cours de ses enquêtes, M. Hyland préfère communiquer directement avec les parties – le payeur et les travailleurs – pour obtenir de l’information. Il se sert donc du téléphone et de rencontres en personne plutôt que d’un questionnaire écrit. En l’espèce, la description des faits du payeur a été fournie au moyen d’observations écrites faites par l’avocat de NCJ, qui est membre d’un cabinet réputé, Davies Ward Phillips & Vineberg. Au paragraphe 5 de ses rapports sur un appel, M. Hyland a noté que l’avocat de NCJ lui avait dit que [TRADUCTION] « NCJ ne donne aucune instruction aux tuteurs, y compris pour ce qui est de l’organisation des séances de tutorat et de la façon de donner les leçons aux élèves ». Malheureusement, M. Hyland n’a pas demandé à parler à la présidente de NCJ, Mme Jacobs. Les communications qu’il a eues avec les quatre travailleurs (Mme Hamdane, Mme Odell‑Bourke, Mme Cooper et M. Sivilla[8]) auxquels il a parlé ont eu lieu par téléphone. C’est M. Hyland qui a rempli les questionnaires en se fondant sur les réponses qui lui ont été données. Il n’a donc pas obtenu de déclarations écrites signées par ces travailleurs.

 

[5]     M. Hyland a reconnu que ni l’avocat de NCJ, ni les travailleurs de cette dernière, exception faite de Mme Hamdane, ne lui avaient dit que Mme Jacobs donnait des instructions aux travailleurs. Il a toutefois expliqué que lorsqu’il a décidé que les sept travailleurs étaient des employés, il a supposé que Mme Jacobs avait donné des instructions aux six autres travailleurs,

 

Margaret A. Jacobs

 

[6]     La deuxième personne à avoir témoigné pour NCJ, Mme Jacobs, a expliqué les circonstances de la fondation de NCJ. Elle a dit qu’elle était alors une enseignante à la ville de Laval, et, qu’à un certain moment, son nom avait été inscrit sur une liste de disponibilité. Afin de créer son propre emploi, Mme Jacobs a commencé à fournir des services de tutorat en anglais à son domicile. L’autorisation d’enseigner que lui a délivrée le ministère de l’Éducation du Québec (pièce A‑12) l’autorise à enseigner l’anglais au secondaire. Par le bouche à oreille, les services de tutorat de Mme Jacobs sont devenus connus dans la région de Montréal, et ces activités de tutorat en sont venues à constituer un travail à temps plein pour Mme Jacobs. En 1980, Mme Jacobs a décidé de fonder NCJ pour répondre à la demande grandissante pour ses services de tutorat en anglais, et aussi en mathématiques, en histoire, en physique, en chimie, en biologie, en français et en espagnol. Elle a dit que son modèle d’entreprise était simple : elle assigne des élèves à des tuteurs.

 

[7]     Étant donné que Mme Jacobs était la seule à diriger NCJ, elle a cessé de fournir des services de tutorat elle‑même pour plutôt avoir recours à un grand bassin de tuteurs qu’elle engage. Mme Jacobs a témoigné qu’elle dit à chaque tuteur qu’elle engage qu’il sera un entrepreneur indépendant. À la fin de chaque année, elle remet un feuillet T4A à chacun de ses tuteurs, et elle y déclare les sommes reçues par le tuteur comme « autres revenus » (case 28). Les tuteurs que Mme Jacobs engage sont compétents et qualifiés, et ils détiennent la formation nécessaire. Ils doivent aussi être dignes de confiance. Quant à cette dernière exigence, Mme Jacobs a dit qu’elle vérifiait les références fournies par ses tuteurs, mais qu’elle ne s’en préoccupait pas autrement.

 

[8]     Mme Jacobs est responsable des relations avec les clients (essentiellement, il s’agit des parents des élèves) et de l’évaluation des besoins des élèves. Elle a affirmé recevoir entre 60 et 80 appels téléphoniques (par semaine, je suppose) de la part d’élèves dont l’horaire doit être modifié. Mme Jacobs facture les services fournis par NCJ à ses clients et elle paie les tuteurs de NCJ en fonction des feuilles de temps que ces derniers lui fournissent. Elle a affirmé ne pas tenir de registre des heures travaillées par les tuteurs. Elle se fie à la bonne foi des tuteurs[9]. Mme Jacobs a reconnu être celle qui préparait les factures des travailleurs pour les services qu’ils fournissent à NCJ. Tout ce travail est fait chaque semaine. De plus, Mme Jacobs est presque toujours présente dans les locaux de NCJ lorsque les séances de tutorat ont lieu. Elle n’utilise pas de bureau séparé. Toutes les activités de tutorat ont lieu dans une grande salle de 1 800 pieds carrés (la « salle de tutorat ») où environ 17 tables sont mises à la disposition des tuteurs pour qu’ils rencontrent leurs élèves. Chaque tuteur choisit la table qui lui convient. Certaines tables conviennent pour rencontrer un seul élève, et d’autres conviennent pour rencontrer plus d’un élève à la fois.

 

[9]     Mme Jacobs a témoigné que la salle de tutorat de NCJ est ouverte de 9 h à 22 h, sept jours sur sept, durant l’année scolaire, exception faite de certains congés. Elle s’y trouve presque tout le temps, de 9 h à 21 h. Les tuteurs ont des clefs leur permettant d’avoir accès à la salle de tutorat et d’en verrouiller les portes. Mme Jacobs préfère que les tuteurs rencontrent leurs élèves dans la salle de tutorat parce que cela lui est plus profitable, et que cela évite aux tuteurs d’avoir à se déplacer d’une école à l’autre pour rencontrer les élèves. Elle a dit avoir déjà demandé aux tuteurs s’ils étaient prêts à rencontrer les élèves chez ceux‑ci, mais les tuteurs auraient refusé d’accéder à sa requête. Mme Jacobs a aussi expliqué que la salle de tutorat constituait un environnement plus sécuritaire pour la prestation des services de tutorat.

 

[10]    Mme Jacobs prépare un horaire où elle assigne chaque élève à un tuteur en tenant compte de la disponibilité dont ses tuteurs lui font part. Si, pour quelque raison que ce soit – y compris pour cause de maladie – un tuteur ne peut pas être présent pour donner une séance de tutorat, Mme Jacobs tente de trouver un remplaçant ou elle demande à l’élève de reporter la séance de tutorat. Dans le cas où un tuteur ne se présente pas au moment convenu, il n’est pas pénalisé, mis à part le fait qu’il n’est pas payé pour la séance de tutorat qu’il n’a pas donnée. Dans un cas précis, un tuteur qui devait s’absenter a proposé d’être remplacé par son frère plus jeune. Quand le tuteur a dit à Mme Jacobs que son frère était inscrit à l’université, elle a accepté que ce dernier serve de remplaçant. Cependant, Mme Jacobs ne se souvenait pas du moment où cela s’était produit. Quoi qu’il en soit, Mme Jacobs a dit qu’elle n’avait jamais interdit aux tuteurs de se faire remplacer. Elle a toutefois reconnu qu’elle n’aurait pas accepté que n’importe qui serve de remplaçant : tout remplaçant potentiel devait être suffisamment qualifié pour fournir les services de tutorat.

 

[11]    Mme Jacobs a affirmé que les tuteurs ne sont pas tenus, que ce soit pendant leur contrat de tutorat ou à la fin de celui‑ci, de produire des rapports, écrits ou oraux, sur les progrès accomplis par les élèves. Elle a toutefois reconnu qu’il lui arrivait de discuter des progrès des élèves avec leurs tuteurs. Elle a aussi reconnu que c’était elle qui recevait les commentaires, bons ou mauvais, des clients de NCJ, les parents des élèves. Mme Jacobs transmettait ensuite cette information aux tuteurs de NCJ. Comme exemple d’une plainte qu’elle avait reçue d’un parent, elle a dit qu’un de ses tuteurs avait été décrit comme un [TRADUCTION] « geignard ». Mme Jacobs a témoigné qu’elle avait alors demandé au tuteur de changer son comportement. Elle a aussi expliqué que, dans les cas où elle était insatisfaite d’un tuteur, elle assignait son élève à un autre tuteur ou elle cessait simplement de faire appel aux services du tuteur dont elle était insatisfaite.

 

[12]    Mme Jacobs a dit que NCJ n’avait pas établi de code d’éthique ni de règles relativement aux services de ses tuteurs. Cependant, elle a reconnu qu’elle demande aux jeunes hommes qu’elle engage comme tuteurs de ne pas porter de tee‑shirts; ils doivent plutôt porter des chemises à col.

 

[13]    Mme Jacobs aucun matériel ou contenu à ses tuteurs. Le tuteur décide du travail qu’il fera en fonction des demandes formulées par les élèves lors de leurs rencontres. Il arrive souvent que les tuteurs aident les élèves à faire des devoirs donnés par les enseignants de ces derniers, ou qu’ils aident les élèves à faire des travaux suggérés par leurs enseignants pour permettre aux élèves de s’améliorer dans certaines matières. La bibliothèque de NCJ contient des livres qui sont utilisés par les diverses écoles fréquentées par les élèves de NCJ. Ces livres servent dans les cas où les élèves oublient d’apporter leurs propres livres. Les tuteurs peuvent utiliser leur propre matériel. Mme Jacobs a aussi affirmé ne pas donner de formation ou d’instructions à ses tuteurs. Elle a dit qu’il n’y a rien à leur expliquer, sauf le fonctionnement des feuilles de temps.

 

Janet Odell‑Bourke

 

[14]    Le témoin suivant de NCJ était Mme Janet Odell‑Bourke, une enseignante ayant 33 ans d’expérience. Elle enseigne le français, langue seconde, dans des écoles secondaires. Elle a travaillé comme tutrice pour NCJ de façon régulière de 2002 à 2006. Après 2006, Mme Odell‑Bourke n’a travaillé pour NCJ que de façon irrégulière, pour aider Mme Jacobs, qu’elle considérait comme une amie. Durant la période pertinente, Mme Odell‑Bourke informait Mme Jacobs de sa disponibilité, et elle fournissait ses services de tutorat conformément à l’horaire établi par cette dernière. Mme Odell‑Bourke n’était pas tenue de faire approuver ses plans de leçon ou ses évaluations des besoins des élèves par Mme Jacobs. Mme Odell‑Bourke ne se souvenait pas si Mme Jacobs avait abordé le sujet de son statut d’entrepreneure indépendante au moment de son embauche. Elle a même dit qu’elle n’avait conclu  aucun contrat avec Mme Jacobs. Mme Odell‑Bourke a toutefois reconnu qu’elle fournissait ses services de tutorat à titre onéreux.

 

[15]    Mme Odell‑Bourke a affirmé qu’il n’existait pas de code vestimentaire, contredisant ainsi les dires de Mme Jacobs, ni de code d’éthique. Elle a aussi confirmé que NCJ ne tenait pas de registre des heures travaillées par ses tuteurs. Mme Odell‑Bourke a témoigné qu’elle était libre d’utiliser son propre matériel pour répondre aux besoins des élèves. Même si Mme Odell‑Bourke n’était pas tenue de faire des rapports, elle discutait des progrès de ses élèves avec Mme Jacobs. Elle a dit qu’elle n’a jamais été rappelée à l’ordre pour avoir annulé une séance de tutorat qui devait avoir lieu dans la salle de tutorat de NCJ. Cependant, Mme Odell‑Bourke a admis qu’elle n’avait annulé des séances de tutorat qu’à deux reprises, et qu’elle avait alors prévenu Mme Jacobs d’avance. Elle a affirmé ne jamais s’être fait dire qu’il lui était interdit d’avoir recours à un remplaçant.

 

[16]    Lorsque M. Hyland a questionné Mme Odell‑Bourke, elle lui a dit qu’elle se considérait comme une entrepreneure indépendante. Toutefois, elle a dit que M. Hyland ne lui avait pas demandé de quelle façon Mme Jacobs surveillait son travail. Mme Odell‑Bourke informait Mme Jacobs de sa disponibilité jusqu’à quatre mois d’avance.

 

Shawn Weiland

 

[17]    Shawn Weiland a été tuteur pour NCJ de 2004 à 2006. Il avait été engagé pour fournir des services de tutorat en sciences et en mathématiques aux élèves de NCJ. Au moment de son embauche, M. Weiland venait tout juste de recevoir son diplôme universitaire; il pouvait donc travailler un grand nombre d’heures durant la semaine. Une fois que M. Weiland informait Mme Jacobs de sa disponibilité, c’est elle qui préparait l’horaire d’enseignement de M. Weiland. Il a affirmé qu’il n’était pas tenu de justifier ses absences lorsqu’il ne pouvait pas donner des séances de tutorat. Toutefois, M. Weiland a témoigné qu’il n’avait jamais, ou presque jamais, manqué de séances de tutorat. Les seules absences dont il avait souvenir avaient été causées par la maladie.

 

[18]    M. Weiland a affirmé qu’il n’était pas obligé de faire des rapports écrits sur les progrès de ses élèves à NCJ. Cependant, il a dit qu’il lui arrivait d’en discuter spontanément avec Mme Jacobs. M. Weiland a expliqué qu’en ce qui concerne le contenu des séances de tutorat, il était celui qui répondait habituellement aux besoins des élèves qui lui étaient assignés. Il a dit qu’il utilisait le matériel fourni par NCJ, mais qu’il aurait pu utiliser le sien. Quand M. Weiland s’est fait demander de comparer son travail à NCJ à son nouvel emploi au Lower Canada College, il a expliqué qu’il se conformait habituellement au code vestimentaire établi par Mme Jacobs, alors qu’il se conformait toujours à celui du Lower Canada College. M. Weiland a expliqué qu’il se sentait davantage obligé de suivre les directives du Lower Canada College relativement au contenu des cours et au matériel à utiliser en classe, et il a dit qu’il fournissait quatre bulletins écrits par année à ses élèves. La rémunération de M. Weiland au Lower Canada College faisait l’objet de retenues à la source.

 

Ellen Cooper

 

[19]    Ellen Cooper est enseignante au Collège Vanier et elle compte 15 ans d’expérience de l’enseignement. Elle travaille aussi comme tutrice pour NCJ depuis 1997. Comme les autres tuteurs, elle a dit qu’elle faisait part de sa disponibilité à Mme Jacobs, et qu’il n’y avait pas de minimum aux heures qu’elle devait travailler. Mme Cooper a dit qu’elle n’était pas tenue de faire des rapports sur les progrès de ses élèves. Cependant, elle a dit qu’elle communiquait volontairement cette information à Mme Jacobs. Mme Cooper a expliqué qu’elle décidait du contenu de ses séances de tutorat en fonction des besoins de ses élèves. Son travail de tutrice n’était pas supervisé, elle ne se pliait à aucune directive, ni à un code vestimentaire, et elle ne se sentait pas obligée de justifier ses absences, bien qu’elle se souvenait seulement d’avoir été malade une fois. Contrairement à ce que M. Hyland a inscrit dans le questionnaire censé refléter la conversation qu’il avait eue avec Mme Cooper, cette dernière se considère comme une entrepreneure indépendante et non pas comme une employée. Elle a dit que lorsqu’un élève cessait de venir la voir à la salle de tutorat de NCJ, on ne lui expliquait pas pourquoi.

 

Assia Hamdane

 

[20]    En 2004, Mme Hamdane a quitté l’Algérie pour venir s’installer au Canada. Durant les dix années précédant son déménagement, elle enseignait dans une université algérienne. Mme Hamdane a commencé à travailler pour NCJ en novembre 2004, à un moment où elle n’avait pas d’autre travail. En plus de pouvoir fournir des services de tutorat en français, elle pouvait en donner dans diverses autres matières, notamment en mathématiques, en sciences et en géologie. Mme Hamdane enseignait du lundi au jeudi. Elle arrivait normalement à 15 h 30 et elle faisait la queue pour attendre que Mme Jacobs lui assigne des élèves. Mme Jacobs lui donnait aussi des instructions quant à la matière à voir avec chaque élève et quant à la durée de chaque séance de tutorat. Une fois, Mme Hamdane avait suggéré à Mme Jacobs de prolonger la séance de tutorat d’un élève, mais cette dernière lui avait dit de n’en rien faire. Le soir, Mme Hamdane restait dans la salle de tutorat jusqu’à ce que Mme Jacobs lui dise qu’elle n’avait plus besoin de ses services. Selon Mme Hamdane, Mme Jacobs lui avait dit qu’elle devait l’informer de tout changement qu’elle devait apporter à son horaire. Lorsque Mme Hamdane était malade, elle appelait Mme Jacobs pour lui dire qu’elle devait s’absenter; elle ne sait pas si Mme Jacobs trouvait un remplaçant dans ces cas-là. De plus, Mme Hamdane a confirmé qu’elle n’était pas tenue de faire des rapports sur les séances de tutorat avec ses élèves, mais elle considérait toutefois qu’il était normal de tenir Mme Jacobs au courant.

 

[21]    Mme Hamdane a témoigné que les règles de conduite en vigueur dans la salle de tutorat de NCJ étaient très strictes. Elle a dit qu’il [TRADUCTION] « était interdit de parler aux autres tuteurs ». Toutefois, Mme Hamdane a reconnu que cette directive ne lui avait pas été donnée par Mme Jacobs, mais par Mme Oguz, une collègue de travail. Mme Hamdane a aussi admis qu’elle n’avait pas demandé à Mme Jacobs si ce que Mme Oguz lui avait dit était vrai.

 

[22]    Mme Hamdane a dit qu’elle s’était toujours considérée comme une employée alors qu’elle travaillait pour NCJ. Cependant, dans ses déclarations de revenus pour 2004 et 2005, elle a déclaré que les revenus provenant de NCJ constituaient des revenus tirés d’un travail indépendant. Je tiens à ajouter qu’elle a déclaré, pour 2004, un revenu d’emploi provenant de son travail d’enseignement à une autre école, et qu’elle a déclaré, pour 2005, un revenu d’emploi provenant de son travail dans une boutique.

 

[23]    Je veux souligner qu’il est possible que Mme Hamdane ait eu de la difficulté à comprendre Mme Jacobs, qui s’exprimait en anglais, car Mme Hamdane ne maîtrisait pas cette langue parfaitement. Mme Hamdane a dit qu’elle ne recevait aucune rétroaction de la part des parents des élèves. Elle a cessé de travailler pour NCJ à la fin de l’année scolaire 2004‑2005 parce qu’elle avait décidé de retourner à l’université à l’automne 2005, en études de l’environnement.

 

Analyse

 

[24]    Dans Teach & Embrace Corporation c. M.R.N., 2005 CCI 461, j’ai décrit de la façon suivante les critères permettant de déterminer, pour l’application du paragraphe 5(1) de la Loi, si un contrat constitue un contrat de travail (un contrat de louage de services) ou un contrat de service :

 

[13]      La disposition législative pertinente est le paragraphe 5(1) de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi ») qui définit un emploi assurable comme étant un emploi « aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite ». Comme l’a mentionné l’avocat du ministre, puisque la Loi ne définit pas ce qu’est un contrat de louage de services, je me dois de recourir au Code civil du Québec (le « Code civil »), en application du principe de complémentarité en matière d’interprétation1. S’il est nécessaire pour interpréter une loi fédérale de recourir à un concept de droit civil d’une province, à un contrat nommé par exemple, il faut avoir recours aux concepts en vigueur dans cette province. Dans le cas qui nous occupe, comme le contrat a été conclu au Québec, nous devons recourir au Code civil. Depuis 1994, le Code civil comprend une définition de « contrat de travail » et de « contrat de service ». Les dispositions pertinentes sont l’article 2085 pour le premier terme et les articles 2098 et 2099 pour le second. Ces articles sont ainsi rédigés :

 

2085.   Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

 

2098.   Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

 

2099.   L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

 

[Je souligne.]

 

[14]      Les trois éléments essentiels d’un contrat de travail sont : i) un travail; ii) une rémunération; et iii) la direction ou le contrôle d’un employeur. Pour ce qui est du contrat de service, des services doivent être fournis en échange d’une rémunération, le prestataire de services a le libre choix des moyens d’exécution du contrat et il n’existe aucun lien de subordination entre les parties. Comme l’a souligné l’avocat du ministre, il appert clairement que le facteur distinctif entre un contrat de travail et un contrat de service est l’existence ou l’absence d’un lien de subordination, c’est‑à‑dire si le contrat a été exécuté ou non sous la direction ou le contrôle d’un employeur.

 

[15]      Cet avis est épousé par les érudits du Québec, y compris Robert P. Gagnon dans Le droit du travail du Québec, 5e éd. (Cowansville, Québec : Les éditions Yvon Blais Inc., 2003), au paragraphe 90 :

 

90 – Facteur distinctifL’élément de qualification du contrat de travail le plus significatif est celui de la subordination du salarié à la personne pour laquelle il travaille. C’est cet élément qui permet de distinguer le contrat de travail d’autres contrats à titre onéreux qui impliquent également une prestation de travail au bénéfice d’une autre personne, moyennant un prix, comme le contrat d’entreprise ou de service régi par les articles 2098 et suivants C.c.Q. Ainsi, alors que l’entrepreneur ou le prestataire de services conserve, selon l’article 2099 C.c.Q., « le libre choix des moyens d’exécution du contrat » et qu’il n’existe entre lui et son client « aucun lien de subordination quant à son exécution », il est caractéristique du contrat de travail, sous réserve de ses termes, que le salarié exécute personnellement le travail convenu sous la direction de l’employeur et dans le cadre établi par ce dernier.

 

Au paragraphe 92, Gagnon décrit la notion de subordination :

 

92Notion – Historiquement, le droit civil a d’abord élaboré une notion de subordination juridique dite stricte ou classique qui a servi de critère d’application du principe de la responsabilité civile du commettant pour le dommage causé par son préposé dans l’exécution de ses fonctions [...] Cette subordination juridique classique était caractérisée par le contrôle immédiat exercé par l’employeur sur l’exécution du travail de l’employé quant à sa nature et à ses modalités. Elle s’est progressivement assouplie pour donner naissance à la notion de subordination juridique au sens large. La diversification et la spécialisation des occupations et des techniques de travail ont, en effet, rendu souvent irréaliste que l’employeur soit en mesure de dicter ou même de surveiller de façon immédiate l’exécution du travail. On en est ainsi venu à assimiler la subordination à la faculté, laissée à celui qu’on reconnaîtra alors comme l’employeur, de déterminer le travail à exécuter, d’encadrer cette exécution et de la contrôler. En renversant la perspective, le salarié sera celui qui accepte de s’intégrer dans le cadre de fonctionnement d’une entreprise pour la faire bénéficier de son travail. En pratique, on recherchera la présence d’un certain nombre d’indices d’encadrement, d’ailleurs susceptibles de varier selon les contextes : présence obligatoire à un lieu de travail, assignation plus ou moins régulière du travail, imposition de règles de conduite ou de comportement, exigence de rapports d’activité, contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation, etc. Le travail à domicile n’exclut pas une telle intégration à l’entreprise.

 

[16]      Lorsque le ministre de la Justice du Québec a présenté le nouveau Code civil qui est entré en vigueur le 1er janvier 1994, il a déclaré :

 

            Cet article indique le caractère essentiellement temporaire du contrat de travail, consacrant ainsi le premier alinéa de l’article 1667 C.C.B.C., et met en relief l’attribut principal du contrat de travail : le lien de préposition caractérisé par le pouvoir de contrôle, autre que le contrôle économique, de l’employeur sur le salarié, tant dans la fin recherchée que dans les moyens utilisés. Il importe peu que ce contrôle soit ou non effectivement exercé par son titulaire ; il importe peu également que le travail soit matériel ou intellectuel.

 

[Je souligne.]

 

[17]      Cet avis du ministre de la Justice du Québec s’accorde avec celui émis par la Cour d’appel fédérale dans Gallant c. Canada (ministre du Revenu national), [1986] A.C.F. No 330, dont la décision a été rendue en 1986, avant l’adoption du nouveau Code civil.

 

[18]      La distinction entre un contrat de travail et un contrat de service n’est pas facile à faire. La ligne de démarcation entre ces deux types de contrats peut ne pas être très claire, et le fait que cette question soit souvent soulevée devant cette Cour est certainement un indicateur de sa difficulté. Dans un article2, j’ai décrit la démarche qui devrait être suivie devant cette Cour. J’y expose que le fardeau de la preuve dans un appel entendu au Québec – ce qui est d’ailleurs également le cas dans une province canadienne de common law – repose sur les appelants : ceux-ci doivent prouver que la décision du ministre doit être infirmée3. En l’espèce, il appartient donc au payeur de prouver qu’il n’existait pas de contrat de travail.

                   

1     Voir le paragraphe 8.1 de la Loi d’interprétation, L.R.1985, ch. I‑21.

2     « Contrat de travail : pourquoi Wiebe Door Services Ltd. ne s'applique pas au Québec et par quoi on doit le remplacer » publié dans le Deuxième recueil d'études en fiscalité (2005) de la collection L'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois et le bijuridisme canadien, Association de planification fiscale et financière et ministère de la Justice du Canada, 2005, p. 2 : 1, à la page 2 : 29, par. 44.

3     Ibid., p. 2 : 54,  par. 80 et 81.

 

[25]    J’ai décrit une démarche similaire dans des décisions que j’ai rendues plus récemment, Grimard c. La Reine, 2007 CCI 755[10] et Rhéaume c. M.R.N., 2007 CCI 591. Dans ces décisions, j’ai expliqué les différences entre les règles du droit civil et celles de la common law. Je me suis exprimé de la façon suivante aux paragraphes 21 à 27 de Grimard :

 

[21]      À mon avis, les règles du Code civil régissant le contrat de travail ne sont pas identiques à celles de la common law et, par conséquent, il n'est pas approprié d'appliquer des décisions de common law comme les arrêts Wiebe Door Services Ltd. c. ministre du Revenu national, [1986] 3 C.F. 553 (C.A.F.) et 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983, 2001 CSC 5914. En common law, « aucun critère universel ne permet de déterminer, de façon concluante, si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant. [...] La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte15 ». Voici ce qu’écrit le juge Major dans Sagaz :

 

[47]      Bien qu’aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui-même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

 

[48]      Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n’y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l’affaire.

 

[Je souligne.]

 

[22]      Il existe de nombreuses décisions de common law où les tribunaux ont conclu que le facteur « contrôle » était neutre et, par conséquent, non déterminant. Il est ainsi possible de conclure, en common law, à l'existence d'un contrat de travail sans avoir tiré de conclusion de fait quant à la présence du droit de contrôle ou de direction.

 

[23]      Au Québec, contrairement à la situation en common law, la question centrale est de savoir s'il existe un lien de subordination, à savoir un pouvoir de contrôle ou de direction. Un tribunal n'a pas d'autre choix que de conclure à l'existence ou à l'absence du lien de subordination pour pouvoir conclure qu'un contrat constitue un contrat de travail ou bien un contrat de service. C'est l’approche que le juge Létourneau de la Cour d'appel fédérale a adoptée dans l'affaire D & J Driveway16, où il a conclu à l'absence d'un contrat de travail en se fondant sur les dispositions du Code civil et, en particulier, en constatant l'absence d'un lien de subordination, lequel il a décrit comme « la caractéristique essentielle du contrat de travail »17.

 

[24]      À la décision D & J Driveway, j’ajouterais celle rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire 9041‑6868 Québec Inc. c. Canada (ministre du Revenu national), 2005 CAF 334, [2005] A.C.F. no 1720 (QL). Voici ce que le juge Décary écrit aux paragraphes 2 et 318 :

 

[2]        En ce qui a trait à la nature du contrat, le juge en est arrivé à la bonne solution, mais il y est parvenu, à mon humble avis, de la mauvaise manière. Nulle part, en effet, ne traite-t-il des dispositions du Code civil du Québec, se contentant, à la fin de son analyse de la preuve, de référer aux règles de common law énoncées dans les arrêts Wiebe Door Services Ltd. c. Canada (ministre du Revenu national), [1986] 3 C.F. 553 (C.A.F.) et 671122 Ontario Ltd. Sagaz c. Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983. Cette méprise, je m'empresse de le souligner, n'est pas nouvelle et trouve son explication dans un flottement jurisprudentiel auquel le temps est venu de mettre un terme.

 

[3]        L'entrée en vigueur du Code civil du Québec en 1994, puis l'adoption par le Parlement du Canada de la Loi d'harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil (c. 2001, ch. 4) et l'adjonction par cette Loi de l'article 8.1 à la Loi d'interprétation (L.R.C., ch. I‑21) ont redonné au droit civil du Québec, en matière fédérale, ses lettres de noblesse que les tribunaux avaient eu parfois tendance à ignorer. Il suffit, à cet égard, de consulter l'arrêt de cette Cour, dans St-Hilaire c. Canada, [2004] 4 C.F. 289 (C.A.F.) et l'article du juge Pierre Archambault, de la Cour canadienne de l'impôt, intitulé « Contrat de travail : pourquoi Wiebe Door Services Ltd. ne s'applique pas au Québec et par quoi on doit le remplacer » et publié récemment dans le Deuxième recueil d'études en fiscalité (2005) de la collection L'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois et le bijuridisme canadien, pour se convaincre que le concept de « contrat de louage de services », à l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi, doit être analysé à la lumière du droit civil québécois lorsque le droit provincial applicable est celui du Québec.

 

[Je souligne.]

 

[25]      Après avoir cité les mêmes propos de Me Robert P. Gagnon que j’ai reproduits ci-dessus, notamment quant aux indices d’encadrement qui permettent d'établir le lien de subordination, le juge Décary ajoute au paragraphe 12 de ses motifs :

 

Il est intéressant de noter qu’en droit civil québécois, la définition même du contrat de travail met l’accent sur « la direction ou le contrôle » (art. 2085 C.c.Q.), ce qui fait du contrôle l’objet même de l’exercice et donc beaucoup plus qu’un simple indice d’encadrement, ainsi que le note le juge Archambault à la page 2 : 72 de l’ouvrage précité.

 

[Je souligne.]

 

[26]      En outre, rappelons ces propos de la juge Picard de la Cour supérieure du Québec dans 9002‑8515 Québec inc.19, que j’ai cités au paragraphe 121, page 2 : 82 de mon article :

 

[15]      Pour qu’il y ait un contrat d’entreprise, il ne doit y avoir aucun lien de subordination et l’Entente contient plusieurs éléments démontrant un lien de subordination. Il existe dans ce cas un nombre suffisant d’indices d’un rapport d’autorité.

 

[Je souligne.]

 

[27]      Finalement, il faut mentionner que la jurisprudence reconnaît, à bon droit, que l'intention des parties quant à la nature d’un contrat qu'elles concluent constitue un facteur important dans la qualification de ce contrat. Toutefois, les réserves suivantes exprimées à la page 2 : 63 de mon article doivent être apportées :

 

[97]      Même si les parties contractantes ont manifesté leur intention dans leur contrat écrit ou verbal ou qu’une telle intention peut être induite de leur comportement, cela ne signifie pas que les tribunaux vont nécessairement considérer ce fait comme décisif. Comme l’indique le juge Décary dans l’arrêt Wolf précité, il faut que le contrat soit exécuté conformément à cette intention. Ainsi, ce n’est pas parce que les parties ont appelé leur contrat un « contrat de service » et qu’elles ont stipulé que le travail sera exécuté par un « travailleur autonome » et qu’il n’existe pas de relation employeur‑employé, qu’il s’agit nécessairement d’un contrat de service. Le contrat pourrait correspondre à un contrat de travail. Tel que l’édicte l’article 1425 C.c.Q., on doit rechercher quelle est la véritable commune intention des parties et non pas s’arrêter au sens littéral des termes utilisés dans le contrat. Les tribunaux doivent également vérifier la conformité de la conduite des parties avec les prescriptions législatives relatives aux contrats. Voici ce qu’écrit Robert P. Gagnon :

 

91 – Appréciation factuelle – La subordination se vérifie dans les faits. À cet égard, la jurisprudence s’est toujours refusée à retenir la qualification donnée au contrat par les parties :

 

Dans le contrat, le distributeur reconnaît lui‑même qu’il agit à son compte à titre d’entrepreneur indépendant. Il n’y aura pas lieu de revenir sur ce point, puisque cela ne changerait rien à la réalité; d’ailleurs ce que l’on prétend être est souvent ce que l’on n’est pas.

 

[Je souligne.]

 

[98]      Dans l’affaire D & J Driveway, le juge Létourneau de la Cour d’appel fédérale écrit :

 

[2]        Nous reconnaissons d’emblée que la stipulation des parties quant à la nature de leurs relations contractuelles n’est pas nécessairement déterminante et que la cour chargée d’examiner cette question peut en arriver à une détermination contraire sur la foi de la preuve qui lui est soumise : Dynamex Canada inc. c. Canada, (2003), 305 N.R. 295 (C.A.F.). Mais cette stipulation ou l’interrogatoire des parties sur la question peuvent s’avérer un instrument utile d’interprétation de la nature du contrat intervenu entre les participants.

 

[Je souligne.]

 

[99]      Les juges peuvent donc requalifier le contrat pour que sa dénomination corresponde à la réalité. En France, la requalification du contrat résulte de l’application du principe de la réalité20. La Cour de cassation adopte une approche semblable à celle suivie au Canada :

 

Attendu que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs; [...]

 

[100]    À mon avis, cette vérification de la conformité est nécessaire en matière d’interprétation de contrats de travail, puisqu’il peut y avoir intérêt à maquiller la nature véritable d’une relation contractuelle entre un payeur et un travailleur. L’expérience révèle en effet qu’il arrive que des employeurs, désirant diminuer leurs charges fiscales à l’égard de leurs salariés, décident de les traiter comme des travailleurs autonomes. Cette décision peut intervenir tant au début de la relation contractuelle que par la suite. Pareillement, certains salariés pourraient avoir intérêt à maquiller leur contrat de travail en contrat de service parce que les circonstances sont telles qu’ils ne prévoient pas avoir besoin de prestations d’assurance‑emploi et qu’ils désirent éliminer leurs cotisations d’employé au régime d’assurance‑emploi, ou encore parce qu’ils veulent avoir plus de latitude pour déduire certaines dépenses aux fins du calcul de leur revenu en vertu de la Loi de l’impôt.

 

[101]    Comme la LAE, de façon générale, n’autorise le versement de prestations d’assurance‑emploi qu’aux salariés qui perdent leur emploi, la vigilance des tribunaux est requise pour démasquer les faux travailleurs autonomes. Les tribunaux doivent également s’assurer que la caisse de l’assurance‑emploi, d’où sont tirées ces prestations, reçoit les cotisations de tous ceux qui y sont tenus, y compris les faux autonomes et leurs employeurs.

 

                           

14     Voir l’analyse plus approfondie que j’ai faite dans mon article (précité).

15     Le juge Major dans Sagaz, par. 46 et 47.

16     D & J Driveway Inc. c. Canada (M.R.N.), [2003] A.C.F. no 1784 (QL), 2003 CAF 453. Voir également Charbonneau c. Canada, [1996] A.C.F. no 1337 (QL) (C.A.F.); Sauvé c. Canada (M.R.N.), [1995] A.C.F. no 1378 (QL) (C.A.F.); Lagacé c. Canada (M.R.N.), [1994] A.C.F. no 885 (QL) (C.A.F.), confirmant [1991] T.C.J. no 945 (QL). Il faut toutefois mentionner que, dans les arrêts D & J Driveway et Charbonneau, la Cour d'appel n'a pas écarté explicitement l'application de Wiebe Door, mais a conclu à l'existence d'un contrat de service en se fondant sur l'absence du lien de subordination, suivant ainsi les règles du Code civil.

17     Par. 16 de la décision.

18     Il faut mentionner que les juges Pelletier et Létourneau ont manifesté leur adhésion à cette décision du juge Décary. Dans une décision plus récente, Combined  Insurance Company of America c. Canada, 2007 CAF 60, motifs rédigés par le juge Nadon, auxquels, d'ailleurs, les juges Pelletier et Létourneau ont souscrit, on se réfère à nouveau à la décision Wiebe Door et on reproche au juge de la Cour de l'impôt de ne pas avoir « considéré les critères énoncés par cette Cour dans Wiebe Door » (par. 38).

 

Par contre, dans Combined Insurance, il n'est aucunement fait référence à l'arrêt 9041‑6868 Québec Inc. (même si mention de cet arrêt apparaissait dans le « mémoire des faits et du droit de l'intimée ») et il n'est pas mentionné que l'interprétation adoptée par le juge Décary dans 9041‑6868 Québec Inc. ne fait plus loi pour l'application d'une loi fédérale au Québec.

 

La demande d'autorisation d'en appeler de l’arrêt Combined Insurance à la Cour suprême du Canada a été rejetée sans motifs le 25 octobre 2007 ([2007] C.S.C.R n156 (QL)). Selon la position défendue par l’avocat de Combined Insurance dans sa réponse écrite à la demande d’autorisation, l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Combined Insurance « ne contredit aucunement l’arrêt 9041-6868 Québec inc. rendu par cette même Cour en 2005 » (paragraphe 25 de la réponse). Il ajoute :

 

La Cour d’appel fédérale […] devait conclure qu’il n’existait aucun lien de subordination quant à l’exécution du travail que devait faire Mme Drapeau pour le compte de l’intimé. […] La Cour d’appel fédérale a donc bel et bien appliqué les dispositions pertinentes du Code civil du Québec en l’espèce (paragraphe 13 de la réponse).

 

[...] La Cour d’appel fédérale n’a pas ressuscité les critères de common law afin de déterminer l’existence d’un contrat de travail au Québec. [Elle] a plutôt correctement révisé toute la preuve au dossier, contrairement au premier juge, et a conclu qu’il n’y avait pas de lien de subordination entre Mme Drapeau et l’intimée en appliquant plusieurs indices d’encadrement tels que la propriété des instruments de travail, les chances de profits et les risques de pertes, l’intégration, le degré de contrôle, la présence obligatoire au lieu de travail et le respect de l’horaire de travail, le contrôle des absences pour vacances, les pouvoirs de sanction, l’imposition de moyens d’exécution de travail, la remise de rapports d'activités et le contrôle de la qualité et de la quantité de travail […] » (paragraphe 15 de la réponse).

19     Commission des normes du travail c. 9002‑8515 Québec inc., REJB 2000‑18725. Voir également les commentaires du ministre de la Justice du Québec reproduits au par. 42 de mon article, selon lesquels le prestataire doit avoir une « indépendance quasi absolue dans la manière dont s’exécute le contrat ».

20     Jean‑Maurice Verdier, Alain Coeuret et Marie‑Armelle Souriac, Droit du travail, 12e éd., Paris, Dalloz, 2002, à la p. 315.

 

[26]    Je vais maintenant appliquer ces critères à la présente affaire. Contrairement à l’affaire Teach & Embrace, il n’y a pas de contrats écrits en l’espèce. Il est donc plus difficile de découvrir ce qui avait été convenu entre NCJ et ses travailleurs, et encore plus difficile de déterminer le type de contrat qui avait été établi[11]. Le cas de M. Weiland illustre bien cette difficulté; comme la plupart des autres travailleurs, il ne se souvenait pas d’avoir discuté de cette question au moment de son embauche. M. Weiland a témoigné qu’il ne se souvenait pas d’avoir expressément convenu d’être engagé comme travailleur indépendant. Ce n’est que lorsque M. Weiland s’est rendu compte que NCJ ne faisait aucune retenue d’impôt sur sa paye qu’il a compris que Mme Jacobs avait eu l’intention de l’engager comme travailleur indépendant. Le fait que M. Weiland ne se soit rendu compte qu’il était un travailleur indépendant qu’après son embauche semble indiquer qu’il n’avait pas été question de la nature de son contrat avant son embauche, contrairement à ce que Mme Jacobs avait déclaré. Cette dernière a aussi témoigné qu’elle négociait les salaires en demandant aux tuteurs de lui dire combien ils voulaient gagner. Cependant, Mme Cooper est venue contredire Mme Jacobs sur ce point en disant qu’elle avait simplement accepté l’offre salariale que Mme Jacobs lui avait faite. Les déclarations de Mme Jacobs semblent donc ne pas nécessairement refléter ce qui s’est passé durant les périodes en cause, et elles ne sont donc pas complètement fiables.

 

[27]    En l’espèce, je ne crois pas que l’intention des parties joue un rôle important. Bien qu’il soit clair que Mme Jacobs a souhaité établir le genre de relation qui découlerait d’un contrat de service, la preuve ayant trait à l’intention des travailleurs est loin d’être concluante. Pour ce qui est de Mme Hamdane, son témoignage selon lequel elle a toujours cru être une employée est incompatible avec le fait qu’elle a indiqué, dans ses déclarations de revenus, que ses revenus provenant de NCJ étaient des revenus d’entreprise. Dans le cas de M. Weiland, il est vraisemblable, comme je l’ai déjà noté, qu’il n’ait pas discuté de la nature de son contrat avec Mme Jacobs.

 

[28]    Mme Cooper et Mme Odell‑Bourke ont toutes deux dit qu’elles pensaient être des travailleuses indépendantes. Toutefois, je doute qu’elles comprennaient vraiment les différences juridiques entre le contrat de service et le contrat de travail. Comme je l’ai déjà souligné, Mme Odell‑Bourke ne croyait même pas avoir conclu de contrat! Il aurait fallu qu’il y ait un accord des volontés entre les parties quant au fait que le travail des tuteurs ne devait pas être effectué sous la direction ou le contrôle de NCJ. Comme je l’ai dit au paragraphe 34 de Rhéaume, « l’existence d’un flottement dans la jurisprudence, comme l’a constaté le juge Décary dans l’arrêt 9041‑6868 Québec Inc [l’affaire Tambeau], n’aide pas la situation. »

 

[29]    De toute façon, même si les deux parties avaient eu l’intention manifeste de conclure un contrat de service plutôt qu’un contrat de travail, la Cour a le devoir de vérifier si le nom donné au contrat par les parties correspond à la réalité. En l’espèce, la preuve ne révèle pas que NCJ a exercé beaucoup de gestes de direction ou de contrôle sur le travail des tuteurs. Cela ne veut pourtant pas dire qu’il n’y en a pas eu. Mme Hamdane a témoigné qu’elle avait reçu des instructions relativement au travail qu’elle devait effectuer. Elle travaillait jusqu’à ce que Mme Jacobs lui dise qu’elle pouvait partir. La plupart du temps, Mme Jacobs était présente lorsque les séances de tutorat avaient lieu; elle pouvait donc superviser ce qui se passait dans la salle de tutorat de NCJ. Mme Jacobs a reconnu que si elle avait vu un de ses tuteurs agir de façon déplacée, par exemple, en posant la main sur le genou d’un élève, elle serait immédiatement intervenue pour rappeler ce tuteur à l’ordre.

 

[30]    Mme Jacobs exerçait une direction ou un contrôle en assignant les élèves aux tuteurs, en réassignant les élèves si leur tuteur était absent pour cause de maladie et en donnant des instructions aux tuteurs quant à la durée des séances de tutorat (voir le témoignage de Mme Hamdane). Lorsqu’un tuteur ne pouvait pas se présenter à une séance de tutorat, il appelait NCJ et non pas son élève. C’est Mme Jacobs qui se chargeait de trouver un remplaçant quand un tuteur ne pouvait se présenter à une séance de tutorat, que ce soit pour cause de maladie ou pour une autre raison.

 

[31]    La preuve révèle aussi que lorsque les parents (les clients de NCJ) faisaient une évaluation, qu’elle soit bonne ou mauvaise, du travail d’un tuteur, ce n’était pas à ce dernier qu’il communiquait, mais bien à Mme Jacobs. Mme Jacobs exerçait son pouvoir de direction ou de contrôle sur les tuteurs en les informant des commentaires bons ou mauvais des parents. Si un tuteur ne corrigeait pas son comportement, Mme Jacobs assignait l’élève à un autre tuteur, ou elle décidait simplement de ne plus faire appel aux services de ce tuteur.

 

[32]    Mme Jacobs exerçait aussi son pouvoir de direction ou de contrôle sur le travail effectué par ses tuteurs en imposant, par exemple, un code vestimentaire aux tuteurs de sexe masculin. Puisqu’elle se trouvait sur le lieu de travail, elle pouvait contrôler ce qui s’y passait.

 

[33]    Pour ce qui est de la manière dont les séances de tutorat devaient être menées, il était normal, parce que NCJ faisait affaire avec des professionnels comme les tuteurs qui ont témoigné en l’espèce, qu’elle se soit fiée à ces professionnels pour qu’ils accomplissent leurs tâches de façon appropriée. Il n’y a aucune preuve qui permet de conclure que Mme Jacobs s’ingérait dans le choix des méthodes d’enseignement des tuteurs. Cela n’est toutefois pas inhabituel; par exemple, la même pratique avait cours dans Teach & Embrace et dans Rhéaume. On peut en dire autant du travail effectué par le travailleur dans Grimard.

 

[34]    Malgré le fait qu’en l’espèce, contrairement à la situation dans Teach & Embrace, les tuteurs n’avaient pas l’obligation de faire des rapports écrits ou oraux quant aux progrès de leurs élèves, le fait est que Mme Jacobs se trouvait sur le lieu de travail la plupart du temps et qu’elle recevait des rapports oraux relativement aux progrès des élèves. Ce fait a à la fois été confirmé par Mme Jacobs et par tous les travailleurs qui ont témoigné dans les présents appels. Je ne peux pas concevoir que la propriétaire de NCJ n’ait pas accordé un grand intérêt à la qualité des services que sa société offrait à ses clients. Une entreprise ne peut pas survivre bien longtemps sans accorder d’importance à la qualité de ses services et à la satisfaction de ses clients. Mme Jacobs avait donc intérêt à exercer un contrôle.

 

[35]    Comme l’a déclaré le ministre de la Justice dans ses commentaires ayant accompagné l’édiction du Code civil du Québec, et comme l’a expliqué Robert Gagnon dans son ouvrage intitulé Le droit du travail du Québec, un lien de subordination peut exister même si l’employeur n’exerce pas de contrôle immédiat (la « subordination juridique classique »), à condition que les éléments constituant la « notion de subordination juridique au sens large » soient réunis, à savoir une « subordination [assimilée à] la faculté, laissée à celui qu’on reconnaîtra alors comme l’employeur, de déterminer le travail à exécuter, d’encadrer cette exécution et de la contrôler ». (Voir le paragraphe 92 de l’ouvrage de Robert Gagnon, reproduit au paragraphe [24] ci‑dessus.)

 

[36]    En fin de compte, pour reprendre la formule utilisée dans Groupe Desmarais Pinsonneault & Avard Inc. c. Canada (M.R.N.), 2002 CAF 144, [2002] A.C.F. No 572 (QL)[12] et dans Gallant[13], précité, la question est de savoir si NCJ avait la faculté d’exercer un contrôle ou une direction sur le travail effectué par ses tuteurs. Je crois que l’on peut déduire que cette faculté existait non seulement à la lumière des preuves directes mentionnées ci‑dessus, mais aussi à  la lumière des preuves circonstancielles mentionnées ci‑dessous. Il existe plusieurs « indices d’encadrement » (pour reprendre les mots de Robert Gagnon, cité ci‑dessus) et plusieurs [TRADUCTION] « indices d’intégration » (pour reprendre mes propres mots) des services des travailleurs dans le fonctionnement de l’entreprise de NCJ. D’abord, il est important de comprendre que l’entreprise exploitée par NCJ consiste en la fourniture de services de tutorat aux enfants des parents qui constituent sa clientèle. Il est manifeste que les élèves et leurs parents sont les clients de NCJ, et non pas des tuteurs. Pour pouvoir fournir ses services de tutorat, NCJ doit faire appel à des tuteurs. Contrairement à ce que Mme Jacobs a affirmé, l’entreprise de NCJ ne consiste pas simplement à assigner des élèves à des tuteurs. Les tuteurs ne communiquent pas avec les clients de NCJ, à savoir les parents. Les tuteurs ne connaissent pas les adresses et les numéros de téléphone des parents. Comme l’a dit Mme Cooper, il se peut qu’un tuteur ne sache même pas pourquoi un élève cesse de se présenter à ses séances de tutorat. C’est Mme Jacobs qui traite avec les clients.

 

[37]    Un autre indice qui porte fortement à croire qu’il y avait intégration, de même que contrôle ou direction du travail des tuteurs, est le fait que les tuteurs fournissaient leurs services dans les locaux de NCJ et que, la plupart du temps, Mme Jacobs s’y trouvait. Bien que les tuteurs étaient libres d’utiliser leur propre matériel, NCJ leur donnait accès à une bibliothèque et à Internet. Les tuteurs n’étaient pas tenus d’engager des dépenses pour fournir leurs services de tutorat, mis à part les frais nécessaires pour se rendre à la salle de tutorat, mais tous les enseignants salariés employés par les commissions scolaires du Québec et du reste du Canada doivent payer les frais nécessaires pour se rendre aux établissements où ils enseignent.

 

[38]    Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que NCJ avait un pouvoir de direction ou de contrôle sur ses tuteurs; il s’agit d’un pouvoir qu’elle devait avoir pour exploiter son entreprise avec succès depuis 1980. L’entreprise de NCJ ne consistait pas simplement en des activités de recrutement, c'est-à-dire d’essayer de trouver les employés voulus pour un employeur donné, ni en la fourniture des services d’un bassin de tuteurs à d’autres employeurs. L’entreprise de NCJ consistait à offrir directement des services de tutorat à ses élèves. Je n’arrive pas à croire que Mme Jacobs, en exploitant son entreprise de 1980 jusqu’à aujourd’hui, n’a jamais eu de problèmes avec la façon dont ses tuteurs fournissaient leurs services. Par conséquent, le témoignage de Mme Jacobs selon lequel le rôle de NCJ se limitait à assigner l’élève à un tuteur ne m’a pas convaincu.

 

[39]    En l’espèce, l’activité qui est en cause n’est pas un service simple et limité qui n’exige que très peu de supervision, comme la livraison de colis ou de véhicules comme c’était le cas dans D & J Driveway Inc. c. Canada (ministre du Revenu national), 2003 CAF 453, [2003] A.C.F. No 1784 (QL), et dans Sauvageau Pontiac Buick GMC Ltée c. Canada (ministre du Revenu national ), [1996] A.C.I. No 1383 (QL).

 

[40]    En l’espèce, l’objet principal des activités de NCJ était de fournir des services de tutorat durant l’année scolaire, sept jours sur sept, de 9 h à 22 h, ce qui nécessitait la présence de Mme Jacobs sur les lieux de 9 h à 21 h. Je crois que la supervision que Mme Jacobs exerçait sur ses tuteurs était plus importante qu’elle ne l’a prétendu. Le fait que Mme Jacobs ait exercé ce pouvoir discrètement ne veut pas dire qu’elle ne l’a pas exercé. Dans les circonstances en cause, je suis convaincu que si Mme Jacobs avait été confrontée à un problème, elle aurait eu la faculté d’exercer un contrôle ou une direction sur ses tuteurs. Mme Jacobs l’a elle-même admis lorsqu’elle s’est fait demander comment elle aurait réagi si elle avait remarqué un comportement (sexuel) déplacé. De plus, si un tuteur n’avait pas suivi les suggestions de Mme Jacobs, cette dernière aurait pu soit diminuer la charge de travail de ce tuteur en assignant un de ses élèves à un autre tuteur, soit cesser de faire appel à ce tuteur‑là[14].

 

[41]    De surcroît, et bien qu’il s’agisse là d’un point ayant très peu d’importance, je n’ai jamais entendu parler d’entrepreneurs qui demandent à leurs clients de préparer leurs factures pour eux.

 

[42]    Pour tous ces motifs, je conclus que NCJ n’a pas su convaincre la Cour qu’elle n’avait pas la faculté d’exercer un contrôle ou une direction sur le travail des sept travailleurs durant les diverses périodes pertinentes. Comme il existait un lien de subordination entre les sept travailleurs et NCJ, les contrats qu’ils avaient conclus ne pouvaient pas être des contrats de service (voir l’article 2099 du Code civil du Québec). À mon avis, NCJ a engagé chacun des travailleurs comme employé.

 

[43]    Les appels interjetés par NCJ sont rejetés.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mai 2008.

 

 

« Pierre Archambault »

Juge Archambault

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour d’août 2008.

 

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.



RÉFÉRENCE :

2008CCI300

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :

2007-2910(EI), 2007-2911(EI), 2007‑2915(EI), 2007‑2916(EI),

2007‑2917(EI), 2007‑2918(EI),

2007‑2930(EI)

 

INTITULÉ :

NCJ Educational Services Limited et

le ministre du Revenu national

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

Le 14 et le 15 février 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Pierre Archambault

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 15 mai 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Stéphane Eljarrat

Avocate de l’intimé :

Me Nadia Golmier

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelante :

 

Nom :

Me Stéphane Eljarrat

 

Cabinet :

Davies Ward Phillips & Vineberg S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

Pour l’intimé :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1]              L’avocat de l’appelante a admis cette hypothèse, à l’exception du mot « obligeait ».

[2]           À l’audience, cette hypothèse a été modifiée quant aux six autres travailleurs. La version modifiée de l’alinéa j) est ainsi rédigée :

 

[TRADUCTION]

 

Les leçons que la travailleuse donnait durant les séances de tutorat tenaient compte des programmes d’apprentissage préparés par les enseignants des élèves.

 

            Je tiens à noter que l’avocate du ministre était prête à utiliser la même formulation pour l’appel relatif à Mme Hamdane. Cependant, j’ai fait remarquer à l’avocate que la travailleuse avait fait savoir au ministre que NCJ lui donnait des instructions. L’avocate du ministre a donc retiré sa proposition de modification en ce qui concerne Mme Hamdane.

[3]              La formulation de cette hypothèse a été modifiée par l’avocate du ministre lors de l’audience afin de refléter ce dont l’agent des appels avait tenu compte lorsqu’il a pris sa décision. Les parties se trouvant entre crochets ont alors été ajoutées. Cette modification a aussi été apportée pour les six autres appels. Toutefois, j’ai constaté après l’audience que le rapport sur un appel concernant Mme Hamdane, déposé comme pièce A-4, comprenait le passage suivant :

 

            [TRADUCTION]

 

            NCJ donnait des instructions à la travailleuse quant aux séances de tutorat devant être données aux élèves. NCJ assignait chaque élève à un tuteur, indiquait à ce dernier le matériel et la matière à aborder, de même que la durée de chaque séance de tutorat.

 

            Je considère donc que l’avocate du ministre, parce qu’elle avait mal compris les faits, a admis par erreur cette hypothèse relativement à Mme Hamdane.

[4]              Le passage se trouvant entre crochets a été ajouté à la réponse à l’avis d’appel par une modification faite par l’avocate du ministre. L’avocat de NCJ a admis cette hypothèse, mis à part le mot « tenue ».

[5]              Cette hypothèse a été admise, mis à part le mot « détaillée » et le passage selon lequel la feuille de temps était comparée au registre des heures travaillées de l’appelante.

[6]           L’avocate du ministre a modifié cette hypothèse en supprimant les mots « écrits et ». Cette modification a aussi été apportée pour les six autres appels.

[7]           Je tiens à souligner que les réponses aux avis d’appel sont presque identiques pour les six autres appels relatifs à NCJ, quoiqu’ils comportent certaines différences. J’ai déjà mentionné les différences les plus importantes, à savoir celles qui sont reflétées dans les modifications apportées aux hypothèses de fait par l’avocate du ministre. Je souhaite aussi noter que l’agent des appels n’a pas communiqué avec les sept travailleurs; il a seulement parlé à Mme Hamdane, Mme Ellen Cooper, Mme Janet Odell‑Bourke et M. Andrew Sivilla. Il n’existe donc aucune déclaration de fait indiquant si Mme Lara Judd, Mme Oguz et M. Weiland se considéraient comme des employés ou comme des entrepreneurs indépendants. De ces trois travailleurs, M. Weiland est le seul à avoir témoigné. Il a affirmé ne pas se souvenir que Mme Jacobs lui ait dit qu’il allait être engagé comme entrepreneur indépendant. Toutefois, M. Weiland a expliqué s’en être rendu compte peu de temps après son embauche lorsqu’il a constaté qu’aucune retenue d’impôt n’était faite sur sa paie. Pour ce qui est de Mme Odell‑Bourke, l’avocat de NCJ a nié qu’elle était payée hebdomadairement. Lors de son témoignage, Mme Odell‑Bourke a dit qu’elle travaillait de façon irrégulière, et qu’elle était donc payée de façon irrégulière. Quant à M. Sivilla, il n’existe pas d’hypothèse de fait voulant qu’il devait fournir des rapports oraux à Mme Jacobs. Cependant, dans la réponse à l’avis d’appel le concernant, il est indiqué que [TRADUCTION] « comme Margaret Jacobs était [habituellement] présente dans les locaux de l’appelante (admis), elle évaluait la qualité du travail du tuteur et les progrès des élèves; (nié) ». Je note que l’avocat de NCJ a admis la première partie de cette hypothèse après l’ajout du mot « habituellement » qui se trouve entre crochets. L’avocat de NCJ a nié la seconde partie de l’hypothèse.

[8]              Pour ce qui est de Mme Oguz, M. Hyland n’a pas réussi à communiquer avec elle parce qu’elle était retournée en Turquie. Quant à M. Weiland, il n’a pas répondu aux demandes d’informations formulées par M. Hyland, et ce dernier a dit qu’il ne pouvait pas le forcer à y répondre. On ne m’a pas expliqué pourquoi M. Hyland n’avait pas communiqué avec Mme Lara Judd, ni pourquoi il n’avait pas obtenu d’information de cette dernière.

[9]           Comme NCJ facture ses services à ses clients en fonction de ces feuilles de temps et qu’elle facture un taux horaire supplémentaire, plus le nombre d’heures facturées aux clients est élevé, plus les honoraires de NCJ sont importants.

[10]             Je tiens à dire que ma décision dans Grimard a été portée en appel devant la Cour d’appel fédérale.

[11]             Une travailleuse, Mme Odell‑Bourke, croyait même qu’elle n’avait pas conclu de contrat avec NCJ; il est donc possible que les travailleurs aient mal compris la véritable nature juridique de leur relation avec NCJ.

[12]             Le juge Noël s’est exprimé de la façon suivante au paragraphe 5 :

               

[5]        La question que devait se poser le premier juge était de savoir si la société avait le pouvoir de contrôler l'exécution du travail des travailleurs et non pas si la société exerçait effectivement ce contrôle. Le fait que la société n'ait pas exercé ce contrôle ou le fait que les travailleurs ne s'y soient pas sentis assujettis lors de l'exécution de leur travail n'a pas pour effet de faire disparaître, réduire ou limiter ce pouvoir d'intervention que la société possède, par le biais de son conseil d'administration.

[Non souligné dans l’original.]  

 

[13]            Au deuxième paragraphe de ses brefs motifs, le juge Pratte s’est ainsi exprimé :

 

[…] Quant au premier motif, il nous semble basé sur l'idée fausse qu'il ne peut y avoir de contrat de louage de services à moins que l'employeur n'exerce en fait un contrôle étroit sur la façon dont l'employé exécute son travail. Ce qui est la marque du louage de services, ce n'est pas le contrôle que l'employeur exerce effectivement sur son employé, c'est plutôt le pouvoir que possède l'employeur de contrôler la façon dont l'employé exécute ses fonctions. Si on envisage les circonstances de cette affaire à la lumière de ce critère, il est manifeste que le requérant était un employé plutôt qu'un entrepreneur.

[Non souligné dans l’original.]

[14]          Rosen v. The Queen, 76 DTC 6274 (F.C.T.D.) est un exemple d’un fonctionnaire qui enseignait à temps partiel dans des collèges et des universités dans une province de common law. À la page 6276, le juge a conclu que M. Rosen était un employé parce que (entre autres) [TRADUCTION] « l’entreprise à laquelle il participait activement était celle des écoles, et non pas la sienne ».

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.